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Où va le syndicalisme ?

vendredi 11 décembre 2009

Ce qui suit provient de mondialisme.org et ne reflète pas nécessairement le point de vue de Matière et révolution, exprimé dans ce texte.


Le nouvel âge du syndicalisme (2001)

17 novembre 2009

Cet article est paru dans Echanges n°96 (printemps 2001).

Cela fait des années que le patronat français souhaite voir émerger un syndicalisme fort, un syndicalisme à même de contrôler et d’enrayer les conflits sociaux. « Je suis convaincu, disait Raymond Barre en 1985, de la nécessité pour un pays moderne de disposer de syndicats forts et représentatifs, qui permettent de prévenir les conflits, de nourrir le dialogue social et d’animer la politique contractuelle. » Depuis lors, cet objectif du syndicalisme fort se « mondialise », d’une part en prenant comme modèle le système américain, d’autre part en s’affirmant au travers de la Centrale européenne syndicale (CES), créée en 1973.

Dans son livre Les Syndicats en miettes (1), Jean-François Amadieu prône « un changement profond du droit », une représentation unique au sein des entreprises sur le modèle américain. Il est certain qu’une tendance patronale offensive va dans ce sens actuellement et ce d’autant plus que le centre des négociations se déplace de plus en plus vers le haut du fait des regroupements importants (fusions et acquisitions) de ces derniers temps. C’est au niveau européen, c’est-à-dire au niveau de la CES qui n’avait que peu d’importance jusqu’à présent, que va se traiter le volet social du traité d’Amsterdam. Les syndicats qui ne seront plus ou pas présents dans cette centrale européenne verront très rapidement leurs pouvoirs de négociation s’amoindrir ainsi que leurs finances.

Les fusions et acquisitions remettent déjà en cause de nombreux postes de délégués (désignés) ; les comités d’entreprise (CE) sont regroupés dans des proportions importantes. L’exemple le plus récent est celui du Crédit Lyonnais qui passe de cinquante-trois établissements distincts à neuf : il s’agit là d’une diminution sans précédent de la représentativité syndicale, surtout de celle qui est au plus près des salariés, et ce n’est pas un cas isolé.

Il faut voir qu’actuellement la campagne menée pour renforcer le droit d’opposition des syndicats face à une signature d’accord minoritaire, comme dans la banque où le SNB (syndicat autonome) a vu sa signature contestée par tous les autres syndicats (unanimes), va dans le sens de ce que prône le livre de Jean-François Amadieu : un changement de la législation française pour substituer le principe majoritaire au principe proportionnel dans la représentation des organisations syndicales. La CGT le revendique, la CFDT est d’accord, et va plus loin (2).

Nous voyons donc que « l’émiettement syndical » n’est pas neutre, et qu’en définitive il va devenir un instrument pour une nouvelle recomposition des grandes confédérations « pour un syndicalisme positif et européen ».

Le tournant de la grande grève de 1995

Dans Les Syndicats en miettes, Amadieu fait remarquer que « les grèves de 1995 ont profité aux syndicats oppositionnels dans toutes les élections du secteur public qui ont suivi » (p. 155). « La transformation de la gestion des ressources humaines qui se traduit notamment par de nouvelles règles de rémunération, de classification, d’évaluation et de gestion des emplois (mobilité, réductions d’effectifs, etc.) opère dans un contexte marqué par une perte de confiance des salariés et une propension à la contestation dont tous les sondages d’opinion témoignent depuis 1993 » (p. 155).

En effet, depuis la grève de 1995, certains événements ont complètement redistribué les cartes au niveau syndical en France. Il faut se souvenir qu’en 1995, lors de la grève des cheminots, Marc Blondel, le leader de FO, était au coude à coude avec la CGT ; il était même question (sous la pression des trotskystes lambertistes) d’une réunification des deux centrales... Au lieu d’une réunification, nous avons assisté à une rupture au sein de l’organisation Force ouvrière. Le leader de l’Union départementale de Paris, Jacques Mairé, a été contraint de quitter FO avec ses troupes pour rejoindre l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) (3). Pour rappel, la FEN et les syndicats autonomes voulaient se regrouper en confédération ; le parti socialiste était derrière l’opération et, au sein de FO, une partie de l’appareil penchait vers une combinatoire avec les syndicats autonomes (la tendance Mairé), alors que les trotskystes du Parti des travailleurs (PT) militaient pour la reconstitution de la grande CGT (4).

De son côté, à l’époque, la CGT cherchait, après s’être désafiliée de la Fédération syndicale mondiale (FSM), un syndicat qui la coopterait au sein de la CES – soit FO, soit la CFDT. Après bien des aller-retour entre FO et la CFDT, c’est vers la CFDT que la centrale syndicale « citoyenne » de Bernard Thibault allait se retourner. La CGT devait bien entendu donner des gages de bonne conduite, et ce fut fait à son congrès de Strasbourg, en présence de la secrétaire nationale de la CFDT, Nicole Notat, et d’Emilio Gabaglio, secrétaire de la CES. Il est d’ailleurs intéressant de voir que dans FO la tendance troskyste lambertiste veut que FO quitte la CES.

Pour preuve un texte de M. Sorrentino, de FO Alpes-Maritimes, publié par Le Monde le 17 décembre 2000 et qui parle de « sabotage » de la manifestation de Nice organisée par la CES le 6 décembre 2000 : « Alors que la CFDT et, plus encore, la CGT ont saisi l’occasion de cette “euromanif” pour se livrer à des démonstrations de force, FO a aligné un petit millier de militants, soit trois fois moins que les syndicats autonomes de l’UNSA » ; ensuite, il invoque les concessions faites à la « minorité troskyste » de n’assumer qu’un service minimum.

La CGT est actuellement en crise profonde. Il y a les permanents de Montreuil qui cherchent partout du fric pour survivre, et l’entrée dans la CES leur en donne, les militants de base qui n’acceptent pas tous les revirements de la centrale, les corporatistes qui vivent dans leur entreprise, les souverainistes toujours contre l’Europe du fait que leur industrie nationale (voir le texte signé en juillet par les fédérations CGT de l’agro-alimentaire, la chimie, la métallurgie , les transports) va en subir les frais... L’éclatement du PCF et la naissance à l’intérieur de multiples revues et journaux , tout cela paralyse la CGT et favorise les initiatives de débordement que l’appareil CGT savait autrefois si bien gérer.

Afin de resserrer les rangs de la centrale, le jeudi 6 octobre, la CGT réunissait à Paris 1 700 secrétaires de syndicats. Des critiques intéressantes seront mentionnées dans la presse.

Un militant de Roissy Escale devait bien résumer la situation : « Il y a la CGT d’en haut et la CGT d’en bas. Ce qui se passe en bas n’intéresse pas ceux d’en haut. » (Libération, 7 octobre 2000.)

« Nous sommes en lutte depuis vingt et un mois : l’union départementale nous a lâchés, à la Fédération de la chimie c’est le silence radio, et nous attendons toujours une réponse de la confédération. » (ibid.), s’exclamait la déléguée du centre de recherche de Hoechst-Marion-Roisel, menacé de fermeture. Des critiques furent lancées contre l’alliance avec la CFDT, qualifiée à juste titre de « cheval de Troie de la refondation sociale ».

Partout nous sommes en face d’une recomposition ; la bourgeoisie pousse à la fusion des syndicats (comme en Allemagne) et pour cela elle passe par la CES. Le gouvernement français veut un syndicat fort, parce qu’il sait que toutes les mesures anti-sociales programmées vont provoquer un retour en force des conflits sociaux. Il vient d’en avoir un avant-goût avec ceux de l’été 2000 : Cellatex, Forgeval, Adelshoffen, Bertrand Faure, Continentale d’équipements électriques, Fonderies Manoir Industrie… (voir Echanges n° 94). Tous ces conflits ont largement débordé le cadre de la citoyenneté et du droit, sans que l’Etat et l’appareil judiciaire n’osent intervenir. Comme on dit, ils ont préféré « éponger ».

La célébration des noces entre Notat et Thibault qui avait (entre autres) pour objet l’appui de la CFDT à l’entrée de la CGT dans la CES, en échange d’un engagement de la CGT sur la ligne « citoyenne » de la CFDT, n’a pas été digérée par une bonne partie de la base CGT.

L’affaire du PARE aura au moins provisoirement mis fin à la célébration du mariage, du fait de la signature de la nouvelle convention d’assurance-chômage par la CFDT. Cependant le concubinage reste, par le simple fait que la CFDT et la CGT sont dans la CES et qu’ils sont tous des adeptes de la « citoyenneté », c’est-à-dire de la limitation de l’action du salariat aux droits juridiques et non aux droits réels. Sous la pression de sa base, la CGT a timidement lancé une « mobilisation » sur les salaires le 9 novembre— elle a réuni à peine 5 000 personnes. Par contre, pour le sommet de Nice du 6 décembre 2000, l’appareil s’est mobilisé. Dans des documents internes, la CGT comptait sur une manifestation de 70 000 personnes, et s’engageait à mobiliser 25 000 manifestants ; objectif : faire accepter par les Etats membres de l’UE une Charte européenne des droits fondamentaux qui n’exige que le respect des droits de l’homme et du citoyen, qui seraient paraît-il menacés parce que ne figurant pas dans le projet initial de cette Charte (Convention 45 de juillet 2000). La Charte de la CES et des ONG ne reprend même pas l’interdiction du travail de nuit des femmes, sans doute au nom de l’égalité entre hommes et femmes (5).

Pour l’Etat, le gouvernement et le patronat, la situation devient critique : « L’évolution du paysage syndical est désastreuse. Elle ne permettra pas aux accords collectifs de gagner en légitimité. Elle condamne la refondation sociale et plombe la réforme négociée de l’Etat. Pis encore, les perspectives de rapprochement syndical, de développement d’un syndicalisme puissant et représentatif s’éloignent. Le mouvement syndical ne sort pas renforcé de ces récentes élections », indiquait Jean-François Amadieu dans Les Echos en 2000.

Ce n’est pas nous qui allons nous plaindre de cette situation, et nous pouvons même affirmer que l’affaire des 35 heures n’a fait qu’accentuer tous les clivages au sein des syndicats (nous n’en sommes qu’au début) entre ceux qui acceptent les reculs et ceux qui les refusent. Ainsi, le 20 septembre 2000, nous apprenons que la CFDT du commerce de Paris quitte la centrale de Notat et pense rejoindre la CGT. La CFDT du commerce est contre la ratification de la nouvelle convention collective par la fédération CFDT des services. Même phénomène dans les Banques, après le succès de SUD-SDB aux élections du conseil d’administration à la BNP, succès qui est un désaveu par le personnel de la signature par tous les syndicats (CGT, CFDT, FO, SNB, CGC, CFTC) de la nouvelle convention collective.

En octobre, des dissidents CFDT de la région de Rouen, de la CFDT et de la BNP vont créer SUD-Banques. Au Crédit agricole du Midi, SUD rafle à la CFDT le comité d’entreprise.

Depuis la grève de décembre 1995, la CNT est apparue au cœur d’une lutte nationale ; depuis, elle se développe dans plusieurs secteurs, et notamment à La Poste.

Dans l’assurance, le syndicat FO (noyauté par les lambertistes) a fait le nettoyage de ses opposants ; le syndicat du Nord passera à la CFDT, le syndicat FO de Paris à composante politique multiple sera purement et simplement radié par la Fédération FO (FE) ; ses militants vont se répartir dans les autres syndicats. Certains vont rejoindre l’UNSA (Continent, SMABTP, Société Suisse) d’autres SUD et la CGT (le GAN et Azur). FO est quasiment liquidé par FO dans les assurances.

Le journal patronal Les Echos s’inquiète de la situation. Après nous avoir décrit l’ascension de SUD à France Télécom, à la Poste et à la SNCF, Jean-François Amadieu crache le morceau : « D’autant qu’à France Télécom la politique suivie depuis quelques années pouvait, du moins le croyait-on, provoquer un déclin du syndicalisme de contestation. Mais l’introduction en Bourse et un actionnariat salarié “juteux” pour chaque agent, les filialisations ou encore le recrutement de contractuels au lieu de fonctionnaires n’ont finalement pas eu l’effet attendu. Malgré ce contexte, les syndicats “réformistes” n’améliorent guère leurs positions. Ils perdent même des voix, car les taux de participation baissent fortement... »

Conclusion : on n’arrive plus à acheter la paix sociale. Prenons un autre exemple, celui du syndicat des employés mécontents, le SDEM, implanté dans la compagnie d’assurance Allianz. Celle-ci prend le contrôle des AGF et d’Athéna, ce qui va remettre en cause la représentativité du SDEM dans l’ensemble du groupe. En très peu de temps, ce syndicat, sous l’influence de Lutte Ouvrière, va pratiquement faire boycotter à 50 % les élections. Ce qui indique l’état de décomposition des syndicats officiels de ce groupe (CGT, CFDT, CFTC, CGC), tous vendus.

Récemment, la FDSU (liée au Groupe des 10-SUD) du ministère de l’économie et des finances vient de prendre la première place aux élections professionnelles, avec 24,99 % des voix. Ce qui là aussi est intéressant, c’est que les organisations qui remportent les élections sont celles qui ont mené le conflit de l’année 2000. FO, première organisation au ministère depuis de nombreuses années, passe à la troisième place ; elle est devancée par la CGT. Ceci est à comparer, avec la signature dans les assurances d’une nouvelle convention à la baisse en 1992 ; les syndicats non signataires à l’époque (FO et la CGT) chutèrent aux élections.

La nouvelle donne : refondation et amnistie. « Le grand pardon »

Le Medef va volontairement et ouvertement relancer d’une part le débat sur le financement des syndicats, pour bien faire sentir aux permanents syndicaux qu’il ne faut pas qu’ils crachent dans la soupe. Le paritarisme, cette caisse à finance des syndicats, pourrait ne pas être éternel. Et d’autre part il propose l’amnistie pour les victimes de ségrégation syndicale, et pour les plus durs la répression nette et sans bavure (6).

Le patron du Medef souhaite qu’il soit « procédé à une analyse exhaustive des affectations dans toutes les branches du régime général de la Sécurité sociale » ; et Denis Kessler de préciser qu’il faut désormais mettre au point un « financement explicite » des syndicats. Jacques Chirac se proposait d’aller jusqu’à réformer la constitution en faveur du paritarisme (La Tribune du 10 janvier 2000).

Le discours est clair, surtout quand on connaît Kessler. Il dit implicitement aux chefs syndicaux qu’il n’y aura plus de secret quant au financement des syndicats, et le 12 juillet 2000 le journal Libération titre : « La CFDT lève un voile sur ses finances. » Le tandem fonctionne bien.

En mettant en spectacle cette affaire du financement des syndicats, le Medef fait en même temps comprendre aux salariés qu’il tient les syndicats, qu’il les achète. Cette volonté de montrer ouvertement l’achat des syndicats est symbolisée par le chèque syndical du Groupe AXA (7), confirmé récemment par celui de Renault. De plus, le patronat se permet de jouer les grands seigneurs en procédant à des requalifications pour ségrégation syndicale. Ces requalifications salariales de délégués sont publiés dans Liaisons sociales ».

A RVI (Renault), sept délégués voient leurs salaires augmentés de 500 à 2 000 francs par mois, et en appel RVI est condamné à 250 000 Frs de dommages et intérêts. A Peugeot, ce sont 169 salariés qui sont ainsi requalifiés ; de même pour un délégué CGT de Matra-Bae-Dynamics : le tribunal des prud’hommes de Versailles lui accorde 700 000 Frs de requalification… Tout ceci a un prix : la paix sociale. Pendant que le Medef attaque systématiquement le monde du travail, il faut la paix sociale pour que le capitalisme français remonte la pente. Les trésoriers de la CGT, FO, CFTC et de la CFE-CGC, ont écrit le 4 octobre 2000 au premier ministre pour lui demander que les moyens de financement des syndicats s’inscrivent « dans un cadre légal d’ordre public irréfutable ».

La boucle est bouclée ; comme tout département de l’entreprise, les syndicats auront un budget de fonctionnement, (ils en ont déjà un pour les comités d’entreprise). Ainsi le syndicat ne doit plus être seulement un contre-poids réformiste ; « les partenaires sociaux » doivent maintenant devenir des collaborateurs, des acteurs , des gestionnaires à part entière et, bientôt, la police d’entreprise.

G. B.

décembre 2000-janvier 2001
NOTES

(1) Jean-François Amadieu : Les Syndicats en miettes, éd. Seuil, 1999, 192 p.

(2) La CFDT (voir Le Monde du 4 mai 2000) veut une refonte des règles de la représentativité syndicale. C’est-à-dire un scrutin à un seul tour, qui liquiderait tous les syndicats non confédéraux (SUD, UNSA, CNT, et autonomes...) qui ne peuvent se présenter qu’au second tour.

(3) L’UNSA est une organisation de collaboration de classe et d’arrivistes syndicaux ; sa reconnaissance fut l’œuvre de Balladur en 1994, qui avait pour but de contrer l’ascension de la FSU, scission de la FEN.

(4) A noter, que la centrale FO de Marc Blondel s’est payée clef en main le syndicat CSL (ex. CFT) de Chrysler Poissy connu pour ses pratiques de syndicat musclé et anti-communiste.

(5) Toute cette mise en scène « anti-libérale » consiste à former un front (type Front populaire) contre le « libéralisme » pour la sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen. Ce front qui va jusqu’aux écologistes (vert kaki) a pour fonction de promouvoir le nationalisme européen. « La patrie n’est pas une idée épuisée, c’est une idée qui se transforme et s’agrandit » (Jean Jaurès in L’Armée nouvelle) tout en préservant la souveraineté des Etats... Son objectif est de cibler l’ennemi économique : les Etats-Unis. C’est le sens de la campagne contre la peine de mort aux Etats-Unis et de la déclaration de Chirac visant le pays le plus pollueur de la Terre – aussi les Etats-Unis. De leur côté, les Etats-Unis attaquent l’Europe parce qu’elle autorise la prostitution... notamment la Hollande, ce bordel de l’Europe. Nous connaissons le credo et nous savons où il mène.

(6) A noter la répression de la direction de France Télécom contre des militants SUD et CGT. Plusieurs manifestations devant les sièges de France Télécom à Bagnolet et Créteil (banlieue est de Paris) pour soutenir des militants du syndicat Sud-PTT traduits en conseil de discipline, simplement pour avoir témoigné en faveur d’un de leurs collègues mis à pied pour quinze jours et organisé un rassemblement dans l’entreprise lors d’une journée de grève. Manifestation à Bercy en solidarité avec quatre militants CGT traduits en conseil de discipline.

(7) FO et Marc Blondel en personne ont condamnés cet achat des syndicats ; seulement, quelques temps après, nous apprenions que des « militants lambertistes du parti des travailleurs » réclamaient pour leur fédération (la FEC) le chèque syndical.

1 - La nature profonde du syndicalisme rassemblé

Le 3 novembre 2004, s’est tenu un important et décisif rassemblement de la CGT des secteurs financiers (banques et assurances) : 351 participants représentant 351 syndicats sont venus pour débattre du « syndicalisme rassemblé », en présence du secrétaire général de la confédération, Bernard Thibault. L’objet de cette réunion était de favoriser l’unification par le bas de la CGT et de la CFDT sur la base des « trahisons » successives d’une CFDT qui n’est plus à même de faire passer les plans de régression sociale élaborés par la CES (Confédération européenne syndicale). Si l’on s’en tient à l’évolution historique, l’assurance, puis la banque ont été depuis une vingtaine d’années le terrain d’essai de toutes les attaques contre les droits sociaux, comme la dénonciation des conventions collectives. La fédération des secteurs financiers de l’assurance, particulièrement réformiste, a adhéré à l’association Attacet fait partie d’une instance de « dialogue social », Uni-Europa (inconnue des adhérents de base), dont les orientations exclusivement sociétales et gestionnaires définissent en fait un syndicalisme d’accompagnement au langage radical, candidat à une gestion forte et verticale, embryon d’un syndicalisme mondialisé. Et le 17 juin 2004, la commission exécutive de la CGT se prononçait en faveur d’une « nouvelle internationale syndicale ». Soyez tranquille, il ne s’agit pas d’une « internationale syndicale rouge ». Mais, sur le principe que la CGT s’associe au processus de réflexion engagé par la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Confédération mondiale du travail (CMT) sur la création d’une nouvelle internationale syndicale. On peut se demander, pourquoi même au niveau international il est question de « syndicalisme rassemblé ». Lors de son XVIIIe congrès mondial, la CISL (148 millions de syndiqués) a lancé un processus d’unification avec la CMT (26 millions de membres). Un tel processus regrouperait le courant social-démocrate de la CISL et le courant démocrate-chrétien de la CMT. Compte tenu du passé contre-révolutionnaire des deux confédérations, il faut s’attendre à un resserrement du contrôle social dans les entreprises de la planète. Il nous semble important, de souligner que la stratégie d’alliance CFDT-CGT par le haut du 46e Congrès de la CGT à Strasbourg, en février 1999, ayant échoué (Nicole Notat s’étant fait siffler par la salle). une stratégie d’alliance par le bas passera mieux auprès de la base cégétiste, surtout si elle se présente comme en rupture avec la réforme des retraites et autres. Ainsi, donc la désagrégation de la CFDT va se produire, permettant un recentrage de la CGT vers le « syndicalisme rassemblé ». Après le recentrage de la CFDT de 1979, il était parfaitement clair que la centrale autogestionnaire allait commencer sa « longue marche » d’accompagnement et de démontage des réformes sociales : de réformiste, la CFDT devenait anti-réformiste. Il faudra attendre le grand mouvement de 1995, pour que sous la pression de la lutte de classe (1) une fraction de la CFDT (5 000 adhérents) quitte la centrale pour rejoindre Sud (2). Ensuite progressivement, la CFDT va perdre des militants qui vont se répartir entre Sud et l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA). La centrale devient hémophile. Pour le patronat, il semble que la CFDT soit définitivement grillée aux yeux des travailleurs, et le pantin Chérèque, dans sa dernière représentation au Guignol de la réforme des retraites, achèvera de la déconsidérer.

2 - Des jeux bien réglés

Pourtant, les jeux du cirque avaient été préalablement bien ajustés entre Chérèque et Thibault. « En janvier, en effet, ils s’étaient partagés les rôles. Ils feraient front commun le plus longtemps possible. Et à l’arrière, si la CFDT obtenait des contreparties significatives, la CGT, qui ne pouvait signer l’accord en raison des sacrifices demandés aux fonctionnaires, aurait reconnu que la négociation avait permis des avancées, insuffisantes mais réelles » (Libération du 14 septembre 2003). La CFDT, après ses honteuses négociations, subira de nouvelles et importantes défections. Quant à Chérèque, il recevait les félicitations de la droite et de Raffarin. Et, pour faire bonne mesure, le ministre Fillon avait tenu à saluer « l’attitude responsable » et « l’opposition raisonnable » de la CGT. A partir de 2003, la CFDT est aux prises avec ses délégués de base qui sentent le sol se dérober sous leurs pieds et qui ne peuvent plus circuler dans les entreprises sans avoir de problème avec la base. Il va donc de nouveau y avoir de nombreux départs de la centrale, plus ou moins chaotiques. A la SNCF, sur les 11 000 adhérents de la CFDT, plus de la moitié décident de rejoindre la CGT, Sud ou l’UNSA. Joël le Coq, nouveau secrétaire général de la fédération générale du transport et de l’équipement CFDT (55 000 adhérents) et opposant à Chérèque, estime à 10 000 les départs, dont la moitié chez les cheminots et le reste chez les routiers. En Haute-Loire, 3 500 cédétistes passent à la CGT locale, qui ne comptait que 2 500 adhérents A la Banque de France, 66 délégués régionaux ne veulent plus rester à la CFDT. Ils seront bientôt suivis par de nombreux autres délégués de la Banque. Cet afflux de nouveaux adhérents, passés dans le moule CFDT, permet aux structures de la CGT de faire le ménage parmi leurs contestataires (3). Les liquidations de responsables d’unions départementales ou locales, de représentants syndicaux, se sont multipliées depuis l’intronisation de Bernard Thibault à la tête de la CGT. En fait, on assiste à un curieux chassé-croisé dont le but est, à n’en plus douter, la constitution d’un regroupement syndical unifié au sein de la CES. Celui-ci serait constitué dans un premier temps de la CGT et de pans entiers sortis de la CFDT, auxquels pourraient ensuite se joindre FO, la CGC, l’UNSA, la FSU, voire des morceaux significatifs du groupe des 10 (dit G10), dont Sud fait partie (4).# Est-ce un hasard si ce même G 10 tente en vain depuis d’être reconnu comme organisation représentative en France, tout comme l’UNSA. Il pourrai ainsi participer à toutes les négociations et rencontres officielles avec le gouvernement ou le patronat au niveau central et permettre ainsi un accès direct à tous les modes de financement. Le rejet de ses demandes par le Conseil d’Etat va aussi dans le sens du regroupement syndical autour de la CES.

3 - L’exemple de la fédération de la Métallurgie

L’avant-dernier congrès, en 2002, de la Fédération CGT de la métallurgie, fut plutôt houleux. Des contestataires d’extrême-gauche proches des organisations trotskystes mêlant leurs voix à quelques orthodoxes, à l’époque en dehors du PC, et ce fut la bronca. La direction fédérale sortante devant faire voter plusieurs fois les congressistes pour qu’une motion contre les 35 heures Jospin-Aubry ne passe pas ; ce vote, obtenu à l’arraché, étant plus « conforme » à la nouvelle orientation CES-CFDT. Depuis le dernier congrès de mai 2004, plus aucun problème de majorité : des participants triés sur le volet, plutôt jeunes, adhérents bombardés s’il le faut à des postes importants, comme l’ex-responsable CGT de Cellatex. Des contestataires marginalisés, qui après les mouvements et grèves du printemps 2003 sur les retraites, auraient dû avoir le vent en poupe mais qui au contraire ont pratiquement tous été écartés et débarqués au moment du vote pour l’élection de la nouvelle commission exécutive. Certains membres connus pour leur opposition à la ligne confédérale ont même préféré démissionner, vu leur sous-représentation dans la commission exécutive fédérale. Le nettoyage évoqué plus haut prend tout son sens ! Une étape supplémentaire dans la remise en ligne vient d’avoir lieu avec la signature par la CGT-Métaux et d’autres de l’accord de branche sur la formation professionnelle du 20 juillet 2004. Une réunion préparatoire a eu lieu en septembre 2004 dernier à Montreuil avec plusieurs dizaines d’élus et responsables CGT sans qu’il y ait une seule voix discordante contre cette signature. Cet accord prévoit que la plupart des formations auront lieu hors temps de travail payé à 50 %. Des notions telles que les « compétences » et l’« employabilité » (voir Echanges n° 109), sont de fait avalisées par la CGT alors que viennent de s’ouvrir des « négociations » pour nettoyer de fond en comble la convention collective nationale ( comme cela fut fait en 1992 dans l’assurance). Notions chères à la CES, au Bureau international du travail (BIT) ou à l’Unice (patronat européen). Il s’agit ainsi de faire disparaître le principe même du métier et des grilles de classifications dites Parodi (héritées de l’union PC-MRP-De Gaulle en 1945) avec la mise en place d’un système d’exploitation où chacun sera individualisé à l’extrême sans aucune référence commune à un métier ou un diplôme professionnel. C’est la remise en cause de l’évolution basée sur l’ancienneté ou l’expérience acquise au profit de notions plus subjectives comme les « compétences ». On parlera dorénavant d’emploi, de niveau d’emploi, de compétences mais plus de métiers au sens traditionnel du terme. C’est l’atomisation du salarié moderne dont le travail sera entièrement contrôlé et dirigé par le patron intégrant des critères de soumission et de comportement formatés.

4 - L’épine du « non » à la Constitution européenne

La récente déconvenue de Bernard Thibault (le Comité confédéral national [CCN] de la CGT a voté en février à une écrasante majorité pour le rejet du traité constitutionnel européen) n’est pas pour autant une défaite pour le secrétaire général. Ceci étant, le « non » à la constitution européenne n’est qu’une épine dans le pied des cégétistes pro-CES. La décision adoptée par le CCN - en partie reflet des votes des militants de base - dans les instances de leur syndicat représente, selon le mot de Jean-Christophe Le Duigou, « une défaite pour la direction, ce n’est pas la peine de le cacher ; c’est une prise de position qui revient sur les dix ou quinze dernières années de l’évolution engagée par Louis Viannet et continuée par Bernard Thibault ». Encore que le mot « défaite » soit à relativiser fortement. La présence massive d’un cortège CGT (15 000 participants, autant que les syndicats belges) à la manifestation européenne convoquée par la CES le 19 mars à Bruxelles (avec des manifestants CGT arborant ostensiblement des badges et banderoles appelant à voter « non » au référendum du 29 mai) indique plutôt que Thibaut entend rebondir sur le « non » afin de ne pas provoquer un changement de rythme préjudiciable et handicapant pour l’évolution future de la CGT. On peut même se demander dans quelle mesure l’appareil n’a pas laissé filer la contestation sur le « non » - laissant par exemple se faire la montée en cars et toute la préparation de Bruxelles - afin de mieux en contrôler à terme les retombées. Anticiper, ne pas s’opposer frontalement à la base tout en œuvrant en coulisses pour en récupérer les fruits semble être la voie choisie par Thibault. Les sondages en faveur du « non » vont dans ce sens ! En parallèle, autour de la question liée au référendum, un axe se dessine regroupant la CGT mais aussi FO, qui dit : « La CGT-Force ouvrière réaffirme qu’elle ne se considère pas engagée par les prises de positions publiques de la CES en faveur du projet de " traité établissant une constitution pour l’Europe" ». Incluons-y aussi la CGC, qui parle à propos de la directive Bolkestein de « haute trahison par rapport à l’idéal européen de Robert Schuman et Jean Monnet », voire l’UNSA et le groupe des 10. Seule la CFDT, de plus en plus isolée, appelle à voter « oui » ! D’autres, comme Edmond Maire de la CDFT, en arrivent à ouvertement renier la lutte des classes. La boucle est bouclée et chacun joue son rôle et sa propre partition dans le paysage syndical ! Le syndicalisme rassemblé peut donc utiliser aussi le « non » à la constitution européenne et la lutte contre la directive Bolkestein. Comment opérer un grand tournant à droite pour la CGT tout faisant apparaître le tout comme une grande opération de « gauche » ? Comment faire avaliser dans les faits et en douceur de futures alliances de haut en bas avec les syndicats les plus ouvertement alignés sur les positions de la CES en matière de régression sociale ? Comment ne pas voir que cette future alliance servira aussi le moment venu dans la CGT pour mater les derniers récalcitrants, les équipes syndicales arc-boutées sur les positions traditionnelles d’une CGT contre tout compromis, signatures ou alliances ? Il n’y a qu’à voir que c’est Thibault lui-même qui a évoqué un congrès extraordinaire en septembre 2005 voire la remise en cause de son poste et pas ses soi-disant opposants. Ces derniers n’entendent pas remettre en cause sur le fond l’évolution actuelle de la CGT. La menace directe de retirer des postes de permanents syndicaux dans un contexte où il y a de moins en moins de possibilité de se recaser ailleurs suffit à refroidir les ardeurs de certains. La composition actuelle de la CCN a déjà été l’objet d’un tri sélectif lors des précédents congrès pour qu’elle ne soit pas acquise aux dirigeants actuels de la CGT. Il n’en va de même pour des commissions exécutives fédérales au fur et à mesure des congrès à venir (Chimie, Transports, Energie, etc.). Quant au rythme de l’évolution, il risque au contraire de s’accélérer au lieu de ralentir. Evidemment, Thibault ne veut pas être lié aux résultats à venir du référendum ; il a suffisamment d’espace politique pour imposer son point de vue sur les négociations à venir avec le patronat autant que sur les suites à donner à l’après-5 février et 10 mars. C’est sur ce terrain-là qu’il va donner un peu de la voix, question de refaire l’unité autour de lui ! L’évolution de la CGT doit aussi trancher un débat avec le PC sur son évolution. Celle-ci aurait été plus rapide si le PCF, comme son homologue italien, avait évolué voilà vingt ans vers le libéralisme. En Italie, cela a largement facilité l’alignement syndical de la CGIL. Le PCF, en concurrence avec l’extrême gauche et le PS sur le plan électoral, a encore besoin d’un vernis pseudo-radical, ne serait-ce que pour mieux faire son OPA sur Sud et Attac ! Ceci ne facilite pas toujours les choses pour les tenants de la nouvelle CGT mais il leur faudra passer outre et forcer le changement coûte que coûte ! C’est aujourd’hui la seule alternative possible pour les adeptes de la CGT new look, une CGT devenue la clé de voûte du syndicalisme rassemblé !

5 - Les préparatifs du syndicalisme rassemblé

La CGT de Bernard Thibault, soutenue par le secteur financier pro-européen et regroupé autour de Confrontations Europe (5) qui tient ses réunions dans les locaux du groupe AXA, a décidé, nous l’avons vu, que la fédération des secteurs financiers serait à la pointe du combat pour un syndicalisme rassemblé avec la convocation, entre le 31 mai et le 3 juin 2005, d’un Congrès constitutif de la Fédération des syndicats de la banque et de l’assurance CGT. Tous les militants et adhérents de la CGT ont été surpris de voir qu’en un laps de temps très réduit, un site Internet était monté avec la parution d’un journal, L’Hebdo, alors que précédemment il fallait quémander l’information. Cet arrivage de la CFDT au sein de la CGT semble de plus en plus orchestré. En effet, dans son n° 7, L’Hebdo du 17 février 2005 sous le titre « nettoyage au Karscher » dénonce une CFDT devenue folle et qui liquide à tour de bras ses militants (au Crédit lyonnais et ailleurs) et à la fin de l’article un appel à rejoindre le syndicalisme rassemblé. On est ici en droit de se demander si la CFDT elle-même ne pousse pas ses militants dans les bras de la CGT du secteur financier pour lui donner plus de poids. Un processus identique se trame avec la FSU, où trois positions s’affrontent : transformer la FSU en confédération, faire adhérer la FSU au G10-Solidaires, faire adhérer la FSU à la CGT. Selon la Confédération du syndicalisme révolutionnaire (CSR, interne à la CGT), qui semble bien informée, l’Union syndicale G10 serait au bord de l’éclatement : « Si l’US (6) a toujours eu pour vocation première de renforcer la représentativité institutionnelle de ses syndicats auprès de leur employeur, beaucoup de militants avaient espéré qu’à la longue le militantisme interprofessionnel se développerait en ouvrant alors la voie à une confédération dominée par les syndicats Sud. Pour notre part, nous pensions que cette cohabitation déboucherait au contraire sur une crise inévitable. Celle-ci vient de se produire au moment où les militants de l’US s’y attendaient le moins. Ce n’est pas pour rien si cette crise s’est développée en dehors des luttes. Ses causes sont à rechercher dans une tactique d’appareil initiée par le Bureau national de Sud-PTT. En octobre ce dernier diffuse aux syndicats membres de l’US un texte intitulé "Contre l’éparpillement faisons un pas en avant dans la recomposition syndicale". Le texte offre une vision bureaucratique de cette recomposition, en ne proposant qu’une perspective de restructuration des appareils nationaux. Le BN de Sud-PTT propose en fait une union entre l’US et la FSU ce qui dans les faits signifie l’élargissement de l’US à la FSU. Les militants de la CGT, de FO de la CNT et les opposants de la CFDT sont donc exclus de cette recomposition. Les directions de Sud-PTT et de la FSU sont très pressées puisque le congrès de la FSU doit intervenir en janvier afin d’avaliser cette proposition et comme la FSU n’existe réellement que pendant ce congrès il faut mettre les bouchées doubles. C’est ce qui explique les déclarations de dirigeants à la presse sans que ces derniers ne soient mandatés par leur structure syndicale respective. Retarder ce projet de plusieurs années poserait de graves problèmes car la FSU est en train de jouer sa survie. Survie institutionnelle d’abord puisqu’elle doit élargir sa représentativité à l’échelle de toute la fonction publique si elle veut participer à tous les organismes paritaires (et a leur financement). Survie politique suite au départ annoncé du SNETAA (profs des LP), des tensions entre ses syndicats enseignants et à la chute électorale évidente dans deux ans. L’état de santé de Sud-PTT n’est pas forcément très reluisant. La victoire électorale récente cache de graves défaites (35 heures, privatisations, restructuration, développement de la précarité), une démoralisation des militants et une stagnation des forces ainsi que l’absence d’une réelle stratégie tournée vers le secteur privé. La représentativité institutionnelle ainsi que le spectacle d’une belle union avec la FSU peuvent cacher, pour un temps, une crise de développement. Il a souvent été dit que derrière cette recomposition se cache une manœuvre entre la LCR et des courants rénovateurs du PCF. Si des forces politiques ont pu aider à cette alliance, les raisons profondes sont à rechercher dans la stratégie d’apparatchiks qui défendent leurs intérêts matériels et moraux, à savoir un appareil syndical qui leur garantit leur condition sociale de "cadres syndicaux". Les méthodes antidémocratiques ont pour le moins choqué au sein de l’US. Une majorité de syndicats s’est même constituée au sein du conseil fédéral de Sud-PTT pour réorienter la recomposition proposée. Il en est de même au sien des instances du G10 où plusieurs syndicats ont vivement critiqué le diktat de la direction de Sud-PTT. Le projet adopté par le G10 est donc la création d’un pôle intersyndical ouvert à toutes les organisations syndicales qui s’opposent au libéralisme. La plate-forme de débat proposée sera forcément très vague pour que l’appareil de l’US, très influencé par Sud -PTT et le SNUI Impôt, puisse confirmer leur stratégie d’ouverture la FSU. Cette perspective est dramatique car la pesanteur de la FSU va venir s’ajouter à celle du SNUI et des autres syndicats corporatistes de l’US. Il est évident que cette construction au sommet va bloquer toute dynamique de militantisme interprofessionnel. Le CSR soutient l’appel lancé par certains militants qui proposent d’engager le débat sur la construction d’une confédération dans le cadre des luttes à mener en commun dans les entreprises. »

En conclusion, nous voyons que le « syndicalisme rassemblé » est un mouvement complètement organisé par les structures syndicales et certaines associations, comme Attac et autres regroupements politiques défenseurs d’un capitalisme à visage humain. Le syndicalisme rassemblé n’est pas un mouvement purement français, il agit aussi dans toute l’Europe et, nous l’avons vu aussi, à l’échelle mondiale.

La CISL et la CMT sont les joyaux bourgeois du « gestionnisme » de la force de travail. La CISL notamment a trempé dans de nombreux coups fourrés contre la classe ouvrière, et aucune confiance ne doit être donnée au compactage syndical qui se prépare. Progressivement nous commençons à voir comment les différentes strates du réformisme et du « réformisme radical » (altermondialistes et autres) convergent vers le même objectif : se rassembler pour endiguer les mouvements sociaux qui spontanément explosent et qu’un syndicalisme émietté n’est plus capable de contrôler.

G. B. et N. J.

NOTES

(1) Le thuriféraire Edmond Maire (à l’époque secrétaire général de la CFDT) pensait que la grève était du passé. (2) Sud, créé en 1989 (premières élections professionnelles aux PTT) atteindra le millier d’adhérents et militants à La Poste en 1992.

(3) Dans son livre Le Marché des mots. Les Mots du marché (éd. Les Nuits rouges), Raoul Valette présente ainsi le contestataire : « Opposant modéré parfois factice ; c’est à la fois un esprit fort et un velléitaire qui sait où il ne veut pas aller sans pour autant savoir où il veut aller. »

(4) La fédération des services CGT et les ex-CFDT de la banque (Union des syndicats du personnel des banques) ont lancé un appel dans ce sens aux autres syndicats. Pour le moment seul le syndicat FO a rejeté la proposition.

(5) Confrontations, dont le directeur de publication est Philippe Herzog. Bernard Thibault et Jean-Christophe. Le Duigou aiment à vanter l’« indépendance » de cette publication, mais que penser de l’engagement de Le Duigou dans une association qui, sur le modèle du Comité des Forges en 1914, regroupe syndicalistes et patrons (Francis Mer, Jean Peyrelevade, Jean Gandois …) ?

(6) Union syndicale, groupe des 10.

A lire aussi

u Dans Courant alternatif n° 146 (février 2005) : « La Confédération européenne des syndicats (CES) et le traité de constitution européenne. » u « Recomposition syndicale ou manœuvre d’appareil ? », dans Syndicaliste (CSR) n° 23 (mai 2004).

La loi sur la représentativité syndicale et l’indépendance des syndicats
11 septembre 2009

Dès lors que le syndicalisme fut reconnu par la loi – par le patronat et l’Etat –, son indépendance devint menacée et le syndicalisme révolutionnaire – de Fernand Pelloutier à Pierre Monatte – suspendu à la corde de la social-démocratie. C’est dès le début du xxe siècle que le syndicalisme révolutionnaire commencera à décliner. Depuis, les grands thèmes qui animèrent ce syndicalisme, comme l’abolition du salariat et du patronat, n’avaient plus de réalité concrète ; après la dernière guerre mondiale, ils y figuraient encore comme une pièce de musée pour finalement disparaître.

La situation depuis 1945

En 1945, à la sortie de la guerre, le redressement du capital en France supposait une collaboration étroite des organismes d’encadrement des travailleurs dotés de pouvoirs, de reconnaissance légale et d’avantages divers. Cette légalisation et l’attribution de fonctions de représentation et de gestion bien définies dans l’entreprise capitaliste étaient basées sur la notion de représentativité, c’est-à-dire d’une reconnaissance légale par l’Etat et le patronat. Celle-ci n’était pas automatique mais dépendait de critères (fixés par une circulaire du 28 mai 1945, puis une loi du 23 décembre 1946, et réaffirmés dans la loi de 1950 sur la représentativité : effectifs, indépendance financière, expérience et ancienneté du syndicat, attitude patriotique sous l’Occupation) et de leur examen par une commission. Avec le temps, avec l’évolution des politiques, des techniques de production, des catégories et des hiérarchies professionnelles, d’autres confédérations sont venues s’ajouter au couple d’origine (CGT [Confédération générale du travail, créée en 1895] et CFTC [Confédération française des travailleurs chrétiens, créée en 1919) et ont fait que cinq syndicats sont aujourd’hui « reconnus » nationalement (1).

Cette reconnaissance leur donnait à eux seuls le droit de présenter des candidats au premier tour de toutes les élections professionnelles et les dirigeants d’entreprise ne pouvaient s’y opposer. Tous les échelons des organisations syndicales, depuis la section d’entreprise jusqu’aux fédérations de branche, bénéficiaient de cette représentativité de leur confédération. Depuis, malgré un semblant de régénération après les événements de Mai 1968, notamment de la CFDT (scission de la CFTC), ce syndicalisme « représentatif » s’est de plus en plus transformé en son contraire, un accompagnateur zélé du capitalisme et aujourd’hui un organe de répression du salariat. Cette évolution a entraîné, autour du concept de lutte de classe, des oppositions au sein de ces confédérations qui ont conduit à des scissions et à la formation de nouveaux syndicats : ceux-ci ont eu bien des difficultés à se faire « reconnaître » que ce soit au niveau d’une entreprise, à celui de la branche ou celui de l’Etat. Mais leur présence n’a pas été sans poser des problèmes dans les secteurs où ils ont fini par contester la place des autres confédérations.

Il y a eu des tentatives de restreindre leur place et de limiter globalement la contestation syndicale dans les entreprises, contestation motivée à la fois par la lourdeur du système (notamment lors de la concentration d’entreprises) et par la pression sur les coûts de production. Il fallait à tout prix « réformer » un système devenu obsolète et simplifier tout l’ensemble du système gérant les relations capital-travail.

La représentativité, en droit syndical français, n’est pas indépendante de mesures visant à déployer la main-d’œuvre plus librement à l’échelle de l’Union européenne et à simplifier les représentativités syndicales à cet échelon via la Centrale européenne syndicale (CES), qui est la confédération européenne de syndicats apparemment concurrents au niveau national. Il fallait donc procéder par étape à un changement radical de la donne syndicale en France, liquider les cadres syndicaux et sociaux élaborés en 1936 (Front populaire, accords Matignon), en 1945 (programme du Conseil national de la résistance) et en mai 1968 (accords de Grenelle). Il fallait minimiser, voire faire disparaître toute structure orientée vers la revendication, car il n’est plus question de revendiquer.

Ce syndicalisme qui se veut aujourd’hui « rassemblé », cette union subite des frères ennemis d’hier, ne vise pas à augmenter le rapport de forces en faveur du salariat, mais au contraire à l’estomper. Il s’agit de se rapprocher du système anglo-saxon de syndicat unique (voir encadré page 8). Bien entendu, il ne s’agit pas d’une quelconque avancée sociale, mais de réduire voire d’éliminer ce qui fut la bible des relations sociales au cours des trente glorieuses.

Les réformes successives et le bouquet final de la représentativité : l’élimination des « petits » syndicats

Les élections des délégués du personnel, plus enclins à l’agitation que les délégués aux comités d’entreprises, plutôt tournés vers la gestion, n’intéressent plus le capital.

La première frappe de l’Etat concerna l’organisation annuelle de ces élections de délégués du personnel ; une loi les regroupa avec celles du comité d’entreprise ayant lieu tous les deux ans. La bureaucratie syndicale, les partisans de l’indépendance syndicale , et même le syndicalisme de base, n’y trouvèrent rien à redire. Encouragé par une telle attitude, le patronat décida de passer à l’étape suivante, en prévoyant que dorénavant les élections auraient lieu tous les quatre ans (sauf accord d’entreprise ou de branche dérogatoire). Là encore, on vit le même aplatissement silencieux ; pas un syndicat même de base n’a protesté, les planques syndicales étant garanties pour quatre années.

Seulement l’Etat et le patronat avaient leur petite idée en tête : celle de faire sauter le système de représentation syndicale en vigueur depuis l’après-guerre (l’alliance PCF-gaullistes de gestion de l’Etat de 1944 à 1947). Ils pouvaient, avec l’émergence de nouveaux syndicats comme l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), l’Union syndicale Solidaires (SUD), ou la Fédération syndicale unitaire (FSU), habilement jouer sur les contradictions entre les différentes organisations, et se présenter comme arbitres entre le syndicalisme traditionnel « représentatif » de 1945 et les nouveaux venus.

Avec les nouvelles mesures concernant la représentativité, il s’agit « de moderniser le dialogue social » , de « dépoussiérer les relations de travail ». Suite à un accord conclu le 9 avril 2008 entre les confédérations patronales et trois confédérations ouvrières « représentatives », une loi du 20 août 2008 a profondément modifé le système des représentations syndicales. Outre la modification sensible des critères (sept sont retenus, dont le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, l’ancienneté de deux ans, l’audience, l’influence et les effectifs), le morceau essentiel dispose que sont représentatives au niveau de l’entreprise les organisations syndicales qui ont recueilli 10 % des suffrages exprimés (donc quel que soit le niveau d’abstention) aux élections du comité d’entreprise ou de délégués du personnel, et 8 % au niveau des branches professionnelles. Ce seront le ou les seuls syndicats qui seront habilités à discuter avec les patrons et l’accord qu’il(s) pourrai(en)t conclure sera valable s’il réunit 30 % des soutiens syndicaux « reconnus » et s’il ne rencontre pas dans l’entreprise une opposition de 50 % des mêmes syndicats « reconnus ».

Ce seuil de 10 % va provoquer un véritable maquignonnage, déjà perceptible lors des fusions-acquisition où l’entreprise dominante, par le truchement du patronat, pouvait imposer aussi comme négociateur le syndicat maison. Ce n’est plus la lutte de classe qui réglait la force de ces instances représentatives des salariés mais la lutte des places, et on assistait à des coups fourrés accompagnés de répression, venus tant de la bureaucratie syndicale que du patronat, ce dernier profitant de la situation pour « choisir » ses délégués. Avec ce seuil de 10 %, nous allons assister à des chassés-croisés pour les postes, dépassant tous les clivages idéologiques. Pour pallier la chute libre des éliminés, il est prévu dans la loi un statut bâtard de « représentant de section syndicale » qui devra pendant deux années faire preuve de son existence pour pouvoir tenter à nouveau sa chance.

A la SNCF, des difficultés imprévues

La SNCF est la première grande entreprise à expérimenter la nouvelle loi sur la représentativité syndicale.

Pour conserver sa place dans la représentation syndicale, le syndicat des conducteurs (Fédération générale autonome des agents de conduite, FGAAC) est passé à la CFDT, plutôt qu’à l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes), sauvant ainsi la CFDT du désastre de la non-représentativité. « Des fiançailles au mariage. 10 % pour exister, 30 % pour signer un accord, 50 % pour s’opposer » : c’est le slogan de la nouvelle force issue de l’accord passé entre la CFDT et la FGAAC et qui a abouti à ce que le syndicat autonome demande son affiliation à la CFDT. Le mariage n’est pas un mariage d’intérêt mais a été préparé de longue date sur des bases solides. Sur le site Internet de la confédération, le secrétaire général de la CFDT-Cheminots, Arnaud Morvan, explique : « On a travaillé ensemble sur plusieurs dossiers, comme sur celui des retraites, où l’action commune a permis de préserver le régime spécial des cheminots, et plus récemment sur le dossier fret, où l’entreprise voulait passer en force en faisant circuler les trains durant sept heures et demie sans arrêt, avec toutes les conséquences que cela a pour les conducteurs. » Après ces fiançailles, la CFDT et la FGAAC sont passées à une nouvelle étape, en jetant les bases d’un accord pour les élections professionnellesdu 26 mars : « Pas une alliance de façade, mais bien une alliance de syndicats, pour aller plus loin ! » (extrait du site CFDT Pas-de-Calais).

Le résultat des élections de mars paraît confirmer dans la pratique le but de la loi : CGT (39,3 %), UNSA (18,05 %), SUD Rail (17,67 %), CFDT-FGAC (11,59 %), FO-CFE-CGC (8 %), CFTC (5,4 %). Cela signifie qu’au niveau national, à la SNCF, seuls quatre syndicats seront représentatifs. Pour les deux autres, ce n’est pas seulement le droit de participer aux négociations qui est en cause, mais la perte de bureaux, de permanents, de crédits d’heures de délégations et autres avantages, et pratiquement, à terme, leur élimination. Cependant, on peut penser que le résultat recherché n’a été que partiellement atteint puisque le jeu qui consistait à privilégier la CGT et la CFDT comme premiers syndicats représentatifs à la SNCF est troublé par la présence de l’UNSA et de SUD (2).

Une situation similaire s’est produite à France Telecom lors des élections du 22 janvier 2009, où trois syndicats (CFE-CGC, UNSA et CFTC) ont été éliminés. A la RATP, la direction a accepté le report des élections d’un an pour satisfaire les principaux syndicats et permettre les maquignonnages pour préserver les places : aux élections précédentes, deux syndicats sur neuf atteignaient les 10 % fatidiques.

Le contre-exemple d’Air France : une brèche dans la loi

Un conflit récent est venu troubler ce qui se voulait une avancée « unitaire » concoctée par les deux syndicats CGT et CFDT qui depuis des années mènent une politique commune visant à évincer la concurrence syndicale.

Il est évident que la loi pouvant donner la prééminence à des syndicats généraux non seulement défavorise des catégories spécifiques au sein même de ces syndicats, mais aussi conduit à éliminer des syndicats catégoriels concernant des effectifs qui, inférieurs aux 10 % de l’ensemble des salariés de l’entreprise, n’arriveront jamais à atteindre le seuil des 10 % des suffrages exigés pour avoir une existence légale. C’est le problème qui s’est posé pour le syndicat des pilotes de lignes d’Air France (4 000 sur 75 000 salariés). Même si le syndicat regroupait 100 % des pilotes de la compagnie (il obtient aux élections environ 80 % des votes), il n’atteindrait jamais 10 % de l’ensemble. Cette situation a fait que ce syndicat a menacé de faire grève chaque week-end de la période de vacances si, par dérogation, il n’obtenait pas la représentativité. Ce qui lui fut presque immédiatement accordé. Ce qui a entraîné immédiatement la même revendication des hôtesses et stewards, pour qui la réponse fut négative – mais l’affaire est encore suspendue à un rapport de forces éventuel.

Bien sûr, cette « reconnaissance » sous la contrainte de la grève a soulevé l’indignation des deux « grands », CGT et CFDT, qui voient ainsi remise en cause leur construction péniblement édifiée.

On ne voit pas pourquoi d’autres catégories professionnelles minoritaires dans une entreprise ou une branche, disposant d’un pouvoir de nuisance, ne pourraient pas revendiquer – et obtenir de semblables dérogations, ruinant ainsi toute l’économie de la loi. Toutes les industries comportent leurs spécialistes…

Le casse-tête des petites entreprises et des entreprises qui n’ont pas de syndicat

La faible implantation des syndicats en France n’est plus à démontrer (globalement à peine 7 % de la population active). Sous l’ancien régime de la représentativité, tout syndicat, même ultra-minoritaire dans une entreprise et indépendamment de tout résultat électoral, pouvait signer un accord d’entreprise ou de branche qui pouvait s’appliquer aux travailleurs concernés. Cette situation avait été tempérée récemment par des possibilités d’opposition des syndicats majoritaires dans l’entreprise ou la profession. Le nouveau texte reprend ces dispositions qui deviennent l’accessoire du seuil des 10 % pour la représentativité en vue de la négociation des accords. Mais un autre problème se pose, du fait de l’élimination des syndicats qui ne réunissent pas ces 10 % : il peut arriver qu’aucun syndicat « représentatif » ne soit là pour « légaliser » un accord quelconque tout comme l’inexistence de syndicat dans l’entreprise peut faire qu’aucun accord n’ait de base légale. Ceci alors qu’il est impératif, d’après la loi, que de tels accords soient conclus sur le temps de travail et sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Dans beaucoup de petites entreprises ou d’entreprises moyennes, même l’obligation d’avoir des délégués du personnel (plus de 10 travailleurs) ou un comité d’entreprise (plus de 50 salariés) n’est pas toujours respectée – ou bien, s’il y a des élections, au second tour des non-syndiqués peuvent se présenter et être élus, ce qui ne les rend nullement « représentatifs » puisque seuls des membres d’un syndicat peuvent devenir « représentatifs ». Personne alors ne peut signer des accords, qui donc cessent d’être légaux.

Quand la lutte de classe s’en mêle

Dans un entretien avec le Financial Times du 10 novembre 2008, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT et un des artisans de l’accord paritaire sur la représentativité devenu loi, pouvait déclarer à propos de ce nouveau texte : « Nous sommes en train de redonner le pouvoir aux travailleurs », ajoutant que « cela permettrait aux syndicats non représentatifs de conclure des accords avec les employeurs ». Il ne croyait pas si bien dire, même s’il ne parlait que pour atténuer une autre affirmation, selon laquelle « cela simplifierait le paysage syndical car les syndicats devraient travailler ensemble pour parvenir à des accords » et « les employeurs ne pourraient plus signer des accords avec des syndicats minoritaires » – ce qui était effectivement le but de la réforme qui, toujours d’après Chérèque, pourrait mettre dix ans à produire tous ses effets. Ce n’est pas notre propos d’analyser ici en quoi l’évolution des méthodes de production, des nouvelles techniques, du capital en général ont conduit à faire éclater un système qui, avec les conventions collectives de branche (pouvant faire l’objet d’extensions applicables à l’ensemble des salariés), donnait un grand pouvoir aux bureaucraties syndicales. Mais il est de fait que la disparition de ce cadre général d’assujettissement des travailleurs a déplacé ce cadre au niveau de chaque entreprise.

Le centre de gravité dans la fixation des conditions d’exploitation du travail s’est déplacé, renforçant le rôle des échelons de base des syndicats (et favorisant l’essor d’oppositions) et affaiblissant le rôle des bureaucraties fédérales et confédérales. D’une certaine façon, et c’est ce que souligne Chérèque, la réforme tend précisément à « légaliser » ce nouveau pouvoir des sections de base, tout en lui imposant de telles conditions qu’elle aboutit en fait à favoriser l’implantation des « grands » syndicats – en contraignant les « petits » à s’associer entre eux ou à rejoindre les « grands ». Des conflits récents ont montré que ces calculs risquent d’être pris dans des situations autrement plus complexes, à cause de la crise qui fait ressortir la contradiction de base entre les « gestionnaires » syndicaux et les luttes radicales (auxquelles participent souvent certains échelons de base des syndicats).

Dans l’une des usines Dunlop d’Amiens, suite aux conflits de 2008 qui avaient vu toute une section locale CGT exclue par la Confédération, les élections au comité d’entreprise du 19 février ont balayé les syndicats anciennement « représentatifs » au profit de l’UNSA (51 % des voix) et de SUD, deux syndicats non représentatifs autrefois et qui peuvent le devenir dans l’entreprise.

Dans le conflit de Caterpillar à Grenoble, en mars, provoqué par un plan de 733 suppressions d’emplois, le mouvement de lutte organisé autour d’assemblées générales, un comité de grève et l’intervention forte de non-syndiqués a plus ou moins échappé au contrôle syndical. Les élus au comité d’entreprise, y compris ceux de la CGT, ont fini par conclure un accord avec la direction, qui a été ensuite désavoué par les délégués syndicaux, y compris ceux de la CGT. Lors des débats qui ont conduit à cet accord, le délégué CGT le plus actif a été exclu des négociations.

Est-ce que, comme l’exprime un analyste universitaire, on assiste actuellement à « la décomposition avancée des syndicats » ? Difficile de le dire, mais ce qui est certain c’est que la réforme que nous venons d’évoquer trouve beaucoup d’épines sur son chemin. Elle tend d’une part à « simplifier le paysage syndical », au profit du management et d’une diminution des coûts de production, et d’autre part à renforcer les « grands » syndicats en éliminant les « petits » et en leur redonnant en même temps un plus grand contrôle sur la base. Mais la tempête qui secoue le monde capitaliste et d’abord le monde du travail risque de remettre totalement en cause ces visées, car la lutte de classe, qui tend à devenir plus radicale à la mesure des enjeux, ne se soucie guère des cadres légaux et risque de balayer les réformes les mieux ficelées – ce que n’est pas ce compromis laborieusement acquis.

G. B. et H. S . NOTES

(1) CGT, CFTC, CGT-FO [CGT-Force ouvrière, créée en 1947-1948], CFDT [Confédération française démocratique du travail, créée en 1964], CGC [Confédération générale des cadres, créé en 1944, reconnue « représentative » en 1966].

(2) « Les suites de la “représentativité” à la SNCF », document émanant de Sud Rail, montre comment de concert avec la CGT, la direction de la SNCF applique avec zèle la loi d’août 2008 (copie à Echanges).

ANNEXE 1
Le syndicat unique à l’anglo-saxonne

Aux Etats-Unis, le National Labor Relations Act de 1935 autorise un seul syndicat, qui doit emporter 50 % des suffrages des salariés, à représenter les travailleurs d’une entreprise dans la négociation d’un contrat collectif et le règlement des conflits.

Au Royaume-Uni, des dispositions similaires n’ont été introduites qu’en juillet 1999 ; en vertu de l’« Employment Relations Act », la reconnaissance syndicale dans une entreprise peut résulter soit d’un vote des travailleurs en faveur d’un seul syndicat, soit d’un accord direct passé avec l’entreprise sans consultation des travailleurs. Là aussi, seul le syndicat « reconnu » est autorisé à intervenir dans les relations de travail.

Dans ces deux pays, en l’absence de « reconnaissance », l’entreprise peut fixer unilatéralement les conditions d’exploitation, et c’est le rapport de forces qui détermine le niveau de ces conditions.

ANNEXE 2
Les délégués du personnel

Les délégués du personnel, depuis la loi du 16 avril 1946, étaient élus tous les ans. En 1982, les lois Auroux vont porter à deux ans la durée du mandat des délégués. La loi du 2 août 2005 permet de fixer par un accord de branche, un accord de groupe ou un accord d’entreprise, la durée des mandats des représentants du personnel à un comité d’entreprise (ou d’établissement) ou d’une délégation de personnel (articles L. 433-12 et L. 423-16 du code du travail). entre deux et quatre ans.

Puis l’accord signé le 12 octobre 2005 avec les cinq organisations syndicales nationalement représentatives fixe la durée de ces mandats à trois ans.

Messages

  • un exemple chez Picsouland de l’activité lucrative des syndicats, de la direction qui fait semblant de découvrir, de la CGT qui est directement concernés à tous les autres qui ont au mieux fermé les yeux et sinon collaboré.

    Même le FO qui vient de soulever l’affaire, à récemment virer du syndicat deux délégués sans aucune gène, sans s’en expliquer auprès des syndiqués, alors que la CGT venait de remplacer dans certains secteurs des délégués ouvriers qui s’occupaient des conditions de travail, par des anciens délégués de la CFDT, soit disant plus "fiables", mais pour qui ?
    Pour la CGT qui voulait des rapports des dernières grèves car elle était contre ces dernières. C’est une CGT qui envoie ces responsables dirent aux délégués s’ils sont autorisés ou pas à prendre la parole en pleine AG, par exemple.
    Cette même CGT, qui signe tous les accords que lui présente la diretion avec une alliance CFE CGC, SIP (ancienne CSL syndicat patronal) .

    Voir l’article du parisien.

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