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Mondialisation, financiarisation, guerre permanente, le néo-impérialisme

mercredi 26 mars 2008, par Robert Paris

"Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat.
Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession, jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront, sans maison et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquis."

Thomas Jefferson 1802

Thèses du site "Matière et révolution" sur la crise actuelle

1- Il n’y a aucune origine accidentelle à la crise actuelle. Pour les capitalistes, loin d’être une surprise, elle est une catastrophe annoncée. C’est seulement pour le grand public, et particulièrement pour les travailleurs, qu’elle est tout ce qu’il y a de plus étonnant : le système qui domine le monde, sans une puissance capable de le renverser, sans une classe sociale qui semble lui contester ce pouvoir, est en train de s’effondrer et de se détruire lui-même.

2- Ce n’est pas une crise conjoncturelle. Ce n’est pas une crise américaine. Ce n’est pas une crise immobilière. Ce n’est pas une crise financière. Ce n’est pas une crise bancaire. Ce n’est pas une crise pétrolière. Ce n’est pas une crise de confiance. Ce n’est pas une crise inflationniste. Ce n’est pas une crise inflationniste. Ce n’est pas une crise de l’endettement. Ce n’est pas une crise due à une simple récession. Bien sûr, il y a tout cela à la fois mais cela n’explique pas le fondement de la crise. C’est le système capitaliste tout entier qui est en crise. Le terme « systémique » pour caractériser la crise signifie que c’est le fondement, le principe même, du capitalisme qui est mort.

3- C’est l’accumulation du capital qui ne peut plus fonctionner. Et ce pour une raison simple. Le mécanisme d’accumulation du capital a atteint sa limite.

4- Cela signifie que le capitalisme n’a pas subi une maladie, ni un défaut, ni un comportement défaillant de tels ou tels de ses acteurs. Non, le capitalisme meurt parce qu’il a été au bout de ses possibilités. C’est son succès lui-même qui provoque sa fin. Il n’y a pas moyen d’inventer suffisamment d’investissement vu la quantité de capitaux existant dans le monde. Tous les cadeaux des Etats et des banques centrales au capital ne peuvent qu’être des palliatifs d’une durée de plus en plus limitée.

5- L’accumulation du capital est le but même de la société capitaliste. Produire, exploiter, vendre des marchandises, tout cela n’est qu’un moyen. Faire de l’argent, s’enrichir n’est aussi qu’un moyen. Le but même est de transformer cet argent en capital, c’est-à-dire trouver les moyens de l’investir et de lui faire rendre du profit, lequel profit doit lui-même encore être investi.

6- C’est ce mécanisme qui ne fonctionne plus. Il n’est pas grippé. Il n’est pas menacé. Il est mort. Il a été maintenu en survie pendant un temps déjà très long par des mécanismes financiers et eux-mêmes viennent d’atteindre leurs limites. On ne peut pas maintenir le mourant tellement longtemps même en inventant de nouvelles techniques de survie artificielle. Bien entendu, aujourd’hui tout le monde accuse le système financier et ses « folies », mais c’est oublier que ce sont ces prétendues folies, des politiques pratiquées parfaitement consciemment, qui ont permis au système de perdurer au-delà de ses limites.

7- Les guerres locales comme celles d’Irak, celle d’Afghanistan, mais aussi de Yougoslavie et du Timor ont été aussi des moyens de faire durer le système. Mais, là aussi, les limites sont atteintes.

8- Quel moyen aurait le système de se redresser vraiment ? Celui de détruire une très grande partie des richesses et des marchandises accumulées. Il ne lui suffit pas de détruire les richesses fictives de la finance. Il lui faut, pour repartir, détruire une partie de la planète comme il l’a déjà fait, dans des circonstances semblables, lors de deux guerres mondiales.

9- De là découle l’alternative pour les classes ouvrières et les peuples. Entre le Capital et le Travail, il y a maintenant une question de vie ou de mort. Même si la classe ouvrière ne souhaite pas consciemment se préparer au renversement définitif du système et à la fondation d’une société reposant sur la satisfaction des besoins collectifs des peuples de la planète, c’est le capitalisme lui-même qui va la contraindre à choisir.

10- Les mécanismes politiques et sociaux de domination sont désormais dépassés. On va voir du nouveau. Les « démocraties » occidentales vont montrer toute leur barbarie aux populations qui y sont le moins préparées : celles de leurs propres pays. Les dictatures, les fascismes vont revenir au goût du jour.

11- Il est urgent de préparer l’avant-garde aux situations à venir. Il n’y a rien de plus urgent que de comprendre la crise actuelle et ses conséquences et de les faire comprendre autour de nous. Ce qui est à l’ordre du jour n’est pas seulement de se défendre contre des attaques. C’est de se défendre contre une attaque idéologique de grande ampleur. Les gouvernants vont tâcher de donner leur propre interprétation des événements pour nous convaincre qu’eux seuls peuvent faire revenir l’époque passée. Ils mentent. Elle ne peut pas revenir. Ils vont chercher ainsi à nous empêcher de nous organiser entre nous pour comprendre, discuter et répondre aux situations. La crise de confiance des peuples dans le système est dangereuse si les opprimés, si les peuples se mettent à s’organiser, et déjà à se réunir pour confronter les points de vue, pour donner leurs avis sur la signification de ce qui se passe et sur les moyens d’y faire face.

12- Ce que souhaite la classe dirigeante, c’est que chacun se retrouve face à ses peurs, face aux problèmes matériels touchant sa vie, celle de sa famille, et se demande seulement quel dirigeant bourgeois va pouvoir le sauver. Des sauveurs suprêmes, des Hitler ou des chefs civils ou militaires dictatoriaux prétendant tenir la solution, on va en voir défiler. La première des tromperies qui va se présenter à nous sera celle des réformistes de tous poils qui auront quantité de prétendues solutions pour sauver à la fois le système et la population. Le seul effet de leurs discours sera de démobiliser les opprimés et d’éviter tout risque révolutionnaire aux exploiteurs afin de leur permettre de préparer leurs vraies solutions violentes : dictatures et guerres. D’avance il faut se préparer à n’avoir confiance qu’en nous-mêmes.

13- Au lieu de se protéger, ce qui ne sera pas possible, il faut saisir l’occasion. Le capitalisme est atteint dans ses fondements. Profitons-en pour en finir avec ce système d’exploitation. Nous sommes des millions de fois plus nombreux que les exploiteurs et bien plus forts que le système si nous en sommes conscients. La fin du capitalisme ne sera une catastrophe et un recul massif que si nous nous contentons de nous défendre, catégorie par catégorie, pays par pays, groupe social par groupe social. Cela peut être le prélude d’une avancée historique de l’humanité si nous décidons d’en finir avec l’esclavage salarié.

SITE :
MATIERE ET REVOLUTION
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Un néo-impérialisme dit « néo-libéral »

Un tournant mondial, à la fois économique, politique et militaire

Il est nécessaire d’établir la liaison entre les divers éléments du tournant de 1985-90 : politiques, sociaux, économiques et même militaires ainsi que leurs liens avec les éléments qui ont marqué la situation précédente. Cela signifie relier la mondialisation, la libéralisation, la fin de la politique des blocs, la fin de l’apartheid, le désamorçage de multiples situations sociales et politiques explosives, la fin de la guerre russe d’Afghanistan, la fin du soutien massif des USA à l’expansion de l’islamisme saoudien, la nouvelle domination mondiale du capital US, la nouvelle politique guerrière de l’impérialisme US, etc… Tous ces éléments, qui font de 1985 un véritable tournant mondial, ne doivent pas être étudiés séparément car ils sont indissociables. La définition de la nouvelle politique de l’Etat américain n’est que le lien le plus évident, mais il y en a bien d’autres qui concernent l’ensemble de la planète. Cette nouvelle politique n’a pas fait que ramener l’hégémonie américaine qui était remise en question. Elle a permis un nouveau développement économique mondial. Et elle a permis de désamorcer des situations sociales et politiques explosives et potentiellement révolutionnaires. Elle est donc liée à la lutte des classes et à la déstabilisation du système capitaliste que posaient ces crises (crise sociale et politique en Iran en 1979, en Corée du sud, en Turquie, en Pologne, au Brésil en 1980).
Etablir ces liens suppose de constater dans quel état se trouvaient ces diverses situations dans la période précédente : sortie calamiteuse des USA de son intervention au Vietnam et en Indochine empêchant toute intervention militaire directe, reconnaissance de la Chine et reconnaissance de son rôle régional, nécessité de trouver de nouvelles solutions suite à la crise du dollar et à la crise du pétrole des années 70, perte de rôle dirigeant et de dynamisme sur le plan économique du capital américain face à l’Europe et au Japon, usure de la politique des blocs marquée notamment par le développement de luttes sociales dans les pays piliers des deux blocs, est et ouest, usure de la politique de confinement des bourgeoisies du tiers-monde dans une économie autocentrée, usure de l’ensemble de la dynamique économique mondiale. Face à toutes ces contradictions du système capitaliste, le prolétariat mondial menaçait de se redresser au travers de grandes luttes sociales et politiques et d’apparaître pour ce qu’il est mondialement : une véritable alternative à la domination capitaliste. Telle était alors la question et nous allons voir comment s’est développée la réponse : la nouvelle politique mondiale de l’impérialisme et sur quelles forces elle s’est appuyée. Il convient en effet de parler de « politique » de l’impérialisme car aucun des changements majeurs de cette période ne s’est fait spontanément ou par une évolution (économique ou sociale) de la société. La financiarisation, la déréglementation, la mondialisation ne sont pas des évolutions économiques spontanées. La finance n’a pas dominé les Etats. Les bourgeoisies des pays « émergents » ne se sont pas imposées au marché mondial. Les bureaucraties de l’Est n’ont pas été indépendantes dans leur décision de réintégrer le giron du marché mondial. Sur tous ces points, c’est l’impérialisme qui a tranché et, en particulier, l’impérialisme dominant, celui des USA.

Les causes du grand tournant du milieu des années 80
La mondialisation a été un grand tournant de la politique économique de l’impérialisme. L’un des éléments clef a été la réintégration des pays de l’Est dans le marché mondial. Un autre point fondamental a été l’ouverture des marchés des zones protégées des divers pays impérialistes concurrents des USA. En ce sens, le changement du milieu des années 80 va complètement à rebours de l’ordre mis en place en 1945-47 : la politique des blocs et l’exclusion du marché mondial des bourgeoisies du tiers-monde. La politique impérialiste de l’après deuxième guerre mondiale consistait, au contraire, dans une fermeture du monde : deux blocs (est et ouest), des protections d’Etat, des nationalismes étatistes pour répondre aux aspirations des peuples, donc des frontières partout. Il convient de rappeler que l’ordre mondial de 1945 découlait des menaces que représentaient les classes ouvrières et les peuples dans cet après-guerre. Le nouveau changement de 1985, quarante ans après, est fondamentalement marqué par une préoccupation similaire.
La lutte des travailleurs d’Afrique du sud face à une dictature apparemment irréformable a non seulement menacé de révolution prolétarienne la bourgeoisie du pays le plus riche d’Afrique mais l’ensemble du continent. La lutte des travailleurs polonais des années 1970-80 a remis sur le devant de la scène politique le prolétariat dans les « démocraties populaires ». Il est clair, dans les pays de l’Est, que le danger était grand que la classe ouvrière, suivant l’exemple des travailleurs polonais, se porte à la tête de la contestation des dictatures prétendument socialistes, et ne se contente pas, comme en Pologne, de contester le pouvoir mais aille jusqu’à les renverser. En URSS même, le danger d’un mouvement de ce type était particulièrement grand. L’absence d’une bourgeoisie capable de contrebalancer un prolétariat nombreux et concentré, l’usurpation du pouvoir ouvrier fondé par la révolution d’octobre 1917, les manœuvres de la bureaucratie pour s’approcher de l’impérialisme en rendant le régime insupportable afin de faire accepter le changement, la mise en coupe réglée du pays par des brigands liés aux bureaucrates de chaque région, tout cela rendait particulièrement dangereux toute montée de luttes ouvrières au pays de naissance du stalinisme. Comme le montrera la révolte de Tienanmen en 1989 dans laquelle la classe ouvrière, durement frappée par le « grand bond », s’est mobilisée aux côtés des étudiants, la Chine n’était pas à l’abri d’un tel risque et le prolétariat y était également une force menaçante et particulièrement dangereuse dans tous les pays qui maintenaient le grand écart entre les mensonges d’un pouvoir prétendument prolétarien, en réalité violemment hostile au prolétariat. C’est pour cela que les dirigeants chinois étaient particulièrement désireux que les dirigeants hongrois et russes écrasaient la révolution ouvrière de Hongrie en 1956. C’est en effet en 1956 que la classe ouvrière des pays de l’Est, alors que les bureaucraties envisageaient déjà la réintégration dans le giron impérialiste, avait représenté une menace. Ces dangers prolétariens à l’Est ne menaçaient pas seulement les bureaucraties d’Etat de ces pays, mensongèrement appelés « socialistes », mais aussi et surtout l’impérialisme. La réintégration des pays de l’Est, à commencer par l’URSS, dans le marché mondial avait été envisagée en 1956 à l’époque de Krouchtchev. L’impérialisme avait donné son feu vert à une démarche prudente et progressive pour vérifier que la classe ouvrière, en particulier celle d’URSS, n’en profiterait pas pour se révolter. L’expérience avait été négative : la bureaucratie avait été d’accord avec l’impérialisme pour estimer que, face à la révolution prolétarienne en Hongrie avec constitution de soviets révolutionnaires en armes, à la montée ouvrière en Pologne et aux révoltes en URSS même (dans les camps du goulag ou en Géorgie, par exemple), il n’était pas encore temps de lever la chape de plomb du stalinisme. L’impérialisme s’était bien gardé de jeter de l’huile sur le feu des révoltes ouvrières de 1956, en Hongrie et en Pologne. Loin de continuer à pousser l’URSS vers la réintégration au marché mondial, il avait accompagné le retrait des avancées de Krouchtchev vers le « monde libre » et n’avait nullement fait payer à l’URSS le tournant marqué par la mise à l’écart de Krouchtchev. Contrairement aux apparences, l’impérialisme n’avait rien à gagner que des luttes ouvrières dévoilent les mensonges du faux socialisme, lui qui avait été le principal bénéficiaire de ce mythe. C’est bel et bien l’impérialisme qui, par la politique des blocs, avait tenu à présenter les régimes staliniens comme les représentants du communisme prolétarien afin de détourner les véritables risques prolétariens et communistes, que ce soit à la fin de la deuxième guerre mondiale ou lors des luttes de la décolonisation. Il faut rappeler que la politique des blocs n’était nullement le produit d’un effort de remise en cause de l’ordre capitaliste qui serait venu de l’Est, d’un « communisme » ou d’un « socialisme » qui aurait menacé le capitalisme. Lorsque l’impérialisme a livré la moitié de l’Europe et la moitié de l’Asie au camp stalinien, il y avait belle lurette que le régime de Russie ne faisait plus peur au capitalisme puisqu’il n’avait plus rien à voir avec le communisme et en était même un ennemi violent. C’est l’impérialisme US qui avait choisi de pactiser avec la bureaucratie du Kremlin, se fondant essentiellement sur une même haine du prolétariat et des risques du prolétariat communiste. C’est lui qui, à la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945, lui avait proposé, à Yalta, de jouer conjointement les gendarmes du monde contre les risques révolutionnaires de l’après-guerre. Les staliniens avaient parfaitement joué leur rôle à cette époque, pour écraser, détourner, tromper toutes les luttes risquant de prendre un tour insurrectionnel. Si la fin des années 80 a permis de réaliser ce changement, c’est qu’au milieu des années 80 l’impérialisme, lui aussi, avait besoin de changer sa méthode de domination du monde pour mieux en maintenir l’essentiel. Si l’impérialisme a choisi d’en finir avec la politique des blocs (est/ouest) ce n’est pas parce que cette politique le menaçait mais parce que sa capacité à détourner les luttes ouvrières commençait à s’user et que cette politique avait des effets pervers qui devenaient particulièrement dangereux. La politique des blocs supposait le soutien de régimes réactionnaires aux quatre coins de la planète, des régimes qui avaient commencé à s’effriter dangereusement. Elle imposait à la bourgeoisie US de ne pas s’attaquer à la mainmise des autres pays impérialistes sur leur zone protégée sous prétexte que ces pays faisaient partie du même bloc. Or, l’évolution de la situation économique et des rapports de force exigeait de remettre en question ces privilèges. Et surtout, la lutte des classes et les luttes de peuples n’étaient plus suffisamment canalisées par la politique des blocs. L’impérialisme US, face au développement de ses contradictions, avait donc besoin d’une nouvelle manière de gérer les contradictions mondiales.
Et d’abord la principale de ces contradictions : celle entre le Capital et le Travail. A la fin des années 70 et au début des années 80, en même temps que les combats prolétariens à l’Est, se déroulaient des luttes ouvrières dans le monde dit « libre » : en Turquie, en Corée du sud et en Afrique du sud, par exemple. Le monde a eu les yeux fixés sur les mines d’or d’Afrique du sud comme sur les Chantiers de la Baltique ou sur la grève de Daewoo, ou sur la commune insurrectionnelle de Kwangju de Corée du sud. Le plus gênant pour l’impérialisme, c’est que les pays piliers de la politique des blocs, dans le camp de l’Ouest, sont le plus déstabilisés par des révoltes et révolutions, autant que ceux des pays de l’Est. Des régimes soutenus par l’impérialisme, armés par lui, présentés comme des vitrines des USA dans la région, sont renversés successivement, comme l’Iran du Shah, l’Ethiopie de l’empereur Haïlé Sélassié, et que d’autres comme l’Afrique du sud de l’Apartheid, le Zaïre de Mobutu, la Turquie ou la Corée du sud sont menacés.
C’est d’abord cette situation explosive, ou du moins déstabilisée, qui va amener l’impérialisme à un changement du mode d’organisation des rapports mondiaux, changement qui ne se résume pas à une ouverture des pays de l’Est vers le monde capitaliste. Le tournant de la politique impérialiste appelé « chute du mur de Berlin » est également caractérisé par ce que l’on a appelé « la mondialisation » et qui est un important changement de la politique économique mondiale, notamment caractérisé par une certaine ouverture du marché international aux bourgeoisies du tiers-monde. Cela ne va pas se faire d’un seul coup mais en plusieurs étapes radicales. A la finale, on trouvera non seulement une grande partie des produits industriels sortis des pays anciennement « sous-développés », mais surtout des trusts mondiaux avoir pour base ces pays et des capitaux de ces pays investis massivement dans les pays riches, dont les USA. Bien entendu, ce ne sont pas ces bourgeoisies de l’ancien « tiers monde » qui ont été capables par elles-mêmes de s’imposer sur le marché mondial en concurrençant les USA. C’est, au contraire, l’impérialisme US qui a choisi de leur permettre d’accéder au marché mondial alors que, jusqu’en 1985, il était impossible à leur production nationale d’accéder à ce marché et à leurs capitaux de prendre la tête de trusts mondiaux. La raison de ce changement n’est bien évidemment pas à chercher dans une quelconque volonté d’équité de la bourgeoisie mondiale. C’est l’intérêt de la plus grande des bourgeoisies impérialistes, celle des USA, qui l’a encore fois emporté dans cette nouvelle politique économique mondiale. Il s’agissait de permettre à la grande bourgeoisie du tiers-monde d’accéder au top niveau afin de résoudre ainsi les problèmes internes de l’impérialisme US, en particulier sa perte graduelle de position dominante sur le terrain économique. La crise du début des années 70 est le produit de la méthode exclusivement monétaire (les échanges internationaux se font en dollar) de faire payer au monde, par l’inflation américaine, les dépenses de la bourgeoisie américaine pour maintenir sa domination sur le monde (par exemple les dépenses de la guerre du Vietnam et celles de la course aux armements). La crise du dollar de 1970 en est le résultat. Mais cette méthode, le dollar fort, a pour effet pervers de défavoriser la production des USA sur le marché mondial, poussant en avant les concurrents, l’Europe et le Japon, qui ne cessent alors de gagner des part de marché. Concurrencée sur le marché mondial par les autres bourgeoisies impérialistes, la bourgeoisie US a repris la main en ouvrant le marché mondial et en portant la concurrence à une nouvelle échelle. Il a investi massivement ses capitaux dans des pays neufs, augmentant ainsi la productivité de son capital quitte à aggraver son déficit national, commercial et financier. L’objectif, dans les pays « émergents » n’a pas été de développer ces pays, d’y supprimer la misère ou d’y construire des économies prospères et des sociétés du même type que celles du monde occidental. La fin des blocs et l’ouverture économique n’ont pas supprimé les contradictions principales du système. Au contraire, ces réformes visaient à conserver l’essentiel : la division en classes du monde et la domination impérialiste fondée sur une fraction de plus en plus réduite de possédants. Des pays pauvres ont connu une forte croissance mais, grâce à la dette, à la mainmise de la finance, au contrôle des institutions internationales, leur dépendance des pays impérialistes est plus grande que jamais.
Le tournant mondial de la politique impérialiste a également permis de désamorcer les points les plus chauds des luttes sociales et des luttes des peuples. Une nouvelle fois, l’impérialisme a bénéficié de l’aide du stalinisme pour stabiliser le monde. L’Afrique du sud en est l’exemple le plus marquant, l’aide de Gorbatchev et de l’Etat russe ayant été déterminante pour obtenir du Parti communiste sud-africain et de l’ANC leur accord pour éviter la révolution prolétarienne qui faisait plus que menacer et avait même commencé à exploser.

La principale cause du tournant : crise des années 70
« La crise actuelle est-elle la répétition de celle de 1929 ? » de Robert Boyer
article pour le n°8206 de la revue du Cepremap (centre d’études prospectives d’économie) :
« Lors des années vingt, la forte croissance de l’économie repose sur un boom de l’accumulation portant de façon privilégiée sur la section des moyens de production. Quant à la croissance de l’emploi, elle est dans sa quasi-totalité dépendante du succès de l’accumulation puisqu’elle est uniquement le fait de la section 1. La crise de 1929 apparaît donc comme une crise de suraccumulation dans la section 1, ce qui explique que, de 1929 à 1938, la chute de l’accumulation, différentiellement plus marquée dans la section 1, impose le retour à une relative cohérence des deux sections mais au prix d’une contraction cumulative de la production et de l’emploi. A l’opposé, à partir de la fin des années cinquante, l’accumulation se porte simultanément sur les deux sections, signe d’une forme nouvelle d’articulation entre les conditions de production – tout particulièrement dans la section 2, initialement retardataire par rapport aux normes américaines – et les conditions de vie des salariés. (…) Dans la crise actuelle – tout comme de 1930 à 1938 – la montée du chômage ne dérive pas de désajustements conjoncturels, mais bien de l’arrivée aux limites d’un régime d’accumulation – lui-même conséquence d’un ensemble de formes structurelles ou institutionnelles originales. (…)
Le mode de croissance de l’après seconde guerre (…) a buté aux Etats-Unis depuis le milieu des années soixante (…) sur les limites de l’approfondissement de la division sociale et technique du travail, hypothéquant la poursuite des gains de productivité élevés, base sur laquelle repose la stabilité du mode de croissance due en particulier à la complémentarité salaire-profit d’une part, consommation et investissement de l’autre. (…) Aux Etats-Unis dans le milieu des années soixante se manifeste un problème majeur de productivité industrielle, que ces difficultés naissent du caractère de plus en plus coûteux du développement des forces productives ou des luttes des travailleurs (…). Si la crise de 1929 était marquée par l’incompatibilité entre un taux de profit – trop haut – et des perspectives de réalisation – insuffisantes du fait même du niveau du taux de profit -, la dynamique à l’œuvre après 1945 se manifeste au contraire par une très grande régularité de la croissance qui conserve jusqu’en 1973 un niveau élevé. (…) C’est l’ensemble des formes institutionnelles, d’un régime d’accumulation intensive centrée sur la consommation de masse et d’une régulation dite « monopoliste » qui entre en crise au début des années soixante-dix. (…) Apparemment, les années 1930-1931 d’une part, 1974-1975 de l’autre, font apparaître une étonnante similitude quant à la contraction de la production industrielle et du PIB (environ – 11% pour la première, – 4% pour la seconde). De la même façon, l’investissement se contracte massivement bien qu’à un rythme moindre en 1975 (- 7% contre – 15%). De fait, au-delà de ces similitudes, on enregistre deux différences fondamentales :

 Après la chute de la production pendant quatre trimestres, le mouvement se renverse au milieu de l’année 1975 alors que la dépression ne cesse de s’approfondir jusqu’en 1932 ;

 Au cours des deux années sous revue, une différence fondamentale tient à l’opposition entre une déflation qui va s’approfondissant (respectivement
–2,8% et -7,5% de chute des prix à la consommation en 1931 puis 1932) et la poursuite de l’inflation à un rythme élevé peu affecté par l’ampleur de la récession (10,9% et 9,6% par an en 1975 et 1976). (…)
Si la récession (des années soixante-dix) s’arrête au bout de quatre trimestres, c’est pour l’essentiel du fait de la poursuite d’une forte croissance de la consommation des ménages (+ 4,2% par an) alors qu’au contraire elle avait chuté de 1930 à 1931 (-5,1%). Ainsi s’explique qu’après une première année de réduction de l’investissement, ce dernier se remette à croître légèrement, du fait des pressions qu’exerce la demande finale sur les capacités de production d’abord dans le secteur des moyens de consommation et par extension dans celui des moyens de production. Enfin, la reprise de la croissance des exportations au milieu de l’année 1975 s’oppose à l’effondrement qui survient de 1931 à 1932, lui-même conséquence de la montée du protectionnisme et de la dislocation des relations internationales qui marquent les années trente. (…) Le contraste entre l’effondrement de la consommation dans les années trente (son taux annuel de variation passe de 2,3% à – 3,8% après 1930) et la très légère décélération après 1974 (de + 4,9% à + 3,6% par an) est frappant (…)
La crise actuelle trouve son origine dans le divorce entre un niveau de taux de profit trop bas et la poursuite d’une croissance des débouchés de moyens de consommation, impulsée par le rapport salarial, dans un premier temps tout au moins. Dans un second temps, le blocage de l’accumulation a pour conséquence de réduire le dynamisme de la consommation, crise liée à l’insuffisance de la rentabilité et récession dérivant de la contraction de la demande effective cumulant leurs effets. Tout le problème est alors celui du relèvement du taux de profit. (…)
Il est clair que la complexité de ce réseau de contradictions marque l’arrivée aux limites du mode de développement lui-même et non pas un « dérèglement passager ». (…) Quelles qu’en soient les causes (suraccumulation liée à la montée de la composition technique ou à une croissance « disproportionnée », conséquence de la spéculation financière, …), les crises trouvent leur origine dans une baisse du profit qui, contractant l’accumulation, déclenche une chute de la production, donc de l’emploi. La reprise intervient lorsque les faillites industrielles et bancaires et le chômage induisent un relèvement du profit suffisant pour enclencher une nouvelle phase d’expansion, initiée par la restauration des bases de l’accumulation (abondance des réserves de main d’œuvre, salaires bas, possibilités de crédit … donc haut niveau du taux de profit). (…)
Une crise cyclique correspond à un épisode de chute de la production, d’effondrement de l’accumulation, de faillites industrielles et bancaires selon un mouvement assurant la reconstitution quasi automatique des bases d’une reprise de la croissance à formes institutionnelles globalement inchangées. A l’opposé, une crise structurelle, ou grande crise, désigne un épisode au cours duquel la dynamique de la reproduction économique entre en contradictions avec les formes sociales et institutionnelles sur la base desquelles elle opère. »

Une sortie de la crise à la charnière des années 70-80
et des contradictions impérialistes et inter-impérialistes

La nouvelle politique économique recherchait trois objectifs qu’elle a, pour l’essentiel atteint : relance de l’économie mondiale, redressement des profits américains dans la concurrence mondiale, surexploitation du prolétariat mondial, intégration de la bourgeoisie du Tiers-Monde aux objectifs de l’impérialisme. Ce n’est pas un pays ou un autre qui a pris le tournant en 1980, qu’il s’agisse d’un pays impérialiste, d’un pays riche ou moyen, ou encore d’un pays sous-développé. Tous les gouvernants de la planète ont lancé des nouveaux plans économiques. Dans les pays riches, les investissements financiers ont pris un tour nouveau. Dans les pays pauvres condamnés jusque là à un étatisme nationaliste fondé sur l’autarcie ou pas loin est supprimé et remplacé par l’ « ouverture économique », que ce soit celle de Turgut Özal en Turquie ou celle de Chadli en Algérie.

1°) Relancer l’économie américaine comme base de la relance mondiale

La bourgeoisie américaine et son Etat vont, en 1980, prendre la tête d’un changement global qui a pour but de résoudre les difficultés économiques, sociales et politiques que connaît la bourgeoisie mondiale et l’impérialisme et, bien entendu, ils vont le faire d’abord au profit du capital américain. La super-puissance américaine est la première visée par la crise qui frapper l’économie capitaliste à la fin des années 70 et au début des années 80. Elle perd des parts de marché, son leadership en termes de taux de croissance, de taux d’exploitation, de productivité du travail au profit du Japon et de l’Europe notamment. L’intervention américaine pour la domination impérialiste sur le monde représente un coût qui grève le budget américain. Il en résulte de nombreuses faiblesses de l’économie et de l’Etat américain que celui va transformer en instruments de supériorité de par une nouvelle politique mondiale. Il va, du coup, redresser l’ensemble de l’économie capitaliste.
Au sein du monde impérialiste, ces modifications qui visaient à préserver la domination de l’impérialisme américain ont porté leur fruit. En 1980, le taux de profit de l’économie privée est au plus bas de toute la période 1950-2000 : à 12% à la fois pour les Etats-Unis et pour l’Europe (sources BEA). Il n’avait cessé de baisser depuis 1965 et n’a cessé de monter depuis. On voit là un des premiers effets de la nouvelle politique et qui était, évidemment, un des premiers buts de cette politique.
Comme l’écrivent Mamadou Camara et Pierre Salama dans « La finance mondialisée », ouvrage collectif sous la direction de François Chesnais, « La sortie de crise des années 1980 a été permise grâce à une libéralisation soudaine et brutale de l’ensemble des marchés. L’inflation a été stoppée, la croissance a pu reprendre. »
En Europe, aussi, ces politiques ont entraîné une remontée des profits en même temps qu’une chute des investissements productifs et une hausse du chômage. Ces trois courbes ont changé d’allure à partir du tournant de 1980. Le taux du profit non investi est passé de 2% à 9% de 1980 à 1985 (sources OCDE). Dans la même période, le taux de chômage est passé de 5% à 10%. C’est également en 1980 que le taux de marge en Europe a bondi, passant de 24% en 1980 (il faisait 27,5% en 1969) à 30% en 1990 et 32% en 2000.

Bruno Marcel et Jacques Taieb dans « Les grandes crises » :
« Les Etats-Unis plongent en 1982 dans la récession la plus forte depuis 1945 : le PIB décroît de 2,5%, la production industrielle de 7,1% ; le chômage atteint un niveau record depuis 1945. (…) Une détente sur les taux d’intérêt à la fin 1982 et l’effet expansionniste de la politique budgétaire vont entraîner une reprise très nette en 1983 et 1984 (cette dernière année se traduisant par un taux de croissance record pour le PIB américain : +6,5%). Cette reprise se poursuivra (à un rythme moindre) jusqu’en 1989 (…) Cette relance, qui dope le dollar, se réalise à crédit. Les taux d’intérêts élevés aux Etats-Unis (malgré une certaine baisse), la confiance dans l’économie américaine et la hausse du dollar entraînent un afflux de capitaux de l’Europe et du Japon qui permettent de financer les déficits budgétaires et extérieurs accompagnant cette croissance. L’Amérique vit au dessus de ses moyens (…) Les Etats-Unis deviennent le premier pays débiteur du monde. (…) Cette relance à crédit s’est accompagnée d’une montée des endettements publics et privés qui entravent la poursuite de la croissance et expliquent dans une large mesure la récession de 1990-91. »

2°) Faire payer le coût à la classe ouvrière

Les années 1980 marquent un tournant dans le sens de l’accroissement du taux d’exploitation des travailleurs. Cet objectif se réalise par plusieurs voies diverses : mesures sociales, mesures économiques, mesures politiques. Bien des changements datent de cette époque : individualisation de l’emploi et du salaire, flexibilité, précarisation par la fin de l’ « emploi à vie », sous-traitance, filialisation, contrôle accru des résultats individuels et collectifs, nouveaux mode d’organisation des salariés, nouveau rôle des syndicats chargés d’accompagner les contre-réformes, etc…
Qu’il s’agisse de mesures dites anti-inflation, anti-chômage, anti-dépendance de l’extérieur, anti-étatiques, il s’agit en fait de manières d’augmenter le taux de profit sur le dos des salariés. Les mesures anti-inflation, sous prétexte d’éviter un emballement économique, visent à augmenter le profit en n’augmentant pas la quantité produite ou même en la diminuant afin d’augmenter le taux de profit. Cela permet de réduire le personnel employé relativement à une même quantité de travail et à un profit supérieur. On parvient ainsi à réduire l’emploi salarié, à augmenter la pression du chômage sur les luttes et sur la syndicalisation, et à baisser les salaires, en particulier les salaires d’embauche pour la jeune génération particulièrement frappée par la baisse des emplois. L’augmentation de la pression patronale, liée à la baisse des luttes, permet aussi d’augmenter les cadences de travail. Les mesures dites anti-chômage consistent à imposer aux salariés d’accepter des emplois précaires, sous-qualifiés, mal payés, aux mauvaises conditions de travail ou sans garanties de sécurité. Les mesures dites anti-dépendance extérieure consistent à proposer de nouvelles conditions d’exploitation en se servant du niveau bas des salaires des pays les plus pauvres. La division entre nationaux et immigrés, entre jeunes et vieux, entre salariés en fixe et précaires devient un moyen important pour diviser les luttes, casser l’organisation ouvrière et opposer les salariés entre eux. Les syndicats perdent du poids social, des effectifs et perdent des luttes. Dans la période de croissance et de plein emploi, les patrons avaient une stratégie toute différente d’intégration des syndicats dans un rôle réformiste, rôle qu’ils avaient eu de l’après-guerre à 1970.
La part des salaires dans l’économie se réduit et la part des profits augmente. La ponction sociale diminue également sous prétexte de moins d’Etat. Par contre, on assiste à « plus d’Etat » en ce qui concerne les commandes militaires, les interventions financières, les aides en tous genres aux capitalistes. Le moins d’Etat se traduit encore par des ponction sur le dos des salariés, en diminuant les services publics et en réduisant les salariés qui y sont affectés.
Le tournant des années 80 n’est pas seulement la fin du bloc de l’Est mais une attaque en règle contre la classe ouvrière mondiale. Il s’agit de désamorcer toutes les situations dans lesquelles la classe ouvrière aurait des possibilités d’intervention autonome, et ce avec l’aide directe de l’impérialisme le plus puissant du monde, celui des USA.

Bruno Marcel et Jacques Taieb dans « Les grandes crises » :
« C’est dans un climat morose et incertain qu’éclate le second choc pétrolier en 1979 avec la chute de la monarchie en Iran. (…) Le volume du commerce extérieur freine sa croissance. (…) Au vu des comparaisons chiffrées, les difficultés en 1980-1982 paraissent moins accusées qu’en 1974-75 et l’auraient été moins encore sans les mesures restrictives des gouvernements, plus sévères que celles des années soixante-dix. Cette fois, en effet, on annonce clairement la couleur qui est de restaurer les profits, de renverser la tendance à la hausse des salaires réels, de terrasser l’inflation. L’arrivée au pouvoir de M.Thatcher et de R. Reagan, précédée par l’installation de P.Volcker à la tête du Federal Reserve Board, incarne bien ce renversement.
(…) Dans le domaine social, la politique de R. Reagan a indéniablement détérioré la situation des pauvres et accentué le dualisme. M. Albert écrit : « Le plus important résultat du libéralisme reaganien a probablement été, on le sait, l’augmentation de l’écart entre riches et pauvres. Ce fut prétendument « le prix à payer » pour « remuscler » l’Amérique. (…) Malgré la reprise, (…) le nombre de pauvres n’a pas diminué au cours des dix dernières années. Il a même légèrement augmenté tandis que triplait le nombre des millionnaires en dollars. Quant au revenu des 40 millions d’Américains les plus pauvres, on estime qu’il a diminué de 10% en dix ans. Et, si l’on définit comme « pauvres » tous ceux qui disposent de revenus inférieurs de moitié à la moyenne nationale, alors on constate que la population américaine compte désormais 17% de pauvres contre 5% en RFA et dans les pays scandinaves, 8% en Suisse et 12% en Grande-Bretagne. » (dans « Capitalisme contre capitalisme » en 1991) ». H.Monnet et J.-J. Santini écrivent dans « l’économie britannique » : « Le premier axe de réforme emprunté par les lois de 1980,1982, 1984 et 1988 a été de chercher à limiter le monopole syndical. (…) Pour freiner le développement des conflits qui a atteint un niveau dramatique au cours des années soixante-dix, la nouvelle législation encadre les possibilités de recours à la grève et limite les prérogatives des syndicats en cas de conflit. Ainsi, toute action revendicative doit désormais être décidée à l’avance par un vote à bulletin secret des membres du syndicat. Dans le cas contraire, l’immunité financière qui protége au Royaume-Uni les syndicats dans les conflits du travail se trouve levée comme dans le cas du secondary picketting, c’est-à-dire de l’organisation de piquets de grève en amont ou en aval de l’entreprise où surgit un conflit du travail, qui devient illégal. Les immunités financières sont aussi supprimées lorsque les conflits du travail ne sont pas limités à ceux qui mettent en face à face les travailleurs et leur employeur (les conflits intersyndicaux, les grèves de solidarité avec d’autres les travailleurs d’autres pays et les actions concertées des salariés de divers établissements d’une entreprise multinationale).

Travail précaire : les nouveaux habits de la surexploitation

En 1998, la France, qui recense quelque 26,5 millions d’actifs potentiels (chiffres INSEE), comptait dix millions de chômeurs et de précaires – cinq millions de chômeurs réels et pratiquement autant de travailleurs « bénéficiant » d’un emploi aléatoire. La paupérisation touche donc plus du tiers de la population active. On n’est plus très loin du modèle américain où le fait de travailler n’empêche pas d’être pauvre et marginalisé. Chômage, précarisation et surexploitation, autant de facettes complémentaires de la paupérisation.
Ces dix millions de chômeurs et précaires (dont huit millions touchent moins que le minimum de pauvreté, 3800 francs mensuels), comprennent, outre les 2,9 millions de chômeurs officiellement recensés par le gouvernement et les 2,5 autres millions de chômeurs effectifs recensés par les statisticiens, tout l’éventail de ces fameux "nouveaux emplois" qui ne permettent pas de sortir de la précarité. Près de 4 millions 300 000 au total : intérimaires, petits boulots, emplois de service et de proximité, emplois à temps partiel, contrats à durée déterminée, emplois de sous-traitance, emplois saisonniers, à domicile, nouveaux "contractuels des « contrats aidés », emplois jeunes, contrats de qualification, contrats d’adaptation, contrats d’orientation, contrats d’apprentissage, Contrats Initiative Emploi, Contrats Emploi Solidarité, Contrats Emploi Consolidé, emplois associatifs, emplois familiaux, stagiaires longue durée sous-payés ou même non payés, emplois partiels, flexibles, intermittents, salariés transformés en « artisans », « franchisés », fonctionnaires relégués au rang de « contractuels », emplois sans aucun statut (pour les sans papiers donc sans droits)… sont les mille et une formes du travail jetable, du salariat précaire.

De la fracture... à l’explosion sociale
Loin d’être le produit d’une diminution globale de la richesse, la précarisation de la classe ouvrière se produit dans un contexte de croissance économique. En vingt ans, le PIB des pays industriels s’est accru, de 55 % en Allemagne, de 56 % en France, de 40 % en Angleterre, de 58 % aux USA. Bilan ? 10 millions de pauvres dont 5 millions de chômeurs réels et presque autant de travailleurs précaires en France ; 4,1 millions de chômeurs et 5,5 millions de petits boulots en Allemagne ; 1,8 million de chômeurs et 12 millions de précaires en Angleterre. Aux Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, plus de 40 millions de personnes vivent dans des familles ayant moins de 10 000 dollars de revenu annuel et le même nombre n’ont pas accès aux soins ; 90 millions sont illettrées, un enfant sur quatre vit dans la pauvreté. Les 10 % d’Américains les plus pauvres ont vu leurs ressources baisser de 21 % tandis que les 10 % les plus riches ont vu leurs revenus s’accroître de 22 %, selon l’International Herald Tribune de mars 1996.
Dans tous les pays riches, non seulement les pauvres (en activité ou au chômage) sont plus nombreux, mais ils sont de plus en plus pauvres. Leur part du total des revenus s’est effondrée.
En réalité, on assiste depuis vingt ans à la reconstitution d’une vaste « armée industrielle de réserve » oscillant entre le chômage, l’exclusion et la précarité permettant à la classe capitaliste de mettre sous pression l’ensemble de la classe ouvrière. Cette surexploitation, cette précarisation de la classe salariée fait l’objet d’une politique délibérée de la bourgeoisie, institutionnalisée et légalisée par tous les gouvernements des pays impérialistes.
Cette politique vise bien sûr à briser les capacités de défense des travailleurs, à atomiser leur cohésion économique, à isoler les précaires, les chômeurs, les exclus, du reste de la population salariée. Mais à un certain stade, l’accumulation des facteurs d’injustice et de précarité sociale peut aussi aboutir à un sentiment général d’indignation sociale. On en a eu un avant goût en France en janvier 1998 avec le mouvement des chômeurs et des exclus qui, pour être minoritaire, s’est révélé très populaire chez l’ensemble des travailleurs.
Pour l’heure, même si toute une série d’organisations syndicales et associatives visant à défendre et représenter les chômeurs et les précaires se sont créées, la division entre chômeurs, précaires et salariés n’est pas pour autant réglée au sein du mouvement ouvrier. C’est en réalité une question de rapport des forces global, donc politique, entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. La bourgeoisie peut s’accommoder d’une politique d’assistance envers les plus pauvres, qui au bout du compte n’aboutit qu’à gérer l’injustice sociale et à la pérenniser (en se déchargeant d’ailleurs de cette tâche sur les organisations ouvrières).
Il faudra que le mouvement ouvrier engage des combats d’envergure, en un mot mène une politique de mobilisation qui puisse redonner espoir et perspectives y compris aux plus démunis et aux « exclus », pour que la classe ouvrière regagne en solidarité politique ce qu’elle a perdu en émiettement économique. La véritable solidarité de classe ne se construit que dans la lutte de classe, sous ses formes les plus déterminées. C’est alors que la « fracture sociale » dont parlait Chirac, loin d’engendrer résignation et passivité ouvrière, deviendra le plus fort facteur de cristallisation de la colère sociale.

La réalité du chômage et de la précarité

5 Millions et demi de chômeurs en 1998

1 Les chômeurs comptabilisés officiellement
(demandeurs d’emploi fixe ayant travaillé
moins de 78H) 2976800
2 Ceux qui ont travaillé plus de 78 heures 485 700
3 Chômeurs cherchant un emploi précaire 374 200
4 Chômeurs cherchant un emploi précaire mais
ayant travaillé plus de 78 heures 52 800
5 Chômeurs cherchant un emploi CDD 112 900
6 Chômeurs cherchant un emploi CDD mais
ayant travaillé plus de 78 heures 25 000
7 Chômeurs des DOM-TOM 215 000
8 Chômeurs âgés de plus de 55 ans ou 57,5 ans
dispensés de recherche d’emploi 280 000
9 Jeunes en fin de scolarité et femmes à la
recherche d’un emploi non inscrits à l’ANPE 300 000
10 Stagiaires (jeunes et adultes) 90 000
11 Licenciés économiques en contrats de conversion 60 000
12 Préretraités 200 000
13 RMistes non inscrits à l’ANPE 400 000
Total des chômeurs en 1998 5572400

Plus de 4 millions de précaires

a CES (Contrats Emploi Solidarité) et
CEC (contrats Emploi Consolidés) 450 000
b Contrats aidés 405 000
c Intérimaires permanents 413 000
d CDD 906 000
e Apprentis 257 000
f Contrats " hors statut " de la
fonction publique 340 000
g Temps partiels imposés
ou dûs à des plans sociaux 1 495 000
Total des précaires en 1998 4266000

La généralisation du travail précaire

L’emploi précaire qui caractérisait avant tout, il y a une vingtaine d’années, des secteurs spécifiques (commerce, grande distribution, textile, hôtellerie-restauration, nettoyage industriel, travail agricole, etc), a gagné aujourd’hui tous les secteurs, y compris les grandes entreprises et tout le secteur public et étatique. "Nous avons 2000 vacataires permanents parfois depuis dix ans et 500 ultra-précaires qui se font jeter tous les trois mois" déclaraient les employés des musées récemment en grève. Un postier sur cinq est déjà un contractuel. Les 20 000 embauches prévues à la Poste dans le cadre des 35 heures (qui ne font que remplacer 20 000 départs) comprennent 14 000 nouveaux contractuels dont seulement un peu plus de 50 % seraient à temps complet en CDI. Les collectivités locales quant à elles ont systématiquement recours aux Contrats Emploi Solidarité, sans compter 30 % d’emplois à temps partiel. La situation à l’Education Nationale et dans la Santé Publique n’est pas plus enviable (voir nos articles).
Pour l’essentiel ces emplois n’ont rien de "nouveaux" mais remplacent systématiquement les postes en fixe. Un seul exemple : en dix ans, l’Office National des Forêts a supprimé 8000 emplois d’ouvriers forestiers sur 14 000 pour prendre 2000 précaires (dont 1800 Contrats Emploi Solidarité, des jeunes qui seront rejetés au chômage).
Les emplois rémunérés en dessous du SMIC, comme les emplois à durée « déterminée » (CDD), donc limitée, connaissent un accroissement spectaculaire. Le nombre des CDD (906 000 en 1998) a quadruplé en quinze ans et représente les trois quarts des embauches actuelles ! Dans le même temps, le nombre d’intérimaires a été multiplié par trois. La France est devenue le numéro deux mondial pour les profits réalisés dans ce qu’on appelle pudiquement les EMO, entreprises de main d’oeuvre, qui tirent exclusivement leurs bénéfices de la location de travailleurs.
La sous-traitance est un moyen très largement employé dans la grande industrie comme dans le bâtiment pour disposer d’une main d’oeuvre flexible, sous-payée et dont on peut se séparer à volonté.
Le temps partiel (le plus souvent imposé bien sûr), sévit chez 80 % des employés de l’aide à domicile, 53 % des agents de nettoyage, 45 % des caissières et 20 % des secrétaires, mais aussi 30 % des agents de service des écoles et des filles de salle des hôpitaux. Il vient d’être institutionnalisé à EDF-GDF où 15 000 pourraient être embauchés sur trois ans payés sur la base de 32 heures, alors que les agents déjà embauchés se verraient proposer 32 heures payées 35.

Précaires et chômeurs non-indemnisés

Les travailleurs précaires sont des chômeurs à temps partiel, avec une particularité par rapport aux autres cotisants de l’ASSEDIC : lorsqu’ils se retrouvent sur le pavé, ils ne touchent que rarement des indemnités.
Cette situation découle de décisions relativement récentes.
En 1992, sous un gouvernement socialiste, « l’allocation unique dégressive » (A.U.D.) a remplacé les prestations chômage antérieures. Le principe de l’A.U.D. consiste à appliquer un abattement sur l’allocation au bout de chaque période de 4 mois. La « peau de chagrin » en quelque sorte, qui a encore rétréci sous le gouvernement Balladur qui a succédé à Rocard : un travailleur peut toucher l’indemnité à taux plein pendant quatre mois à condition désormais d’avoir travaillé au moins quatre mois au cours des 8 derniers mois. Ensuite il ne touche plus rien. S’il a travaillé moins de 4 mois dans une période de 8 mois, il ne touche rien, même au départ.
Celui qui enchaîne des missions en intérim ou en CDD entrecoupées de périodes de chômage peut facilement n’être jamais indemnisé par les ASSEDIC. On voit d’où viennent ces « nouveaux pauvres » de « l’ère Mitterrand ».

Les Pays-Bas : un exemple social ?

Les Pays-Bas viennent le mois dernier d’être cités en exemple par le BIT, bureau international du travail, pour "leur capacité à éviter le fléau du chômage". Cela fait écho aux nombreuses déclarations des dirigeants européens : "Les Pays-Bas, prétendait ainsi Jospin en 1997, nous indiquent la route à suivre. Ce petit pays a divisé son chômage par deux en quinze ans, qui passe de 12 % de la population active en 1982 à 6 % en 1997, alors que sur la même période le nôtre s’envolait de 8 % à 13 %."
Les dirigeants de la principale centrale syndicale, la FNV, ont passé en 1982 avec Chris Van Veen, le patron des patrons, les accords dits de Wassenar, au terme de négociations déroulées dans le plus grand secret. Le contenu de l’accord : austérité et blocage des salaires en échange du "partage du travail". Pas étonnant que les Pays Bas soient apparus à nos dirigeants comme des pionniers ! D’autant que ce pacte s’est alors conclu sans mouvements sociaux.
En moins d’un an, plus des deux tiers des conventions collectives ont été renégociées. Le principe général en était la réduction de 5 % de la durée annuelle du travail sur deux ans sans garantie de salaire. Sans garantie d’embauche compensatrice non plus. Plus des deux tiers des emplois nets créés depuis 1982 sont des emplois à temps partiel. Les travailleurs à temps partiel représentent aux Pays Bas près de 40 % de l’ensemble des salariés contre 6,5 % en Italie, 16,7 % en Allemagne, 17 % en France et 25 % en Angleterre. Il s’agit généralement d’un temps partiel imposé.
Par ailleurs, une fraction non négligeable de la population a été officiellement déclarée "inapte" au travail et touche une pension d’invalidité. Il s’agit notamment de travailleurs âgés, licenciés des grandes entreprises et "plus assez productifs". Leur nombre avoisinait le million en 1993, soit un adulte sur 7. Ces "invalides" ne sont pas comptabilisés comme chômeurs. Satisfait d’avoir réduit les chiffres officiels du chômage, le gouvernement hollandais s’en est pris au début des années 90 au « statut protégé » des invalides. Le statut d’invalidité a été redéfini. Les bénéficiaires ont dû se soumettre à un réexamen de leur situation. 50 % des personnes réexaminées ont perdu leurs droits en 1994 et 35 % en 1995. Les 500 000 personnes qui perçoivent une allocation d’assistance d’un montant de 2700 francs par mois ne sont pas comptées comme chômeurs. Comme ne le sont pas non plus les 100 000 autres chômeurs jugés inemployables sur le marché du travail et pour lesquels le gouvernement a établi un programme « réservoir d’emplois » dans les municipalités, rétribués au salaire minimum.
Selon les calculs de l’OCDE, si l’on tient compte de toutes ces catégories "le chômage au sens large en équivalent plein temps atteint plus de 25 % de la population active et reste au dessus du niveau des années 80".
Parallèlement, le niveau du salaire minimum et des allocations a été gelé à plusieurs reprises. Le taux de pauvreté est passé de 8,2 % en 1985 à 12,5 % en 1995.
Quant au consensus social dont le gouvernement néerlandais était si fier, il n’existe plus. En 1997, des mouvements ont eu lieu chez les contrôleurs de tram, agents de sécurité, gardiens d’immeubles d’Amsterdam et de Leiden qui ont obtenu jusqu’à 145 % du salaire minimum : en janvier 1998, mouvements au service du nettoiement d’Amsterdam, dans le secteur public Abva-Kabo ; avril 1998, grève aussi du secteur de la santé avec cinquante hôpitaux qui n’acceptent plus que les urgences et une manifestation de 23 000 personnes ; juin 1998, mouvement du secteur des crèches, des maisons de quartiers... Les travailleurs contestent de plus en plus ces mesures anti-sociales.

3°) Redonner aux USA la primauté sur Europe et Japon

Les grandes mesures économiques de la mondialisation (libéralisation, déréglementation, privatisation (dont celles des services publics, des systèmes de retraite et de santé), financiarisation, titrisation de la dette, appel massif des USA aux capitaux mondiaux, effort pour rendre plus liquide le capital en circulation, accroissement du taux de profit, accroissement des échanges mondiaux, nouveaux marchés, nouvelles technologies, etc…) vont non seulement relancer l’économie mais ramener les USA à un rôle dirigeant qu’il semblait en passe de perdre au profit de l’Europe et du Japon.
C’est en 1980 que plusieurs indices des Etats-Unis font un bond en avant et particulièrement le ratio pour le capital US entre les revenus venus de l’étranger et ceux domestiques (plus que doublé dès 1982). C’est également en 1980 que bondissent à la fois le ratio des avoirs étrangers sur les USA et celui des avoirs américains à l’étranger, et ils ne vont dès lors cesser d’augmenter (rapport de la Réserve fédérale américaine 2005). En 1980, d’autres indicatifs économiques américains s’inversent : l’épargne et l’investissement productif. Les deux chutent en même temps (par rapport à la production totale (chiffres de Duménil et Lévy) et le ratio entre le premier et le second s’effondre également. Toute la structure des profits américains est en train de changer contraignant le reste du monde à en faire autant, au profit du capital US. L’année 1980 est également celle d’une montée en flèche des revenus des classes privilégiées aux dépens des pauvres. Elle va finir par entraîner une forte reprise économique aux USA qui va marquer les années 90, jusqu’en 2000.
La libéralisation et l’ouverture économique vont au capital US ouvrir de nouveaux marchés financiers. La financiarisation va relancer la concurrence mondiale en donnant la primeur au plus attractif pour les capitaux libres, les USA. Tous les capitaux du monde vont être attirés par des « produits financiers » inventés dans ce but. « Les actifs détenus par des étrangers aux Etats-Unis ont doublé de 1980 à 1985 (de 500 à 1000 milliards de dollars). » écrit Michel Beau dans son « Histoire du capitalisme ». Le déficit du budget de l’Etat, loin d’être combattu comme le prétendait Reagan, va devenir un moyen d’attirer ces capitaux en transformant les bons des prêteurs en espèces de titres, jouables à la hausse ou à la baisse. Les pays riches et moyens vont être entraînés, bon gré mal gré, dans une spirale ascendante de la finance conduite par le capital US.
L’investissement massif des capitaux américains à partir de 1990 dans les pays émergents a permis au capital US de reprendre la tête de la croissance capitaliste par rapport à ses concurrents impérialistes. Dans la période 1981-86, les taux de croissance annuel moyen du PIB étaient de 3,1% pour les USA, 3,3% pour le Japon et 2% pour l’Union Européenne. Dans la période 1987-1991, ils étaient de 2,1% pour les USA, de 4,8% pour le Japon et de 3% pour l’Union Européenne. Dans la période 1992-96, ils étaient de 2,6% pour les USA, de 1,2% pour le Japon, de 1,4% pour l’Union Européenne. Les USA n’étaient plus talonnés par leurs concurrents.

François Chesnais dans « La finance mondialisée » :
« Lorsque le capital de placement resurgit au début des années 1980, l’écrasante majorité des salariés comme des citoyens de la plupart des pays, hormis les Etats-Unis et la Suisse et à un moindre degré le Royaume Uni, en ont complètement oublié l’existence et le pouvoir social. (…) La montée en force des marchés de titres d’entreprises à la faveur du mouvement d’accumulation financière, et des mesures de déréglementation a été suivie d’une évolution notable de la fonction des marchés et du pouvoir des investisseurs. A partir des années 1980 aux Etats-Unis et des années 1990 pour des pays comme la France, ce ne sont plus seulement les parts de propriété d’entreprises qui deviennent des actifs financiers achetables et vendables en Bourse, mais les entreprises comme telles, et même des groupes industriels entiers. (…) Par accumulation financière, on entend la centralisation dans des institutions spécialisées de profits industriels non réinvestis et de revenus non consommés, que celles-ci ont pour charge de valoriser sous la forme de placements en actifs financiers – devises, obligations et actions – en se tenant hors de la production de biens et de services. (…) L’afflux de ressources non investies s’accélère au début des années 1970 à mesure que le dynamisme de l’ »âge d’or » s’épuise. (…) Cela explique pourquoi la crise de 1974-75 a été marquée par une première forme de krach financier. (…) L’étape suivante a été celle du « recyclage » à partir de 1976 des « pétrodollars », c’est-à-dire des sommes très élevées résultant du relèvement temporaire du prix du pétrole placées à Londres par des potentats du golfe Persique. Ce « recyclage » a pris la forme de prêts et d’ouverture de lignes de crédit des banques internationales aux gouvernements du tiers monde, notamment en Amérique latine. (…) C’est l’ »effet boule de neige de la dette ». (…) L’unique manière de faire face aux échéances du service de la dette est d’emprunter de nouveau. (…) Ces mécanismes cumulatifs et pervers d’endettement (…) sont apparus du fait des mesures prises par les Etats-Unis à partir de 1979 : (….) libéralisation des marchés obligataires des titres de la dette publique et hausse du dollar et des taux d’intérêts américains. (…) C’est dans les pays du centre du système que la dette publique a fait faire à la croissance du capital un saut quantitatif et qualitatif. (…) la mise en place d’un marché obligataire complètement ouvert aux investisseurs financiers étrangers a permis le financement des déficits budgétaires par placement de bons du Trésor et autres effets de la dette sur les marchés financiers. (…) Dès 1984-85, tous les pays du G7 (à la suite des Etats-Unis et de la Grande Bretagne) ont adopté le cours nouveau de financement des déficits budgétaires par l’appel au marché obligataire libéralisé et l’offre de taux d’intérêt réels positifs. (…) au cours des années 1980, les institutions financières (ou investisseurs institutionnels) ravissent aux banques le premier rang en tant que foyers de centralisation financière et leur prennent une partie de leurs activités de prêt. (…) Tout Etat qui voulait placer lui aussi des bons du Trésor sur des marchés libéralisés était forcé de s’aligner sur les pratiques américaines. (…) Le système financier des Etats-Unis domine les autres en raison tant de la place du dollar que de la dimension des marchés obligataires et boursiers américains. (…) La libéralisation et la déréglementation des systèmes financiers se sont faites à marche forcée sous la direction du FMI et de la Banque mondiale et sous la pression politique des Etats-Unis. Les marchés financiers « émergents », qui ont été ouverts aux opérations du capital financier à partir du début des années 1990, sont à distinguer des places financières aguerries comme Hong Kong et Singapour nées comme relais de la City dans le cadre de l’ancienne zone sterling. (…) Les marchés « émergents » n’ont jamais n’ont jamais accueilli, même avant la crise mexicaine de 1995, plus de 15% des capitaux mondiaux cherchant à se placer en conservant un degré de liquidité élevé. (…) L’intégration dans le régime de mondialisation financière « (des pays émergents) (…) a eu pour résultat de créer des systèmes financiers très fragiles. (…)
(Si on fait) le bilan de la libéralisation, de la déréglementation et de la privatisation (pas seulement des mouvements de capitaux, bien sûr, mais aussi des échanges et des investissements directs), (…) il y a eu un très fort bond dans la concentration de la richesse. Se pose alors la question de savoir si ce succès n’a pas été acquis dans des conditions qui pourraient rendre la domination retrouvée des classes supérieures et des pays qui leur servent de bastion, peu viable dans le long terme, parce que fondée sur des bases économiques étroites et instables. Si tel était le cas, on serait alors face à une situation propice à l’accentuation du militarisme comme au renforcement des méthodes de contrôle politique et social militaro-sécuritaires au plan international comme au niveau domestique. (…)
Les années 1980 ont été caractérisées par le retour à une configuration de développement inégal avec une concentration de la croissance dans deux zones seulement. (…) Une baisse conjuguée à la fois des salaires et de la part des profits réservée à l’investissement a marqué la macroéconomie de l’Europe dans les années 1980 et 1990. Ce mouvement n’est pas propre à l’Europe. (…) Dans les années 1990, l’économie mondiale n’a connu que deux foyers de croissance. L’un a été situé en Asie du Sud-Est et a duré jusqu’au déclenchement de la crise de 1997, l’autre aux Etats-Unis jusqu’au krach du Nasdaq au printemps 2001. La croissance des pays de l’Asie du Sud-Est a reposé sur une production destinée principalement à être écoulée sur les marchés extérieurs et a été dopée par l’afflux de capitaux étrangers en quête d’investissements et de placements rentables. (…) Les Etats-Unis sont le seul pays dans lequel le régime d’accumulation financiarisé commandé par le capital de placement a été aussi un « régime de croissance ». (…) Ce sont les privatisations des entreprises de service public et une accentuation du processus de privatisation des systèmes de retraite et de santé qui ont été la colonne vertébrale des politiques gouvernementales de soutien des marchés financiers. (…) Le cours de la mondialisation financière a été marqué par une succession de crises financières dont les effets économiques et sociaux se sont aggravés chaque fois. (…) La racine des crises financières, mais aussi de façon plus générale ce qu’on nomme la fragilité systémique, se trouve dans le montant extrêmement élevé des créances sur la production future auquel les possesseurs d’actifs financiers estiment pouvoir prétendre, ainsi que dans la « course au résultat » à laquelle les gestionnaires des fonds de pension et de placement financier doivent se livrer. (…) Sous l’effet de la désintermédiation financière et de la concurrence des investisseurs institutionnels, les banques comme les sociétés d’assurance sont poussées à prendre de lus en plus de risques. (…)
Depuis la réémergence des marchés boursiers dans toute leur force, le département du Trésor et de la FED ont fait ce qu’il fallait pour créer les liquidités et autres moyens nécessaires pour endiguer les crises. Ils continueront à le faire même si cela contrevient formellement aux théories professées. (…)
Les Etats-Unis ont partie liée avec le capital de placement comme nul autre pays. Ils sont profondément marqués par la vision du monde qui est propre au capital financier et à la propriété patrimoniale. L’ » exception américaine » des années 1990 a accentué les différences entre leur « mode de vie » et celle des autres pays. »

Gérard Duménil et Dominique Lévy dans « Le néolibéralisme sous hégémonie états-unienne » dans l’ouvrage collectif sous la direction de François Chesnais précédemment cité :
« La transition des années 1970 aux années 1980 fut marquée par un événement emblématique du nouvel ordre social : la décision, en 1979, par la Banque centrale des Etats-Unis, la Réserve fédérale, de hausser les taux d’intérêt au niveau requis par l’élimination de l’inflation, et cela quels que soient les coûts dans les pays du centre et de la périphérie. (…) Ce qui suivit fut à la hauteur de ce premier pas : prise de contrôle du salaire, érosion graduelle des systèmes de protection sociale, vague de chômage, croissance lente et crise récurrentes dans les pays de la périphérie, dislocation des sociétés, montée des tensions internationales et nouveau militarisme. (…)
Quand on tente de se représenter les Etats-Unis en tant que pays capitaliste, on pense d’abord aux 116 millions d’actifs occupant un emploi dans les entreprises privées de ce pays qui réalisent 7.262 milliards de dollars de produit annuel (les chiffres sont ceux de 2000). (…) Les profits s’élevaient à 380 milliards de dollars en 2000 (…) après paiement des impôts et des intérêts par les entreprises (…) On peut les appeler profits intérieurs (domestiques, selon l’expression anglaise). A ces profits, il faut ajouter des revenus provenant de l’étranger. (…) En 2000, des agents économiques des Etats-Unis possédaient 3.488 millions de dollars de placement dans le reste du monde (…) Ces avoirs ne rapportèrent pas moins de 381 millions de dollars soit une somme équivalente à celle de l’ensemble des profits intérieurs. (…)
Les Etats-Unis se sont transformés en un centre de collecte et de redistribution des profits. D’une part, ils tirent de très importants revenus du reste du monde par des investissements et placements particulièrement rentables, et, d’autre part, rétribuent un capital étranger à un taux inférieur. »

4°) Une nouvelle réponse aux aspirations des bourgeoisies du Tiers-Monde

En quelques années, la situation de la bourgeoisie du Tiers-Monde va changer du tout au tout. Durant les années de l’après-guerre, le système mondial les a cantonnés, pour l’essentiel, dans des gestionnaires de l’autarcie, les fameux nationalismes étatistes des indépendances, comme si ces économies étaient chargées de se débrouiller seules à remonter la pente. Les économies nationales étaient réduites de constater que le marché n’était pas ouvert à leurs produits concurrentiels. L’industrie industrialisante de Boumedienne, en Algérie, ne pouvait trouver preneurs. Des grands pays comme l’Inde ou la Chine restaient des économies à but essentiellement interne, contraintes de se développer de manière tout à fait déformer et sans bénéficier des derniers progrès techniques ni de vendre leurs propres produits à grande échelle. Ils ne pouvaient pas non plus utiliser leurs capitaux pour mettre la main sur les produits capitalistes les plus rentables de la planète. C’est tout cela que change la « mondialisation » avec la déréglementation, la financiarisation, la création d’institutions financières non bancaires, la titrisation de la dette nationale. Désormais des capitaux situés dans n’importe quel pays, en particulier les pays pétroliers, vont pouvoir s’investir directement ou se désinvestir à grande vitesse dans des choix financiers les plus rentables.
Le capital américain ou celui des pays riches vont se porter vers des pays moyens en vue d’investissements productifs, menant à la formation de pays dits « émergents » et ouvrant des perspectives nouvelles à la bourgeoisie du Tiers-Monde. Le mécanisme de la dette nationale de ces pays, remise elle aussi entre les mains des financiers et de leurs spéculations, va être un moyen d’offrir à cette bourgeoisie une masse de capitaux dont elle n’aurait jamais pu rêver autrement que par ce mécanisme de prêt en cascade mais aussi la rendre dépendante du capital international et impérialiste comme jamais.
Les croissances impressionnantes des années 90, comme des 6% au Cambodge, 7% en Corée du sud, en Indochine et en Thaïlande, 8% en Malaisie et au Vietnam et 12% en Chine ne signifient pas que ces économies sont en train de développer ces pays, mais que les capitaux mondiaux ont trouvé de nouveaux moyens de développer leur colonisation du monde, que les indépendances ont mené à un nouveau type de dépendance du capital mondial dans lequel caracolent quelques individus de chacun de ces pays.
Loin de gagner en indépendance, ces « nouvelles bourgeoisies » issues du Tiers-Monde sont plus dépendantes que jamais. Elles sont contraintes de se mettre sous la coupe des trusts multinationaux et des financiers, de se soumettre au diktat de l’endettement, de l’ajustement structurel, de la suppression des services publics, toutes politiques qui provoquent une forte instabilité sociale et politique et d’important profits pour les capitaux étrangers au détriment du développement du pays. Les seules activités favorisées sont les plus profitables, au détriment de nombreuses industries nationales. L’essentiel des profits revient dans les métropoles par de multiples voies.

François Chesnais dans « La finance mondialisée » :
« Les crises dont les « pays émergents » ont été le théâtre portent de façon particulièrement fortes le sceau de l’ » insatiabilité » de la finance. En mal de placements, les investisseurs institutionnels mais aussi les grandes banques s’y sont précipités. Ils ont contribué à une croissance en partie effective, mais aussi largement factice et fondée sur des bases très fragiles. Lorsque les choses se sont gâtées, ils ont pris la fuite. Le nombre de ces crises, depuis la première au Mexique en 1995, et leurs effets dévastateurs doivent être mis en rapport avec l’impact de la libéralisation et de la déréglementation des échanges et des privatisations sur les structures économiques et les systèmes productifs de ces pays. (…) En Amérique latine (Mexique, Argentine) et en Asie (Thaïlande, Indonésie, Philippines), on a assisté à la formation chaque fois de déficits commerciaux élevés, doublés d’une dégradation de la balance courante sous l’effet du service des intérêts de la dette et des rapatriements de profits par les sociétés transnationales. »

Mamadou Camara et Pierre Salama dans « L’insertion différenciée aux effets paradoxaux des pays en développement dans la mondialisation financière » :
« L’idée selon laquelle une intégration plus poussée des économies en développement (et particulièrement les plus développées d’entre elles) dans l’économie mondiale au moyen d’un afflux important de capitaux privés favoriserait le rattrapage et la croissance, est assez répandue. (…) Le processus de mondialisation financière est une dynamique dont sont exclus la majorité des pays en développement. (…) La spécificité zone Amérique latine est celle est aussi celle de la montée des investissements de portefeuille attirés par les taux d’intérêts réels très élevés offerts pour financer les déficits publics et courants. Ces flux qui étaient quasiment inexistants dans la période 1980-1989 (de l’ordre de 400 millions de dollars par an) explosent au cours de la période 1990-1999 avec des montants avoisinant les 24 milliards de dollars en moyenne annuelle. (…) C’est en Amérique latine que la crise de la dette s’est déclenchée. C’est elle qui continue toujours à représenter l’une des zones les plus insérées dans la finance mondiale (…) L’ouverture brutale des marchés de capitaux produit des effets négatifs forts sur l’économie réelle : stopper les fuites de capitaux impose la mise en place de taux d’intérêts astronomiques. A défaut de ralentir les orties de capitaux, ils paralysent la production et précipitent la récession. (…) Aux mécanismes de sortie de capitaux liés au service de la dette, à mesure qu’elle augmente et que les primes de risque enflent, s’ajoute un élément nouveau. Ce sont les sorties de capitaux au titre de dividendes aux actionnaires des entreprises multinationales. Elles représentent déjà plus du tiers de la valeur des intérêts de la dette au Brésil. Cet accroissement des paiements de dividendes est le produit direct de l’essor des investissements directs étrangers. »

Sur la Chine et l’économie chinoise :

Extraits de « Chine, l’envers du miracle » de Marc Epstein :
« La Chine en 2007 est le premier producteur agricole (48% des légumes), premier en construction d’autoroutes, de voies ferrées, de logements, de centrales électriques, d’ordinateurs portables, de téléviseurs, le premier producteur et consommateur de charbon et d’acier… Il produit 8 tracteurs sur dix, plus de sept montres sur dix, plus d’un appareil photo sur deux… Selon les dernières estimations, la production industrielle chinoise devrait dépasser dès 2013 celle des usines américaines. (…)
A condition que la stabilité sociale se maintienne… De source officielle, quelque 75.000 manifestations se produiraient chaque année à travers le pays (…) Si l’Etat-parti devait s’effondrer, le monde tremblerait pour de bon. (…) Le parti communiste est extrêmement bien préparé pour faire face à des contestations isolées, de type traditionnel. Depuis une quinzaine d’années, il a développé un vrai savoir-faire répressif et gagné en subtilité. Un exemple : quelque 30 à 50 millions de personnes ont perdu leur emploi, depuis la fin des années 1980, à la suite des réformes dans les entreprises d’Etat. Jusqu’à présent, le Parti a été très habile, en distribuant de l’argent, en cooptant des groupes et en restant présent sur le terrain (…) et surtout le PC a veillé à ce que les mouvements contestataires ne puissent se coordonner. (…) Que se passerait-il si des événements comparables à ceux qui se déroulèrent sur la place Tienanmen en 1989 venaient à se reproduire ? (…)
Cela fait quelques temps que la Chine devient l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde. Les différences de revenus s’accroissent entre provinces, entre cille et campagne, à l’intérieur des villes et notamment entre ceux qui profitent de la corruption et les autres. (…) La Chine est passée à la fin des années 1990 très près d’une grave crise financière. Depuis lors, les dirigeants ont entrepris une série de réformes, en particulier sur le plan bancaire. (…) Au premier tournant conjoncturel, on pourrait assister à une explosion des créances douteuses. (…) Le système financier demeure rudimentaire. Or, il joue un rôle politique notamment important pour le pouvoir obnubilé par la nécessaire stabilité sociale. Afin de pouvoir créer des emplois pour limiter le chômage à un niveau socialement acceptable, le régime a intérêt à maintenir un système financier (…) piloté de manière administrative. (…) Pour le moment, le Parti est parvenu à isoler chaque événement de contestation en usant de la carotte et du bâton (…) Mais à Pékin les dirigeants craignent pour leur pouvoir. »

Un exemple : l’Inde, un nouveau « miracle » de l’économie capitaliste ?

On a beaucoup parlé du développement économique de la Chine, atelier du monde. Bien que moins médiatique, l’Inde connaît, elle aussi, une croissance économique impressionnante en un petit nombre d’années. Au point que certains se demandent si l’Inde peut devenir, avec la Chine, le Brésil ou l’Afrique du sud, l’un des nouveaux pays dominants du monde capitaliste. Le Monde (dossiers et documents) d’octobre 2006 affirme, sous le titre « La Chine et l’Inde devraient occuper les 1e et 3e places mondiales dès 2035 », « La Chine, partie la première dans la course au développement accéléré il y a trente ans, bénéficie d’une croissance de près de 10% l’an. L’Inde, partie seulement au milieu des années 1990, jouit d’un 8% annuel. (…) Moins médiatisée que la Chine, l’Inde accumule des succès économiques. La production industrielle de l’Inde a enregistré une hausse de 6,9% sur un an. L’informatique n’y est plus seule. L’industrie manufacturière, en joint-venture avec des compagnies étrangères, se développe aussi à un rythme élevé. Désormais presque tous les grands noms de l’Automobile ont des usines ou des centres de recherche en Inde. » Quatrième puissance agricole mondiale et première pour les services informatiques, l’Inde développe son industrie, son commerce et ses services et connaît même un développement des productions d’énergie.
La mondialisation, l’ouverture des marchés, les nouvelles technologies peuvent-ils à ce point transformer le partage des richesses, la répartition mondiale du travail et les rapports de forces mondiaux ? La recherche de la productivité du capital peut-elle aller jusqu’à l’amener à investir l’essentiel dans ces pays et les pays impérialistes à se laisser prendre la première place ? L’Inde bénéficie des retombées du boom chinois et de la politique mondiale d’ouverture économique des USA, mais ce pays, qui représentait moins d’1% de l’économie mondiale au début des années 70, peut-il devenir un pays central du système ? Ces pays « émergents » ne risquent-ils pas de se trouver ensuite eux-mêmes concurrencés, en termes de main d’œuvre bon marché, par des voisins plus pauvres ? Les pays de main d’œuvre bon marché ont connu un boom des emplois suivi d’un boom des grèves qui a amené une amélioration relative des salaires et une diminution de l’avantage concurrentiel. Le Japon ou la Corée du sud ont d’abord donné l’impression qu’ils allaient prendre la première place, avant de subir des crises dévastatrices puis de repartir de l’avant en limitant leurs ambitions ? Le succès de l’Inde, lui-même, n’est-il pas un moyen pour les capitalistes de limiter le développement chinois ?
Il faut rappeler que ce ne sont pas les « pays émergents » qui auraient forcé la porte du marché mondial, c’est le capital international et l’impérialisme américain qui ont choisi, par la politique de mondialisation, de s’ouvrir à ces pays. Le plus étonnant, à partir de ce moment, n’est pas que des trusts occidentaux investissent en Inde, pays à main d’œuvre bon marché, qu’un pays du tiers monde soit capable de leur proposer une main d’œuvre technologique et d’ingénierie top niveau. C’est plutôt que des trusts indiens aient atteint le stade leur permettant de racheter les entreprises des pays riches et de jouer dans la cour des grands de la concurrence mondiale. Cependant, dans les quatre dernières années, ces acquisitions indiennes d’entreprises étrangères, du type de Mittal Steel sur Arcelor, ne représentaient que 1,4 milliards de dollars. Par contre, le développement économique est incontestable. On a longtemps pensé que l’Inde s’en tiendrait à son rôle de premier plan dans les technologies de l’information, mais ce stade aussi semble dépassé. La recherche appliquée, les biotechnologies, la pharmacie se développent à grande vitesse. Il y a en Inde quatre millions de chercheurs pour 1,3 en Europe. La croissance économique concerne maintenant des grandes chaînes de distribution et même l’automobile. La politique internationale de l’Etat indien accompagne cette évolution économique dans le sens d’un rapprochement des USA.
L’Inde, issue de l’indépendance en 1947, ne semblait pas se diriger vers une telle issue. L’Inde de Nehru avait fait sienne la thèse du développement autocentré, étatiste, ne visant pas spécialement les exportations et encore moins les importations de capitaux étrangers. Pays surtout agricole et textile, l’Inde faisait le choix de se doter d’une industrie lourde par des investissements étatiques très importants et de se protéger de la concurrence par un fort protectionnisme, comme l’avait fait la Russie stalinienne. Certains secteurs d’investissement en Inde étaient quasiment fermés aux capitaux étrangers. Cela ne signifie pas que la politique du pouvoir indien soit « socialiste ». Les industriels nationaux bénéficiaient, eux aussi, des faveurs de ce pouvoir, des aides de l’Etat et de ce protectionnisme, même si les objectifs des plans quinquennaux furent présentés comme « un développement de type socialiste, afin d’assurer une croissance économique rapide, l’expansion de l’emploi, la réduction des inégalités de revenus et de richesse. », comme l’affirmait le Préambule au deuxième plan. Le « type socialiste de société » selon une expression du chef de l’Etat, Nehru, ne faisait référence qu’à l’étatisme, au dirigisme économique, à la planification de grands ouvrages et d’une industrie lourde et aux liens économiques avec la Russie stalinienne. En politique, l’Inde s’affirmait opposée au bloc capitaliste, comme chef de file du bloc des pays « non-alignés ». L’Inde n’a jamais eu une économie d’Etat comme les pays de l’Est, mais une économie mixte avec une importante grande bourgeoisie considérablement aidée, l’étatisme a dominé l’économie pendant quarante ans, les dépenses du plan allant jusqu’à 20% du PIB. Du fait de l’impossibilité pour l’Inde d’exporter sur le marché mondial en grande partie monopolisé par les pays riches, l’Etat indien investissait à perte dans l’économie. En 1971, les industries nationalisées représentaient 75% des actifs industriels mais seulement 1% des investissements accumulés. En 1970, le gouvernement adoptera encore un encadrement étatique strict des grandes sociétés nationales et étrangères par des lois qui auront cours jusqu’en 1993.
C’est, au milieu des années 80 et au début des années 90, que la politique dite de « mondialisation », politique d’ouverture de l’économie mondiale voulue et dirigée par l’impérialisme, a permis à l’Inde de renoncer à cette politique économique autocentrée. Ce changement est marqué par l’ouverture de l’entreprise conjointe des automobiles Suzuki et du trust indien Maruti et par un contrat avec Alcatel. Le pouvoir indien a réorienté toute sa politique économique pour favoriser l’industrie et le commerce privés, désengager progressivement l’état par des privatisations progressives, aider les exportations et permettre les investissements étrangers en Inde. Des zones franches industrielles exclusivement tournées vers les marchés extérieurs ont été crées et des activités d’exportations défiscalisées. Le secteur privé de l’informatique, de loin le plus important secteur d’exportations, a été particulièrement aidé par l’Etat. En 1991, la croissance dans le domaine des logiciels est de 50%. En 1991, l’abolition du Licence Raj sonne la fin de l’économie contrôlée par l’Etat. Les industriels indiens redeviennent totalement libres de leurs choix d’investissements à l’intérieur et à l’extérieur du pays et les investisseurs étrangers libres d’entrer dans le pays. Libéralisation commerciale, baisse des droits de douane, démantèlement des restrictions quantitatives, début des privatisations et diminution des moyens donnés au plan sont des mesures qui vont donner agir sur capital privé, national comme étranger, comme un appel d’air. 1994-97 représentent quatre années de croissance économique au dessus de 7%. Ce dynamisme et cette confiance des marchés financiers dans les perspectives nouvelles de l’Inde lui permettent d’échapper en grande partie à la « crise asiatique » de 1997. De 1998 à 2007, les privatisations, pudiquement appelées « désinvestissements » (compte tenu d’une forte opposition dans la population) se développent et mènent à la formation d’un secteur privé indien, étranger ou mixte de plus en plus important. La part exportatrice de l’économie grandit encore plus vite. Les exportations de biens et services croissent au rythme de 10,8%. En 2005, la hausse des profits a atteint un niveau record de 40% selon Bertrand Tavernier dans un ouvrage intitulé « L’Inde, l’avènement d’une grande puissance » qui s’adresse aux investisseurs. L’Etat, qui disposait en 1990 de trois semaines d’importations en devises, dispose maintenant de 125 milliards de dollars en devises. Désormais, l’Inde rembourse par anticipation ses prêts et n’est plus cataloguée comme un pays sous-développé. En même temps, l’Inde connaît la croissance d’un marché intérieur d’une petite bourgeoisie nombreuse. Selon Jean-Joseph Boillot, dans « L’économie de l’Inde », « L’Inde entre progressivement dans l’ère de la consommation de masse pour les classes moyennes avec une expansion de la consommation privée voisine de 5% par an et une contribution à la croissance du PIB proche de 65%. » Sur une population qui a franchi le cap du milliard en 2000, cette classe moyenne ne représente que 250 millions d’habitants alors que 840 millions d’Indiens sont encore au dessous du seuil de pauvreté selon le rapport du PNUD de 2004. 65 à 70% de la population vivent à la campagne. 92% de la population active travaille dans le secteur « inorganisé ». 27 millions sont au chômage et le sous-emploi en frappe en plus 35 millions, selon le rapport de la commission du plan de 2002. Avec le Mexique et le Brésil, l’Inde partage l’honneur d’être parmi les sociétés les plus inégalitaires du monde. Le « miracle indien », si l’on prétend appeler miracle le développement de l’exploitation capitaliste dans de nouvelles régions du monde, est très loin de toucher l’immense majorité de la population indienne. S’il y a un avenir dans les importants changements que connaît l’Inde, c’est plutôt du côté du développement d’une importante classe ouvrière et de ses luttes économiques et politiques qu’ils sont à attendre.

5°) Une nouvelle division mondiale après la politique des blocs Est/Ouest

Avec la fin des blocs, le monde est apparemment réunifié. Il y a un seul marché, un seul système, une seule domination : l’impérialisme lui-même largement dominé par les USA. Cependant, la réalité ne reflète pas cette apparente suppression des contradictions. L’impérialisme a momentanément résolu ses problèmes des années 80. Il en a produites d’autres et les contradictions fondamentales qui existaient auparavant ont seulement été portées à une autre échelle, attendant seulement une nouvelle grave crise économique, sociale ou politique pour refaire surface. Les diverses crises des années 2000 témoignent du fait que les crises momentanément jugulées laissent des traces indélébiles avec des petites bombinettes prêtes à exploser en cas d’étincelle.
Fondamentalement, en supprimant les blocs, le capitalisme n’a pas supprimé la menace communiste qui est celle du prolétariat. En accroissant l’exploitation de prolétariat, il reproduit les conditions de nouvelles explosions et de nouvelles prises de conscience de classe et de nouvelles formes d’organisation autonomes des travailleurs. Il claironne d’autant plus que la perspective communiste est morte qu’il doit à nouveau la combattre.
Les USA ont réussi à imposer à nouveau leur domination mais le prix à payer est élevé pour lui et pour le système. La relance permanente de l’économie américaine nécessite une mobilisation permanente de la population, mise en situation de devoir se défendre contre un danger plus ou moins imaginaire. Elle nécessite des dépenses d’armement de plus en plus folles. La financiarisation, la mondialisation et la fin des blocs nécessitent une domination impérialiste de plus en plus fondée sur la guerre permanente, une guerre du plus haut niveau technologique permettant aux USA de surclasser tous ses concurrents et d’imposer au monde ses armes sophistiquées.
Europe et Japon ont été ramenés par les USA à un rôle second, incapable de menacer la super-puissance. Cependant, continuellement, la menace pèse sur l’économie américaine que l’économie à crédit, que les spéculations en cascade ne s’effondrent dans une perte de confiance brutale.

6°) Mondialisation : faits et méfaits

La mondialisation c’est d’abord un développement sans précédent des échanges mondiaux. Entre 1960 et 1973, ils ont triplé. Le taux d’exportation pour l’ensemble des pays développés est passé de 9 % avant 1967 à 14 % au début des années 70, pour rester ensuite sensiblement constant au long des années 80 et 90. Du coup, le commerce international a continué à croître plus vite que les productions nationales (5,3 % par an contre 1,9 % de 1984 à 1994 dans l’ensemble des pays de l’OCDE). On a retrouvé des taux d’exportation du même niveau qu’avant la première guerre mondiale.

L’expansion des firmes multinationales

L’internationalisation des firmes a été au départ la principale marque de la mondialisation. Elle a été due à la volonté d’installer la production dans des pays émergents pour bénéficier du marché intérieur autant qu’à celle de profiter d’une main d’œuvre bon marché. Du coup une bonne partie de l’accroissement du volume du commerce est tout simplement due aux échanges internes aux multinationales, bon nombre de celles-ci fonctionnant comme une gigantesque entreprise qui aurait des ateliers sur les différents continents. Il faut donc relativiser le chiffre des échanges cité plus haut : augmentation du commerce ne signifie pas augmentation équivalente de la production. Ainsi l’investissement transnational, entre 1983 et 1990, aurait augmenté trois fois plus que le commerce mondial et quatre fois plus que la production mondiale.
En tout cas depuis 1980, cette internationalisation ne s’est jamais démentie faisant passer le stock mondial d’investissements directs à l’étranger de 719 milliards de dollars au début des années 80 à 1889 milliards de dollars en 1990 et à 6314 milliards de dollars en 2000.
Les firmes multinationales (FMN), développées dans les années 60, ont connu un nouvel essor au milieu des années 80. Mais cet essor a aussi été favorable à de nouvelles entreprises, souvent au départ plus petites évidemment. En 1993, on estimait à 35 000 le nombre de FMN dans le monde et les cent principales disposaient d’à peu près 16 % des moyens de production mondiaux.
Les trusts multinationaux sont neuf fois plus nombreux qu’il y a trente ans. Nombre d’entre eux comme Exxon ou General Motors sont autant sinon plus riches et plus puissants que des Etats. Ils disposent de véritables gouvernements, avec des réseaux d’information et d’action et se paient parfois de véritables bandes armées qui maintiennent des populations et des pays entiers sous leur coupe.
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La concentration du capital

A partir du milieu des années 90, la concentration des entreprises capitalistes a pris de l’ampleur.
La croissance du volume des fusions-acquisitions a été continuelle et de plus en plus rapide : 130 milliards de dollars en 1994, 200 milliards de dollars en 1995, 550 milliards de dollars en 1998, 1100 milliards de dollars en 2000. Ces sommes considérables représentaient un pourcentage du PIB mondial de 1% en 1997 et presque 4 % en 2000.
Cette concentration a fait passer la part des dix premières multinationales (hors secteur financier) dans les ventes internationales des cent premières sociétés de 25,8 % en 1995 à 29,2 % en 1999. Elle touche cependant inégalement les secteurs d’activité. Elle est fondamentale dans quatre secteurs : matériel électrique et électronique, automobile, industrie pétrolière et alimentation. Viennent ensuite ceux de la pharmacie et la chimie. Elle l’est beaucoup moins dans les autres.
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La puissance du capital financier

Encore plus que dans les autres secteurs, le mouvement de concentration des entreprises financières internationales s’est accéléré dans la seconde moitié des années 90. Le montant des fusions-acquisitions dans le secteur financier est passé de 24,3 milliards de dollars en 1994 à 82,6 milliards de dollars en 1997 et à 241,3 milliards de dollars en 2000. Selon la Banque des Règlements Internationaux, la BRI, il n’y a plus mondialement qu’une vingtaine de grandes banques qui gèrent tous les transferts de devises.
Parallèlement les flux de capitaux à court terme ont explosé, supplantant de plus en plus et de très loin les investissements à but industriel et commercial. En 1997, 1300 milliards de dollars étaient échangés chaque jour, contre dix à vingt milliards dans les années 70. Et en 2000, c’est 2000 milliards de dollars qui sont échangés chaque jour soit cent fois plus que le volume des échanges de biens et de services. L’essentiel a un caractère spéculatif, 82 % des opérations durant moins de 7 jours. Autant évidemment qui ne s’investit pas dans l’économie productive.
De plus cette évolution a connu deux phases distinctes. Pendant les décennies 1960 et 70, les flux internationaux de capitaux suivaient un axe « Nord-Sud » (par l’investissement privé dans la dette publique des pays du tiers-monde) mais dans la véritable explosion des marchés financiers, qui a suivi la crise de la dette des pays pauvres de 1982-83, les flux sont devenus essentiellement « Nord-Nord ». C’est à cette époque que les obstacles à la libre circulation des capitaux ont été levés en Amérique du nord, dans l’Union Européenne et au Japon, la réglementation des marchés financiers étant assouplie au Japon, aux USA et en Grande-Bretagne. Rien d’étonnant à ce qu’avec la création d’un marché unique des capitaux, ce soient les USA et la Grande-Bretagne qui aient reçu les plus grands flux d’investissements. Ainsi après avoir entraîné plusieurs crises catastrophiques dans des régions du Tiers-Monde, ces capitaux ont contribué à accentuer l’inégalité de ce Tiers-Monde avec les pays industrialisés.
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L’accroissement des inégalités

La mondialisation a représenté une phase d’accroissement de la richesse globale, multipliée par 2,8. Mais elle ne s’est pas fait égalitairement, contribuant au contraire à accroître la richesse aux pôles les plus riches et la pauvreté aux pôles les plus pauvres. Si le PIB des pays industrialisés a plus que triplé en vingt ans, celui des pays moyens n’a progressé que de 2,2 fois et celui des pays les plus pauvres seulement de 1,5 fois. Et au sein de chacun d’entre eux, pays pauvres surtout mais aussi dans les pays riches, ce n’est qu’une part, parfois bien faible, de la population qui a vu son revenu s’améliorer.
Ainsi le développement des investissements dans les pays pauvres n’a pas nécessairement représenté un développement durable pour eux. Bien souvent les revenus des investissements étrangers ont représenté une sortie de capitaux plus importante que ceux qui y sont rentrés. Ces mouvements étant aggravés par la volatilité des capitaux spéculatifs et l’énormité de la dette publique et donc des intérêts à rembourser.
La mondialisation est donc loin d’être synonyme de l’uniformisation du monde, encore moins de son égalisation. Des régions et même des pays entiers sont exclus de la nouvelle donne. L’Amérique latine et le continent africain ne représentent respectivement que 4,5 % et 2,2 % du commerce mondial. Les cartes économiques qui représentent chaque pays en fonction de son importance économique rayent pratiquement de la planète une grande part de l’Afrique, de l’Amérique du sud et de l’Asie. Au sein de chacun de ces pays, une ou deux zones sont économiquement actives, ce qui est appelé cyniquement l’Algérie « utile » ou le Chili « actif », les autres demeurant parfois quasiment en dehors du fonctionnement capitaliste, souvent dans une misère croissante.
Ainsi l’écart entre riches et pauvres comme l’écart entre pays riches et pays pauvres ne s’est pas résorbé, bien au contraire. Le monde tout entier a beau être entraîné dans le tourbillon capitaliste, une fraction de la planète ne vit toujours pas dans les circuits de l’argent, faute d’en posséder, et ne subsiste que grâce au troc.

Une globalisation relative

Malgré l’internationalisation des firmes, l’« entreprise globale » est encore une exception, que l’on considère cela du point de vue des salariés, des capitaux ou des ventes. Les plus grandes firmes industrielles américaines ont encore la majorité de leurs emplois aux USA. Seule Ford, faisant figure d’exception, emploie plus de 50 % de ses salariés à l’étranger. Au Japon, seule Sony est dans le même cas avec aussi 50 % de l’emploi à l’étranger. Certes ce n’est pas le cas des multinationales de petits pays comme les Pays-Bas, la Suède ou la Suisse, Nestlé, Electrolux, ABB ou Volvo. Mais même celles-ci s’appuient toujours sur leur Etat national d’origine. Ou encore, en particulier en ce qui concerne les firmes européennes, sont parmi les plus fermes partisans de la constitution d’une Europe susceptible de faire pièce et tenir tête aux Etats-Unis ou au Japon. Pierre Veltz peut donc écrire à bon droit dans La mondialisation, au-delà des mythes : « Le cadre national reste et restera sans doute longtemps encore un référenciel de premier rang y compris pour les grandes firmes, leur actionnariat, leur stratégie ».
Le rapport de la Banque Mondiale de décembre 2001 affirmait : « La mondialisation a souvent été un facteur très important de réduction de la pauvreté mais trop de pays et d’individus sont restés en marge ». Et en effet plus que de mettre en relation le monde entier, la mondialisation a surtout tissé des liens entre des îlots de richesse. La production de Tokyo se compare aujourd’hui à celle du Royaume-Uni, elle vaut deux fois celle du Brésil dont plus du quart est concentré à Sao Paulo et Rio.
En réalité, même dans les pays pauvres qui ont été grand ouverts à la mondialisation, elle est bien loin de représenter un développement de la prospérité pour les peuples. Les exemples récents de la Turquie, de l’Afrique du Sud et de l’Argentine le montrent bien.
L’extension de la sphère d’action du capital signifie aussi et surtout l’extension de sa ponction sur les richesses du monde. Cela explique que les inégalités se soient accrues au sein de la population des pays riches comme entre pays riches et pays pauvres. Selon le « Bilan du monde » 2002 « 2 milliards de personnes font figure d’exclus de la mondialisation ».
Dans Le basculement du monde Michel Beaud écrit : « Jamais tant de richesse, jamais tant de pauvreté ». Et effectivement, une part considérable de la planète reste pauvre alors que le produit mondial par habitant est passé de 360 dollars par personne en 1900 à 1500 dollars 1975 et à 4500 dollars en 1994. Le développement capitaliste n’a fait que mondialiser l’exploitation et, à l’occasion, les crises. Pas de surprise. Ce sera au développement de la lutte de classe de mondialiser la révolution et le progrès pour tous.

Messages

  • Extrait de la revue Manière de voir de Mars 2009)

    Début décembre 2008, après l’annonce brutale de leur licenciement, 240 ouvriers de la société Republic Windows&Doors, à Chigago, ont illégalement occupé leur usine pendant 6 jours.
    Tous membres d’United Electrical Radio and Machine Workers of America, petit syndicat très combatif se situant à la gauche du mouvement ouvrier américain. Dons et messages de soutien-dont celui du président élu B.Obama-ont afflué des 4 coins des USA. Et leur audace a payé, puisqu’ils ont obtenu ce qu’ils exigeaient : soixante jours d’indemnités, le versement de leurs congés payés et la prolongation de leur assurance maladie pendant 2 mois

    L’occupation de l’usine a été soigneusement préparée. Ayant compris à l’avance que l’entreprise compte fermer cette fabrique pour en acheter une autre où les ouvriers ne sont pas syndiqués, les militants syndicaux envisagent la possibilité d’occuper l’usine, bien qu’ils soient conscients des risques encourus : ils s’exposent à être arrêtés pour violation de la propriété privé. Mais quand ils soumettent l’idée à leurs collègues, tous se disent prêts à passer à l’action. 3 jours après l’annonce par la direction de la fermeture (qui la justifie par le non octroi de crédit par une banque), le syndicat organise une assemblée générale à la cafétéria. Quand le délégué syndical demande qui est prêt à occuper l’usine, toutes les mains se lèvent. Les ouvriers, d’origine hispanique à 80%, se mettent à scander : « Si, se puede !, traduction de « Yes, we can ! » popularisé par le syndicat United Farm Workers Union dans les années 1960 et repris comme slogan électoral par M.Obama.
    Informée de l’occupation, Bank of America, l’une des plus puissantes structures financières du pays, affirme que l’annulation des lignes de crédit est une procédure normale, déclenchée par les problèmes de trésorerie qui affectent l’entreprise, depuis l’effondrement du secteur de la construction aux USA.
    « la semaine dernière, on découpait du verre pour remplir une commande de 1000 fenêtres, témoigne un ouvrier. Du travail, il y en avait. Et un beau matin, les patrons nous convoquent pour nous dire qu’on doit tous démissionner, qu’on le veuille ou non ». L’occupation démarre le 5 décembre, jour où Bush admet publiquement que le pays est en récession. Au même moment, le ministère du travail publie un rapport révélant que les entreprises américaines ont supprimé 533000 emplois au mois de novembre : la chute la plus grave depuis 1974.
    B.Obama va déclarer « lorsque des employés réclament les indemnités auxquelles ils ont droit , je les soutiens sans réserve. Quand le système financier commence à vaciller, le crédit se raréfie, les entreprises réduisent leurs investissements et licencient. Il est donc important d’assainir le système financier. Mais il est tout aussi nécessaire de nous assurer que les aides de l’état ne servent pas seulement à améliorer le bilan des banques et qu’elles parviennent bien jusqu’aux citoyens sous forme de prêts aux particuliers ou aux entreprises. »
    La Bank of America vient justement de recevoir une aide fédérale de 25milliards de dollards destinée à relancer l’octroi de crédit. Windows & Doors a reçu elle une aide de la mairie de Chicago de 10millions de Dollars attribuée dans le cadre d’un projet de réhabilitation urbaine.
    Les américains envoient aux grévistes argent, nourriture, vêtements, couverture et message de sympathie. Le syndicat crée un site internet (www.ueunion.org/ue_republic.htlm )pour informer de la situation . Face à la détermination des ouvriers et au soutien exprimé, la Bank of America finit par céder et débloque 1,35millions d e dollards pour indemniser les licenciés. Le patron de l’usine, dont le salaire est de 225000 dollars par an, demande que le prêt couvre les mensualités de ses 2 voitures de fonction, une BMW et une Mercedes, ainsi que 2 mois de son salaires ! Mais il doit rapidement renoncer à ces exigences. Liens en texte et images pour en savoir plus.

    Il y a 28 ans, un conflit social entamé à l’aube d ‘une nouvelle présidence, celle de R.Reagan, avait connu une tout autre issue.
    Quelques jours seulement après l’arrêt de travail de 13000 aiguilleurs du ciel, le 3 août 1981, leur syndicat se vit imposer plusieurs dizaines de milllions de dollards d’amendes. Des poursuites furent engagées contre 72 de ses dirigeants , et les 12000 contrôleurs aériens qui avaient refusé d’obtempérer à l’ordre de retourner sans délai à leur poste reçurent une lettre de licenciement. S’appuyant sur le fait que les aiguilleurs du ciel ne disposaient du droit de grève, Reagan (pour qui leur syndicat, rompant avec l’AFL-CIO, avait pourtant appelé à voter quelques mois plutôt) les avait mis en garde avec beaucoup de solennité : « ceux qui ne répondront pas présent ce matin auront violé la loi et, s’ils ne se rendent pas au travail dans les 48Heures, auront renoncé à leur emploi et seront révoqués ». L’échec cinglant de ce mouvement s’accompagnera d’une chute très brutale –et très durable- du nombre de grèves. Entre 1979 et 1999, le nombre de conflits du travail impliquant au moins mille salariés passe de 235 à 17 ; le nombre de jours de travail « perdus » pour faits de grève, de 20millions à 2millions.

    Par ailleurs, le 11 décembre 2008, au terme d’une lutte acharnée qui durait depuis 15 ans, les ouvriers du plus grand abattoir du monde, à Tar Heel, en Caroline du Nord, ont voté pour l’adhésion à un syndicat. Les 5000 employés de Smithfield Packing avait rejeté l’adhésion en 1994 et 1997, après avoir subi de fortes pressions de la direction installée dans un état dont les lois sont très hostiles aux syndicats. Le vote, qui a désigné l’United Food and Commercial Workers (UFCW) pour représenter les employés, constitue l’une des plus grandes victoires syndicales de ces dernières années aux USA, et la plus importante jamais remportée par l’UFCW. Environ 60% des employés de cet abattoir sont afro-américains.

  • Thèses du site "Matière et révolution" sur la crise actuelle

    1- Il n’y a aucune origine accidentelle à la crise actuelle. Pour les capitalistes, loin d’être une surprise, elle est une catastrophe annoncée. C’est seulement pour le grand public, et particulièrement pour les travailleurs, qu’elle est tout ce qu’il y a de plus étonnant : le système qui domine le monde, sans une puissance capable de le renverser, sans une classe sociale qui semble lui contester ce pouvoir, est en train de s’effondrer et de se détruire lui-même.

    2- Ce n’est pas une crise conjoncturelle. Ce n’est pas une crise américaine. Ce n’est pas une crise immobilière. Ce n’est pas une crise financière. Ce n’est pas une crise bancaire. Ce n’est pas une crise pétrolière. Ce n’est pas une crise de confiance. Ce n’est pas une crise inflationniste. Ce n’est pas une crise inflationniste. Ce n’est pas une crise de l’endettement. Ce n’est pas une crise due à une simple récession. Bien sûr, il y a tout cela à la fois mais cela n’explique pas le fondement de la crise. C’est le système capitaliste tout entier qui est en crise. Le terme « systémique » pour caractériser la crise signifie que c’est le fondement, le principe même, du capitalisme qui est mort.

    3- C’est l’accumulation du capital qui ne peut plus fonctionner. Et ce pour une raison simple. Le mécanisme d’accumulation du capital a atteint sa limite.

    4- Cela signifie que le capitalisme n’a pas subi une maladie, ni un défaut, ni un comportement défaillant de tels ou tels de ses acteurs. Non, le capitalisme meurt parce qu’il a été au bout de ses possibilités. C’est son succès lui-même qui provoque sa fin. Il n’y a pas moyen d’inventer suffisamment d’investissement vu la quantité de capitaux existant dans le monde. Tous les cadeaux des Etats et des banques centrales au capital ne peuvent qu’être des palliatifs d’une durée de plus en plus limitée.

    5- L’accumulation du capital est le but même de la société capitaliste. Produire, exploiter, vendre des marchandises, tout cela n’est qu’un moyen. Faire de l’argent, s’enrichir n’est aussi qu’un moyen. Le but même est de transformer cet argent en capital, c’est-à-dire trouver les moyens de l’investir et de lui faire rendre du profit, lequel profit doit lui-même encore être investi.

    6- C’est ce mécanisme qui ne fonctionne plus. Il n’est pas grippé. Il n’est pas menacé. Il est mort. Il a été maintenu en survie pendant un temps déjà très long par des mécanismes financiers et eux-mêmes viennent d’atteindre leurs limites. On ne peut pas maintenir le mourant tellement longtemps même en inventant de nouvelles techniques de survie artificielle. Bien entendu, aujourd’hui tout le monde accuse le système financier et ses « folies », mais c’est oublier que ce sont ces prétendues folies, des politiques pratiquées parfaitement consciemment, qui ont permis au système de perdurer au-delà de ses limites.

    7- Les guerres locales comme celles d’Irak, celle d’Afghanistan, mais aussi de Yougoslavie et du Timor ont été aussi des moyens de faire durer le système. Mais, là aussi, les limites sont atteintes.

    8- Quel moyen aurait le système de se redresser vraiment ? Celui de détruire une très grande partie des richesses et des marchandises accumulées. Il ne lui suffit pas de détruire les richesses fictives de la finance. Il lui faut, pour repartir, détruire une partie de la planète comme il l’a déjà fait, dans des circonstances semblables, lors de deux guerres mondiales.

    9- De là découle l’alternative pour les classes ouvrières et les peuples. Entre le Capital et le Travail, il y a maintenant une question de vie ou de mort. Même si la classe ouvrière ne souhaite pas consciemment se préparer au renversement définitif du système et à la fondation d’une société reposant sur la satisfaction des besoins collectifs des peuples de la planète, c’est le capitalisme lui-même qui va la contraindre à choisir.

    10- Les mécanismes politiques et sociaux de domination sont désormais dépassés. On va voir du nouveau. Les « démocraties » occidentales vont montrer toute leur barbarie aux populations qui y sont le moins préparées : celles de leurs propres pays. Les dictatures, les fascismes vont revenir au goût du jour.

    11- Il est urgent de préparer l’avant-garde aux situations à venir. Il n’y a rien de plus urgent que de comprendre la crise actuelle et ses conséquences et de les faire comprendre autour de nous. Ce qui est à l’ordre du jour n’est pas seulement de se défendre contre des attaques. C’est de se défendre contre une attaque idéologique de grande ampleur. Les gouvernants vont tâcher de donner leur propre interprétation des événements pour nous convaincre qu’eux seuls peuvent faire revenir l’époque passée. Ils mentent. Elle ne peut pas revenir. Ils vont chercher ainsi à nous empêcher de nous organiser entre nous pour comprendre, discuter et répondre aux situations. La crise de confiance des peuples dans le système est dangereuse si les opprimés, si les peuples se mettent à s’organiser, et déjà à se réunir pour confronter les points de vue, pour donner leurs avis sur la signification de ce qui se passe et sur les moyens d’y faire face.

    12- Ce que souhaite la classe dirigeante, c’est que chacun se retrouve face à ses peurs, face aux problèmes matériels touchant sa vie, celle de sa famille, et se demande seulement quel dirigeant bourgeois va pouvoir le sauver. Des sauveurs suprêmes, des Hitler ou des chefs civils ou militaires dictatoriaux prétendant tenir la solution, on va en voir défiler. La première des tromperies qui va se présenter à nous sera celle des réformistes de tous poils qui auront quantité de prétendues solutions pour sauver à la fois le système et la population. Le seul effet de leurs discours sera de démobiliser les opprimés et d’éviter tout risque révolutionnaire aux exploiteurs afin de leur permettre de préparer leurs vraies solutions violentes : dictatures et guerres. D’avance il faut se préparer à n’avoir confiance qu’en nous-mêmes.

    13- Au lieu de se protéger, ce qui ne sera pas possible, il faut saisir l’occasion. Le capitalisme est atteint dans ses fondements. Profitons-en pour en finir avec ce système d’exploitation. Nous sommes des millions de fois plus nombreux que les exploiteurs et bien plus forts que le système si nous en sommes conscients. La fin du capitalisme ne sera une catastrophe et un recul massif que si nous nous contentons de nous défendre, catégorie par catégorie, pays par pays, groupe social par groupe social. Cela peut être le prélude d’une avancée historique de l’humanité si nous décidons d’en finir avec l’esclavage salarié.

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