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L’anticapitaliste M. Lowy a-t-il raison de prétendre qu’en 1914 Lénine découvrit la dialectique de Hegel et rompit avec son "vieux bolchévisme" ?
dimanche 25 août 2024
En février 2024 sur le site de la IVème internationale, on lisait l’article De la Grande Logique de Hegel à la gare de Finlande à Petrograd par M. Lowy. C’est une republication de cet article de 1970.
La thèse que contient cet article, résumée en titre de notre brève, est à notre avis farfelue :
La lecture critique de Hegel a précisément aidé Lénine à se libérer d’une théorie abstraite et figée qui faisait obstacle à cette analyse concrète : la pseudo-orthodoxie pré-dialectique de la IIe Internationale. C’est dans ce sens, et dans ce sens seulement, qu’on peut parler de l’itinéraire théorique qui mène Lénine de l’étude de la Grande Logique dans la bibliothèque de Berne, en septembre 1914, aux paroles de défi qui « ébranlèrent le monde », lancées pour la première fois, la nuit du 3 avril 1917, dans la gare de Finlance à Petrograd.
Rappelons que lors de sont retour en Russie en Avril 1917, dans ses Thèses d’avril, Lénine surprit la direction de son parti (les opportunistes Kamenev, Staline, Zinoviev) en expliquant que la révolution socialiste était au programme. Il semblait se rallier aux thèses de la révolution permanente de Trotsky.
Pourquoi discuter de l’interprétation de ces Thèses d’Avril par M. Lowy ?
Des partis comme les deux NPAs jumeaux ne se disent plus comunistes mais anticapitalistes. Un des plus anciens représentants de l’anticapitalisme est M. Lowy.
Or l’anticapitalisme est un fourre tout (qui peut inclure Marx et Hitler) qui ne peut être un programme rigoureux. Les anticapitalistes retournent donc au marxisme lors de leurs "universités d’été" pour paraitre exister au niveau théorique, espérant aussi que la bourgeoisie leur laisse une place, l’anti-marxisme de gauche (le centrisme) étant un aspect de la propagande bourgeoise depuis 1914.
Engels, Plékhanov, Kautsky, Trotsky et le "vieux bolchévisme" de Lénine mis à la poubelle
Nous exagérons ? La présentation de l’article en question par le site Inprecor est la suivante :
Dans ce texte, Michael Löwy explique la trajectoire politique de Lénine, de la position classique, étapiste, de la IIe Internationale sur la prise du pouvoir par le prolétariat, en lien avec ses conceptions philosophiques marxistes.
Or "la IIème internationale" avait pour militants Engels, Plékhanov, R. Luxemburg, Trotsky et Lénine, Lafargue. Ils auraient été étapistes ? Mao et Staline furent étapistes : le stalinisme et le maoïsme étaient donc déjà inclus dans les idées d’Engels ? C’est cela qu’Inprecor dit implicitement, laissant le soin à des gens comme S. Courtois ou le Figaro de traduire brutalement ces termes en anticommunisme primaire.
Les "livres" de Besancenot et Lowy suivent ce principe : donner des arguments anti-communistes au nom du marxisme lui-même.
Bien sûr Lénine est "sauvé" par l’article de M. Lowy : après 1914 Lénine aurait enfin compris les choses. Cette astuce permet à M. Lowy de ne pas jeter lui même à la poubelle Engels, R. Luxemburg, Trotsky et Lénine d’avant 1914 ... mais de faire faire ce sale travail par Lénine lui-même !
Pour cela, il faut inventer une sorte d’immaculée conception, une "nuit de Pascal", un choc quasi mystique : Lénine s’est "retiré" dans une bibliothèque en 1914 à Berne pour y lire La Science de la Logique de Hegel, et tout aurait changé en lui, il aurait découvert la dialectique.
La "nuit pascalienne" de Lénine d’après M. Lowy
Citons le raisonnement complètement bancal de Lowy :
Quelles ont été les sources méthodologiques de ce tournant ? Quelle est la differentia specifîca de sa méthode par rapport aux canons de l’orthodoxie marxiste « d’antan » ? Voici la réponse de Lénine lui-même, dans un écrit polémique dirigé précisément contre Soukhanov, en janvier 1923 : « Tous ils se disent marxistes, mais ils entendent le marxisme de façon pédantesque au possible. Ils n’ont pas du tout compris ce qu’il y a d’essentiel dans le marxisme, à savoir : sa dialectique révolutionnaire » .
Sa dialectique révolutionnaire : voici, in nuce, le lieu géométrique de la rupture de Lénine avec le marxisme de la Hème Internationale, et, dans une certaine mesure, avec sa propre conscience philosophique "d’antan ». Rupture qui commence au lendemain de la 1ère Grande Guerre, se nourrit d’un retour aux sources hégéliennes de la dialectique marxiste et aboutit au défi monumental, « fou » et « délirant » de la nuit du 3 avril 1917.
(...)
Le « vieux bolchevisme » ou le « marxisme d’antan » : Lénine avant 1914.
Reconnaissons la magie verbale du centrisme. M. Lowy pose une question (avec du jargon latin) : "Quelle est la differentia specifîca de sa méthode par rapport aux canons de l’orthodoxie marxiste « d’antan » ?" (question que n’a jamais posée Lénine !), et affirme que Lénine a répondu en 1923 dans tel article à cette question jamais posée par Lénine lui-même.
Au lieu de commencer par prouver l’existence d’une rupture dans la pensée de Lénine en 1914, M. Lowy pose une question sur l’origine de cette rupture.
Montrons le jouet astucieux qui se cache derrière cette méthode de M. Lowy, au moyen de deux exemples :
1) pourquoi les joueurs du PSG perdent-ils toujours en finale ? Lénine a répondu en 1923 : "Ils n’ont pas du tout compris ce qu’il y a d’essentiel dans le marxisme, à savoir : sa dialectique révolutionnaire !"
2) pourquoi les mathématiciens n’ont-ils pas réussi à démontrer la quadrature du cercle ? Lénine a répondu en 1923 : "parce qu’ils n’ont pas du tout compris ce qu’il y a d’essentiel dans le marxisme, à savoir : sa dialectique révolutionnaire"
On peut répondre à tout, c’est magique !
Les vrais propos de Lénine en 1923
Le texte auquel se réfère M. Lowy est heureusement indiqué par lui en note : Lénine, Sur notre révolution (À propos des mémoires de N. Soukhanov), Œuvres, Moscou, vol. 23, p. 489. Il y a une erreur dans cette référence mais on peut trouver ce texte : Sur notre révolution. A propos des mémoires de N. Soukhanov
On y constatera que Lénine ne répond pas à une question sur le PSG, ni sur la quadrature du cercle ni à la question de M. Lowy "Quelle est la differentia specifîca de sa méthode [de Lénine à partir de 1914] par rapport aux canons de l’orthodoxie marxiste « d’antan » ?"
Voici les propos de Lénine :
J’ai feuilleté ces jours-ci les mémoires de Soukhanov sur la révolution. Ce qui saute surtout aux yeux, c’est le pédantisme de tous nos démocrates petits-bourgeois ainsi que de tous les paladins de la IIe Internationale. Sans compter qu’ils sont incroyablement poltrons, que même les meilleurs d’entre eux se payent de faux-fuyants dès qu’il s’agit du moindre écart vis-à-vis du modèle allemand, sans parler même de ce trait de caractère propre à tous les démocrates petits-bourgeois, et qu’ils ont suffisamment manifesté tout au long de la révolution, — ce qui saute aux yeux, c’est leur imitation servile du passé. Tous ils se disent marxistes, mais ils entendent le marxisme de façon pédantesque au possible. Ils n’ont pas du tout compris ce qu’il y a d’essentiel dans le marxisme, à savoir : sa dialectique révolutionnaire. Ils n’ont absolument pas compris même les indications expresses de Marx, disant que dans les moments de révolution il faut un maximum de souplesse ; ils n’ont pas même remarqué, par exemple, les indications de Marx dans sa correspondance se rapportant, il m’en souvient, à 1856, où il formulait l’espoir de voir se réaliser, en Allemagne, l’union de la guerre paysanne, capable de créer une situation révolutionnaire, avec le mouvement ouvrier. Même cette indication expresse, ils l’éludent, ils tournent autour et à côté, comme ferait un chat autour d’une bouillie chaude.
Ainsi Lénine dénonce la IIème internationale, mais pas celle d’antan, d’avant 1914 comme l’affirme M. Lowy, mais au contraire celle d’ après 1914, qui est composée depuis cette date quasiment exclusivement de "nos démocrates petits-bourgeois ainsi que de tous les paladins de la IIe Internationale" (ceux des deux NPA et de la pseudo-internationale de M. Lowy, aimerions nous ajouter).
Contre cette IIème internationale de 1923, Lénine en appelle au contraire au "canons de l’orthodoxie marxiste d’antan ", que n’aime pas M. Lowy : ceux de Marx.
En tout cas Lénine ne parle absolument pas du lien entre la rédaction de ses Thèses d’Avril en 1917 et sa lecture de Hegel en 1914 dans cet article de 1923 !
De plus Lénine ne date pas de 1914 sa découverte de la dialectique
Lénine a-t-il découvert la dialectique en 1914 ?
C’est ce que M. Lowy affirme. Par exemple :
Lénine lui-même avait caractérisé la Commune comme un gouvernement ouvrier qui avait voulu accomplir, à la fois une révolution démocratique et une révolution socialiste. C’est pour cette raison que Lénine, prisonnier du « marxisme d’antan », l’avait critiquée en 1905. C’est pour la même raison que Lénine, le dialecticien révolutionnaire, la prend pour modèle en 1917.
C’est encore magique ! D’après Lowy, avant 1914, Lénine critiquait la Commune, après la lecture de la Science de la Logique (1914), Lénine ne la critiquait plus. C’est du charlatanisme ! Si Lowy avait compris quelque chose à la dialectique, il se serait souvenu que depuis la Commune, tout marxiste conséquent la prend pour modèle et la critique en même temps ! Lénine avant 1914 comme après 1914 se réclamait de la Commune et la critiquait en même temps !
Citons un écrit de Lénine d’avant 1914 qui montre qu’il avait déjà bien compris la place centrale de la dialectique dans le marxisme :
Marx ne s’arrêta pas au matérialisme du XVIIIe siècle, il poussa la philosophie plus avant. Il l’enrichit des acquisitions de la philosophie classique allemande, surtout du système de Hegel, lequel avait conduit à son tour au matérialisme de Feuerbach. La principale de ces acquisitions est la dialectique, c’est-à-dire la théorie de l’évolution, dans son aspect le plus complet, le plus profond et le plus exempt d’étroitesse, théorie de la relativité des connaissances humaines qui nous donnent l’image de la matière en perpétuel développement. Les récentes découvertes des sciences naturelles - le radium, les électrons, la transformation des éléments - ont admirablement confirmé le matérialisme dialectique de Marx, en dépit des doctrines des philosophes bourgeois et de leurs "nouveaux" retours à l’ancien idéalisme pourri.
Lowy le sait très bien :
il faut reconnaître aussi que la méthode à l’œuvre dans les écrits politiques de Lénine avant 1914 était beaucoup plus « dialectique » que celle de Plekhanov ou Kautsky.
"Un peu moins, beaucoup plus" : après une prétendue rupture en 1914, M. Lowy introduit des nuances dans le "marxisme d’antan", afin de pouvoir le détruire en deux étapes. Grâce à cette réhabilitation partielle du Lénine d’avant 1914, M. Lowy se sert de Lénine d’avant 1914, d’abord pour décrédibiliser Plékhanov et Kautsky, puis du Lénine d’après 1914 pour décrédibiliser celui d’avant 1914.
C’est la principale utilité des écrits anticapitalistes (en fait antimarxistes) comme ceux de M. Lowy : tenter de faire parler les marxistes authentiques contre le marxisme. Car les anticapitalistes non marxistes comme M. Lowy n’ont rien à fournir de positif par eux-mêmes.
Conclusion
Les conséquence pratiques sont magiques : M. Lowy n’a as besoin de renier Que faire ? (1902) de Lénine (le mode d’emploi pour construire un parti marxiste), il suffit de dire que Lénine lui-même à rompu avec ce "vieux bolchévisme" en 1914 !
Messages
1. L’anticapitaliste M. Lowy a-t-il raison de prétendre qu’en 1914 Lénine découvrit la dialectique de Hegel et rompit avec son "vieux bolchévisme" ?, 2 septembre, 10:20
Le pire chez M. Lowy est qu’il écrit des kilomètres pour avoir l’air de saluer les Thèses d’Avril qui aboutirent à Octobre 1917, alors qu’il ne "croit pas à la théorie de l’Etat ouvrier", comme il le dit lui-même dans sa récente autobiographie en vidéo
Itinéraires pluriels d’un marxiste hétérodoxe.
Etre un marxiste hétérodoxe, ou anticapitaliste, c’est s’auto-proclamer marxiste, mais en refuser les corollaires immédiats, dont la dictature du prolétariat, c’est-à-dire l’Etat ouvrier.
Un anticapitaliste se dit d’accord avec la méthode de Marx, la critique, et se donne le devoir de dire que tout ce qu’a dit Marx est faux, car toute vérité doit être critiquée. Accepter une seule vérité marxiste, c’est être "orthodoxe".