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La grève des ouvriers de PSA Aulnay de 2007, en images

jeudi 12 novembre 2009

Du 27 février au 11 avril 2007, les ouvriers de PSA (Aulnay) ont fait grève pour une augmentation des salaires de 300 €, la transformation des 700 intérimaires en CDI et la retraite à 55 ans. À l’origine de la grève se trouve le refus des propositions dérisoires du patronat d’augmenter les salaires de 1,6% (moins que l’inflation). La solidarité de classe et la durée de la grève n’ont pas suffi à gagner sur les revendications, même si la direction a lâché 125 € pour tous, 5 jours de grève payés, remboursement de 50% du coût du transport. Comme les grévistes de PSA le disent eux-mêmes : "Déçus mais fiers, la lutte continue !".

Un point non négligeable : les ouvriers ont repris une forme d’organisation déjà utilisée lors de grèves à PSA (Aulnay) : le comité de grève. Il importe que ce point soit souligné car, quelques soient les limites de son impact en 2007, il est un moyen de faire en sorte, à l’avenir, que la volonté des travailleurs soit la direction de la grève et non les tractations en douce des intersyndicales.

Mercredi 11 avril, nous avons repris le travail après six semaines de grève à l’usine Citroën d’Aulnay. Nous l’avons fait tous ensemble, en manifestation dans les ateliers de l’usine, banderole en tête avec nos revendications inscrites dessus : 300 € d’augmentation des salaires, embauches des 700 intérimaires et le départ en retraite pour les 600 ouvriers de plus de 55 ans dans l’usine.

C’est pour vous dire que nous sommes rentrés la tête haute, fiers d’avoir mis en échec pendant six semaines de suite, PSA, une des entreprises privées les plus puissantes du pays. Fiers, à 500 grévistes, d’avoir porté haut et fort des revendications fondamentales dont nous savons qu’elles correspondent aussi aux revendications de bien des travailleurs de ce pays.

Une de nos trois revendications principales est celle des salaires. Et sur l’usine d’Aulnay, par le jeu de l’intérim, près de 30 % des salariés sont constamment payés au taux horaire du SMIC, ce qui fait que même avec les primes, quand les agences les reversent, les salaires sont à peine au dessus de 1000 €. Pour les jeunes embauchés, le salaire est de 1200 € net. Ce qui n’empêche pas la direction de prétendre que le salaire minimum versé serait de 1500 € net. Ce qui est un mensonge.

Le mensonge ne pouvait évidemment pas passer auprès des travailleurs de l’entreprise, mais il était destiné à faire bonne figure vis-à-vis de l’extérieur. Le DRH de PSA a même eu droit à une tribune libre dans le journal Le Monde pour faire ce type de déclaration et expliquer que, si la revendication des 300 € était accordée, PSA serait mis en faillite. Mais ce journal s’est bien gardé d’ouvrir ses colonnes aux salariés en grève.

Car nous aurions pu répondre que PSA a accumulé ces dernières années 9 milliards de bénéfice net après impôt. PAS a consacré 2,5 milliards d’euros pour racheter ses propres actions et les détruire dans le but de faire monter leur prix. Le principal bénéficiaire de cette opération est la famille Peugeot elle-même. Oui, PSA se porte très bien, et depuis plus de dix ans, ses ventes sont en constante augmentation, ainsi que son chiffre d’affaire.

La grève a démarré spontanément le 28 avril, sur une chaîne CGT PSA Aulnay de l’atelier du Montage, à la nouvelle que les gars de Magnetto avaient gagné.

Magnetto, c’est une entreprise de sous-traitance à qui PSA a vendu l’atelier d’Emboutissage de l’usine. Les ouvriers de Magnetto en avaient marre de leurs bas salaires et de la pression qu’ils subissaient. Ils se sont mis en grève. Au bout de quatre jours, ils obtenaient 128 € brut d’augmentation de salaire, 5 jours de congés supplémentaires (dont la journée dite de « solidarité »), l’embauche en CDI de 10 intérimaires sur les 40 que comptait cet atelier. Cela a mis le feu aux poudres chez Citroën parce que, tout d’un coup, avoir une augmentation de salaire un peu conséquente devenait possible.

C’est en lisant un tract de la CGT qui expliquait ce que venaient de gagner les ouvriers de Magnetto qu’une dizaine de travailleurs se sont décidés. Le trac a été distribué à 14 h 30, la grève démarrait à 15 h !

Très rapidement, la dizaine de travailleurs de Citroën ont été suivis par d’autres au point qu’à 18 heures les chaînes de montage s’arrêtaient. L’équipe de nuit suivait, elle aussi, spontanément, sans même que les chaînes ne démarrent. Et le lendemain, à son tour, l’équipe du matin entrait dans la grève. Ainsi, toute l’usine était à l’arrêt.

Cette grève a touché, essentiellement, les ouvriers de fabrication qui sont au nombre de 3 000 dans l’usine. Le nombre de grévistes a tourné autour des 500, mais, en comptant ceux qui n’ont fait qu’un jour de grève au début ou qui ont participé à divers débrayages de soutien par la suite, on peut dire qu’un millier de travailleurs ont participé à l’action, ne fut-ce que brièvement. Cela est resté minoritaire, mais néanmoins largement représentatif du profond mécontentement. Pour la première fois, dans cette usine, une vingtaine de moniteurs, qui sont les responsables en dessous des chefs d’équipe, se sont joints au mouvement, ainsi qu’une soixantaine de travailleurs intérimaires.

Très rapidement la grève s’est installée, d’autant que nous avons vite retrouvé les réflexes que nous avions acquis en mars 2005 lorsque nous avions fait une semaine de grève. C’est donc sans difficulté que la décision a été prise de casser le rythme des trois équipes de travail pour que tous les grévistes se retrouvent ensemble dans la journée à faire une seule et même grève.

Nous avons élu un comité de grève d’une centaine de travailleurs pour diriger la grève. Ainsi toutes les décisions ont été discutées tout au long de la grève dans ce comité qui se réunissait deux fois par jour, plus d’une heure à chaque fois. Cela a été un véritable laboratoire d’idées. Un ouvrier a d’ailleurs surnommé la salle où se réunissait le comité : « école de la grève ».

Les propositions du comité étaient adoptées par l’assemblée générale qui se réunissait après chaque comité. Tout a été discuté, de la plus petite décision aux plus importantes. Par exemple, la proposition faite par un ouvrier d’éditer une carte de gréviste qui était poinçonnée tous les matins par un tampon au nom du comité de grève. 557 ont été distribuées.

Nous avons édité un « journal de grève » quotidien, dont sont sortis 26 numéros. Ce journal a été largement diffusé, lu et apprécié par la plupart des travailleurs, même parmi les non-grévistes. Même un des huissiers l’a apprécié puisqu’il nous a fait des compliments à ce propos. Enfin, nous avons envoyé ce journal par internet à tous les syndicats de toutes les usines de PSA. Le comité de grève a permis d’organiser la grève dans l’unité et de répondre au coup par coup à la politique la direction qui a bien évidement utilisé tout l’arsenal anti-grève habituel des patrons.

Ce qui a fait dire à beaucoup, grévistes ou non, que la grève était bien organisée et qu’on a su éviter les provocations que la direction a cherché à monter. La direction a, petit à petit, redémarré la production, tant bien que mal puisque la majorité des ouvriers professionnels refusaient de remplacer les grévistes, et y compris des intérimaires déjà présents malgré les primes qu’elle proposait. On même vu des chefs proposer aux intérimaires 80 € en liquide, de la main à la main, pour qu’ils acceptent de changer de poste.

Il a donc fallu que la direction mette une partie des chefs au boulot, et fasse appel à de nouveaux intérimaires qu’elle a embauchés pour cela. Nous avons contre-attaqué en la faisant condamner par le Tribunal de Bobigny le 26 mars. Elle a ensuite recruté des salariés d’autres usines du groupe. Beaucoup ont refusé et ceux qui ont fini par accepter avaient une prime de 700 € en plus de l’hôtel et des frais payés, mais à condition qu’ils ne rentrent pas chez eux le week-end. Et pour cause ! La direction avait peur qu’ils ne reviennent pas.

Le but était plus d’attaquer les grévistes au moral en faisant croire que tout tournait normalement, que la grève ne servait à rien.

Cela a suscité des discutions entre les ouvriers en grève et nous avons compris que cela ne changeait rien sur le fond, tant que nous restions en grève. La direction a quand même perdu 20 000 autos, ce qui correspond à la perte d’un chiffre d’affaire d’environ 300 millions d’euros.

Tout au long, la direction a mobilisé des centaines d’agents de maîtrise, organisés en groupes de cinq, pour essayer de pousser les grévistes à la faute pour pouvoir les accuser de bloquer les chaînes ou pour provoquer des bagarres entre grévistes et non-grévistes ou entre grévistes et l’encadrement. Les chefs étaient flanqués d’huissiers pour faire des constats. La direction en a embauchés huit à temps complet.

Tout cela était aussi discuté entre nous, et les lettres de menace de sanctions que nous avons reçues étaient le plus souvent ridicules. Par exemple, un des grévistes a reçu une lettre de sanction pour avoir soufflé dans une trompette ! Il est vrai que l’oreille d’un chef n’était pas loin !

Nous avons aussi eu droit à l’accusation que notre grève était politique. L’argument pour appuyer cette accusation a été que la grève était dirigée par un comité de grève ! Et,bien sûr, la direction s’en est prise à la venue de candidats à l’élection présidentielle : Arlette, Olivier Besancenot, puis Marie-Georges Buffet, José Bové. Même Ségolène Royal est venue, sans son drapeau bleu-blanc-rouge, pour rencontrer des ouvriers en grève.

La direction a brandi, aussi, la menace de fermeture de l’usine si la grève continuait.

Mais tout cela n’a pas entamé le moral des grévistes. Au contraire, la détermination s’accentuait de semaine en semaine. Chaque lundi, la direction espérait constater un essoufflement de la grève. Et, du coup, tous les grévistes avaient à cœur de venir le plus nombreux possible les lundis !

Nous nous sommes adressés à l’ensemble des salariés de l’usine pour leur demander de nous rejoindre. Certains l’ont fait. Pour mesurer leur sentiment à l’égard de la grève, nous avons leur avons demandé de signer une pétition. Près de 1300 non-grévistes l’ont signé. Ce qui montrait clairement la popularité de notre mouvement. Ils ont aussi participé à deux débrayages de soutien, et à la collecte ils ont versé 6000 € en signe de solidarité. Hier encore, une centaine d’entre eux nous ont acheté un billet pour notre gala de solidarité.

Dès début, nous nous sommes adressés également aux salariés d’autres entreprises. D’abord, du groupe PSA. Le deuxième jour de la grève, en allant à 150 à Gefco à Survilliers (transporteur de PSA), dont les travailleurs venaient de se mettre en grève eux aussi pour les salaires et qui le sont restés trois semaines durant.

Un autre jour, nous sommes allés à 300 à l’usine Citroën de Saint-Ouen pour distribuer un tract. La direction avait enfermé les ouvriers dans l’usine, il n’était pas possible de les rencontrer. Au bout de quelques minutes, cependant, une des portes de l’usine s’est miraculeusement ouverte et la distribution de tracts s’est transformée en manifestation dans l’usine de Saint-Ouen.

Nous étions 400 grévistes encore à distribuer un tract et à prendre la parole aux portes de l’usine Peugeot de Poissy. Nous avons été bien accueillis et cela a même suscité un débrayage dans l’usine.

En plus des usines du groupe PSA, nous sommes allés devant une cinquantaine d’usines, de Renault-Rueil et Renault-Guyancourt, à la SNECMA-Villaroche, en passant par des ateliers de la SNCF et de la RATP, au centre des impôts de Bobigny, à Servair, Alstom, sans parler des communaux de plusieurs villes que nous avons rencontrés. Notre but était à chaque fois de faire connaître notre grève, de populariser nos revendications et de faire des collectes de solidarité.

Mais la solidarité ne s’est pas limitée au soutien financier.

Dans le groupe PSA, des débrayages ont eu lieu dans presque toutes les usines. Au total, ces débrayages ont rassemblé plus d’un millier d’ouvriers. À l’usine de Tremery, c’est même première fois qu’il y avait un débrayage.

Et puis il y aussi les grèves sur les salaires des sous-traitants de l’automobile :

 Gefco à Survilllers, trois semaines de grève ;

 Lear à Lagny-le-Sec, quatre jours de grève. Et comme Lear fabrique les sièges, les voitures qui continuaient à être faites à Aulnay , du coup elles étaient montées sans siège !

 Lajous, équipementier près de Compiègne, deux jours de grève. Ils ont obtenu 45 €.

 Seidoux, qui fabrique les sièges de la 307 Peugeot pour l’usine de Sochaux.

Nous sommes allés voir aussi d’autres travailleurs en grève sur les salaires, comme les éboueurs de la SITA, dont plusieurs nous ont dit : « on parlait encore de vous ce matin. Votre grève est un exemple ».

La dernière semaine de grève, nous avons organisé une prise de parole et une distribution de tracts à la gare Saint-Lazare avec les grévistes de Clear Channel.

Nous avons passé six semaines à populariser les revendications de 300 € d’augmentation des salaires, de l’embauche des intérimaires et de la retraite à 66 ans. Alors, bien sûr, nous n’avons pas pu faire reculer la direction sur nos revendications. À 500 grévistes, le rapport de force était insuffisant pour cela. Tout en tentant d’entraîner les autres travailleurs de l’entreprise, à partir du moment où nous avons vu que cela ne marchait pas, progressivement, tous les grévistes se sont convaincus de la réalité du rapport de force dans cette bataille-là.

Nous n’avons cependant jamais abandonné nos revendications de départ car ces revendications nous paraissaient plus que légitimes, vitales, et pas seulement pour nous. Malgré tout, la direction a dû reculer, quand même, sur des points qui peuvent apparaître mineurs, mais qui comptaient moralement et matériellement.

Tout d’abord sur les sanctions et les licenciements qu’elle aurait bien voulu faire. Ses huissiers, ses provocations constantes, n’auront servi à rien puisque dans le protocole de fin de grève elle a du s’engager à renoncer aux sanctions.

Puis, elle a dû lâcher sur des revendications mineures, en rapport avec nos revendications principales mais qui sont autant de reculs pour elle. Nous avons ainsi obtenu pour tous une réduction de moitié sur les tarifs des transports de car, son engagement à baisser les tarifs des selfs, la limitation des samedis travaillés dans l’année, le paiement des samedis qui, pour la plupart, seront payés au lieu de disparaître dans des comptes d’épargne-temps. Quatre jours et demi de grève ont été payés.

Enfin, nous avons obtenu pour les 4.500 salariés de PSA Aulnay, grévistes ou non, une prime de 125 €, dénommée par la direction... « prime de cohésion sociale » ! Cerise sur le gâteau : le samedi de la reprise étant un samedi travaillé, nous avons objecté à la direction que c’était le samedi où nous organisions le gala des grévistes à partir de 14 heures. La direction a accepté de lâcher l’ensemble des travailleurs à 13 h 30, une heure plus tôt, pour que ceux qui le veulent puisse aller à notre gala.

Mais au delà des gains matériels, il y a surtout une victoire morale que personne ne pourra nous retirer. Car, à travers cette grève ce qui a été gagné, c’est bien sur la dignité de s’être fait respecter mais surtout le fait que, pendant six semaines, nous avons pu tisser des liens solides entre nous, nous avons été au coude à coude dans une lutte. Nous avons appris à nous organiser. Et cela est un gage pour l’avenir, dans des grèves futures mais aussi au quotidien dans l’usine. C’est une force collective avec laquelle PSA devra compter. Nous avions à peine repris le travail que plusieurs débrayages ont eu lieu, en réplique à des comportements de la maîtrise que les ouvriers ont jugé inacceptables. Le chef des caristes, par exemple, s’est permis de distribuer des sandwiches aux seuls ouvriers qui n’avaient pas fait grève. Les ex-grévistes ont aussitôt débrayé, ont obtenu les sandwiches et en envoyé quelques-uns à la figure du chef !

En guise de conclusion, je vais vous lire un passage de l’avant-dernier numéro de notre journal de grève : « « Parce que la force de notre grève n’est pas dans ce qu’elle est capable d’arracher à la direction à court terme, la force de notre grève, c’est l’écho qu’elle rencontre auprès de salariés de plus en plus nombreux, pas simplement dans le groupe, mais dans le pays. Les problèmes que nous posons, ceux des salaires, de la précarité, de la retraite, ne sont pas propres à Citroën-Aulnay, ils ne sont d’ailleurs pas propres à PSA. Ce sont des préoccupations vitales pour des millions de gens dans ce pays. Chaque jour de grève supplémentaire, ce sont des milliers de gens en plus qui nous donnent raison. Raison sur nos revendications, raison sur le fait que le patronat a largement les moyens de payer, mais aussi raison sur le constat que le seul moyen de l’obtenir, c’est la grève ! ».

Et je terminerai par un des mots d’ordre, qui était scandé par les grévistes : « Aujourd’hui, on est là, et demain, on continue ! »

Philippe Julien, membre du comité de grève

Le film

Après six semaines de grève, les travailleurs en lutte de Citroën-Aulnay ont dû reprendre le travail sans avoir obtenu satisfaction sur les revendications essentielles mises en avant : 300 € nets pour tous, un salaire d’embauche de 1 525 € nets, la transformation des contrats de 700 intérimaires en CDI et le départ en retraite des plus de 55 ans. Ce sont en fait des objectifs pour toute la classe ouvrière de ce pays, et qui ne peuvent être atteints à coup sûr que par un mouvement d’ensemble. Mais avant de les atteindre, il faut bien que certains aient l’audace de les proposer les premiers. Ce mois de mars, ce furent les travailleurs de Citroën-Aulnay.

La conscience de cette audace explique en partie que, au grand dam de la direction, le moral des grévistes n’a pas été entamé par le résultat. Du 11 au 22 avril, la direction reconnaît avoir perdu une journée et demie de production au cours de petits mouvements, ce qui en dit long sur l’ambiance dans les ateliers… après la grève.

Le conflit a été âpre et long, mais de bout en bout conduit et contrôlé par les grévistes eux-mêmes.
Ce qui a mis le feu aux poudres ?

Le succès de la grève de Magnetto, un sous-traitant italien à qui a été confié l’emboutissage des pièces fournies à Aulnay, et dont les ateliers font partie de l’usine. Le 22 février, une grève y éclate pour les salaires. Après trois jours de conflit, les grévistes obtiennent satisfaction sur toute la ligne : 100 € nets d’augmentation, 75 € de prime de reprise, 5 jours de congés supplémentaires, l’embauche de dix intérimaires, l’absence de sanctions, etc. La continuation de la grève menaçant de bloquer les sites d’Aulnay et de Madrid, les directions des deux entreprises ont préféré céder.

Les travailleurs d’Aulnay, mécontents de l’accord salarial accordant 1,6 % pour l’année, signé en février par tous les syndicats sauf la CGT et Sud, se mettent en mouvement à leur tour le 28 février. D’abord limité à quelques dizaines d’ouvriers du montage et de l’assemblage des portes, le mouvement fait rapidement tache d’huile et en fin d’après-midi, deux cents ouvriers de fabrication sont en grève, dont des moniteurs et des intérimaires. L’équipe de nuit suit et la production de C2 et de C3 est complètement arrêtée. Le jeudi, une partie de l’équipe du matin entrée en lutte, l’assemblée générale décide aussitôt d’élire un comité de grève et d’aller rendre visite aux caristes de Gefco à Survilliers, un sous-traitant de Citroën, aussi en grève pour les salaires.
Cette grève ne tombe pas d’un ciel serein

La situation est tendue dans l’usine. Les salaires sont minables. L’explosion du prix de l’immobilier pèse. Comment payer un loyer de 700 € avec un salaire de 1 100 € ? La part des salaires dans la fabrication d’une voiture est passée de 16 % il y a vingt ans à 7 % aujourd’hui ! La productivité a augmenté de 25 % dans le même temps. L’entreprise a parfois employé plus de 30 % d’intérimaires payés au Smic et les salaires d’embauche ne sont que de 1 200 €.

Citroën a écumé le département 93 à la recherche de main-d’œuvre. Près de 22 000 jeunes sont passés sur les chaînes de fabrication du site, depuis une vingtaine d’années, et n’y sont pas restés, vu les conditions de travail et la hargne d’un encadrement omniprésent.

Une grève en 2005, défensive, visait à compenser les pertes de salaires dues au chômage technique mais son souvenir est resté vivace. De plus différents mouvements chez les sous-traitants Gefco, Taïs, Valéo et Enci, ont été suivis le 14 novembre 2006 par une grève victorieuse d’intérimaires. La grève de février-mars a été offensive pour des augmentations de salaires substantielles...
À quelles difficultés se sont heurtés les grévistes ?

D’abord ils étaient très minoritaires. Après quelques jours, la grève a plafonné à 500 grévistes, sur les 3 500 ouvriers de fabrication (l’usine compte 4 500 salariés). Cela a pourtant suffi à perturber considérablement la production : le patron a fait état en fin de conflit de 20 000 véhicules et 300 millions d’euros de manque à gagner. La tentation était grande de bloquer l’ensemble de la production en bloquant carrément l’usine mais cela aurait eu pour résultat négatif d’opposer les ouvriers les uns aux autres.

Ensuite, le patron était déterminé à ne pas céder, soulignant que son bénéfice net avait fondu en 2006 de 83 %, pour atteindre 176 millions d’euros, et « qu’il n’était pas envisageable de négocier au niveau de tel ou tel site… Si nous voulions accéder aux revendications, le coût pour l’entreprise avoisinerait les 500 millions d’euros. » Les grévistes, eux, savaient que la firme avait engrangé, en 9 ans, 8 milliards d’euros de bénéfice net et racheté pour 1 milliard d’euros de ses propres actions l’an passé, pour en faire monter le cours, mais pour un patron ce n’est jamais le moment de lâcher des augmentations !

Enfin il a utilisé l’ensemble des moyens à sa disposition pour casser la grève. Alors que la production avait chuté d’un tiers, il a tenté de déplacer des ouvriers d’autres ateliers mais s’est heurté à de nombreux refus, y compris chez les intérimaires. Puis il a voulu se servir des intérimaires, mais dut arrêter sous la menace d’un jugement du tribunal de grande Instance de Bobigny, rendu bien tardivement le 26 mars alors qu’il n’y avait plus d’intérimaires employés illégalement dans l’usine. Et finalement il utilisa des ouvriers sous contrat PSA, qu’il fit venir de province, en particulier de l’usine de Rennes. Vu les réticences, il fut obligé de passer leur prime de 400 à 700 € et de les parquer dans un hôtel à l’abri des grévistes.

Les manoeuvres d’intimidation, provocation, lettres de menace, monnaie courante dans l’entreprise, se multiplièrent sans compter la propagande incessante contre « une grève politique. »
Qu’est-ce qui a fait tenir les grévistes si longtemps ?

Leur détermination et leur rage de vaincre d’abord.

Deux témoignages d’ouvriers cités dans l’Humanité sont significatifs de cette volonté d’en finir avec cette situation : « Le patron nous a augmenté de 20 €. C’est quoi ça ? Un kilo de boeuf ! » « Pour aller aux toilettes, il faut appuyer sur un bouton. Le moniteur arrive, repart et revient 20 minutes plus tard pour dire qu’il n’y a personne pour vous remplacer à cause du manque d’effectifs. Je bousille ma vessie pour PSA. »

Leur organisation ensuite. L’élection d’un comité de grève, d’une centaine de membres élus par l’assemblée des grévistes, comité responsable devant l’assemblée générale, qui a permis à la démocratie ouvrière de fonctionner sans entrave. Le comité se réunissait dans une salle de repos baptisée pour l’occasion « l’école de la grève ». Le comité était l’embryon d’un pouvoir ouvrier dans l’usine. Il a permis l’organisation de la grève et de faire trancher les divergences entre les syndicats par les grévistes eux-mêmes. Il a rendu possible les initiatives des ouvriers les plus conscients, les plus imaginatifs, les plus déterminés, qui prenaient la parole tour à tour pour définir les orientations des grévistes. Il a donné le moral et rendu possible, au travers de discussions et de débats parfois animés, la cohésion des participants face au patron et devant les différentes situations. Les commissions financières, mairies, journal, actions surprise, ont structuré et rendu publique l’action du comité de grève.
La grève était menacée d’isolement

À l’intérieur de l’usine d’abord. Aussi le comité de grève s’est adressé à plusieurs reprises aux ouvriers qui travaillaient. Il a réussi à en entraîner certains, fait circuler au quotidien dans l’entreprise le journal de la grève, une pétition de soutien aux grévistes qui a recueilli 1 200 signatures, et au travers de collectes réuni plusieurs milliers d’euros donnés par les non grévistes dont une partie au moins a tenu à montrer sa neutralité bienveillante.

À l’initiative du comité, dès le début de la grève, les ouvriers d’Aulnay ont « rendu visite » aux travailleurs d’autres usines du groupe, à 250 à Citroën Saint-Ouen et environ 400 aux usines de Poissy. L’accueil chaleureux entretenait le moral et menaçait PSA d’extension de la grève. Les sous-traitants n’ont pas été oubliés, ni les travailleurs des usines du voisinage comme ceux de la SITA à Pantin, ceux de Clear Channel qui impriment les affiches électorales, sans compter un rassemblement de 1 000 manifestants à Roissy et à plusieurs reprises au siège parisien de PSA. Au total une cinquantaine d’entreprises, petites et grandes, ont été contactées par des groupes d’ouvriers plus ou moins étoffés.

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