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Aux origines du bolchévisme : les révolutionnaires nobles tels le Nicolas Ozareff d’Henri Troyat (1812-1825)
samedi 12 octobre 2024, par
Le centenaire de la mort de Lénine est l’occasion en France pour certains partis –NPA, LO — de s’autoproclamer héritiers du bolchévisme, exécuteurs testamentaires.
Le trait commun à ces partis est non pas la discussion des idées, mais le culte de l’organisation : les révolutionnaires doivent « organiser » la révolution.
Pour ces partis, par exemple, les Gilets jaunes n’étaient donc pas révolutionnaires car ils refusaient de se laisser « organiser » par les « organisations ».
Or si l’on étudie les origines de Février et Octobre 1917, révolutions bourgeoise et prolétarienne, on voit vite qu’un tel programme d’« organisation de la révolution » est absurde. Les révolutionnaires fournissent à la révolution, bourgeoise ou prolétarienne, des outils pour vaincre, mais l’organisent malheureusement très peu, même si leur intervention est indispensable et décisive à certaines étapes, dont celle de la mise en place de la dictature du prolétariat.
En Russie, les origines lointaines du parti de Lénine sont à rechercher chez les décembristes de1825. Or ils étaient nobles, hauts-fonctionnaires ou officiers supérieurs dans l’armée du tsar et devinrent révolutionnaires suite à la guerre de 1812 contre Napoléon qui les conduisit à occuper Paris d’où ils ramenèrent l’influence de la Révolution française … que leur armée avait combattue.
C’est une guerre contre-révolutionnaire qui eut un impact révolutionnaire en Russie ! Un parti aurait-il dû « organiser » cette guerre contre-révolutionnaire pour accélérer la révolution ? C’est absurde !
L’extrême-gauche électoraliste ne diffusant plus aucune littérature sur les véritables origines et idées du bolchévisme, certains manuels scolaires de l’époque stalinienne restent une très bonne base pour étudier cette période que l’on peut faire commencer de 1812 (bataille de Moscou - Borodino) à l’insurrection des décembristes en 1825. Outre l’extrait ci-dessous de l’ Histoire de l’URSS, première partie (Editions de Moscou, 1948), des romans incontournables sont :
1) Guerre et paix (L. Tolstoï) : sur la guerre de 1812, Pierre étant l’emblème de cette génération.
2) Les compagnons du coquelicot (H. Troyat) : sur l’occupation de Paris par l’armée russe en 1814-1815. L’officier russe Nicolas y rencontre sa future femme Sophie, une révolutionnaire. Il retourne avec elle en Russie, y ramenant les idées de la Révolution française. C’est le passage du flambeau de la révolution française à la révolution russe. Les Compagnons du coquelicot est le nom d’une organisation clandestine de révolutionnaires en France dont le slogan est : ni Napoléon, ni Louis XVIII ! Nicolas et ses amis décideront de fonder un club révolutionnaire analogue à Saint-Pétersbourg. La future insurrection de décembre 1825 se prépare.
3) La Baryna (H. Troyat) Nicolas l’officier russe marié avec la révolutionnaire française Sophie, après Saint-Petersbourg, est retourné dans son domaine seigneurial près de Pskov, car son père tyrannique accepte enfin son mariage avec Sophie. On y voit l’horreur du servage, en particulier à travers la condition inhumaine des femmes, qu’elles soient serves ou nobles.
Les deux derniers livres sont les deux premiers épisodes de la série La Lumière des Justes qui en compte cinq.
Oui, le héros de cette saga, Nicolas Ozareff, souvent répugnant dans sa vie privée, car pur produit de la société féodale de l’époque, est bien un représentant authentique de la première génération des révolutionnaires russes de la période moderne ! Nicolas et Sophie incarnent le passage du flambeau de la Révolution française à la révolution russe, et les Compagnons du coquelicot, qui font circuler en France des textes révolutionnaires, forment un parti politique qui par ses idées (abolition de la monarchie, libération des paysans), et ses méthodes clandestines, insurrectionnelles, est un ancêtre lointain du parti bolchévique
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Histoire de l’URSS (1948). Editions de Moscou. Extrait. Les révolutionnaires nobles
Sous l’influence du capitalisme naissant, les hommes les plus éclairés de la Russie féodale comprirent que le servage était un frein au développement des forces productives du pays. Ils étaient convaincus aussi de la nécessité de changer le régime politique autocratique qui avait transformé des millions d’hommes en esclaves. La guerre nationale de 1812 avait éveillé la conscience de nombreux hommes avancés et leur avait fait comprendre la nécessité de la lutte contre le servage. Elle les fit réfléchir sur la dure vie du peuple asservi qui avait héroïquement lutté pour la patrie et les poussa à chercher une issue à cette situation. Les idées avancées de la Révolution française avaient aussi grandement contribué à éveiller la conscience politique de la meilleure partie de la noblesse russe cultivée.
Les jeunes officiers patriotes qui avaient participé à la guerre de 1812 et aux campagnes à ‘étranger avaient compris les idées éducatrices des Encyclopédistes, et se passionnaient à la lecture des œuvres de Montesquieu, de Rousseau et autres écrivains progressistes.
Paris, centre d’une vie politique intense, exerça une influence considérable sur les officiers russes. Pendant leur séjour à Paris, les jeunes Russes instruits découvraient les divers courants politiques, lisaient des brochures et des journaux de toutes tendances, commençaient à se former politiquement et brûlaient d’agir. Ces jeunes révolutionnaires nobles étudiaient les constitutions bourgeoises des différents pays, discutaient de leurs avantages et de leur valeur pour la Russie.
Le mouvement de libération nationale et les événements révolutionnaires de l’Europe, dans les Balkans, en Italie et en Espagne, avaient impressionné encore davantage les officiers avancés.
« D’un bout de l’Europe à l’autre de l’autre, écrivait Pestel, partout on voit la même chose. Du Portugal à la Russie, dans tous les Etats sans exception, même en ces deux pôles opposé que sont l’Angleterre et le Turquie, l’esprit de réforme, l’esprit du temps a mis partout les cerveaux en effervescence. »
Riego, le « champion espagnol de la liberté », devint pour les nobles révolutionnaires le symbole de la lutte héroïque pour la liberté. L’exécution de Riego (1823) suscita parmi eux une explosion d’indignation et de protestation.
Les jeunes officiers revenus des campagnes à l’étranger ressentirent avec une acuité particulière le violent contraste existant entre l’Europe bourgeoise et la Russie féodale. En Europe on construisait de nouvelles usines et fabriques. Le commerce s’y développait, la science progressait, la population jouissait de certaines libertés. Dans la Russie féodale ils retrouvèrent un terrible retard économique, un régime d’esclavage féodal, l’ignorance presque totale et l’arbitraire de l’absolutisme. Le dénuement des paysans et de la population des villes les indignaient particulièrement. Les membres les plus avancés de la noblesse en déduisaient que « l’asservissement des paysans était la cause de toutes nos insuffisances intérieures ».
Ils déclaraient que « le soldat esclave » tenu de servir 25 ans, n’ayant aucun espoir de rentrer dans sa famille, soumis à un terrible dressage, à de cruelles punitions et menant une existence misérable était voué à la mort. Et cependant, à l’étranger, « non seulement les officiers, mais aussi les simples soldats s’étaient laissé gagner par l’esprit d’outre-mer ; ils constatèrent que l’armée y jouissait de grands avantages et d’une grande considération ». (Déclaration du décembriste Zavalichine)