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Sur le mouvement des universités en France (de janvier à juin 2009)

jeudi 22 octobre 2009

Le but de ce texte est de faire un petit bilan du mouvement des universités auquel l’auteur de ces lignes a participé, au travers ce qu’il a pu voir, sa vision restant donc partielle. Par la même occasion, même si ce n’est pas l’essentiel, il apporte la contradiction, entre autres, aux analyses de deux tendances du NPA qui se présentent comme son aile radicale. La tendance CLAIRE écrit « Les syndicats ont trahi le mouvement etc ». La Fraction l’Etincelle de LO écrit : « Les grandes journées appelées par les syndicats ont rythmé le mouvement etc ». Ces deux visions, apparemment en contradiction, vont en fait dans le même sens : ce sont les organisations qui ont joué un rôle fondamental dans ce mouvement, dans un sens positif pour la Fraction l’étincelle, négatif pour CLAIRE.

Or une des caractéristiques essentielles des acteurs ce mouvement, a été leur capacité volontariste à s’organiser, à contrôler leur mouvement au travers d’une Coordination Nationale des Universités (CNU) qui a exprimé, explicitement, haut et fort ,sa défiance vis à vis des organisations syndicales. Les universitaires n’étaient pas dupes de ces appels à des « grandes journées » du 29 janvier, 13 mars et 1er mai, sachant que le but des syndicats n’était que de « ballader » les travailleurs. Les auteurs des analyses de F et de Claire sont d’autant plus surprenantes que ces tendances n’ont absolument pas participé activement à ce mouvement en y ayant une politique, ce qui impliquait tenir une place active dans la coordination nationale. Les analyses de ces camarades ne sont pas étayées par des épisodes du mouvement.

1. Le statut des Enseignants-chercheurs fonctionnaires.

Une première étape est de rappeler comment s’est développé ce mouvement. C’est la modification du décret de 1984 qui régit l’organisation du travail des enseignants-chercheurs de l’Université Française qui a mis le feu aux poudres. Rappelons que les universitaires se répartissent en gros entre trois types : les chercheurs (C) qui font de la recherche a plein temps, les enseignants-chercheurs (EC) qui partagent leurs activités entre recherche et enseignement, les enseignants (E) qui ont en gros une charge d’enseignement double de celle des précédents car ils ne sont pas censés faire de la recherche, seulement de l’enseignement. Ces trois catégories sont touchées par diverses réformes. Les C s’étaient mobilisés il y a quelques années. Mais c’est la modification du statut des EC qui a mis les EC en mouvement et rallié les chercheurs puis les autres. Une autre réforme dite « mastérisation » concerne la formation des enseignants du second degré et des écoles a été l’autre cause du mouvement dans les IUFMs (instituts de formation des maitres). Le partage du temps de travail des EC entre recherche et enseignement était clairement quantifié par un décret de 1984 : 192h de présence par an devant les étudiants. La modification du décret de 1984 consiste essentiellement à introduire une modulation, un horaire d’enseignement qui n’est plus explicitement quantifié par un décret. Bref la charge d’enseignement peut augmenter, et les EC qui sont de "mauvais" chercheurs auront plus d’enseignement à effectuer, l’enseignement est donc vu comme une punition pour ces mauvais chercheurs, l’enseignement est donc dévalorisé.

2. La coordination du 22 janvier

Au cours des dernières semaines 2008, dans toutes les universités des EC se réunissent et votent des motions condamnant la réforme du gouvernement. L’initiative cruciale, qui va réellement faire démarrer le mouvement et lui donner une physionomie qu’il gardera jusqu’à la fin, a lieu mi-janvier : des enseignants CGT de Paris 1 prennent l’initiative d’appeler à une Coordination Nationale de Universités (CNU) dans leur fac à Paris 1. Environ 80 délégués représentant une cinquantaine d’universités sont représentées. L’ambiance est survoltée. Au cours des débats, on entend régulièrement . « allez, on vote la grève ».. Dans le texte final, un ultimatum est lancé au gouvernement. : s’il ne retire pas son décret annulant celui de 1984, « l’Université s’arrête » à partir du 2 février. D’autres revendication concernant les IUT et la formation des professeurs des écoles et des lycées sont présentes. Les revendications qui seront le moteur du mouvement du début jusqu’à la fin. A la fin de la réunion on se dit : au fait on appelle à la journée du 29 janvier ? Bien sûr, on y appelle. On sait que les directions syndicales veulent nous promener, mais ça fait une date de manif.Ce n’est pas du tout cette journée du 29 qui a encouragé le début du mouvement. Une « grève bouton » est lancée : une minorité appelle a un mouvement national avec grève illimitée vu les nombreuses AG locales, et ce mouvement va effectivement démarrer.

3 Le rôle des syndicats

Au début la CGT envoie par e-mail à ses adhérents des instructions : toute coorde est anti-syndicale, n’y allez pas. Rappelons que ce sont des CGTistes qui ont lancé la coorde. La base des EC en mouvement est satisfaite de cette forme d’organisation, et y tient. Les syndicats jouent un rôle particulier à l’université : ils les dirigent, il y a un régime d’autogestion. Ce sont les universitaires qui élisent leur équipe dirigeante, qui correspondent en générale à des listes syndicales. Tout le monde sait donc que les syndicats ont été favorables à toutes les réformes du gouvernement, ils les appliquent avec zèle. La politique de « cogestion » des syndicats est mille fois plus visible que dans le privé.

4 Les étudiants

Les étudiants ont vite rejoint le mouvement.. Leur revendication principale était le retrait de la LRU (loi sur l’autonomie des université), qu’ils avaient combattue quelques mois plus tôt, sans succés. Au début certains EC étaient réticents à voir des étudiants élargir la plate-forme du mouvement. Le 22 janvier nous avons voté contre l’inclusion de cette revendication (abrogation de la LRU) dans la plate forme du mouvement, car il était faux de dire que les EC s’étaient mis en mouvement pour cela. Mais les EC ont été heureux de voir les étudiants gonfler les manifs, faire vivre le mouvement en bloquant les facs. Certains initiateurs du mouvement (dont des profs de droit UMP) ont jusqu’au bout lancé des cris contre cette « radicalisation ». Ca tiraillait dans tous les sens, mais ça a tenu, c’est un des mérites de la CNU, d’avoir maintenu cette unité entre des catégories qui se regardent en chiens de faïence. Au niveau structuration du mouvement, un Coordination étudiante (CNE) a commencé à, se mettre en place, elle reprenait les revendications de la CNU, ses animateurs ont sans doute joué un rôle local dans certaines facs, mais au niveau national, elle n’a pas voulu se structurer avec la CNU, et n’a joué aucun rôle dirigeant (un peu comme la coorde étudiante du mouvement anti-cpe). Elle était apparemment dirigée par SUD ou d’autres appareils politico-syndical qui voulaient se construire au travers du mouvement.

La CNU s’est en revanche ouverte sans problème aux étudiants et aux Biatoos (personnels techniques, administratifs) : chaque établissement était invité à envoyer des délégués représentant toutes les catégories de personnels et des étudiants. Ce fut fait mais la CNU est restée animée avant tout par les EC et C, qui ont été le moteur du mouvement du début à la fin, appuyé par un activisme étudiant bien sûr plus visible, mais sans revendications vraiment propre aux étudiants.

5 La durée et le niveau de conscience du mouvement

Lors de premières coordinations, un communiqué du matin était voté : ceux qui vont négocier avec le gouvernement (sous entendu : syndicats, associations, présidents des universités) sont des guignols, ils ne représentent qu’eux-mêmes. Du début à la fin du mouvement, les syndicats enseignants sont venus à la coorde, mais avec un profil bas, car les délégués les écoutaient avec le sourire : « on est content de vous voir, mais vous êtes vraiment une bande d’hypocrites, tout le monde la sait ». Le président de l’Unef, est venu à la coorde du 2 février à la Sorbonne, s’est fait huer par les délégués, est sorti, n’est jamais revenu. Ce sont les chercheurs, non les étudiants qui ont expulsé le président de l’Unef de la coorde. Certains ont proposé d’élire un bureau et des porte-parole. A début du mouvement, cela a été systématiquement rejeté par des votes. La motivation du non était : on sait que les orgas veulent reprendre pied dans le mouvement par ce biais. Donc un des mouvement les plus durable de 2009 a été lancé et a duré grâce à un absence totale de structuration de l’assemblée des délégués. La philosophie était que chacun localement était un porte parole du mouvement s’il le voulait ! A la fin, des porte paroles ont été élus, il n’ y avait plus la méfiance du début, et leur mandat était clair : ils sont des porteè-parole, pas des dirigeants, et tout le monde continuera à s’exprimer au nom du mouvement.

6 Les limites et fin du mouvement

Vers le mois de mai, la question des examens est posée ; annule-t-on les examens, donne-t-on l’année aux étudiants. C’est en gros ce qui a été voté à la CNU, mais lorsque les délégués sont revenus dans établissements, ils n’ont pas été suivis dans les AG. Mais on ne peut pas parler d’une quelconque trahison. Les EC ne voulaient pas aller jusqu’au bout d’un affrontement frontal avec le gouvernement, ce ne sont pas les syndicats, qui ont arrêté le mouvement. Ce à quoi les EC s’opposaient, c’étaient le fait d’être traités comme du petit personnel, des travailleurs, alors qu’ils se sentent des « hauts cadres », des « dirigeants » de la boite de l’éducation nationale. Ils ont donc « assumé leurs responsabilités » pour que la boite continue à fonctionner. Une convergence avec d’autres luttes aurait pu avoir lieu (postes, hôpitaux), des motions allant dans ce sens ont été votées, mais les EC n’ont jamais vraiment voulu se mêler à ces autres catégories.

7 les réticences des groupes d’extrême gauche

Les organisations d’extrême gauche n’ont pas eu de politique particulière dans ce mouvement. LO, la Fraction l’étincelle et la tendance CLAIRE ont boycotté politiquement. Les militants du NPA étaient présents individuellement, peu distinguables des autres animateurs. Sur la question de la convergence des luttes, le NPA a été un frein. A Nanterre ses militants jouaient un rôle de premier plan dans la grève des postiers du 92, et à l’université de Nanterre. Aucune action commune n’a eu lieu. Lorsque j’en ai parlé à deux délégués CNU de cette université (un personnel et une étudiante) ;, le premier a confirmé qu’il avait essayé de contacter ses camarades NPA postiers mais qu’ils n’avaient pas répondu, que le rôle de frein du NPA que je soulignais était réel, alors que l’autre m’a fait une grimace et est partie. A Evry (91) les postiers du 92, grévistes, emmenés par des camarades Sud-NPA, ont été accueilli par des postiers du 91 grévistes, emmenés par leur leader Sud-NPA. Le rassemblement avait pour objectif de monter la volonté d’extension des luttes. Lorsqu’avec un collègue de l’université j’ai pris la parole pour appeler à une convergence des luttes entre poste et université, en leur disant que la fac d’Evry était bloquée, les gars ont applaudi, l’un d’eux est venu me voir pour me dire que ma référence à la grève en Guadeloupe était juste, que nous devrions faire pareil ici. Mais les militants de Sud-NPA sont restés sourds à nos propositions, ils étaient visiblement gênés par notre intervention. Lorsqu’à une réunion publique bilan organisée par le NPA j’ai évoqué notre échec en ce qui concerne la convergence (sans décrire précisément les cas d’Evry et de Nanterrre) les militants étaient gênés, ils savaient parfaitement de quoi je parlais, aucun n’a voulu discuter (les deux délégués de Nanterre étaient présents).

D’autres groupes d’extrême gauche théorisent le fait que le EC sont des bourgeois, que ce mouvement est donc quasi réactionnaires, les révolutionnaires n’ont pas à y participer. Par l’université on est en fait face à des problèmes qui touchent les milieux les plus populaires. Un EC à l’audience de milliers d’étudiants qui viennent de tous les milieux : d’un bourgeois du 16ème à un sans-papiers tout juste débarqué d’Afrique, qui a vu ses camarades de lycée tués dans des manifs, et a peur d’être arrêté en prenant le RER pour se rendre, après les cours, dans une boîte de nettoyage où ils travaille pour financer ses études,. Le public étudiant est divers socialement. Une partie est la jeunesse des quartiers populaires. L’ augmentation des droits d’inscriptions sera une augmentation des impôts locaux pour ces milieux. La demande de régularisation des étudiants sans papiers a été voté à la CNU. A Evry nous avons élu un délégué étudiant sans-papiers, organisé une manif devant le CRA de Palaiseau car un ancien étudiant de la fac y avait été placé. La mailing liste de la CNU a fait une grosse pub pour cette manif. Les organisations d’extrême gauche auraient pu faire cela systématiquement dans tout le pays, ; le mouvement aurait pris autre caractère. Le présenter comme un mouvement réactionnaire néglige ces aspects.

8 Quels bilan du mouvement, victoire, défaite ?

La CNU continue à exister grâce entre autre à internet, les contacts qui ont été pris à travers tous le pays existent encore, des infos continuent à venir de partout, c’est un acquis énorme, qui permettra de redémarrer un mouvement si les EC le veulent. Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est mois le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs. (Le Manifeste du Parti Communiste) C’est ce qui me semble le mieux faire le bilan du mouvement En tout cas il n’y a pas de sentiment d’échec, car ceux qui ont lutté ont contrôlé leur mouvement, ne se sont pas sentis trahis. Les syndicats n’ont eu aucun moyen de l’arrêter, et le fait qu’un tel mouvement aux objectifs assez corporatistes ait embêté le gouvernement pendant des mois est sans doute du à cette forme d’organisation que les autres catégories de travailleurs (sans-papiers, automobile) n’ont en général pas réussi à se donner.

Alex

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