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Treblinka, Sobibor et autres camps de la mort

dimanche 14 décembre 2008, par Robert Paris

L’insurrection du ghetto de Varsovie

« Le plus grand affrontement qui opposa les Juifs et les Allemands se produisit dans le ghetto de Varsovie. Ce combat armé ne changea rien à l’évolution du processus de destruction. Mais dans l’histoire juive cette bataille est au sens propre une révolution »
Raoul Hilberg
dans « La destruction des Juifs d’Europe »

DOCUMENTS

Extraits de « Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination »
de Jean-François Steiner :

« Dans les territoires occupés par la Wehrmacht, en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie, dans les Etats Baltes, vivait une population juive de plusieurs millions d’hommes. En conséquence, le Reichsfûhrer SS Heinrich Himmler donna l’ordre de « traiter » les terres nouvelles conquises par le troisième Reich dans son expansion vers l’Est. L’opération devait se dérouler en deux phases. Premier temps : regroupement des Juifs dans un certain nombre de ghettos ainsi créés. Deuxième temps : liquidation progressive des ghettos ainsi créés. (…) Les « techniciens » de la solution finale arrivèrent à Vilna dans les fourgons de la Wehrmacht. Sans perdre un instant, ils s’attaquèrent au premier point du programme : la mise au ghetto. Mais pour qu’elle se fasse sans désordre, ils imaginèrent d’obtenir le concours des Juifs eux-mêmes et, pour cela, procédèrent à une mise en condition psychologique. (…) Pour eux (les techniciens), le pogrom ne représentait pas une fin en soi mais un moyen de donner aux Juifs l’envie de se réfugier derrière les murs d’un ghetto. (…) La première mesure fut la création d’unités spéciales pogromistes. On leur donna le nom ronflant : Iptiagas (les élus), et on en vêtit les membres d’uniformes martiaux. (…) le premier pogrome eut lieu le lendemain dans un faubourg de la ville, à Chmipichok. (…) L’espoir revenait à pas lents lorsque le 17 juillet 1941 éclata le pogrom général. (…) Lorsque les « techniciens » leur ordonnèrent de nommer un Judenrat (Conseil juif), beaucoup crurent que la vie allait reprendre son cours, que les pogroms n’avaient été que des concessions faites par les occupants aux Lituaniens. Quand le Judenrat reçut l’ordre d’enregistrer tous les Juifs ceux-ci se présentèrent sans difficulté. (…) Les pogroms restaient le dernier élément qui empêchait la vie de reprendre un cours à peu près normal. Alors, quand le bruit de la création d’un ghetto commença à courir, beaucoup pensèrent : « A l’intérieur du ghetto, nous serons pauvres et à l’étroit, mais on nous laissera en paix, il n’y aura plus d’enlèvements. » La mise en condition avait duré deux mois. Elle s’était déroulée sans u mouvement de révolte, sans une violence inutile. Les « techniciens » préparèrent l’ »opération ghetto » avec soin. (…) En marche vers le ghetto, on allait scinder la colonne en deux à un certain carrefour. Une des branches irait vers le ghetto dont les Juifs ignoraient encore l’emplacement, et l’autre… Cet inconnu prit un nom le 2 septembre (…) : Ponar. C’était le nom d’un lieu-dit en bordure de la forêt, à sept kilomètres de Vilna. (…) Quelques jours après son installation dans le ghetto, le Dr Dvorjetski fut réveillé un matin par des grattements furtifs (…) :

 Docteur, c’est moi, Pessia Aranovitch, je me suis évadée de Ponar (…) Ponar n’est pas un camp de travail ! On y tue tous les Juifs !

 Tous les Juifs ! Voyons, ce n’est pas possible. Pourquoi tuerait-on tous les Juifs ?

 (…) Je ne vis pas la forêt arriver. Soudain des cris, des coups, des barbelés, et une odeur terrible. (…) Par cinq, les hommes s’avançaient, ils marchaient cinquante mètres, s’arrêtaient et se baissaient. On entendait une salve et on les voyait disparaître. (…) Je me laissais tomber en avant en me disant : « ça y est, je suis morte » et j’ai perdu connaissance. (…)

 Calme-toi Pessia, tu as de la fièvre et tu as fait un cauchemar. (…) On dirait que c’est une balle qui a fait cela. Quelque chose grouille au fonde de la plaie. (…) ce sont des fourmis rouges de la forêt ! (…) les nouvelles vont vite dans le ghetto. D’ici ce soir, tout le monde sera au courant. (…)
L’idée que la révélation du massacre des Juifs à Ponar pourrait déclencher une émeute venait seulement de lui apparaître. (…) Sur la place du Judenrat, il rencontra un avocat avec qui il avait été au lycée. Il le prit à part et lui révéla ce que lui avait raconté Pessia.

 Pourquoi créer une atmosphère de panique ? lui dit l’avocat. Nous sommes là pour rassurer les gens, les encourager.

 Mais comment les encourager alors qu’on les massacre ?

 Qui t’a dit cela ? Une fille à moitié folle. On ne peut tout de même pas déclencher une insurrection qui risquerait de nous coûter la vie à tous, pour de bon, à cause du cauchemar d’une femme. Tant que nous n’avons pas de certitude, il ne faut rien faire ! (…)
L’avocat, qui était membre du Judenrat, avait opté pour l’ordre. C’était un bon Juif et un homme honnête, mais il pensait que cette histoire risquait de créer des troubles. Il était décidé à l’étouffer. Il pensait bien que des Juifs étaient tués, mais pas aussi systématiquement que le lui avait raconté son ancien camarade de classe. Cette fille était folle, ou bien elle cherchait à créer une panique dans le ghetto, mais on ne pouvait ajouter foi à son histoire. (…)
Le docteur revit Pessia un long moment après ce jour. Elle travaillait dans un atelier de couture du ghetto. (…) Elle n’avait plus jamais osé raconter son aventure. C’était, comme l’écrira le Dr Dvorjetski dans son bouleversant journal, « La victoire du ghetto » : « un témoin que l’on avait récusé. » (…)
Les « techniciens » étaient d’autant plus satisfaits que Vilna était un ghetto pilote, un ghetto expérimental. Trente mille Juifs avaient déjà été tués et rien n’en avait transpiré. Le calme le plus absolu régnait dans la ville. (…) Une partie de la population du ghetto travaillait dans des entreprises allemandes. On lui remit des certificats de travail en disant qu’il suffirait de les présenter au cours des rafles. Le ghetto se divisa en deux camps : ceux qui avaient un certificat et qui s’endormaient dans le sentiment de sécurité qu’ils en retiraient, et ceux qui n’en avaient pas et qui se sentaient vulnérables, isolés, abandonnés. Les rafles reprirent, frappant les « sans-certificats ». (…) Mais bientôt les privilégiés furent à leur tour divisés. Les certificats devinrent de deux sortes : avec ou sans photo. (…) Les « techniciens » en distribuèrent un bon nombre et effectuèrent une petite rafle sur les « sans-photo ». (…) C’est alors que le Judenrat annonça qu’il allait procéder à la distribution de certificats jaunes valables pour toute la famille. Gagné, pensèrent les Juifs. (…) Trois mille certificats furent distribués pour les vingt trois mille survivants du ghetto. Les Juifs étaient de nouveau divisés en « privilégiés » et en « parias ». Les parias supportèrent les premières rafles. Puis une nouvelle sorte de certificat fut créée : des certificats « roses » familiaux. (…) Quand les certificats familiaux étaient apparus, le problème s’était posé de savoir s’il fallait enregistrer ses parents et les désigner ainsi comme bouche inutiles. (…) Le suprême art des « techniciens » était d’avoir donné la possibilité à chacun de tricher. Pour l’inscription de la famille, aucun état civil n’était demandé, et les célibataires, les veufs et les orphelins pouvaient faire enregistrer leur mère comme leur femme. Mais les autres devaient faire un terrible choix qui, de toute façon, les briserait (…) : qui préférez-vous, demandez les « techniciens » de Vilna, votre maman ou votre femme ? (…) La mise en condition s’achevait en apothéose et les techniciens s’apprêtaient à la mise à mort, lorsqu’ils apprirent qu’un mouvement de résistance « était né dans le ghetto. Deux jeunes filles avaient été arrêtées (…) On avait découvert sur elles un message adressé à l’Organisation Unie des Partisans. Elles étaient mortes sous la torture sans rien révéler de plus. Le ghetto était devenu une poudrière et les « techniciens » cessèrent immédiatement toute rafle. Le moindre incident pouvait déclencher une révolte qui risquait de gagner tous les autres ghettos de Pologne, de Lituanie, d’Ukraine et de Biélorussie. (…)
Cette nuit-là, de groupes furtifs s’étaient glissés par les égouts en dehors du ghetto pour rejoindre Mordechaï Tenebaum qui rassemblait dans la forêt le premier noyau de ce qui allait devenir l’Organisation Unie des Partisans. Aucun des participants n’avait plus de vingt ans. Ils étaient tous membres des Jeunesses sionistes. (…) la réunion fut brève. Mordechaï Tenebaum leur posa une question : « Que signifie le sionisme s’il n’y a plus de Juifs ? ». (…) Quelques semaines plus tard se tint, dans un couvent de Bénédictins des environs de Vilna, une réunion du mouvement Hashomer Hatzaïr. (…) Vous avez tous entendu parler de Pessia Aranovitch, cette jeune fille qui s’est enfuie de Ponar. Depuis nous avons eu d’autres témoignages. Nous ne pouvons plus nous boucher les yeux et croire que ceux qui sont déportés sont encore en vie. La vérité est qu’ils ont été emmenés à Ponar, c’est-à-dire à la mort. (…) L’extermination de quelques milliers de Juifs n’est que le prélude à l’extermination de millions. C’est-à-dire à notre complète annihilation. (…) La leçon de Vilna ne s’applique pas qu’à Vilna. (…) Notre première réponse doit être : il n’y a pas d’issue dans la fuite. (…) »
Abba Kovner dit : « Il ne nous reste plus qu’à nous préparer à combattre avant de mourir. (…) »
Yaskov fut le premier capable de répondre : « Toute notre vie est tournée vers le pays d’Israël, ce n’est qu’un accident si nous sommes encore dans l’exil. Le judaïsme européen subit en ce moment une catastrophe, mais le jour où nous sommes entrés dans le mouvement, nous avons rompu avec lui. (…) Je ne suis pas lâche mais je demande : avons-nous le droit de sacrifier le pays d’Israël pour un vain combat ici ? » (…)
L’idée de la résistance armée était née. (…) la première réunion publique eut lieu dans la nuit du 31 décembre 1941. (…) Abba Kovner : « (…) Des 60.000 Juifs de la Jérusalem de Lituanie, il n’en reste plus que 20.000. Où sont les centaines d’hommes que l’on vient encore de déporter ? (…) Ils ont été emmenés à Ponar et Ponar, c’est la mort… Il n’y a qu’un moyen de répondre au boucher : la révolte. Ne laissons plus un Juif sortir du ghetto, rendons coup pour coup, défendons du moins notre honneur puisque nos vies ne nous appartiennent déjà plus. » (…)
Parallèlement à ce travail de propagande, des contacts avaient été pris avec toutes les autres organisations (…). Le 23 janvier, se tint, dans un grenier du 6 de la rue Rudnitzki, la première assemblée générale de la résistance. (…) Finalement, un ouvrier qui allait devenir le commandant de l’Etat-Major de l’Organisation Unie des Partisans, Itzak Wittenberg, proposa de rester dans le ghetto jusqu’à la liquidation pour y mener un ultime combat, puis de fuir en entraînant le maximum de « civils » par des itinéraires préparés à l’avance. (…) L’organisation purement militaire du mouvement de résistance fut mise sur pied quelques jours plus tard. Elle se composait d’un état-major de cinq membres. Le plus âgé, Itzhak Wittenberg, avait vingt-trois ans. (…)
Cette histoire de résistance posait aux « techniciens » un problème nouveau. (…) et les amenait à reconsidérer toute leur stratégie basée sur la « bonne volonté » des victimes. (…) Vu sous cet angle, le problème n’était pas de détruire le noyau de résistance mais de désamorcer son pouvoir sur la masse. Pour cela, il fallait amener cette masse à rejeter ses « mauvais bergers » ; l’idéal étant qu’elle les livre elle-même. (…) Le lendemain, dès l’aube, les policiers parcoururent la ville appelant la population à se réunir sur la place du Judenrat. (…) Jacob Genn (qui avait été nommé par les « techniciens » allemands le chef du ghetto de Vilna puis de tous les ghettos) commença par un historique du ghetto. Il rappela les rafles terribles, les parents disparus, la peur qui régnait alors, puis le calme que connaissait le ghetto depuis quelques mois. Il dit : « Ce calme, aujourd’hui, est menacé. Menacé à cause d’un homme. (…) J’ai convoqué cet homme hier, et je lui ai demandé de se livrer pour sauver le ghetto. Il a refusé. » (…) A midi, l’adjoint de Genns fit annoncer que les Allemands avaient fait appeler des chars et de l’aviation. (…) Une voix se détacha : « Juifs de tous les immeubles, si dans une heure Wittenberg n’est pas livré, le ghetto sera détruit. » (…) Wittenberg dit : « Nous n’avions même pas le droit de mourir en nous défendant. « et se rendit. (…) Le Dr Dvorjetski devait noter : « la vie du ghetto reprit son cours normal, mais, à partir de ce jour, on n’osa plus se regarder dans les yeux. » Quelques temps plus tard, le ghetto était liquidé. » (…)
« Le ghetto de Varsovie était une formidable concentration de 600.000 Juifs. Son extermination demandait la création d’installations à sa mesure. (…) La première chambre à gaz était née. La route allait être encore longue jusqu’aux chambres à gaz ultra-modernes d’Auschwitz fonctionnant au Cyclon B, mais la voie était tracée. (…) Il y avait avant guerre, sur la ligne Siedlec-Malkinia, non loin du grand axe ferroviaire Varsovie-Bialystok, une petite station oubliée, au nom étrange et beau : Treblinka. (…) Quand, au printemps 1942, il fut question de créer un grand camp d’extermination pour les Juifs de Varsovie, les « techniciens » se souvinrent de cette petite station perdue au milieu de la lande. (…) Dans l’esprit de ses promoteurs, Treblinka, ainsi d’ailleurs que les cinq autres camps d’extermination, Auschwitz, Maïdanek, Sobibor, Belzec et Chelmno, avait une double vocation : extermination et récupération. Extermination des Juifs et récupération de leurs vêtements, argent, valeurs et objets divers dont ils avaient pu se munir. (…) Pour que le camp fonctionne tout seul, il fallait, tout comme à Vilna, l’organiser en auto-administration. Il fallait que les Juifs eux-mêmes deviennent les responsables tant du rendement que de la discipline. (…) L’organigramme de Treblinka prévoyait un Commandant juif, deux kapos-chefs (un par camp), plus un kapo assisté de deux contremaîtres par kommando. (L’ingénieur Galewski fut nommé commandant juif de Treblinka malgré sa réticence.) (…)
Le premier signe de renaissance d’une vie sociale apparut à Treblinka. (…) Leur première affirmation de liberté avait été le suicide. (…) La deuxième reconquête avait été la première manifestation de solidarité dans la mort. (…)
Que peut-on faire ? demanda Choken dès que Berliner eut fini de lui expliquer ce qu’était Treblinka. (…) Il faut essayer de fuir, lui répondit Berliner. (…) Vous avez raison dit l’homme qui venait de s’approcher (Galewski). Je crois que nous devons essayer de faire quelque chose. (…) Le Comité de Résistance de Treblinka était né. (…) Les trois hommes prirent l’habitude de se réunir chaque soir. (…) Ils décidèrent que Choken et Berliner, s’ils réussissaient leur évasion, iraient dans les ghettos avertir les juifs de ce qu’était Treblinka. (…) Galewski : « Là est l’extraordinaire puissance du système nazi. Comme certaines araignées, il endort ses victimes avant de les tuer ; Cela peut sembler compliqué mais c’était le seul moyen. Imaginez que les SS soient arrivés en proclamant qu’ils allaient nous tuer tous, en le jurant, et en commençant à le prouver. Cela ne fait aucun doute que les deux millions et demi de Juifs polonais se seraient révoltés. Ils l’auraient fait, le dos au mur, avec le courage du désespoir. Ce ne sont pas quelques milliers d’hommes qu’il aurait fallu alors mais la Wermacht tout entière, et encore n’est-il pas sûr qu’elle aurait obéi. Alors que là, regardez, non seulement les Juifs se laissent tuer sans un geste de révolte, mais ils aident encore leurs bourreaux dans leur œuvre d’extermination. » (…)
Un plan sommaire fut élaboré. Des groupes de combat seraient recrutés parmi des prisonniers sûrs et sachant tenir une arme. Ils attaqueraient les allemands et les Ukrainiens, détruiraient les installations du camp et organiseraient l’évasion collective de tous les prisonniers. (…)
Choken avait atteint Varsovie dans les premiers jours du mois de janvier. Là, on l’avait écouté, avec indifférence souvent et hostilité parfois, mais on l’avait laissé parler. (…) Il était sur le point de se faire emmener à Treblinka pour y retrouver Galewski lorsqu’un soir trois jeunes gens l’avaient abordé et poussé sous la voûte d’une porte cochère. (…) Il venait d’entrer en contact avec l’organisation de résistance juive de Varsovie qui, depuis quelques temps, tenait le ghetto et qui allait, trois mois plus tard, mener un combat aussi farouche que désespéré. (…) Il existe un témoignage bouleversant de ce que ressentirent les combattants des ghettos à la veille du combat final. C’est la dernière lettre de Mordechaï Tenebaum : « Quelqu’un connaîtra-t-il un jour l’histoire de notre lutte héroïque ? (…) Combien y a-t-il eu de combats semblables que bous ne connaissons pas, que nous ne connaîtrons jamais ? »
Le premier assaut commença avant le jour. C’était le 19 janvier. Les gardes ukrainiens, lettons, biélorussiens marchaient en tête, puis venait la police polonaise et enfin les unités spéciales de la SS. Ils avançaient sans crainte, occupant le milieu de la chaussée. Le Commandant juif les laissa pénétrer dans le dispositif de défense avant de déclencher le feu. La fusillade éclata de partout à la fois (…) De toutes les maisons retentit un formidable hourra. La contre-attaque commença an début de l’après-midi. Le bunker de Choken résista pendant trois heures (…) il fut investi au lance-flammes. (…) Alors, du fond de la détresse qui assaillit Choken monta une idée : arriver jusqu’à Treblinka pour lui dire que le combat était possible et que la victoire ne pouvait venir que du fond de l’abîme. (…) Aidé par un autre déporté, Choken avait réussi à se traîner (…) jusqu’au convoi pour Treblinka. (…) La voix de Choken faiblissait de plus en plus et Galewski était obligé de se pencher sur lui pour entendre ce qu’il disait : « Il n’y a pas de vengeance possible et la haine est stérile. Ce n’est pas mourir dans un combat désespéré qu’il faut, ce n’est pas tuer des Allemands qui importe. Ce qu’il faut, c’est une victoire et des témoins pour la raconter, des témoins, Schlomo, des témoins de la victoire des Juifs sur les SS. »
(…) Galewski : « N’oublions pas que cette révolte ne doit pas être le fait d’une poignée mais de la masse. Djiélo ne comprenait pas cette dimension collective du mouvement. (…) Indéniablement, Djiélo était le chef militaire de la révolte (…) du groupe d’hommes qui l’organisait, l’encadrait, mais les véritables acteurs étaient la masse anonyme des prisonniers. La révolte, comme l’extermination, était un phénomène collectif. Un peuple tout entier, dont chaque individu avait peu de chances de survivre mais était sûr aussi qu’un « élu » au moins serait sauf et raconterait et, donc, que la mission serait remplie. (…)
C’était le vendredi 30. Lalka (un responsable du camp) venait de prendre une permission. (…) Le lendemain, le comité de résistance lançait « La date sera le lundi 2 août 1943, nous confirmerons le matin par les moyens convenus. Le cri de ralliement sera : « Révolution ! A Berlin ! » (…)
Le groupe d’intervention du Comité dispose de cinq fusils, d’un revolver et d’une grenade, la grenade qui doit donner le signal. (…) la grenade roule, s’arrête et explose. La révolte a commencé. (…)
Tous les membres du Comité et la plupart de ceux qui jouèrent un rôle dans le soulèvement du camp périrent au cours de la révolte. Sur le millier de prisonniers qui se trouvaient alors dans le camp, six cents environ parvinrent à s’évader et à gagner les forêts voisines sans être repris. Sur ces six cents évadés, il ne restait un an plus tard, à l’arrivée de l’Armée Rouge que quarante survivants. Les autres avaient été tués (…)
Ces quarante survivants vivent encore aujourd’hui, dispersés dans le monde entier. (…) Schalom Kohn réussit à s’enfuir avec huit autres camarades.. (…) Ils rencontrèrent un groupe de partisans polonais d’extrême gauche (…) et se joignirent à eux. (…) Octobre 1946 : un fils est né. Les Kohn décidèrent de partir pour la Palestine. (…) Un bateau doit appareiller pour la Palestine. C’est un vieux rafiot qui ne tient plus que par la peinture. Il s’appelle Exodus. L’appareillage se fait de nuit pour tromper la surveillance des Anglais qui essayent par tous les moyens d’empêcher les Juifs de gagner la Palestine. (…) A Haïfa, les Anglais les font réembarquer (…) sur un bateau pour … Hambourg ! Ils sont internés quelques jours dans un camp entouré de barbelés. De là on les amène à Munich dans un autre camp (…) Schalom s’enfuit de nouveau avec sa femme et son fils. Ils atteignent Marseille en mai 1948 pour apprendre que l’Etat d’Israël vient d’être créé. (…) ils sautent dans le premier bateau et arrivent à Haïfa (…) Kohn croit que son périple est terminé mais, en bas de la passerelle, un groupe de jeunes soldats de la Haganah crie : « Les femmes à droite, les hommes à gauche ! » Il croit rêver, se demande s’il doit rire ou pleurer. (…) Il touche un uniforme et un fusil. (…) Le soir tombe sur le Neguev. Le camion s’arrête au bord d’une tranchée. Tout le monde descend. Un officier s’approche : « Nous attendons une attaque pour cette nuit. Il faudra tenir coûte que coûte. »
Jean-François Steiner

Extraits d’après « Histoire du peuple juif au XXe siècle » de Simon Epstein :
« Les Alliés et le génocide
« Le monde extérieur sait-il quel est le sort des Juifs en Europe occupée ? Tente-t-il d’intervenir ? Ces deux questions appellent une réponse positive pour la première, négative pour la seconde.
Les Alliés sont vite informés

« Les faits sont connus, dans les deux premières années de la guerre. Agences de presse, gouvernements en exil et mouvements de résistance diffusent de nombreuses informations sur les persécutions systématiques et brutales dont souffrent les Juifs européens. Les organisations juives qui exigent une dénonciation claire des exactions se voient opposer deux objections. L’une fait valoir que mentionner spécifiquement les Juifs conduirait à les distinguer du reste des nations, ce qui est inacceptable. L’autre laisse entendre que prendre position reviendrait à donner raison à la propagande allemande, laquelle affirme que les Anglais font la guerre pour les Juifs. Les protestations seront donc rédigées en style général. Elles réprouvent les atrocités mais oublient d’en désigner les victimes.
Les informations relatives à la « solution finale », c’est-à-dire à la mise en oeuvre d’un programme d’extermination absolue, passent mal dans les premiers mois de 1942. D’abord, le projet nazi est secret et se dissimule sous des couvertures diverses. Ensuite, les sources (juives, neutres ou même allemandes) doivent être vérifiées, tant les événements retracés et les plans dévoilés paraissent inconcevables. Journalistes, fonctionnaires et gouvernants des pays occidentaux connaissent le précédent des « propagandes d’atrocités » de la Première Guerre mondiale. Ils sont donc enclins au scepticisme et aux précautions. Ils soupçonnent les Juifs - ceux qui transmettent l’information, ceux qui la répercutent, et ceux qui exigent une intervention - d’exagération délibérée ou de catastrophisme injustifié.
Les premiers textes décrivant, au moins partiellement, le mécanisme, sont le rapport du Bund polonais, au printemps 1942 ; le célèbre cablogramme de Gerhart Riegner, représentant du Congrès juif mondial à Genève, en été ; et les missives de Richard Lichtheim (1885-1963), délégué de l’Agence juive en Suisse. Il faudra attendre la fin de l’année 1942 pour que la multiplication des confirmations mette fin aux derniers doutes. Les puissances alliées adoptent le 17 décembre 1942 une déclaration commune qui dénonce le massacre des Juifs. La chambre des Communes observe une minute de silence en hommage aux victimes.
Le refus d’accueillir les Juifs persécutés

Le gouvernement britannique s’oppose toutefois à l’immigration en Palestine de 4 500 Juifs bulgares, en majorité enfants : un tel transfert serait contraire à la règle qui interdit d’admettre en territoire britannique les ressortissants d’un pays ennemi. Toute tentative de faciliter l’accueil des réfugiés se heurte à un refus poli mais ferme. Certains officiels expriment la crainte que les nazis renoncent à exterminer les Juifs et entreprennent au contraire de les expulser.
Les puissances alliées auraient alors à affronter un flux de réfugiés dont elles ne sauraient que faire. Les réticences, dans la pratique, portent même sur les petits groupes d’enfants que l’Agence juive s’efforce d’évacuer hors d’Europe.
Convoquée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la conférence des Bermudes s’ouvre le 19 avril 1943, jour du déclenchement de la révolte du ghetto de Varsovie. Elle a pour but d’harmoniser les politiques alliées et de débattre de la question des réfugiés. Les diverses délégations expriment à nouveau, comme elles le firent à Evian en juillet 1938, leur compassion sincère. Elles n’adoptent en revanche aucune mesure concrète ni aucun plan opérationnel pour venir en aide aux Juifs massacrés. Elles n’assouplissent pas, ne fût-ce qu’à la marge, leurs restrictions à l’immigration. Elles ne donnent satisfaction à aucune des requêtes juives. Membre du Conseil polonais en exil, le dirigeant bundiste Samuel Zygelbojm se suicide à Londres le 12 mai 1943. Il explique son geste par l’indifférence du inonde libre à l’égard des Juifs massacrés. Il espère, vainement, éveiller les consciences.
Des plans de sauvetage qui ne seront pas appliqués

Les plans d’action proposés par les organisations juives mettent en œuvre plusieurs principes : menacer les Allemands de représailles immédiates ou différées, après la défaite ; influer sur les pays satellites du Reich pour les dissuader de collaborer à l’élimination des Juifs ; inciter les Etats neutres, à offrir protection et accueil aux réfugiés ; enfin et surtout, dégager des voies de fuite qui permettraient aux Juifs de quitter les zones menacées. Les pays ouvrant leurs portes se verraient garantir que l’asile ne sera que temporaire, et que les réfugiés repartiront après la guerre. Aux plans d’ensemble s’ajoutent de multiples projets spécifiques, tel celui des 20 000 enfants juifs que la Suède se déclare disposée à accueillir, ou celui des 70 000 Juifs de Transnistrie (survivants des massacres de 1941 et 1942) qu’Antonescu est désireux d’épargner. Ces plans se heurtent à l’inertie ou au sabotage des bureaucraties alliées. Rares sont ceux qui aboutiront.
Les fonctionnaires du Département d’Etat américain s’emploient par diverses méthodes (rétention d’information, manœuvres dilatoires, formalisme légal) à empêcher toute intervention. Henry Morgenthau (1891-1967), secrétaire au Trésor, les dénoncera le l8 janvier 1944 dans un rapport à Roosevelt, lequel créera une institution spéciale chargée de la question, le War Refugee Board. Churchill tancera le Foreign Office à plusieurs reprises. La responsabilité est cependant politique et globale, et non seulement administrative et localisée. Les deux pays ne sont pas prêts à assumer les éventuelles conséquences migratoires d’un plan de sauvetage. Les Britanniques, fidèles au Livre blanc de 1939 et redoutant l’hostilité arabe, veulent éviter un afflux de réfugiés vers la Palestine. Les Etats-Unis ne sont pas disposés à assouplir leurs règles d’immigration. L’argument le plus généralement avancé est que les Juifs seront sauvés, comme toutes les populations européennes, par la victoire militaire, et que rien ne peut être fait entre-temps. La question juive ne constitue aux yeux des Alliés qu’un problème négligeable et mineur. Ils n’entendent pas lui consacrer leurs efforts diplomatiques ni lui allouer leurs ressources humaines ou logistiques. Les deux empires alignent des millions de combattants sur tous les fronts mais sont frappés d’apathie en matière juive.
La Suisse renforce ses contrôles frontaliers en 1943 et expulse les réfugiés juifs illégaux. Dernier îlot neutre en Europe allemande, elle n’accueille les fugitifs qu’en nombre restreint. Le pape Pie XII se contente, pour l’essentiel, de déclarations affligées déplorant la dureté des temps et les malheurs de la guerre. La Croix-Rouge reste fidèle au principe de non-intervention dans les affaires intérieures des pays belligérants. Elle limite son activité aux prisonniers de guerre et se désintéresse des camps de concentration. Elle ignore les Juifs, en dépit des demandes pressantes qui lui sont adressées.
Les Juifs américains protestent timidement

Les reproches, pendant et après la guerre, ne visent pas que les Alliés et les neutres. Ils portent aussi, au sein du peuple juif, sur les dirigeants des communautés juives du monde libre, et tout particulièrement sur la communauté juive des Etats-Unis. Celle-ci, il est vrai, organise de vastes manifestations de protestation contre les massacres. Des dizaines de milliers de personnes participent ainsi au grand rassemblement de New York, le 1er mars 1943. Des appels sont publiés dans la presse. Des délégations sont reçues par Roosevelt.
Mais les Juifs américains redoutent une remontée de l’antisémitisme dans leur propre pays et craignent d’alimenter la propagande ennemie qui fulmine contre la « guerre juive ». Ils préfèrent éviter l’affrontement avec leur gouvernement et avec leurs concitoyens non juifs. »

Le dirigeant juif slovaque Rabi Weissmandel écrivait aux dirigeants sionistes en juillet 1944 :
« Pourquoi n’avez-vous rien fait jusqu’à présent ? Qui est coupable de cette négligence effroyable ? N’êtes-vous pas coupables, vous nos frères juifs, vous qui avez la plus grande richesse du monde : la liberté ? (…) Voici le programme d’Auschwitz d’aujourd’hui jusqu’à la fin : 12000 juifs - hommes, femmes, enfants, vieillards, nourrissons, malades ou en bonne santé – doivent être gazés chaque jour. Et vous, nos frères de Palestine, de tous les pays de liberté et vous ministres de tous les royaumes, comment pouvez-vous rester silencieux face à cet immense meurtre ? »
cité dans Schoemman « réflexions sur le sionisme par un juif dissident »

Extraits de « La destruction des Juifs d’Europe » de Raoul Hilberg :
« Flairant le péril, la victime désignée le combattait en présentant elle-même des propositions conciliatoires avant que la menace ne se fût concrétisée (…) certaines netreprises juives décidèrent d’elles-mêmes de restreindre la proportion des Juifs dans leur personnel. (…) Quelques années plus tard, sous l’occupation nazie, les Conseils juifs firent beaucoup d’efforts pour essayer d’aller au devant des exigences et des ordres. (…) ce fut dans cet esrpit que le Conseil juif de Varsovie envisagea de procéder lui-même à la confiscation des biens juifs convoités par les Allemands, et que ce même Conseil organisa la réquisition de la main d’œuvre juive de manière à en exempter les Juifs aisés, moyennant une compensation financière qu permettait de secourir les familles des plus pauvres, mobilisés sans salaire au service des différentes agences allemandes. (…) Il est des moments où l’imminence d’une catastrophe conduit les victimes, sauf exceptions, à penser que toute réaction de leur part ne fera qu’aggraver leurs souffrances ou rapprocher l’instant des mortels tourments. Il peut s’ensuivre une situation de paralysie. (….) Entre deux opérations de tueries, les Juifs de Galicie attendaient la mort dans un état de nervosité désespérée. En 1941, en 1942, quand commença en Europe la grande annihilation, les Juifs du reste du monde se montrèrent eux aussi impuissants à réagir devant l’anéantissement des communautés juives dans de grandes villes, voire à l’échelle de pays entiers. (…) Jusqu’à ce 10 novembre 1938, (date d’émeutes antisémites organisées ouvertement par les SA) une grande partie du peuple américain était restée indifférente (…) : « des hommes comme Dewey, Hoover, Hearst et bien d’autres se sont montrés jusqu’ici comparativement réservés et ont même dans une certaine mesure manifesté leur sympathie pour l’Allemagne (…) » rapportait l’ambassadeur alleamnd à Wahington Dieckhoff au ministère des affaires étrangères. (…) En réalité, les pogroms de novembre 1938 furent la dernière occasion laissée à la violence antijuive de se déchainer dans les rues allemandes. (…) Face à toutes ces violences, comment les Juifs réagirent-ils ? (…) Au long des années qui précédèrent l’accession d’Hitler au pouvoir, les Juifs s’étaient rigoureusement abstenus de l’attaquer verbalement ; ils s’étaient refusés à manifester dans la rue aux côtés des sociaux-démocrates, come aux côtés des communistes. En 1933, les organisations juives s’empressèrent (…) de condamner les manifestations qui avaient lieu à l’étranger, ainsi que la « propagande d’atrocités ». l’Union nationale des anciens combattants juifs s’en prit avec violence aux émigrés qui avaient « abandonné » leurs frères juifs et maintenant, « bien à l’abri dans leurs refuges, décochaient des flèches » au grand préjudice de l’Allemagne et des Juifs allemands. L’Association centrale des citoyens allemands de confession judaïque, principale organisation des Juifs assimilationistes, déclara avec indignation : « Nul ne peut nous contester notre patrie allemande (…) En combattant jusqu’à la victoire, nous menons un combat allemand et non égoïstement juif. » (…)
Le décret du 14 novembre 1935 ordonna le renvoi avant le 31 décembre de tous les fonctionnaires juifs encore en place (…) Le décret du 13 novembre 1938, signé de Göring, ordonna aux entreprises allemandes de renvoyer tous leurs administrateurs juifs avant le 31 décembre. (…) le 12 novembre 1938, tous les commerces de détail juifs reçurent l’ordre de fermer avant le 31 décembre. (…) Le 3 décembre 1938 (…) le décret stipulait que (…) l’on pourrait ordonner aux propriétaires (juifs) des entreprises industrielles de les vendre ou de liquider dans un délai précis. (…) Le décret stipulait ensuite qu’un Juif pouvait recevoir un ordre de vendre ses terres, forêts et tous ses biens immobiliers. (…)
Ayant déjà dû abandonner leurs postes, leurs biens et leur argent, les Juifs s’abandonnèrent eux-mêmes à l’unique espoir d’être maintenant laissés en paix, à condition de travailler dur et de ne se mêler que de leurs affaires. (…) A partir de ce moment, ce furent les gains de leur travail que la bureaucratie arracha aux Juifs. (…) Au début de 1940, le ministère du travail avait rédigé son projet de réglementation des salaires des Juifs. Il était prévu de leur retirer les congés payés, les allocations familliales avec leurs suppléments, les aides à la maternité et au mariage, les secours au décès (...) Le principe affirmé par le décret du 3 octobre 1941 (…) stipulait que (…) les Juifs devraient accepter toute affectation que leur assignerait le ministère du travail. (…) L’étranglement économique de la communauté juive ne s’arrêta pas aux réductions de salaires et aux augmentations d’impôts. (…) Le 1er décembre 1939 (…) au rationnement, les Juifs reçurent moins de viande et de beurre, pas du tout de cacao ou de riz. (…)
Le troisième stade du processus de destruction fut celui de la concentration de la communauté juive. En Allemagne, la concentration comporta deux aspects complémentaires : l’entassement des Juifs dans les grandes villes et la séparation des Juifs de la population allemande. (…) Le processus de ghettoïsation fut délibérément planifié, mesure après mesure. (…) Ainsi, plus de la moitié des Juifs étaient installés à Vienne ou à Berlin. (…) Cinq étapes marquèrent le processus : rupture imposée des relations de sociabilité entre Juifs et Allemands, limitations de résidence, réglementation des déplacements, mesures d’identifications spécifiques, enfin institution de procédures adminstratives distinctes. (…) Un décret du 30 avril 1939 signé Hitler (…) stipulait qu’un propriétaire allemand était en droit d’expulser un locataire juif (…) Le rassemblement des Juifs dans les Judenhaüser pouvait désormais commencer (…) Dans les grandes villes, les adminsitrations créèrent des services spéciaux de « déplacement des Juifs ». (…) Puis, le 1er septembre 1941, un décret fondamental interdit aux Juifs de franchir les limites de leur commune de résidence sans autorisation écrite de la police du lieu (…) Le ghetto commençait à prendre forme. (…) Daté du 1er septembre 1941, le texte ordonnait que les Juifs âgés de plus de six ans ne pourraient paraître en public qu’en portant l’étoile juive. (…) Pendant ce temps, la Police de sécurité étendait le principe du marquage aux logements. En 1942, elle requit aux Juifs de coler sur leurs portes une étoile dessinée en noir sur un papier blanc. (…)
La dernière pièce de ce mécanisme que nous avons nommé processus de ghettoïsation fut l’appareil adminsitratif juif qui mit la population juive à la discrétion des Allemands. Pour bien comprendre comment se produisit la destruction finale, il est essentiel de savoir comment se forma cette bureaucratie juive. Or c’étaient les Juifs eux-mêmes qui l’avaient créée. (…) Au printemps 1933 apparut une organisation juive centrale, encore rudimentaire. Dans les années suivantes, elle allait, en plusieurs étapes, se transformer en un appareil adminsitratif juif, doté de fonctions de plus en plus importantes. (…) Le 28 août 1933, une réunion tenue à la synagogue d’Essen élabora un plan d’action. Les participants élurent un comité exécutif (…) Hirsch rédigea un projet de déclaration qui (…) affirmait : « avec l’accord de tous les Landesdesverbände juifs d’Allemagne et de toutes les grandes organisations de Juifs allemands, nous avons assumé le commandement de la représentation nationale des Juifs allemands. » (…) Le 27 juillet 1938, les dirigeants juifs décrétèrent que toute personne de confession judaïque vivant dans les limites de l’Ancien Reich serait obligatoirement membre de la Reichsverband. (…) D’après le décret du 4 juillet 1939 (…) la Police de sécurité recevait le pouvoir d’imposer à la Reichsverband des responsabilités supplémentaires, et par là de transformer l’appareil adminsitratif juif en instrument de destruction de la communauté juive. (…) La Reichsvereinigung allait devenir un rouage essentiel du mécanisme allemand de la déportation. Il faut bien noter que le passage s’accomplit sans changement de personnel ni de dénomination. Ce n’est pas les Allemands qui avaient créé la Reichsvereinigung, ni en avaient désigné les chefs. Le rabbin Léo Baeck, le docteur Otto Hirsch, le direktor Heinrich Sthl, comme les autres, étaient vraiment des dirigeants juifs. C’est parce qu’ils étaient représentatifs que, malgré leur participation au processu de destruction, ils conservèrent jusqu’au bout leur statut et leur prestige personnel au sein de la communauté ; c’est parce qu’ils continuèrent d’accomplir leurs tâches avec la même conscience qu’ils furent aussi efficaces au service de leurs aîtres allemands qu’ils l’avaient été du temps où ils se dévouaient pour le bien du peuple juif. Ils s’engagèrent dans l’attitude de soumission en commençant par rendre à l’Office central de sécurité du Reich des décès, naissances et autres données démographiques et par informer la population des règlements allemands (…) Ils concentrèrent les Juifs dans les logements des immeubles désignés. Et ils finirent par se charger des préparatifs de la déportation en étudiant les plans d’ensemble, en établissant.les cartes et les listes, en fournissant locaux d’approvisionnement et personnel. Ainsi, le Reichsvereinigung et ses homologues de Vienne et de Prague servirent-elles de modèle au type d’institution dit Conseil juif qui alalit faire son apparition en Pologne et dans d’autres territoires occupés, et dont les activités devaient mener au pire.désastre. le système permit aux Allemands d’économiser leurs ressources en homme et en argent, tout en renforçant leur emprise sur leurs victimes. Dès l’instant qu’ils contrôlaient la direction juive, ils étaient en mesure de contrôler la communauté tout entière. (…) Au moment où la bureaucratie allemande arrivait au stade des mesures décisives, la communauté juive était réduite à l’obéissance à tous ordres et règlements. (…)
Quand, en septembre 1939, l’armée allemande entra en Pologne, le processus adminsitratif de destruction en était déjà arrivé au stade de la concentration. (…) En réalité, la Pologne devint dès son occupation un terrain d’expérimentation où la machine de destruction eut tôt fait de rattraper et de surpasser les accomplissements de la bureaucratie berlinoise. (…) Les Juifs polonais représentaient un dixième de la population – 3,3 millions de personnes sur 33 millions. (…) Varsovie en comptait à elle seule 400.000, c’est-à-dire presque autant que l’Allemagne d’avant 1933 (…) Les déraciner et les isoler constituait une opération d’ampleur toute différente et qui appela des solutions tout aussi différentes. (…) La bureaucratie ressuscita en Pologne le ghetto médiéval entièrement coupé du reste du monde. (…) Le 19 septembre 1939, Heydrich, le chef de la Police de sécurité, s’entretint avec le Quartier maître général Wagner, représentant le Haut commandement (…) Décision fut prise d’éliminer les Juifs des régions majoritairement germanophones, de les chasser de toutes les campagnes polonaises et de les concentrer dans des ghettos situés dans les grandes villes. (..) dans la deuxième partie, Hey drich ordonnait d’instituer dans chaque communauté juive un « Conseil des anciens » dit aussi Judenrat, composé de personnalités influentes et de rabbins. Ces conseils seraient pleinement responsables de la parfaite exécution de toutes les instructions. (…) La ghettoïsation était une affaire de trop grande envergure pour les quelques unités équivalentes à des bataillons (…) Au cours de la première phase, on devait transférer 600.000 Juifs (…) puis rassembler deux millions de personnes dans des quartiers clos, dans des ghettos. L’armée avait exigé qu’on attendit pour entreprendre le « nettoyage » la transmission des pouvoirs aux autorités civiles (juives) L’aspect le plus important de la concentration, avant l’établissement des ghettos, fut l’instauration des Conseils juifs (Judenräte). (…) En Pologne comme à l’intérieur du Reich, les Judenräte se composèrent pour l’essentiel de notabilités juives d’avant guerre (…) Mais les Judenräte ainsi installés se retrouvèrent dans un contexte bien différent de celui d’autrefois. (…) Ils allaient devoir assumer une fonction radicalement différente qui consisterait à transmettre à la population juive les ordres et les réglements allemands, à utiliser une police juive pour exécuter la volonté allemande, à livrer à l’ennemi allemand des biens des Juifs, le travail des Juifs, les vies des Juifs. (…) les ghettos apparurent tout d’abord dans les territoires incorporés, durant l’hiver 1939-40 et le premier grand à Lodz en avril 1940. Au cours du printemps, le mouvement gagna peu à peu le Gouvernement général, om le ghetto de Varsovie fut créé en octobre 1940. (…) La première grande opération, qui servit d’expérience pour toutes les suivantes, fut l’établissement du ghetto de Lodz. (…) Uebelhoer, président de la région écrivait dans son ordre : « La création du ghetto n’est évidemment qu’une mesure transitoire. Il m’appartiendra de décider à quel moment et par quels moyens le ghetto, et du même coup la ville de Lodz, seront nettoyés des Juifs. » (…) A la fin de l’année 1941, presque tous les Juifs des territoires incorporés et du Gouvernement général se trouvaient dans les ghettos. (…) La ghettoïsation modifia fondamentalement la nature et les fonctions des Conseils juifs. (…) Dans le ghetto, le président du Judenrat se trouvait de facto constituer avec ses adjoints une véritable administration municipale (…) la olice posa un problème spécifique. Le service d’ordre du ghetto de Varsovie constituait la plus importante force de police juive de toute la Pologne occupée ; ses effectifs s’élevaient à un moment à 2000 hommes. (…)
Le 26 octobre 1939, l’administration du Gouvernment général institua le principe général du travail forcé. (…) Un décret du 2 décembre 1939 autorisa tous les Judenräte du territoire à orgnaiser les détachements de travail forcé. (…) Les camps de travail furent créés en vue d’employer les Juifs en plus grande masse et à des réalisations de tout autre envergure. (…) dans les premiers temps, on n’utilisa toute cette main d’œuvre que sur les chantiers de fossés antichars, d’aménagement hydraulique, de voies ferrées ou autres. Par la suite, des entreprises industrielles vinrent installer des ateliers dans certains camps ; corrélativement on créa d’autres camps à proximité des grnades usines. (…) Travaillant sept jours sur sept de l’aube au crépuscule, les Juifs s’effondraient physiquement. (…) L’armée dvint progressivement le principal demandeur. Ainsi, les ghettos devinrent-ils partie intégrante de l’économie de guerre. (…) L’autre corube ascendante était celle de la mortalité. La famine ne cessant de s’aggraver, la lutte pour la vie commença à tourner à la sauvagerie. (…) Le ghetto de Lodz (..) dont la popualtion cumulée s’éleva à environ 200.000 habitants eut plus de 45.000 morts. A Varsovie, quelques 470.000 personnes vécurent dans le ghetto (…), on en enterra 83.000. (…)
La nouvelle étape signifiait forcément que les Juifs cesseraient d’exister dans l’Europe nazie. Le vocabulaire officiel allemand dénomma le passage à ce dernier stade « solution finale de la question juive ». (…) L’anéantissement se réalisa en deux grands ensembles d’opérations. Le premier commença dès l’invasion de l’Union soviétique, le 22 juin 1941. De petits unités des SS et de la Police s’avancèrent en territoire occupé, avec mission de tuer sur place toute la population juive. Il ne s’écoula que peu de temps entre la mise en route de ces massacres itinérants et le lancement de la deuxième grande opération qui aboutit à transporter les Juifs d’Europe centrale, occidentale et sud-orientale dans les camps munis d’installation de gazage. (…) C’est en août 1941 que la tuerie prit un caractère massif. (…) l’accord avec la police roumaine fonctionna parfaitement. L’Einsatzgruppe et la police roumaine massacraient de concert des milliers de Juifs. Ce n’était encore rien à côté du bain de sang qui allait suivre à l’automne. Odessa, où vivait la plus importante communauté juive d’Union soviétique, fut prise par la 4e armée roumaine le 16 octobre 1941 après un long siège. (…) Communistes et Juifs, (…) On a avancé une estimation de 25 à 30.000 morts. (…)
Dans son ensemble, la population slave ne fut guère tentée de participer à des actes d’une si extrême sauvagerie. (…) Au bout du compte, les Einsatzgrupppen avaient quelques milliers d’hommes, et les Juifs étaient plusieurs millions. Puisqu’ils n’étaient pas préparés à se batrre contre les Allemands, on est en droit de se demander pourquoi ils ne cherchèrent pas leur salut dans la fuite. (…) les Juifs étaient d’autant moins vigilants que la presse et la radio soviétiques avaient tu ce qui se passait au-delà des frontières (traité germano-soviétique oblige). (…) Ils n’avaient pas compris qu’il y avait péril à demeurer. (…) les opérations étaient organisées de telle sorte que la population s’en aperçut à peine. Même les Juifs survivants gardaient l’impression que les victimes avaient simplement été transférées ailleurs. (…)
(Dans la zone d’Ukraine, de Galicie, dans les territoires de l’est…), des Judenräte étaient organisés partout. (…) Chaque ghetto avait son service d’ordre, armé de matraques en caoutchouc et de gourdins. Les municipalités étaient autorisées à saisir et à administrer les biens juifs. Les juifs de sexe masculin entre quinze et soixante ans étaient astreints au travail forcé. Les maires et les conseils juifs étaient déclarés responsables du recrutement. (…) Dans les ghettos, toutes les lignes téléphoniques étaient coupées, les relations postales avec l’extérieur supprimées dans les deux sens. (…) Mais les ghettos eux-mêmes commençaient à poser des problèmes, car ils devenaient des foyers de résistance. Contre les juifs des forêts l’offensive commença au début de 1942. Pendant les mois de février et mars, Jeckeln, chef de SS et de la police au nord, mena contre les partisans des opérations qui préfiguraient celles qu’allait un peu plus tard organiser von dem Bach. (…) Les Allemands y fusillèrent 1274 « suspects » et massacrèrent 8350 Juifs. (…) Il est possible de conclure que ces actions contre les Juifs des forêts se soldèrent par de grands succès, même si plusieurs milliers y échappèrent et purnet survivre jusqu’au retour de l’armée soviétique. (…)
Dans les ghettos, les tentatives faites par les Juifs pour organiser un mouvement échouèrent presque entièrement. A Riga et dans une moindre mesure à Kaumas, les policiers juifs voulurent s’entraîner au maniement des armes à feu ; mais dans les deux cas les Allemands les capturèrent avant qu’ils aient tiré une seule cartouche..Dans le ghetto de Vilius, où la plupart des Juifs avaient été fusillés e 1941, une Organisation unie des partisans se forma en janvier 1942. Sa direction comprenait des communistes, des sionistes révisionnistes nationalistes, et des membres des autres mouvements sionistes Hashomer Hatzaïr et Hanoar Hazioni ; cet amalgame politique peu coutumier confia le commandement au communiste Yitzhak Wittenberg. Ces partisans juifs se fixèrent pour mission de livrer ouvertement bataille le jour où le ghetto de Vilius serait menacé d’anéantissement total. (…) En juillet 1943, les Allemands capturèrent les dirigeants communistes polonais et lithuaniens, et découvrirent que Wittenberg était communiste. La police allemande exigea qu’il se livrât, sous menace implicite de représailles massives. (…) Wittenberg voulait combattre sur le champs ; au contraire, les partisans refusaient de croire que l’heure eût sonné pour le ghetto (…) Wittenberg sortit du ghetto pour aller à la mort. (…) Le ghetto de Vilius disparut au cours des mois d’août et septembre 1943. (…) Abraham Sutzkever, réfléchissant à ces événements après la guerre, concluait : « Nous devons aujourd’hui reconnaître l’erreur de la décision d’état-major qui obligea Wittenberg à s’offrir en sacrifice pour le salut de vingt mille Juifs. Nous aurions dû nous mobiliser et nous battre. »

Les déportations depuis l’ancien Reich
Près de 73.000 Juifs vivaient à Berlin au début d’octobre 1941. (…) Les principales figures de la Reichsvereinigung étaient Léo Baeck, président du Vorstand, et Paul Epstein, principal adjoint pour les affaires courantes. A l’échelon de la communauté, le président était Moritz Henschel, et le spécialiste de la migration PhlippKozower (…) Bien que la Gestapo de Berlin tint de plus en plus à préserver le secret des opérations, elle avertissait invariablement les responsables juifs des dates des prochains convois. C’est ainsi que le 29 juillet 1942, Stübbs et Prüfer informèrent Kozower que trois convois partiraient pour Theresienstadt les 17 août, 14 septembre et 5 octobre, et que deux convois « vers l’est » étaient prévus pour les 15 et 31 août. La Gestapo mit les dirigeants juifs dans le secret parce qu’elle compta toujours sur leur concours pour effectuer le travail préparatoire. (…) Ils avaient besoin des auxiliaires juifs aux points de rassemblement pour réceptionner et encadrer les vicitmes jusqu’au moment du départ. (…) Les Juifs étaient également chargés du ravitaillement des convois qui partianet de Berlin comme de ceux qui traversaient la capitale. (…) La direction juive fournissait non seulement le personnel, les centres de regroupement et les approvisionnements, mais elle participait à la tâche, beaucoup plus délicate, de remplir les quotas fixés pour les déportations. (…) A la fin 1942, (…) les Ordner (service d’ordre juif), munis de brassards rouges, escortèrent la Gestapo dans la ville, de maison en maison. (…) Au moins 250.000 Juifs furent déportés (…) dont la moitié venant de l’ancien Reich (…) Les Juifs déportés vers l’Ostland furent fusillés à Kaumas, Riga et Minsk. Ceux qui furent dirigés vers les territoires occupés de Pologne périent dans les camps de la mort de Kulmhof, Auschwitz, Belzec, Sobibor, Treblinka et Lublin (Maïdanek). (…)

L’extermination
Après que Hitler eut assuré le Gouverneur général Frank en mars 1941 que son gouvernement général serait le premier territoire à être débarrassé de ses Juifs. (…) Frank déclarait au chef de la division de la santé, le Dr Walbaum, que le Ghetto de Varsovie serait le premier endroit du gouvernement général à être nettoyé de ses Juifs. (…) Kulmhof fut le premier centre de mise à mort à entrer en activité. (…) Bien qu’un demi million de Juifs au moins eussent péri dans les ghettos, il en restait environ 2.200.000 dans la zone de déportation (…) Il fallait des renforts, on les obtint. En juillet 1942, les 23e et 272e bataillons lettons furent importés de Riga pour la grande rafle du ghetto de Varsovie, et en 1943 un bataillon d’instruction ukrainien fut déployé dans la bataille du ghetto de Varsovie. Les unités de la Waffen-SS étaient obligées de prêter main-forte (…) La police juive elle-même fut fréquemment mise à contribution. Le service d’ordre juif de Varsovie se fit particulièrement remarquer lors des déportations de l’été 1942(…)
Si le secret des opérations était difficile à préserver dans la zone germano-tchèque, il posait deux fois plus de problèmes en Pologne. Le territoire du Reich-Protectorat n’avait pas de camp de la mort et les transports partaient pour la plupart en direction de l’est. La Pologne, en revanche, abritait les six centres de mise à mort et les transports polonais effectuaient dans toutes les directions de courts trajets ne dépassant pas 300 kilomètres. Beaucoup de regards étaient fixés sur ces convois et les suivaient jusqu’à leur destination. Le chef adjoint de l’Armée de l’Intérieur – la Résistance clandestine polonaise dirigée depuis Londres -, le général Tadeusz Bor-Komorowski, rapporte qu’au printemps 1942, il détenait des informations complètes sur le centre de mise à mort de Kumhof (Chelmno), dans le Warthegau. (…) En juillet 1942, l’Armée de l’Intérieur réunit des rapports émanant des cheminots et selon lesquels plusieurs centaines de milliers de Juifs avaient disparu à Treblinka sans laisser de trace. L’information filtrant des camps était parfois très précise. Dans le district de Lublin, elle parvint au président du conseil du ghetto de Zamosc, Miecyslaw Garfinkel. Au début du printemps 1942, il apprit que les Juifs de Lublin étaient acheminés dans des trains surpeuplés jusqu’à Belzec et que les wagons repartaient à vide après chaque trajet pour aller chercher un nouveau lot de victimes. On lui demanda de recueillir d’autres faits : il contacta les communautés juives voisines de Tomaszow et de Belzec, et on lui laissa entendre que 10.000 à 20.000 Juifs étaient débarqués chaque jour dans un enclos solidement gardé, situé sur une voie de garage spéciale et entouré par des barbelés. Les Juifs étaient tués là d’une « manière étrange ». Mieczyslaw Garfinkel, un avoué, n’ajouta pas foi à ces rapports. Quelques jours plus tard, deux ou trois étranger juifs, qui s’étaient enfuis de Belzec, lui parlèrent de gazage dans les blocs. Mais il ne croyait toujours pas ce qu’il entendait. (…) Ce que l’Armée de l’Intérieur avait découvert en enquêtant, et Garfinkel presque involontairement, l’homme de la rue le soupçonnait, mais sans avoir beaucoup de preuves. La population fut prompte à tirer des conclusions et elle les diffusa sous la forme de rumeurs dans presque tout le territoire de la Pologne occupée. A la fin de l’été 1942, presque tous les habitants de ce pays, à l’extérieur comme à l’intérieur des ghettos, avaient une vague idée de ce qui se passait. (…) Comment réagissaient les Juifs face à une mort certaine ? Le judaïsme se préparait-il à la résistance armée ? Dans le Gouvernement général, les services de la propagande nazis observaient minutieusement les réactions de la population. (…) Les dirigeants juifs des ghettos polonais conduisaient le mouvement de soumission, les chefs des ghetttos étant les instruments de leur reddition. Sans cesse ils livraient des Juifs pour sauver les autres Juifs. L’administration du ghetto « stabilisait » la situation puisscindait en deux parties égales ce qui restait de la communauté. Et ainsi de suite. Moses Merin, président du Conseil central des « anciens » pour la Haute-Silésie orientale, régissait ce processus de réduction. La veille des premières déportations, Merin prit sa première décision : « Je ne craindrai pas, déclara-t-il, de sacrifier 50.000 membres de notre communauté pour sauver les 50.000 autres. » Pendant l’été 1942, ces « autres » furent alignés pour un passage en revue massif, et la moitié envoyés à Auschwitz. (…) Toutefois, dans une opération d’une telle ampleur, on ne pouvait déporter tout le monde sans accroc. A mesure que le cercle des survivants s’amenuisait, la conscience de la mort s’imposait et le poids psychologique représenté par l’obéissance aux ordres d’ »évacuation » allemands devint de plus en plus insupportable. Vers la fin des opérations, un nombre croissant de Juifs hésitaient à sortir de chez eux, tandis que d’autres s’échappaient des ghettos ou sautaient des trains pour se réfugier dans les bois. Dans le ghetto de Varsovie, quelques survivants se regroupèrent pour opposer une ultime résistance aux Allemands. (…)
En Galicie, les massacres alternèrent avec les déportations, en particulier pendant les Transportsperren du début de l’été 1942, et en décembre-janvier 1942-43. (…) A stanislaslavow, le 12 octobre 1941, environ 10.000 Juifs avaient été regroupés dans un cinetière et abattus. Une autre exécution massive se déroula en mars 1942, suivie par un incendie du ghetto qui dura trois semaines. Des convois partirent pour Belzec en avril, et l’on rocéda à de nouveaux massacres en été, au cours desquels des membres du conseil juif et des hommes du service d’ordre furent pendus aux réverbères. (…) Le 10 septembre 1942, un transport s’ébranlait de Kolomya, une petite ville du sud de la Galicie. Dans ses cinquante wagons, il emportait 8.205 déportés. (…) Les Juifs enfermés dans les wagons souffraient de la chaleur (…) et essayèrent de se glisser dehors et de sauter. La Police d’ordre épuisa ses munitions sur ceux qui réussissaient à s’enfuir. Quand le train arriva à Belzec, 200 passagers étaient morts. Dans tout le district, des gens se révoltaient devant de telles scènes. (…) En octobre 1942, la division de la propagande de Lodz rapportait : « (…) Bien que la population allemande, et aussi la population non-allemande, soit convaincue de la nécessité de liquider tous les Juifs, il conviendrait de procéder à cette liquidation d’une façon qui provoque moins de scandale et moins d’éceurement. » (…)
Ce ne fut pas le seul district où il se produisit des évasions des ghettos et des trains. Le 7 décembre 1942, lors d’une conférence dans le Gouvernement général, le gouverneur du district de Lublin, Zörner, déplorait qu’au cours des dernières semaines la Judenaktion soit devenue quelque peu désorganisée et qu’un grand nombre de Juifs aient quitté les ghettos et rejoint les « bandits » polonais. (…) Les Polonais et les Ukrainiens aidaient les Juifs en Galicie. Plusieurs milliers de Juifs se réfugièrent bientôt dans les bois, gagnant les rangs des partisans ou se regroupant en unités indépendantes, en réglant directement leurs comptes avec les unités de la gendarmerie allemande. (…) Le plus grand affrontement qui opposa les Juifs et les Allemands se produisit dans le ghetto de Varsovie. Ce combat armé ne changea rien à l’évolution du processus de destruction. Mais dans l’histoire juive cette bataille est au sens propre une révolution, car, après deux mille ans d’une politique de soumission, la roue avait tourné et de nouveau les Juifs avaient recours à la force. Comme on pouvait s’y attendre, le mouvement de résistance juif ne partit pas du Judenrat ; l’organisation, en effet, était précisément composée des éléments de la communauté qui avaient tout misé sur une politique de coopération totale avec l’adminsitration allemande. Pour mobiliser les Juifs du ghetto contre les Allemands, il était nécessaire de créer une nouvelle hiérarchie, suffisamment forte pour défier avec succès le conseil et prendre le contrôle de la communauté juive. Le noyau d’une organisation si illégale était formé des partis politiques qui étaient représentés dans l’appareil de la communauté juive avant la guerre. Ces partis, qui vaianet réussi à survivre dans le ghetto en recherchant et en protégeant leurs membres, s’alliaient maintenant pour former un bloc de résistance. Tous les partis ne tournèrent pas avec la même promptitude vers une politique de résistance. Le mouvement démarra dans deux camps extrêmes qui n’avaient pas de contact l’un avec l’autre : les communistes obéissant à Moscou (PPR) et les nationalistes autonomes (Parti révisionniste). De là, l’idée gagna les groupes de la jeunesse sioniste (Hechaloutz), les syndicalistes socialistes (Bund) et le Parti sioniste-socialiste (Poalei Zion). (…)
En avril 1942, quand la communauté du ghetto était encore intacte, le mouvement d’opposition s’en tenait à l’action verbale. On distribua des journaux clandestins et la gestapo fusilla cinquant et une personnes en représailles. (…) Le 22 juillet à 10 heures, l’on annonça au président Czerniakow, et à quelques membres du personnel présents, que tous les Juifs, sans distinction d’âge ni de sexe, sauf quelques exemptés, seraient déportés à l’est. (…) Czerniakow demanda un verre d’eau et avala une capsule de cyanure qu’il conservait dans son tiroir. (…) Tandis que le Judenrat, impuissant, obéissait mécaniquement aux ordres allemands, les organisations des partis commençaient à déployer une activité fébrile. On créait des comités, on tenait des réunions, on mettait en place des organes de coordination. Dans l’après-midi du 23 juillet, le jour même du suicide de Czerniakow, seize représentants de tous les grands partis, sauf les révisionnistes (qui n’étaient pas invités), se rencontrèrent pour débattre d’un point crucial : la résistance immédiate. (…) Le vote ne fut pas favorable aux partisans de la résistance. Les participants pensaient que les Allemands déporteraient peut-être 60.000 personnes, mais pas les 380.000 Juifs du ghetto. On estimait que toute résistance hâterait la fin du ghetto et que la masse paierait pour les actions d’une poignée d’hommes. (…) A l’automne 1942, les partis politiques juifs finirent par se regrouper et décidèrent de résister par la force à de nouvelles déportations. Pour y parvenir, ils mirent en place une organisation complexe chargée de coordonner leurs activités. Cette organisation aprtait de la base. (…) Un comité de coordination fut ensuite créé pour rassembler sous la même bannière les membres du Bund, les sionistes et les communistes désormais réunis. Cet amalgame vit le jour le 20 octobre 1942. (…) Chaque parti créa ses « groupes de combat ». (…) le 20 octobre 1942, ces unités, vingt-deux en tout, étaient placées sous le commandement du bras militaire de l’organisation juive de combat. (…) Le commandant de l’Organisation était un responsable de l’Hashomer Hatzaïr, Mordecai Anielevicz. Le plus remarquable est qu’Anielewicz avait seulement vingt-quatre ans. (…) Les révisionnistes disposaient de leur propre force militaire, l’Irgoun Zvai Leumi, qui maintenait trois groupes de combat. (…)
Le premier coup porté par le mouvement de résistance visa les collaborateurs juifs de l’appareil du Judenrat. Le 21 août 1942, au plus fort des déportations, Itzael Kanal tira le premier coup de feu de la lutte ; le projectile faucha le chef de la police juive, Jozef Szerynski. Son successeur, Jakob Lejkin fut également abattu. Les balles de la résistance tuaient les policiers, les informateurs et les collaborateurs, dont le chef de la division économique du Judenrat, Izrael First. Sous les coups réguliers de la clandestinité juive, le Judenrat, alors présidé par l’ingénieur Marek Lichtenbaum, s’atrophia progressivement et finit par perdre son pouvoir. (…) La contribution de l’Armée de l’intérieur (polonaise) consista à leur fournir des revolvers, des fusils, quelques mitrailleuses et un millier de grenades à main, de même que des explosifs pour la fabrication des mines. (…) Himmler ordonna la déportation immédiate de 8.000 personnes. (…) Les opérations se déclenchèrent très soudainement et prirent par surprise les défenseurs du ghetto. 6500 Juifs furent déportés et 1171 périrent par balles. (…)
Le 19 avril 1943, à 3 heures du matin, le ghetto était encerclé, et trois heures plus tard les Waffen-SS y pénétraient par la rue Zamenhof. Les envahisseurs furent accueillis par un tir nourri et des bouteilles incendiaires immobilisèrent les chars. Les SS se retirèrent avec des pertes. Plus tard dans la matinée, des commandos investirent de nouveau le ghetto et procédèrent systématiquement, maison par maison. L’après-midi, ils se heurtèrent à un itr de mitrailleuse. Maintenant, il devenait clair que le ghetto ne pouvait être nettoyé d’un coup, les Allemands se retirèrent la nuit venue pour reprendre les opérations le lendemain matin. Les 20 et 21 avril, ils ne progressèrent que lentement. Les Juifs tenaient les usines, et les Allemands décidèrent, après des négociations entre l’armée et eles directeurs, de détruire les bâtiments en utilisant l’artillerie et les explosifs. Le 22 avril, l’incendie faisait rage dans plusieurs sections du ghetto, et les Juifs sautaient des étages supérieurs des immeubles en flammes après avoir jeté dans la rue des matelas et divers objets capables d’amortir le choc. Les commandos allemands essayèrent de noyer les Juifs qui se déplaçaient dans les égouts, mais ceux-ci réussirent à obstruer les passages inondés. Après le 22 avril, une quanité croissante de Juifs furent arrêtés ou tués. On fit sauter l’un après l’autre les égouts et les casemates. (…) En mai, le ghetto était un oc éan en flammes. Seuls quelques groupes de Juifs restaient à la surface dans les immeubles en flammes (…) Dans un sursaut désespéré, un unité, émergeant d’un égout, s’empara d’un camion et réussit à s’enfuir. Le 15 mai, les tirs devinrent sporadiques. Les Juifs avaient été écrasés. (…) Plusieurs milliers de Juifs avaient été enterrés sous les décombres et 56.06( s’étaient rendus. (…) A l’été 1943, Oswald Pohl, chef du Bureau central économique SS, installa un camp de concentration dans les ruines. (…)
Au moment où l’insurrection du ghetto de Varsovie se termina, seuls quelques grands ghettos subsistaient encore, notamment celui de Lwow dans le district de Galicie, le ghetto de Bialystok et le ghetto du Warthegau, Lodz. En pénétrant dans ce qu’il restait du ghetto de lwow, le brigadeführer Katzmann, chef des Ss et de la Police de Galicie, découvrit que les 20.000 Juifs du ghetto avaient commencé à construire des abris souterrains sur le modèle de ceux de Varsovie. « Afin d’éviter des pertes dans nos rangs, rapporta Katzmann, nous dûmes agir brutalement dès le début. » Faisant sauter et incendiant les maisons, Katzmann retira 3000 cadvres des cachettes. (…)
Lorsqu’un « bloc antifasciste militant » se forma dans le ghetto de Bialystok, l’adjoint d’Eichmann, Günther, fit une apparition pour aider à découvrir le groupe du sabotage. Comme à Varsovie, les Juifs furent pris de court. (…) La liquidation du ghetto devait commencer le 16 août. (…) Les Allemands pénétrèrent de front dans le ghetto et les Juifs se défendirent avec des pistolets, des grenades et deux armes automatiques. (…) Les Allemands amenèrent un tank et brisèrent la résistance ce même jour. (…)
Lodz était devenu le plus grand ghetto par défaut, ses 80.000 habitants survivant tant bien que mal pendant deux ans encore avec des rations alimentaires de prisonniers et des journées de travail de douze heures de travail. Puis, en aoüt 1944, des avis furent affichés dans le ghetto sous la rubrique « transfert du ghetto ». Les Juifs reçurent l’ordre de se présenter Verlagerung sous peine de mort. Cette fois, les Juifs savaient où Biebow voulait les envoyer, et une sorte de grève sur le tas s’ensuivit aux ateliers I et II. (…)
Les Polonais commençaient à craindre de bientôt rejoindre les Juifs à titre de victimes. Cette considération fut exprimée dans des tracts qui circulèrent dans le district de Varsovie en août 1942, appelant les Polonais à aider les Juifs persécutés. (…) Les Allemands caressaient bel et bien l’idée de se débarrasser des Polonais. (…) Les SS et la Police avaient décidé de faire de Lublin un district allemand. Le 1er octobre 1942, la police se livra à une razzia dans les quartiers nord de la ville. Tous les habitants furent convoqués et rassemblés à un endroit précis. On vérifia les certificats de travail, et tous les Polonais, hommes et femmes, qui ne pouvaient justifier d’un emploi furent emmenés dans un camp, tandis que les enfants de moins de quinze ans étaient envoyés dans un orphelinat. (…) Des bruits se répandirent comme une trainée de poudre dans la ville. (…) Les passants de Lublin disaient maintenant que c’était au tour des Polonais de servir, exactement comme les Juifs, à « faire du savon ». Quand les premiers déportés polonais en provenance de Lublin arrivèrent au camp de travail de Lubartow, les rumeurs reprirent de plus belle. (…) Le chef des SS et de la Police de Lublin, Odilo Globocnik pensait à ce moment à un transport d’enfants polonais de Lublin à Varsovie. Beaucoup de ces enfants étaient condamnés à mourir de froid. (…)
Des fusillades massives se produisirent dans le complexe de Lublin, le 3 novembre 1941. Cette décision fut activée par des rapports faisant état d’une agitation des Juifs dans les camps et apr une révolte qui éclata le 14 octobre au centre de mise à mort de Sobibor. (…) Frank résuma la situation en déclarant que les camps juifs avaient fini par représenter un « danger aigu » pour les Allemands. Les conséquences de ces déliérations ne tardèrent pas. A la fin octtobre, on creusa des fosses dans le camp de Lublin. (…) On creusa des fosses. Le bruit des fusillades furent couverts par des flots de musique. (…)

Aux Pays-Bas, l’ampleur et la minutie du processus de destruction qui frappa les Juifs sont comparables à l’implacable processus de déracinement mis en œuvre dans le Reich lui-même. (…) La communauté juive, forte d’environ 140.000 âmes, s’était principalement établie dans les provinces côtières de la Hollande du nord et du sud, surtout dans les villes. Amsterdam comptait à elle seule 80.000 Juifs. (…) Une série d’incidents survenus à Amsterdam mit à l’épreuve la capacité des Allemands d’écraser toute opposition au processus de destruction qui se mettait en place en Hollande. Un jour de février 1941, des formations militaires du parti nazi hollandais NSB, « dans le prolongement d’exercices de manœuvres », se répandirent dans le quartier juif de la ville. (…) Les nazis hollandais, toutefois, se heurtèrent à plus de résistance à Amsterdam que leurs homologues lors des Einzelaktionen menées dans le Reich. Les commandos du NSB furent pris à partie par des ouvriers hollandais et des « hordes de jeunes Juifs qui étaient équipés de toutes sortes d’armes ». Des magasins hollandais nazis furent saccagés. (…) Le Conseil juif, nouvellement formé s’empressa d’enjoindre à tous les Juifs de rendre leurs armes. Le ghetto était né. Si les Allemands pensaient avoir la situation bien en main. Ils se trompaient. Un détachement de la Police allemande de Sécurité, patrouillant dans le quartier juif, pénétra dans un appartement situé dans Van Wormstraat et surprit un groupe de gens qui tenaient une « réunion secrète ». On tira sur les policiers et on leur jeta du vitriol. La police fit alors savoir que, à titre de représailles, 400 Juifs âgés de 20 ans à 35 ans seraient envoyés dans un camp de concentration en Allemagne. La déportation de ces Juifs eut pour résultat toute une série de répercussions inattendues. Le 25 février 1941, une vague de grèves commença à paralyser les transports et l’industrie en Hollande septentrionale et dans la province d’Utrecht. Les trolleybus s’immobilisèrent à Amsterdam, les services publics s’arrêtèrent, les chantiers navals furent désertés et les entreprises de travaux publics Focker, la Hollandschen Draaden Kabelfabrik et le Staatsbedrjf de Hernburg cessèrent leurs opérations. A Hilversum, où les Allemands avaient arrêté dix grands médecins qu’ils retenaient en otage, 2000 ouvriers se mirent en grève chez Philips. Au total, 8300 ouvriers avaient cessé le travail dans les seules industries d’armement. Le deuxième jour de grève, la Police d’ordre allemande se heurta à la foule dans les rues, tandis que les Hollandais lançaient des insultes à la Wermacht. Des tracts révélaient que l’opposition de la population à la déportation des 400 Juifs était liée à la crainte que les ouvriers des chantiers naval hollandais ne soient transférés de force dans les camps de travail du Reich. (…) La loi martiale assortie de menaces de peine de mort en cas d’infraction, fut promulguée dans les deux provinces septentrionales, cependant que le général ordonnait aux grévistes de reprendre le travail et interdisait tout attroupement et réunion. (…)
Dans la soirée du 26 juin, le Conseil juif fut informé des déportations imminentes. (…) On assista pendant les jours suivants à un marchandage entre les deux présidents du Joodsche Raad et aus der Fünten sur le nombre de Juifs soumis à la déportation. Les Allemands ne démordirent pas de leur chiffre plancher : 4000 Juifs devaient avoir été déplacés à la mi-juillet. Le 14 juillet, ils arrêtèrent environ 700 Juifs dans les rues et les retinrent en otages, menaçant de les déporter à Mathausen si les 4000 Juifs ne se présentaient pas spontanément pour partir pour les camps de travail du Reich. Le lendemain même, les premiers déportés montaient dans un convoi (…) Pour mieux faire passer les choses, des sursis furent institués pour des groupes particuliers. La catégorie la plus nombreuse comprenait les fonctionnaires du conseil juif et leurs familles (…) les Juifs des mariages mixtes (…) les Juifs convertis (….) ceux indispensables à l’industrie d’armement (…) enfin les Juifs étrangers. (…) Une grande partie de ce système de sursis reproduisait la stratégie adoptée dans le Reich. En même temps, (…) il lança les déportations sans perdre une seconde et commença par un vaste ratissage des Juifs non protégés. (…) Le 3 mai 1943, le représentant du ministère des affaires étrangères, Bene, observant les progrès de l’opération, notait que 1320 Juifs s’étaient présentés spontanément à Vught. « Moyennant le concours du Conseil juif, écrivait-il, les déportations en provenance des provinces se sont déroulées sans accroc. » Le 26 mai, l’action s’étendit au quartier juif d’Amsterdam. (…) Le 20 juin, la police juive du camp de Westerbork reçut l’ordre d’aider les forces de la Police de sécurité et de la Police d’ordre pour rafler 5500 Juifs supplémentaires dans la ville.(…) Un rapport publié dans un journal clandestin « De Oranjekrant » en janvier 1943, selon lequel les Juifs des convois spéciaux étaient « gazés de sang froid » pendant le trajet. (…) On évoquait parfois ce qui se passait en Pologne mais on ne disposait d’aucune preuve (…) Compte tenu de ce mutisme, beaucoup de Juifs s’en allaient vers la mort en conservant une certaine foi dans la civilisation allemande. (…)
Lors de la déportation de février 1941, les Hollandais avaient exprimé leurs sentiments à l’égard de leurs voisins juifs par une grève générale sur laquelle on ne pouvait se méprendre ; mais une fois les grévistes matés ils ne bougèrent plus. Le fait est qu’on enregistra une coopération importante de l’administration, depuis la participation des banques hollandaises dans la cession des titres jusqu’au travail de recensement effectué par les fonctionnaires hollandais et le rôle policier des SS hollandais. Pour considérable qu’ai pu être cette collaboration, elle fut contrebalancée, au moins en partie, par l’action menée par la population pour saboter le processus de destruction en cachant massivement des milliers de Juifs dans des couvents et des orphelinats et chez des particuliers. Il y eut peu de survivants parmi les Juifs de Hollande, mais cette poignée fut sauvée au prix d’efforts acharnés, car s’il était un territoire occupé de l’Ouest où les Juifs n’avaient même pas une chance sur deux d’avoir la vie sauve, c’est bien celui-là. (…)
En Belgique occupée, (…) le Militärbefehlshaber prit la première mesure d’ordre concentrationnaire : le recensement des Juifs. (…) Il tenta à plusieurs reprises de mettre en place un conseil juif, mais tous les dirigeants juifs, excepté deux rabbins particulièrement en vue, avaient quitté le pays au début de l’invasion. (…) La communauté juive désigna l’un des deux rabbins (le docteur Salomon Ullman, ancien directeur des aumôniers juifs de l’armée belge) pour occuper les fonctions de Grand Rabbin de Belgique. Le docteur Ullman allait prendre la tête d’un comité qui devint, le 25 novembre 1941, l’Association des Juifs de Belgique, le Judenrat belge. Toute la communauté devait se plier aux directives de cette organisation et l’on créa des comités locaux à Bruxelles, Anvers, Liège et Charleroi. En octobre 1941, le Militärbefehlshaber institua aussi le couvre-feu et ordonna que tous les Juifs soient assignés à résidence dans ces quatre mêmes villes. En juin 1942, les Juifs furent marqués de l’étoile, et des milliers d’hommes âgés de seize à quarante ans furent arrêtés dans des rafles et expédiés au travail forcé pour l’Organisation Todt. (…) Les choses se compliquèrent pour l’occupant allemand lorsqu’un groupe de résistants juifs envahit, le 25 juillet 1942, les bureaux de l’Association des Juifs pour brûler les listes des « Juifs du travail » et assassina, le 29 août 1942, le responsable de cette section, Robert Holcinger. A la mi-septembre, quand les premiers quotas furent remplis, von Bargen signala des évasions en masse. Les Juifs se cachaient dans des familles belges. (…) Les Alliés pénétrèrent en Belgique en septembre 1944. Jusqu’alors, les services allemands présents dans le pays avaient réussi à conduire 25.000 Juifs à leur destination ultime, Auschwitz. (…)
En France, ce fut à la bureaucratie française qu’incomba la lourde responsabilité d’accomplir une grande partie de l’ouvre de destruction, et la liste des Français qui occupèrent des postes clés dans l’appareil de destruction est d’une longueur impressionnante. (…) Il arriva que le régime de Vichy s’oublie et frappe les Juifs avec plus de rudesse que ne l’auraient exigé les Allemands. (…) Le bureau du Militärbefehlshaber était une structure qui utilisait la bureaucratie française en territoire occupé pour mettre en œuvre la politique allemande. (…) Tout cet appareil était destiné à détruire la plus grande communauté juive de l’arc occidental. A la fin de 1939, la France comptait environ 270.000 Juifs. Plus de 200.000 vivaient dans la seule ville de Paris. En mai 1940, (…) plus de 40.000 Juifs fuyant la Hollande, la Belgique et le Luxembourg refluèrent en France. Ensuite, plus de 50.000 Juifs quittèrent les villes du nord de la France et Paris pour se réfugier dans les régions du sud, plus sûres. Un troisième bouleversement se produisit lorsque les administrateurs allemands de l’Alsace-Lorraine décidèrent de se débarrasser de leurs Juifs. (…) Les Juifs d’Alsace-Lorraine furent déportés en France non occupée. Cela toucha 22.000 Juifs pour la seule Alsace. (…) 6300 Juifs du pays de Bade et 1150 de Sarre-Palatinat furent également déchargés en France non occupée. (…) En novembre 1942, la ligne de démarcation fut abrogée de fait avec l’occupation de la zone sud. (…) Vers 1941, le gouvernement de Vichy avait mis en place tout un réseau de camps dans le Sud de la France : Giurs, Risevaltes, Noé, Récébédon, Le Vernet et Les Milles. Outre les Juifs du pays de Bade et de Sarre-Palatinat, les camps recevaient les Juifs arrivés récemment du Reich, de l’Autriche, du Protektorat et de Pologne, ainsi qu’un assortiment de Juifs « apatrides » de toutes sortes. Le nombre total des internés s’élevait à 20.000. (…) Les camps d’internement étaient gérés par du personnel français. (…) Le 29 novembre 1941, le régime de Vichy imposa de nouvelles restrictions aux Juifs en décrétant que toutes les organisations juives à l’exception des associations religieuses (dont le Consistoire) devaient être dissoutes et leurs biens remis à un nouveau conseil, l’Union générale des Israélites de France. L’UGIF était le Judenrat de la France. (…) Le 14 décembre 1941, le Militärbefehlshaber prit pour prétexte l’assassinat d’un officier allemand pour imposer à la communauté juive une « amende » de un milliard de francs, et le 17 décembre, il chargeait l’UGIF de recueillir l’argent. (…) En 1943, au moment où les Juifs commençaient à être soumis au travail forcé, les dirigeants juifs obtinrent des autorités françaises un arrêté autorisant l’UGIF à prélever annuellement une taxe individuelle sur tous les Juifs âgés de dix-huit ans au moins. (…) A la fin de 1943, les comptes bloqués atteignaient 485 millions de francs. (…) Au cours des rafles des 16 et 17 juillet 1942, appelées opérations « Vent printanier », la Police française – environ 900 équipes – arrêta 12.884 Juifs apatrides à Paris. Un grand nombre appartenaient (…) à la « couche la plus basse ». (…) Les Juifs qui avaient de l’argent avaient été prévenus par la Police française. Six mille personnes (…) furent envoyées directement à Drancy. Les familles avec enfants furent dirigées sur Pithiviers et Beaune-la-Rolande. (…) Au « Vel d’Hiv », un état voisin du chaos régnait avec des gens entassés qui n’avaient rien à manger, des jeunes enfants seuls et cinquante Juifs en train de mourir dans un coin du stade. Il semblerait que l’UGIF (responsable des internés sur le plan médical…) ait eu connaissance de la rafle un jour environ avant son déclenchement. Lorsqu’il fit son apparition sur le stade dans l’après-midi du 16, André Baur directeur de la section nord de l’UGIF, fut accueilli par des huées. (…) Dès le 27 juin 1942, le Haupsturmfûrher Dannecker mentionna (…) qu’il lui faudrait « dès que possible » 50.000 Juifs de zone de Vichy. (…) Le 13 août, Legay (…) assura un représentant allemand que de nouvelles rafles avaient été lancées en zone libre afin de remplir le quota fixé par les Allemands. (…) Le 1er septembre, les autorités de Vichy avaient livré plus de 5.000 Juifs et procédé, durant le même laps de temps, à 7100 arrestations en zone libre. (…) Comme les Juifs fuyant le sud de la France (…) commençaient à passer la frontière (…) Les autorités fédérales refoulèrent quelques uns des nouveaux arrivants sous prétexte qu’ils ne répondaient pas aux critères leur donnant droit à l’asile politique. (…)
Il serait difficile de ventiler les chiffres (des déportés) en fonction des revenus, ni même de la fortune, mais de toute façon les Juifs pauvres et démunis constituèrent sans conteste la forte majorité des victimes. La nature de la rafle de 1942 à Paris, les déportations à partir des résidences forcées, des brigades de travail et des camps, les arrestations dans les refuges de l’UGIF et dans ses bureaux mêmes où les gens venaient chercher des allocations de secours : tout indique un processus de sélection qui commençait invariablement et finissait souvent avec l’arrestation des éléments les plus défavorisés de la communauté. Les Juifs étrangers et apatrides tendaient à être immanquablement plus pauvres, et ceux qui avaient été les derniers à arriver en France étaient aussi les premiers à partir. (…)
La liquidation des centres de mise à mort et la fin du processus de destruction
(…) Dans le Gouvernement général, les camps du Bug (Treblinka, Sobibor et Belzec) furent évacués à l’automne de 1943. Le Kommando Wirth, qui les avait construit, reçut l’ordre de les détruire et de ne laisser subsister aucune trace. A Treblinka, on construisit une ferme et on invita un Ukrainien à l’exploiter. On planta des pins à Belzec. (…) Lublin fut évacué avec plus de précipitation. A la fin de juillet 1944, des unités avancées de l’Armée rouge s’emparèrent du camp et, ce faisant, des magasins de l’Aktion Reinhard. (…) Pendant la dernière partie de 1944, un camp seulement tournait encore à plein rendement – Auschwitz. De mai à la fin d’octobre, on procéda à la réduction de la plupart des derniers noyaux de la population juive. (…) En novembre 1944, Himmler décida que, pour des raisons pratiques, la question juive était résolue. Le 25 de ce mois, il ordonna le démantèlement des installations de mise à mort. Ce jour-là, Auschwitz I et II fusionnèrent pour constituer le camp de concentration d’Aushwitz et Auschwitz III devint le camp de concentration de Monowitz. IG Farben se préparait déjà à quitter les lieux. Depuis le 4 avril 1944, la zone industrielle était régulèrement photographiée par les forces aériennes alliées de la Méditérannée et le 20 août, le 13 septembre, le 18 décembre et de nouveau, les 26 décembre, Monowitz fut systématiquement bombardé. …) Chez les détenus, l’agitation régnait. Une organisation de résistance s’était enfin créée à Auscwitz. Elle avait des liens avec le mouvement de résistance à l’extérieur du camp (…) Les victimes juives voyaient peu de chance de survie dans l’obéissance, alors que les non-Juifs, craignant les effets des représailles allemandes et attendant le moment où elles seraient libérées par l’Armée rouge, avaient trop à perdre dans un soulèvement. L’après-midi du 7 octobre 1944, un Sonderkommando prêt à tenter le tout pour le tout, armé d’explosifs, de trois grenades à main volées ainsi que de pinces isolantes pour couper les barbelés, risqua seul sa chance. 450 détenus et trois SS périent dans l’affrontement et le Crématorium III fut incendié. (…) L’offensive générale (de l’Armée rouge) avait commencé. Le 16 janvier 1945, les Soviétiques avaient atteint les mines de chaux de Kressendorf, et dans la soirée de ce même jour des avions soviétiques attaquèrent le camp. (…) Le 17 janvier, en fin d’après-midi, se déroula un dernier appel. Le nombre de détenus était de 31.894 à Auschwitz (Birkenau inclus) et de 35.118 à Monowitz, ce chiffre comprenant les camps satellittes de la périphérie. (…) En deux jours, 58.000 prisonniers quittèrent le camp, preque tous à pied par un temps glacial. (…) Le 20, IG-Farben détruisit ses dossiers. (…) Lorsque les Soviétiques entrèrent dans le camp, (…) plus de 7000 détenus encore vivants accueillirent leurs libérateurs.
Réflexions
(…) Toue la coopération juive ne fut pas une soumission réflexe aux instructions des Allemands, pas d’avantage l’acte ultime d’un peuple exsangue, abandonné. Il y eut aussi la soumission institutionnelle des conseils juifs faisnat appel à des auxiliaires et à des emplyés de bureau, à des experts et à des spécialistes. Pendant la phase de concentration, les conseils répercutaient les exigences allemandes sur la population juive et livraient les biens juifs aux Allemands, augmentant ainsi considérablement la pression la pression imposée par l’agent du processus. L’adminsitration allemande ne disposait d’aucun budget spécial pour la destruction et, dans les pays occupés, elle fonctionnait avec un personnel réduit. En général, elle ne finançait pas la construction des murs des ghettos, n’assurait pas maintien de l’ordre dans les rues des ghettos et n’établissait pas les listes de déportation. Les chefs de bureaux allemands s’adressaient au conseil juif quand ils voualient des informations, de la main d’œuvre ou des éléments pour veiller au maintien de l’ordre, et les conseils les leur fournissaient quotidiennement. L’adminsitration allemande ne négligeait pas l’importnace de ce rôle. Un fonctionnaire allemand réclamait instamment que « l’autoirté du conseil juif soit maintenue et renforcée en toutes circonstances. » (…) Les conseils n’ataient pas à même de perturber la progression du processus d’anéantissement. Le ghetto, en tant qu’entité, était une cration allemande. Tout ce qui était conçu pour préserver sa viabilité servait simultanément un objectif allemand. De ce fait, les Allemands étaient aidés par les organismes juifs chargés de mettre en œuvre leurs décisions, mais aussi par les fabriques, les dispensaires et les cantine spopulaires de la communauté. (…) Les Juifs espéraient que, d’une façon ou d’uen autre, la pression allemande s’émousserait. Cet espooir reposait sur deux mille ans d’expérience. (…) C’est seulement en 1942, 1943 et 1944 que les dirigeants juifs comprirent que, à la différence des pogroms des siècles passés, le processus de destruction moderne, telle une machine, allait engloutir le monde juif européen. Mais cette prise de conscience vint trop tard. (…) Les dirigeants juifs se cramponnaient au principe qu’on ne pouvait braver les ordres des Allemands tant qu’il n’était pas clairement prouvé que les victimes se trouvaient confrontées à une mort imminente. (…) Les Allemands réussiernet avec tant de succès à déporter les Juifs par fournées sucessives parce que ceux qui restaient se disaient qu’il était nécessaire de sacrifier une petite fraction pour sauver une fraction plus grande. On voit se raisonnement à l’œuvre dans la communauté juive de Vienne, qui passa un « accord » de déportation avec la Gestapo, dans lequel il était « entendu » que six catégories de Juifs ne seraient pas déportées. De même, les Juifs du ghetto de Varsovie se montrèrent partisans de la coopération et hostiles à la résistance, partant du principe que les Allemands déporteraient 60.000 Juifs mais pas des centaines de mille. La division en deux fractions égales sévit aussi à Salonique où la direction juive coopéra avec les services de déportation allemands, moyennant l’assurance que seuls les éléments « communistes » des quariers pauvres seraient déportés, tandis qu’on ne toucherait pas à la bourgeoisie. (voir Cecil Roth, « Les derniers jours des Juifs de Salonique ») Cette fatale arithmétique fut également appliquée à Vilna, lorsque le chef du Judenrat, Gems, déclara : « Avec une centaine de victimes, je sauve un millier de gens. Avec un millier, j’en sauve dix mille. » (…)
Tout au long de la seconde guerre mondiale, le peuple juif fit sienne la cause des Alliés. Il chassa de son esprit bien des arrière-pensées sur le désastre qu’il avait subi et contribua à la victoire finale. Les puissances alliées, toutefois, ne pensaient pas aux Juifs. Les pays alliés en guerre avec l’Allemagne ne vinrent pas au secours des victimes de l’Allemagne. (…) Aux Etats-Unis, les principales organisations juives s’étaient regroupées en 1943 pour former l’American Jewish Conference quid evint bientôt le forum où purent s’exprimer bien des voix désillusionnées (…) : « Ne comptons pas sur les autres pour défendre nos intérêts. » (…) En 1945, les organisations juives et les personnalités publiques s’efforçaient d’être représentatives des sociétés auxquelles elles apprtenaient. (…) La réserve qu’observait la communauté juive (…) fut remplacée, au moins chez les Juifs du monde occidental, par des actes de militantisme en faveur d’Israël. (…) israël est l’intense consolation du judaïsme. C’est une vaste opération de « neutralisation » réussie, l’une des plus grandes de l’Histoire. Alors même qu’on massacrait les Juifs d’Europe, les délégués à la ptemière session de la Conférence juive américaine tournèrent leurs pensées vers le futur Etat. (…) Le docteur Israël Goldstein, du bloc des sionistes généraux, pendant le symposium sur le sauvetage des Juifs : « Pour tous nos fleuves de larmes et océans de sang, pour nos vies détruites et nos foyers dévastés, (…) nous serons consolés lorsqu’en eretz Israël rétabli en tant qu’Etat juif, terre nos ancêtres (…) le soleil de la liberté se lèvera. » (…)
Dans l’effort des puissances alliées pour sortir vainqueurs du conflit, (…) le désir de sauver une partie des victimes n’entrait pas en ligne de compte. (…) Pendant la guerre, le sauvetage des Juifs en train de mourir allait à l’encontre de la doctrine « la victoire d’abord ». (…) L’occultation du processus de destruction allemand est illustré par des périodes de silence total, notamment à partir de 1941 et tout au long de 1942 (…) le 1er novembre 1943, la déclaration de Moscou (…) qui portait la lourdee empreinte de Churchill ainsi que les signatures de Roosevelt et de Staline, réussit à omettre toute réfénrence au désastre juif. (…) En 1944, les autorités militaires britanniques stationnées en Belgique internèrent quelque 2000 Juifs en tant qu’ »étrangers ennemis ». Lorsque Sydney Silverman, membre du Parlement anglais, intervint avec Lord Halifax, on lui dit que cette mesure était dictée par les « nécessités militaires ». En Union Soviétique, des Juifs en vue qu’on s’apprêtait à éliminer au cours de purges durent s’attendre tout naturellement à être accusés d’ »espionnage pour le compte des Allemands ». Quelques 15.000 « Juifs du travail » hongrois pris par l’Armée rouge sur le front oriental ne rentrèrent pas chez eux. Ils restèrent en captivité au titre de « prisonniers de guerre ». (…)
Nous avons souligné à maintes reprises que les Juifs ne s’attendaient pas à la « Solution finale ». Lorsqu’ils se rendirent à l’évidence, le désastre s’abattait sur eux. A l’été 1942, toutefois, le volume des déportations et des exécutions avait de loin dépassé les limites à l’intérieur desquelles une telle opération pouvait être cachée au monde extérieur. Les allusions, les rumeurs et les rapports commençaient à s’accumuler dans les organismes qui collectaient les informations ne des points dispersés. (…) les Juifs n’avaient créé aucun service central de renseignement. Ils recevaient passivement les données et n’utilisaient pas ces documents pour y trouver l’indication de ce qui se passait sur une échelle plus étendue. (…)
Voici quelques rapports significatifs qui parvinrent à la presse, aux organisations juives et aux gouvernements alliés, en même temps que les réactions qu’ils suscitèrent. (…) Pendant l’été 1941, et de façon plus intermittente par la suite, le Code an Cypher School (chiffrage et décodage) du gouvernement britannique interccepta les rapports TST de la Police d’ordre concernant les fusillades dans les territoires occupés d’Union soviétique. Parmi ces rapports, où il est souvent question de Juifs, figurait notamment ce qui suit :
Un rapport d’une brigade de cavalerie SS du 17 août 1941 relatif à 7819 « exécutions » dans la région de Minsk
Un rapport sommaire de von den Bach, daté du même jour, mentionnant une fusillade ayant fait 30.000 victimes

Un rapport du 12 septembre 1941 émanant du régiment de police Sud sur une fusillade ayant tué 1255 Juifs à Ovruch. (…)
Le 1er mars 1942, le docteur Henry Shoskes, un dirigeant juif qui avait quitté Varsovie au début de l’occupation allemande, donna les chiffres détaillés des décès des ghettos polonais. La moyenne mensuelle s’élevait, déclarait-il, à 10.000.
Depuis Lisbonne, l’Office of Strategic Services reçut un rapport daté du 20 juin 1942 qui commençait par ces mots : « L’Allemagne ne persécute plus les Juifs. Elle les anéantit systématiquement. » L’information émanait d’un officier britannique qui s’était évadé de captivité en se cachant dans le ghetto de Varsovie au début de juin. (…)
Le 5 octobre 1942, l’agence de presse juive, l’Agence télégraphique juive, faisiat savoir qu’on déportait systématiquement les Juifs de Lodz qui, précisait-elle « sont empoisonnés au gaz ». Le numéro de novembre de Jewish Frontier, publié à New York, comportait une description exceptionnellement détaillée du traitement infligé aux Juifs à Chelmno avec des informations sur les camions à gaz. (…) Le 25 novembre, le New York Times publiait un article fondé sur une information émanant du gouvernement polonais en exil, qui mentionnait les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka. Cet article était accompagné d’un autre article avec des détails sur des constructions en béton, situées sur l’ancienne frontière russe, qu’on utilisait comme chambres à gaz, et sur des crématoriums à Auschwitz. La même page donnait aussi le nombre de victimes juives : deux millions. (…) Aux Etats-Unis, la direction juive se borna à mobiliser le soutien de sa propre communauté (…) le point culminant de toute cette activité devait être une rencontre avec Roosevelt et, au bout d’un mois d’activités de couloir, le 8 décembre 1942, un groupe de cinq délégués était reçu à la Maison Blanche. (…) Roosevelt se montra « cordial » et assura aux délégués que leurs mémorandums seraient « pleinement considérés ». (…) Après ce bel effort, on en resta là. (…) Le 6 janvier 1943, Henry Monsky, président du B’nai Brith, convoqua une réunion préliminaire de l’American Jewish Conference. Dans sa lettre de convocation, qui fut envoyée à trente-quatre organisations juives, il écrivait : « Le monde juif américain, à qui il sera demandé dans une large mesure d’assumer la responsabilité de représenter les intérêts de notre peuple à la Conférence de paix de la victoire, doit être prêt à exprimer l’opinion des Juifs américains en même temps que celle des autres communautés juives des pays libres en ce qui concerne le statut d’après-guerre des Juifs et la construction d’une Palestine juive. » Dans cette lettre, (…) la destruction des Juifs d’Europe n’est même pas mentionnée. (…) On laissait se perpétrer l’Holocauste. La paralysie était totale. Le 21 janvier, le sous-secrétaire d’Etat Welles recevait le câble 482 de sa légation de Berne. Il contenait un message de Riegner qui raportait qu’on tuait les Juifs en Pologne au rythme de 6000 par jour et qu’on faisiat mourir de faim les Juifs d’Allemagne et de Roumanie. (…) Les organisations juives semblaient à présent se décider à agir. Un grand rassemblement se tint à Madison Square Garden, les organismes d’entraide redoublèrent d’efforts, une avalanche de plans de sauvetage se déversa sur les bureaux de Washington. Toute cette agitation juive inuqiéta, semble-t-il, le département d’Etat. Il décréta qu’il fallait « explorer » la question. Certains de ses experts politiques décidèrent de tarir le flot d’informations (…). Un télégramme (portant le numéro 354) signé du sous-secrétaire d’Etat Welles fut envoyé à Harrison à Berne : « Nous suggérons qu’à l’avenir vous n’acceptiez plus les rapports qui vous sont soumis afin d’être transmis à des personnes privées aux Etats-Unis, à moins qu’une telle action ne soit justifiée par des circonstances extraordinaires. De tels messages privés tournent les règles de censure des pays neutres et il nous semble qu’en les envoyant le risque existe peut-être de voir les pays neutres prendre des mesures pour réduire ou supprimer nos moyens de transmission pour des communications officielles et confidentielles. » Le télégramme portait les initiales des quatre responsables du service des Affaires étrangères. (…)
Le 27 mars à midi, Stephen Wise, de l’American Jewish Congress, et le juge Joseph Proskauer, de l’American Jewish Committee, rencontraient Eden à l’ambassade de Grande-Bretagne. Reprenant la vieille tactique juive, ils suggéraient que les Alliés « émettent une déclaration publique à l’intention de Hitler lui demandant d’autoriser les Juifs à quitter l’Europe occupée. » Eden répondit que cette idée était « fantastiquement impossible ». Les représentants juifs demandèrent alors l’aide de l’Angleterre pour faire sortir les Juifs de Bulgarie : « La Turquie ne veut plus recevoir vos gens » répondit Eden à leur plaidoyer. (…) Sur ce Wise et Proskauer se rendirent au département d’Etat pour s’entretenir avec Welles. (…) Eden répondit que l’ensemble du problème des Juifs d’Europe est très difficile et que la proposition de faire sortir tous les Juifs de la Bulgarie doit être considérée avec la plus grnade prudence. Si nous le faisons, les Juifs du monde entier vont nous demander de faire des offres similaires pour la Pologne et l’Allemagne. Hitler pourrait très bien nous prendre au mot et il n’ya tout simplement pas assez de bateaux et de moyens de transport dans le monde pour les déplacer. (…) eden déclara qu’il espérait que du côté américain il n’y aurait pas de promesses trop extravagantes qui ne pourraient pas être tenues, faute de bateaux. (compte-rendu du secrétaire d’Etat américain Hull) (…)
Le gouvernement britannique, par l’entremise de la légation suisse de Berlin, proposa de laisser entrer en Palestine 5000 enfants juifs en provenance du Gouvernement général et des territoires de l’Est occupés. Le ministère allemand des affaires étrangères accepta de remettre les enfants à la Grande-Bretagne en échange de prisonniers allemands. Les Britanniques refusèrent de libérer des Allemands en arguant que les enfants en question n’étaient pas des ressortissants de l’Empire Britannique. L’affaire en resta là.
Le second projet de sauvetage prit forme lorsque le sous-secrétaire d’Etat Welles envoya un télégramme à berne pour demander un supplément d’information sur la destruction des Juifs d’Europe. En réponse il reçut ce qui semble être le plan d’Antonescu qui était prêt à libérer quelques 60.000 Juifs moyennant finances. (…) Huit mois plus tard, le département d’Etat autorisait officiellement les organisations juives à effectuer des dépôts d’argent au cradit des responsables de l’Axe, dans des comptes bloqués en Suisse. (…) Une note remise à l’ambassade des Etats-Unis par le ministre britannique de la guerre économique s’inquiétait « des difficultés d’écouler un nombre de Juifs considérable » au cas où ils quitteraient l’Europe de l’Axe. L’effort de sauvetage tombait à l’eau. (…)
Du 29 août au 2 septembre 1943, la première session de l’American Jewish Conference qui avait été convoquée sept mois plus tôt se réunissait pour délibérer. La destruction des Juifs d’Europe ne figurait toujours pas à son ordre du jour. Lors de la réunion préliminaire, seuls deux points importants avaient été retenus : « Droits et statuts des Juifs dans le monde de l’après-guerre » et « Droits du peuple juif concernant la Palestine ». (…) A une occasion, le vice-président général de l’American Jewish Committe, Morris Waldman, dans une lettre au président du comité Proskauer, avait carrément écrit : « Rien n’arrêtera les nazis sauf leur destruction. Les Juifs d’Europe sont condamnés quoi que nous fassions. » (…)
Le secrétaire d’Etat Hull écrivait à Proskauer : « Comme vous l’indiquiez, il existe une différence de point de vue considérable parmi les Juifs quant à la politique qui doit être poursuivie pour sauver et aider ce malheureux peuple et aucune initative ne serait du goût de toutes les personnes intéressées par ce problème. » (…)
Le gouvernement américain disposait à présent d’une grande quantité d’informations. On avait obtenu des rapports décrivant Varsovie, Rawa-Ruska, Maïdanek et Treblinka. Mais le document le plus remarquable concernait Auschwitz. (…) « L’histoire, expliquait le rapport chiffré et détaillé, ne connaît pas d’équivalent d’une pareille destruction de la vie humaine. » (…) Au moment précis où l’OSS épluchait la description la plus détaillée d’Auschwitz qu’elle eût jamais eue entre les mains, deux jeunes Juifs slovaques, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler s’évadaient du camp et témoignaient longuement de ce qu’ils avaient vu devant le Conseil juifs de Slovaquie de Zilina. Ces matériaux, après avoir été traduits en slovaque et dans d’autres langues, furent envoyés en Hongrie, en Palestine et en Suisse. (…) Le 4 août 1944, un avion de reconnaissance allié apparut dans le ciel d’Auschwitz. (…) Ce vol était le premier d’une série de missions photographiques des services secrets lancée dans le but bien précis d’obtenir des renseignements sur les « Activités de IG-Farbenindustrie/Entreprises de fabrications d’huile et de caoutchouc synthétiques (…) Le bombardement d’Auschwitz III, avec des bombes d’une demi-tonne, commença en août et se poursuivit à trois reprises en septembre et décembre. (…) Les quatre raids d’Auschwitz visaient tous une raffinerie d’huile et une usine de caoutchouc (et ne visaient pas à) interrompre les opérations de mise à mort. (…) Plusieurs groupes de Juifs de Bratislava et de Budapest demandèrent le bombardement des chambres à gaz d’Auschwitz et des voies ferrées conduisant au camp de la mort. Les messages, transmis par Jerusalem et par la Suisse, parvinrent aux gouvernements britannique et américain pendant la seconde moitié de juin. En Grande-Bretagne, ce furent Chaim Weizmann (…) et Moshe Shertok (…) qui suggérèrent de bombarder Auschwitz lors d’une réunion qui se tint le 30 juin avec le sous-chef de cabinet des Affaires étrangères G.H.Hall. Ils exposèrent leur point de vue sans insister outre mesure. (…) Une note explicative juive, du 11 juillet, précisait que le bombardement des installations de mort « ne parviendrait probablement pas à sauver les victimes en quantité appréciable », mais qu’il constituerait un avertissement pour les Allemands. (…) Finalement, le 1er septembre 1944, Richard Law, ministre d’Etat au Foreign Office, envoyait une réponse officielle à Weizmann. (…) En raison des « très grandes difficultés techniques » présentées par l’opération, le Foreign Office n’avait « d’autre choix que de s’abstenir de mettre à exécution la proposition dans les circonstances présentes. » Law déclara qu’il se rendait compte que cette décision allait constituer une « déception » pour Weizmann mais, ajoutait-il, « vous pouvez être pleinement assuré que cette affaire a été pleinement examinée. » (…) Un demi-million de Juifs furent tués à Auschwitz entre mai et novembre 1944.
(…) En avril 1944, (…) Eichmann convoqua dans son bureau de l’Hotel Majestic de Budapest un dirigeant du comité juif de sauvetage en Hongir, Joel Brand (…) : « Vous voulez un million de Juifs ? (…) Un camion pour chaque centaine de Juifs. » (…) Le 7 juin 1944, Brand arrivait à Alep
(avec la somme d’argent requise). (…) Brand (arrêté par les Anglais) fut conduit au Caire pour y être minutieusement interrogé par les services secrets anglais. Désormais, il était prisonnier. (…) Il n’y aurait pas de négociation, de la même façon qu’il n’y aurait pas de bombardement. (…)
De 1945 à 1948, 250.000 Juifs étaient devenus des personnes déplacées. C’était l’Allemagne qui avait créé ces Juifs déplacés, mais le monde entier se chargea de prolonger leur déplacement pendant des années encore. »


AMEDEO BORDIGA

La presse de gauche vient de montrer de nouveau que le racisme, et en fait essentiellement l’antisémitisme, constitue en quelque sorte le Grand Alibi de l’antifascisme : il est son drapeau favori et en même temps son dernier refuge dans la discussion. Qui résiste à l’évocation des camps d’extermination et des fours crématoires ? Qui ne s’incline devant les six millions de Juifs assassinés ? Qui ne frémit devant le sadisme des nazis ? Pourtant c’est là une des plus scandaleuses mystifications de l’antifascisme, et nous devons la démonter.
Une récente affiche du M.R.A.P. [1] attribue au nazisme la responsabilité de la mort de 50 millions d’êtres humains dont 6 millions de Juifs. Cette position, identique au « fascisme-fauteur-de-guerre » des soi-disant communistes, est une position typiquement bourgeoise. Refusant de voir dans le capitalisme lui même la cause des crises et des cataclysmes qui ravagent périodiquement le monde, les idéologues bourgeois et réformistes ont toujours prétendu les expliquer par la méchanceté des uns ou des autres. On voit ici l’identité fondamentale des idéologies (si l’on ose dire) fascistes et antifascistes : toutes les deux proclament que ce sont les pensées, les idées, les volontés des groupes humains qui déterminent les phénomènes sociaux. Contre ces idéologies, que nous appelons bourgeoises parce que ce sont des idéologies de défense du capitalisme, contre tous ces « idéalistes » passés, présents et futurs, le marxisme a démontré que ce sont au contraire les rapports sociaux qui déterminent les mouvements d’idéologies.
C’est là la base même du marxisme, et pour se rendre compte à quel point nos prétendus marxistes l’ont renié il suffit de voir que chez eux tout est passé dans l’idée : le colonialisme, l’impérialisme, le capitalisme lui-même, ne sont plus que des états mentaux. Et du coup tous les maux dont souffre l’humanité sont dus à de méchants fauteurs : fauteurs de misère, fauteurs d’oppression, fauteurs de guerre, etc...
Le marxisme a démontré qu’au contraire la misère, l’oppression, les guerres et les destructions, bien loin d’être des anomalies dues à des volontés délibérées et maléfiques, font partie du fonctionnement « normal » du capitalisme. Ceci s’applique en particulier aux guerres de l’époque impérialiste. Et il y a là un point que nous développerons un peu plus, à cause de l’importance qu’il représente pour notre sujet : c’est celui de la destruction.
Lors même que nos bourgeois ou réformistes reconnaissent que les guerres impérialistes sont dues à des conflits d’intérêts, ils restent bien en deçà d’une compréhension du capitalisme. On le voit à leur incompréhension du sens de la destruction. Pour eux, le but de la guerre est la Victoire, et les destructions d’hommes et d’installations faites chez l’adversaire ne sont que des moyens pour atteindre ce but. A tel point que des innocents prévoient des guerres faites à coup de somnifères ! Nous avons montré qu’au contraire la destruction était le but principal de la guerre. Les rivalités impérialistes qui sont la cause immédiate des guerres, ne sont elles mêmes que la conséquence de la surproduction toujours croissante. La production capitaliste est en effet obligée de s’emballer à cause de la chute du taux du profit et la crise naît de la nécessité d’accroître sans cesse la production et de l’impossibilité d’écouler les produits. La guerre est la solution capitaliste de la crise ; la destruction massive d’installations, de moyens de production et de produits permet à la production de redémarrer, et la destruction massive d’hommes remédie à la « surpopulation » périodique qui va de pair avec la surproduction. Il faut être un illuminé petit bourgeois pour croire que les conflits impérialistes pourraient se régler tout aussi bien à la belote ou autour d’une table ronde et que ces énormes destructions et la mort de dizaines de millions d’hommes ne sont dues qu’à l’obstination des uns, la méchanceté des autres et la cupidité des derniers.
En 1844, déjà, Marx reprochait aux économistes bourgeois de considérer la cupidité comme innée au lieu de l’expliquer, et montrait pourquoi les cupides étaient obligés d’être cupides. C’est aussi dès 1844 que le marxisme a montré quelles étaient les causes de la « surpopulation ». « La demande d’hommes règle nécessairement la production d’hommes, comme celle de n’importe quelle marchandise. Si l’offre dépasse largement la demande une partie des travailleurs tombe dans la mendicité ou meurt de faim. » écrit Marx. Et Engels : « Il n’y a surpopulation que là où il y a trop de forces productives en général » et « ...(nous avons vu) que la propriété privée a fait de l’homme une marchandise dont la production et la destruction ne dépendait que de la demande, que la concurrence a égorgé et égorge ainsi chaque jour des millions d’hommes... » [2]. La dernière guerre impérialiste, loin d’infirmer le marxisme et de justifier sa « remise à jour » a confirmé l’exactitude de nos explications.
Il était nécessaire de rappeler ces points avant de nous occuper de l’extermination des Juifs. Celle-ci, en effet, a eu lieu non pas à un moment quelconque, mais en pleine crise et guerre impérialistes. C’est donc à l’intérieur de cette gigantesque entreprise de destruction qu’il faut l’expliquer. Le problème se trouve de ce fait éclairci ; nous n’avons plus à expliquer le « nihilisme destructeur » des nazis, mais pourquoi quoi la destruction s’est concentrée en partie sur les Juifs. Sur ce point aussi, nazis et antifascistes sont d’accord : c’est le racisme, la haine des Juifs, c’est une « passion », libre et farouche, qui a causé la mort des Juifs. Mais nous marxistes, savons qu’il n’y a pas de passion sociale libre, que rien n’est plus déterminé que ces grands mouvements de haine collective. Nous allons voir que l’étude de l’antisémitisme de l’époque impérialiste ne fait qu’illustrer cette vérité.
C’est à dessein que nous disons : l’antisémitisme de l’époque impérialiste, car si les idéalistes de tous poils, des nazis aux théoriciens « Juifs », considèrent que la haine des Juifs est la même dans tous les temps et en tous lieux, nous savons qu’il n’en est rien. L’antisémitisme de l’époque actuelle est totalement différent de celui de l’époque féodale [3]. Nous ne pouvons développer ici l’histoire des Juifs, que le marxisme a entièrement expliquée. Nous savons pourquoi la société féodale a maintenu les Juifs comme tels ; nous savons que si les bourgeoisies fortes, celles qui ont pu faire tôt leur révolution politique (Angleterre, États-Unis, France), ont presque entièrement assimilé leurs Juifs, les bourgeoisies faibles n’ont pu le faire. Nous n’avons pas à expliquer ici la survivance des « Juifs », mais l’antisémitisme de l’époque impérialiste. Et il ne sera pas difficile de l’expliquer si, au lieu de nous occuper de la nature des Juifs ou des antisémites, nous considérons leur place dans la société.
Du fait de leur histoire antérieure, les Juifs se trouvent aujourd’hui essentiellement dans la moyenne et petite bourgeoisie. Or cette classe est condamnée par l’avance irrésistible de la concentration du capital. C’est ce qui nous explique qu’elle soit à la source de l’antisémitisme, qui n’est comme l’a dit Engels, « rien d’autre qu’une réaction de couches sociales féodales, vouées à disparaître, contre la société moderne qui se compose essentiellement de capitalistes et de salariés. Il ne sert donc que des objectifs réactionnaires sous un voile prétendument socialiste ».
L’Allemagne de l’entre-deux-guerres nous montre cette situation à un stade particulièrement aigu. Ébranlé par la guerre, la poussée révolutionnaire de 1918-28, toujours menacé par la lutte du prolétariat, le capitalisme allemand subit profondément la crise mondiale d’après-guerre. Alors que les bourgeoisies victorieuses plus fortes (États-Unis, Grande-Bretagne, France), furent relativement peu touchées, et surmontèrent facilement la crise de « réadaptation de l’économie à la paix », le capitalisme allemand tomba dans un marasme complet. Et ce sont peut-être les petites et moyennes bourgeoisies qui en pâtirent le plus, comme dans toutes les crises qui conduisent à la prolétarisation des classes moyennes et à une concentration accrue du capital par l’élimination d’une partie des petites et moyennes entreprises. Mais ici la situation était telle que les petits bourgeois ruinés, faillis, saisis, liquidés, ne pouvaient même pas tomber dans le prolétariat, lui même durement touché par le chômage (7 millions de chômeurs au paroxysme de la crise) : ils tombaient donc directement à l’état de mendiants, condamnés à mourir de faim dès que leurs réserves étaient épuisées. C’est en réaction à cette menace terrible que la petite bourgeoisie a « inventé » l’antisémitisme. Non pas tant, comme disent les métaphysiciens, pour expliquer les malheurs qui la frappaient, que pour tenter de s’en préserver en les concentrant sur un de ses groupes. A l’horrible pression économique, à la menace de destruction diffuse qui rendaient incertaine l’existence de chacun de ses membres, la petite bourgeoisie a réagi en sacrifiant une de ses parties, espérant ainsi sauver et assurer l’existence des autres. L’antisémitisme ne provient pas plus d’un « plan machiavélique » que « d’idées perverses » : il résulte directement de la contrainte économique. La haine des Juifs, loin d’être la raison a priori de leur destruction, n’est que l’expression de ce désir de délimiter et de concentrer sur eux la destruction.
Il arrive parfois que les ouvriers eux-mêmes donnent dans le racisme. C’est lorsque menacés de chômage massif, ils tentent de le concentrer sur certains groupes : Italiens, Polonais ou autres « métèques », « bicots », nègres, etc... Mais dans le prolétariat ces poussées n’ont lieu qu’aux pires moments de démoralisation, et ne durent pas. Dès qu’il entre en lutte, le prolétariat voit clairement et concrètement où est son ennemi : il est une classe homogène qui a une perspective et une mission historiques.
La petite bourgeoisie, par contre, est une classe condamnée. Et du coup elle est condamnée aussi à ne pouvoir rien comprendre, à être incapable de lutter : elle ne peut que se débattre aveuglément dans la presse qui la broie. Le racisme n’est pas une aberration de l’esprit : il est et sera la réaction petite-bourgeoise à la pression du grand capital. Le choix de la « race », c’est-à-dire du groupe sur lequel on essaie de concentrer la destruction, dépend évidemment des circonstances. En Allemagne, les Juifs remplissaient les « conditions requises » et étaient seuls à les remplir : ils étaient presque exclusivement des petits-bourgeois, et, dans cette petite-bourgeoisie, le seul groupe suffisamment identifiable. Ce n’est que sur eux que la petite bourgeoisie pouvait canaliser la catastrophe.
Il était en effet nécessaire que l’identification ne présentât pas de difficulté : il fallait pouvoir définir exactement qui serait détruit et qui serait épargné. De là ce décompte des grands-parents baptisés qui, en contradiction flagrante avec les théories de la race et du sang, suffirait à en démontrer l’incohérence. Mais il s’agissait bien de logique ! Le démocrate qui se contente de démontrer l’absurdité et l’ignominie du racisme passe comme d’habitude à côté de la question.
Harcelée par le capital, la petite bourgeoisie allemande a donc jeté les Juifs aux loups pour alléger son traîneau et se sauver. Bien sûr, pas de façon consciente, mais c’était cela le sens de sa haine des Juifs et de la satisfaction que lui donnait la fermeture et le pillage des magasins Juifs. On pourrait dire que le grand capital de son côté était ravi de l’aubaine : il pouvait liquider une partie de la petite bourgeoisie avec l’accord de la petite bourgeoisie ; mieux, c’est la petite bourgeoisie elle-même qui se chargeait de cette liquidation. Mais cette façon « personnalisée » de présenter le capital n’est qu’une mauvaise image : pas plus que la petite bourgeoisie, le capitalisme ne sait ce qu’il fait. Il subit la contrainte économique immédiate et suit passivement les lignes de moindre résistance.
Nous n’avons pas parlé du prolétariat allemand. C’est parce qu’il n’est pas intervenu directement dans cette affaire. Il avait été battu et, bien entendu, la liquidation des Juifs n’a pu être réalisée qu’après sa défaite. Mais les forces sociales qui ont conduit à cette liquidation existaient avant la défaite du prolétariat. Elle leur a seulement permis de se « réaliser » en laissant les mains libres au capitalisme.
C’est alors qu’a commencé la liquidation économique des Juifs : expropriation sous toutes les formes, éviction des professions libérales, de l’administration, etc... Peu à peu, les Juifs étaient privés de tout moyen d’existence : ils vivaient sur les réserves qu’ils avaient pu sauver. Pendant toute cette période qui va jusqu’à la veille de la guerre, la politique des nazis envers les Juifs tient en deux mots : Juden Raus ! Juifs, dehors ! On chercha par tous les moyens à favoriser l’émigration des Juifs. Mais si les nazis ne cherchaient qu’à se débarrasser des Juifs dont ils ne savaient que faire, si les Juifs de leur côté ne demandaient qu’à s’en aller d’Allemagne, personne ailleurs ne voulait les laisser entrer. Et ceci n’est pas étonnant, car personne ne pouvait les laisser entrer : il n’y avait pas un pays capable d’absorber et de faire vivre quelques millions de petits bourgeois ruinés. Seule une faible partie de Juifs a pu partir. La plupart sont restés, malgré eux et malgré les nazis. Suspendus en l’air en quelque sorte.
La guerre impérialiste a aggravé la situation à la fois quantitativement et qualitativement. Quantitativement, parce que le capitalisme allemand, obligé de réduire la petite bourgeoisie pour concentrer entre ses mains le capital européen, a étendu la liquidation des Juifs à toute l’Europe Centrale. L’antisémitisme avait fait ses preuves ; il n’y avait qu’à continuer. Cela répondait d’ailleurs à l’antisémitisme indigène de l’Europe Centrale, bien que celui-ci fût plus complexe (un horrible mélange d’antisémitisme féodal et petit-bourgeois, dans l’analyse duquel nous ne pouvons entrer ici).
En même temps la situation s’est aggravée qualitativement. Les conditions de vie étaient rendues plus dures par la guerre ; les réserves des Juifs fondaient ; ils étaient condamnés à mourir de faim sous peu.
En temps « normal », et lorsqu’il s’agit d’un petit nombre, le capitalisme peut laisser crever tout seuls les hommes qu’il rejette du processus de production. Mais il lui était impossible de le faire en pleine guerre et pour des millions d’hommes : un tel « désordre » aurait tout paralysé. Il fallait que le capitalisme organise leur mort.
Il ne les a d’ailleurs pas tués tout de suite. Pour commencer, il les a retirés de la circulation, il les a regroupés, concentrés. Et il les a fait travailler en les sous-alimentant, c’est-à-dire en les surexploitant à mort. Tuer l’homme au travail est une vieille méthode du capital. Marx écrivait en 1844 : « Pour être menée avec succès, la lutte industrielle exige de nombreuses armées qu’on peut concentrer en un point et décimer copieusement. » Il fallait bien que ces gens subviennent aux frais de leur vie, tant qu’ils vivaient, et à ceux de leur mort ensuite. Et qu’ils produisent de la plus-value aussi longtemps qu’ils en étaient capables. Car le capitalisme ne peut exécuter les hommes qu’il a condamnés, s’il ne retire du profit de cette mise-à-mort elle-même.
Mais l’homme est coriace. Même réduits à l’état de squelettes, ceux-là ne crevaient pas assez vite. Il fallait massacrer ceux qui ne pouvaient plus travailler, puis ceux dont on n’avait plus besoin parce que les avatars de la guerre rendaient leur force de travail inutilisable.
Le capitalisme allemand s’est d’ailleurs mal résigné à l’assassinat pur et simple. Non certes par humanitarisme, mais parce qu’il ne rapportait rien. C’est ainsi qu’est née la mission de Joël Brand dont nous parlerons parce qu’elle met bien en lumière la responsabilité du capitalisme mondial [4]. Joël Brand était un des dirigeants d’une organisation semi-clandestine des Juifs hongrois. Cette organisation cherchait à sauver des Juifs par tous les moyens : cachettes, émigration clandestine, et aussi corruption de S.S. Les S.S. du JudenKommando toléraient ces organisations qu’ils essayaient plus ou moins d’utiliser comme « auxiliaires » pour les opérations de ramassage et de tri.
En avril 1944, Joël Brand fut convoqué au Judenkommando de Budapest pour y rencontrer Eichmann, qui était le chef de la section juive des S.S. Et Eichmann, avec l’accord de Himmler, le chargea de la mission suivante : aller chez les Anglo-Américains pour négocier la vente d’un million de Juifs. Les S.S. demandaient en échange 10.000 camions, mais étaient prêts à tous les marchandages, tant sur la nature que sur la quantité des marchandises. Ils proposaient de plus la livraison de 100.00 Juifs dès réception de l’accord, pour montrer leur bonne foi. C’était une affaire sérieuse.
Malheureusement, si l’offre existait, il n’y avait pas de demande ! Non seulement les Juifs, mais les S.S. aussi s’étaient laissés prendre à la propagande humanitaire des alliés ! Les Alliés n’en voulaient pas, de ce million de Juifs ! Pas pour 10.000 camions, pas pour 5.000, même pas pour rien.
Nous ne pouvons entrer dans le détail des mésaventures de Joël Brand. Il partit par la Turquie et se débattit dans les prisons anglaises du Proche-Orient. Les Alliés refusaient de « prendre cette affaire au sérieux », faisaient tout pour l’étouffer et le discréditer. Finalement Joël Brand rencontra au Caire Lord Moyne, ministre d’État Britannique pour le Proche-Orient. Il le supplie d’obtenir au moins un accord écrit, quitte à ne pas le tenir : ça ferait toujours 100.000 vies sauvées :
« - Et quel serait le nombre total ?
Eichmann a parlé d’un million.
Comment imaginez-vous une chose pareille, Mister Brand ? Que ferai-je de ce million de Juifs ? Où les mettrai-je ? Qui les accueillera ?
Si la terre n’a plus de place pour nous, il ne nous reste plus qu’à nous laisser exterminer » [5] dit Brand désespéré.
Les S. S. ont été plus lents à comprendre : ils croyaient eux, aux idéaux de l’Occident ! Après l’échec de la mission de Joël Brand et au milieu des exterminations, ils essayèrent encore de vendre des Juifs au Joint [6], versant même un « acompte » de 1.700 Juifs en Suisse. Mais à part eux personne ne tenait à conclure cette affaire.
Joël Brand, lui, avait compris, ou presque. Il avait compris où en était la situation, mais pas pourquoi il en était ainsi. Ce n’est pas la terre qui n’avait plus de place, mais la société capitaliste. Et pour eux, non parce que Juifs, mais parce que rejetés du processus de production, inutiles à la production.
Lord Moyne fut assassiné par deux terroristes juifs, et J. Brand apprît plus tard qu’il avait souvent compati au destin tragique des Juifs. « Sa politique lui était dictée par l’administration inhumaine de Londres. » Mais Brand n’a pas compris que cette administration n’est que l’administration du capital et que c’est le capital qui est inhumain. Et le capital ne savait pas que faire de ces gens. Il n’a même pas su quoi faire des rares survivants, ces « personnes déplacées » qu’on ne savait ou replacer.
Les Juifs survivants ont réussi finalement à se faire une place. Par la force, et en profitant de la conjoncture internationale, l’État d’Israël a été formé. Mais cela même n’a pu être possible qu’en « déplaçant » d’autres populations : des centaines de milliers de réfugiés arabes traînent depuis lors leur existence inutile (au capital !) dans les camps d’hébergement .
Nous avons vu comment le capitalisme a condamné des millions d’hommes à mort en les rejetant de la production. Nous avons vu comment il les a massacrés tout en leur extrayant toute la plus-value possible. Il nous reste à voir comment il les exploite encore après leur mort elle-même.
Ce sont d’abord les impérialistes du camp allié qui s’en sont servis pour justifier leur guerre et justifier après leur victoire le traitement infâme infligé au peuple allemand. Comme on s’est précipité sur les camps et les cadavres, promenant partout d’horribles photos et clamant : voyez quels salauds sont ces Boches ! Comme nous avions raison de les combattre ! Et comme nous avons raison maintenant de leur faire passer le goût du pain ! Quand on pense aux crimes innombrables de l’impérialisme ; quand on pense par exemple qu’au moment même (1945) où nos Thorez chantaient leur victoire sur le fascisme, 45.000 Algériens (provocateurs fascistes !) tombaient sous les coups de la répression ; quand on pense que c’est le capitalisme mondial qui est responsable des massacres, l’ignoble cynisme de cette satisfaction hypocrite donne vraiment la nausée.
En même temps tous nos bons démocrates antifascistes se sont jetés sur les cadavres des Juifs. Et depuis ils les agitent sous le nez du prolétariat. Pour lui faire sentir l’infamie du capitalisme ? Non, au contraire : pour lui faire apprécier par contraste la vraie démocratie, le vrai progrès, le bien-être dont il jouit dans la société capitaliste ! Les horreurs de la mort capitaliste doivent faire oublier au prolétariat les horreurs de la vie capitaliste et le fait que les deux sont indissolublement liées ! Les expériences des médecins S.S. doivent faire oublier que le capitalisme expérimente en grand les produits cancérigènes, les effets de l’alcoolisme sur l’hérédité, la radio-activité des bombes « démocratiques ». Si on montre les abat-jour en peau d’homme, c’est pour faire oublier que le capitalisme a transformé l’homme vivant en abat-jour. Les montagnes de cheveux, les dents en or, le corps de l’homme mort devenu marchandise doivent faire oublier que le capitalisme a fait de l’homme vivant une marchandise. C’est le travail, la vie même de l’homme, que le capitalisme a transformé en marchandise. C’est cela la source de tous les maux. Utiliser les cadavres des victimes du capital pour essayer de cacher la vérité, faire servir ces cadavres à la protection du capital c’est bien la plus infâme façon de les exploiter jusqu’au bout.

Notes
[1] Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix.
[2] Citations tirées des manuscrits de 1844.
[3] Le commerce, et surtout le commerce de l’argent, était étranger au schéma fondamental de la société féodale, et rejeté sur des gens en dehors de cette société, généralement les Juifs. L’ostracisme qui les frappait traduisait la tentative du féodalisme de maintenir ces activités dont il ne pouvait déjà plus se passer en marge de la société. Mais le commerce et l’usure étaient les formes primaires du capital : la haine des Juifs exprimait de façon mystifiée et inadéquate la résistance que les classes de la société féodale, du paysan au hobereau en passant par l’artisan des guildes et le clergé, opposaient au développement irrésistible du mercantilisme qui dissolvait leur ordre social. Même après l’essor du capitalisme productif et de la grande industrie la tradition « populaire » petite-bourgeoise a souvent continué à identifier le Juif et le Capital.
[4] Voir : L’ Histoire de Joël Brand par Alex Weissberg : Editions du Seuil
[5] In L’Histoire de Joël Brand. op. cit.
[6] Joint Jewish Comitee, Organisation des Juifs Américains.

Messages

  • Samuel Willenberg, dernier survivant de la révolte de déportés dans le camp de la mort nazi de Treblinka (Pologne, août 1943), est mort à l’âge de 93 ans et sera enterré lundi, a indiqué dimanche Yad Vashem, le mémorial de l’Holocauste à Jérusalem.

    Déporté à l’âge de 19 ans, Samuel Willenberg était né en Pologne. Il a été un des instigateurs de la révolte de Treblinka, une des rares qui se soient produites dans les camps d’extermination durant la seconde guerre mondiale. Avec 200 autres déportés, il était parvenu à s’échapper après avoir mis le feu à une partie du camp avant de se précipiter en masse vers la clôture électrique sous le feu des nazis qui ont tué la plupart d’entre eux. Samuel Willenberg, bien que blessé à la jambe, a survécu.

  • La révolte de Sobibor éclate en octobre 1943. On ne compte que peu d’évasions à Sobibor en comparaison de Treblinka. Le camp est conçu de telle manière qu’il décourage toute fuite. Quelques tentatives d’émeutes et d’opposition viennent des nouveaux arrivés, mais sans résultats tangibles.

    Comme à Treblinka, les prisonniers sont concentrés dans deux sections et savent qu’ils seront éliminés tôt ou tard.

    En juillet 1943, un réseau clandestin se forme et prépare des troubles de grande envergure autour de Léon Feldhendler. Sur les six cents prisonniers juifs, hommes et femmes, seule une quarantaine fait partie de l’organisation. Le plan veut exploiter la nuit, en creusant un tunnel tout en éliminant les SS attirés dans les différents ateliers.

    Pour mener des tentatives d’évasions collectives, les prisonniers organisés doivent résoudre le problème du minage disposé autour du camp. Un des objectifs prioritaires sera donc d’entrer en contact avec des militaires, spécialistes des affaires de déminage. Un officier hollandais, Joseph Jacob, est le premier contact de ce genre. Il réunit autour de lui un groupe hollandais qui établit le déroulement des opérations en collaboration avec le groupe de Feldhendler. Des Ukrainiens se joignent à la révolte.

    Les prisonniers se préparent à pénétrer dans le dépôt d’armes, pendant que les SS sont dans leur salle à manger. Ils cherchent à créer une percée à travers l’entrée principale du camp et à s’enfuir dans les forêts avoisinantes, mais le plan échoue. Jacob est arrêté, exécuté ainsi que soixante-douze autres Juifs hollandais.

    L’arrivée, en septembre 1943, d’un groupe de prisonniers de guerre russes et juifs, venant de Minsk, marque le tournant de l’organisation du réseau. Parmi les nouveaux, Alexandre Petchersky 16, surnommé « Sacha », capitaine de l’armée rouge, s’affirme comme le chef de ce groupe. Feldhendler prend contact avec lui et les relations se créent bientôt entre les anciens prisonniers qui connaissent l’endroit et le groupe de soldats entraînés.

    Le programme est mis au point en coopération avec les kapos juifs du camp qui demandent à se joindre à l’organisation. Les kapos doivent faire un rassemblement de prisonniers et les mener en rang jusqu’à l’entrée du camp, tout en donnant à cette démarche un caractère officiel suivant les instructions du jour.

    L’émeute est déclenchée 14 octobre 1943. Onze SS sont tués sans un coup de feu, et parmi eux, Neumann le commandant du camp. Les fils de téléphone et d’électricité sont débranchés, les véhicules sont sabotés. Mais à cause d’un incident, la marche vers le portail se transforme en champ de tirs. Nombre de prisonniers se dirigeant vers le champ de mines sont tués dans l’explosion. Sur les six cents prisonniers, trois cents réussissent à franchir les barbelés et à s’enfuir.

    La révolte de Sobibor et les pertes qu’elle coûta aux SS feront une grande impression. Les SS composent une unité spéciale chargée de traquer les fugitifs. Sobibor est relativement proche des forêts, et cet élément est favorable aux évadés. Piechersky et ses hommes traversent le Bog à l’est et se joignent aux partisans russes. Plus tard, Piechersky publiera ses mémoires 17, et relatera la période au camp, l’organisation et la réalisation du plan de fuite.

    Feldhendler sera tué en avril 1945, par des Polonais qui assassinent des rescapés.

    Cette révolte organisée fut l’une des trois qui éclatèrent dans les camps d’extermination, avec celle de Treblinka le 2 août 1943 et celle du Sonderkommando de Birkenau le 7 octobre 1944.

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