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Perrier 2004 : un exemple des politiques syndicales...

samedi 12 décembre 2009

Les syndicats et l’affaire Perrier

Après une décennie marquée par le succès économique de Perrier, qui parvient à s’implanter sur le marché américain, la situation financière se dégrade au moment même où Nestlé acquiert Perrier. Une association de consommateurs américaine dénonce la présence de benzène dans certaines bouteilles et Perrier se voit alors contraint de se retirer du marché américain, qui représente 70 % de son chiffre d’affaires à l’exportation. C’est pourtant durant cette période que le groupe Nestlé se porte acquéreur de la marque, rachetant Perrier à un prix jugé élevé (2 milliards EUR).
Dès son rachat, et devant la baisse rapide du chiffre d’affaires, Nestlé Waters France, la branche eau du groupe Nestlé, impose à Perrier différents plans de licenciements pour restaurer la rentabilité de l’entreprise :
• Trois mois après le rachat de Perrier, le groupe suisse met en place le premier plan de réduction d’emplois fondé sur des départs en préretraite et des départs volontaires qui concernent 428 personnes sur les 2 400 salariés que compte Perrier en 1992.
• Le deuxième plan intervient en 1995 et repose sur le départ de 275 personnes, toujours grâce aux préretraites et aux départs volontaires.
• En 1998, la cure d’amaigrissement se poursuit avec un troisième plan, qui réduit les effectifs de 334 personnes.
Ainsi, en l’espace de dix ans, les effectifs de Perrier ont baissé d’un tiers et l’entreprise ne compte plus en 2003 que 1 600 personnes. C’est alors qu’intervient le quatrième plan de réduction de l’emploi, celui-là même qui a mis le feu aux poudres en déclenchant l’opposition de la CGT. Car, depuis 2000, l’entreprise a renoué avec les bénéfices avec toutefois une rentabilité jugée toujours insatisfaisante par la direction et les actionnaires de Nestlé Waters France.
En janvier 2004, la direction de Nestlé Waters France annonce un plan qui prévoit le départ en préretraite des salariés de 55 ans et plus d’ici avril 2007, sans compensation d’embauches. Ce plan toucherait 1 047 salariés en France (sur 4 100 salariés) dont 356 chez Perrier (sur 1 650 personnes). Naturellement, chez les Perrier, où la CGT est majoritaire (83 % des suffrages aux élections professionnelles) parmi des salariés fortement syndiqués, le refus est net. En mars, la direction évoque une cession de Perrier. Au fil du temps, la CFDT et la CGC, deux des cinq syndicats représentés sur le site industriel, mais minoritaires, signent le plan de la direction. Deux mois de grève tournante sont organisés au printemps : manifestations, déclarations des élus locaux. La pression s’organise contre une direction intransigeante mais qui peaufine sa stratégie. Le 23 juillet, la CGT et FO usent alors d’un droit de veto que la loi Fillon votée en mai 2004 leur permet. Il s’agit d’un volet permettant à un syndicat majoritaire de refuser un plan social. La direction confirme alors son intention de vendre Perrier à des concurrents ou à des fonds de pension, de filialiser les quatre sites du groupe (avec Quézac et Vittel Contrex) afin d’atteindre une flexibilité et une productivité en ligne avec la concurrence. Il y a aussi une stratégie antisyndicale puisque les conflits découlant de ces restructurations seraient localisés aux seuls sites concernés. Par une habile communication, la direction retourne la situation à son avantage. En restant ferme dans ses projets et en dénonçant la CGT qui empêcherait la restructuration industrielle, ce qui provoquerait des licenciements, Nestlé France oriente alors une campagne d’opinion contre ceux qui s’opposent à 356 licenciements dans le Gard.
C’est fin 2003 qu’est annoncé le quatrième plan fondé uniquement sur des départs en préretraite. Il concerne 356 personnes et s’inscrit plus globalement dans un plan qui prévoit pour l’ensemble du groupe Nestlé Waters France le départ en préretraite de 1 047 personnes. L’objectif de la direction de Perrier est de parvenir à travers ce plan à faire monter la production de 600 000 bouteilles par personne et par an alors qu’elle est de 1,8 million chez San Pellegrino en Italie. L’accord sur les préretraites est signé en juillet 2003 par la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC et la Confédération française démocratique du travail, CFDT, mais sans la CGT qui avait obtenu lors des dernières élections professionnelles 83 % des suffrages exprimés, et a donc décidé, fin juillet 2004, de faire jouer son droit d’opposition, conformément à la loi Fillon de mai 2004 sur le dialogue social.
Au fil de la crise, la presse, locale et nationale, les élus (de tous bords, jusqu’au PCF), enfin les opinions locales exercent une pression très lourde sur la CGT accusée de faciliter la cession de Perrier au motif qu’elle s’oppose au plan de modernisation ! Les salariés eux-mêmes se divisent. Sarkozy intervient : dénonçant sur Europe 1 le « jusqu’au-boutisme d’une organisation syndicale ». Il rencontre l’intransigeant PDG de Nestlé. Lors d’une réunion initiée par le ministère de l’économie et des finances à Nîmes, le 23 septembre, la direction de Nestlé France annonçait son intention de filialiser le groupe, de moderniser le site, et garantit le recours aux CDD et intérimaires en compensation des départs, tout en ne touchant pas aux conventions collectives... Le tout en échange de la paix sociale, c’est-à-dire l’accord puis l’accompagnement de la CGT à propos de l’Accord de gestion prévisionnelle dévoilé en janvier 2004.
Le 24 septembre, les adhérents de la CGT Perrier se réunissent et votent à près de 100 % pour la levée du droit d’opposition au plan de la direction. Mais cela ne suffit pas : la direction décrète qu’elle ne sera satisfaite que si la CGT accompagne son plan et se libère de tout engagement !
Quatre jours après, c’est l’ensemble du personnel qui se réunit. Jean Paul, vingt-cinq ans d’usine, sympathisant CGT, joint par téléphone, assure : « à l’AG, ce matin, c’était houleux, le personnel est très divisé à cause des gens concernés par ces départs, qui y sont favorables parce qu’ils font partie des cas les plus avantageux, mais qui oublient que ce sont autant de postes qui ne seront pas remplacés. C’est la même situation sur d’autres sites comme Vittel-Contrex. Autour de nous, l’opinion est retournée. On est dans le flou : on se demande si Nestlé ne se sert pas de l’opposition syndicale pour vendre l’usine. Et donc pour aller jusqu’au bout, quoi qu’on fasse. »
L’intervention du ministre de l’économie, le 28 septembre, amène la direction de Perrier à revenir sur sa précédente déclaration, et on parle d’embauches pour compenser les départs (1 pour 3). L’État s’engagera à hauteur de sept millions d’euros dans le financement des préretraites.
La culpabilisation et la calomnie des Perrier en lutte ont créé une pression intenable. Et comment interpréter la faible implication de la Confédération de Montreuil ? Pire, Sarkozy a même téléphoné à Thibaud pour qu’il fasse pression sur la section CGT de Perrier.
Bernard Thibaut débarque alors dans la section syndicale CGT qui refusait le plan patronal et intervient de tout son poids pour lui imposer de retirer son opposition !!! Le 28 septembre 2004, la section CGT recule et retire son opposition.
Malgré l’annonce par la CGT de la levée de son opposition à son plan de restructuration, la direction du géant de l’agro-alimentaire Nestlé –qui exploite en France les usines d’embouteillage des eaux minérales Perrier, Vittel, Contrex, Quézac, ainsi que la Verrerie du Languedoc– vient de déclarer que cela n’était absolument pas suffisant.

Après arbitrage de Sarkozy et en échange de ce recul de la CGT, Nestlé avait pourtant accepté de ne pas fermer ses usines. Il semblait aussi s’engager à procéder aux investissements nécessaires pour relancer l’usine Perrier de Vergèze dans le Gard et pour moderniser la Verrerie du Languedoc, qui emploie 520 salariés. Mais cela signifiait toujours le maintien de 1047 départs en préretraite d’ici à 2007, sur un effectif total de 4100 personnes. Ces départs à 55 ans ne devaient être compensés que par 276 embauches, soit 771 suppressions nettes d’emplois.

Accepté par la CFDT et la CGC, ce projet était bloqué depuis juillet dernier par le refus de la CGT, syndicat majoritaire, appliquant les possibilités que lui offrait la loi Fillon de s’opposer au plan. Contre ce refus, Nestlé menait campagne, pratiquant le chantage à l’emploi, menaçant de fermer ses usines, de les vendre, de les filialiser, de liquider l’usine de Vergèze dans laquelle la CGT est majoritaire à 85%, etc. Pour refuser les suppressions d’emplois prévues dans le plan de la direction, la CGT était désignée comme la responsable de licenciements plus massifs encore et même de la liquidation totale des entreprises dont Nestlé brandissait la menace. La direction du trust tablait sur la crainte des salariés de perdre tout, en refusant un compromis. Elle misait sur la pression des salariés sur la CGT.

Finalement, lundi 27 septembre, tout en réaffirmant son désaccord avec le projet de la direction et tout en déclarant qu’il n’était donc pas question pour elle de s’engager à aider à sa réalisation, la CGT levait son opposition au plan de restructuration. Mais loin de se contenter de ce recul, les dirigeants du trust exigent maintenant que la CGT s’engage dans la mise en œuvre de leur plan de suppression d’emplois. Faute d’un tel engagement, le trust a annoncé qu’il annulerait tous ses engagements d’investissements, agitant de nouveau les menaces de fermetures et de filialisations de ses usines.

Le trust Nestlé (à la santé florissante puisqu’il a annoncé près de 4 milliards d’euros de bénéfices en 2003 et qui compte parmi ses principaux actionnaires Liliane Bettencourt de L’Oréal) a programmé la destruction de centaines d’emplois. Aujourd’hui, non seulement il exige l’accord de toutes les organisations syndicales pour réaliser son plan mais il veut mettre à ses pieds ceux qui s’opposent à lui, et en particulier la CGT, en les amenant à cautionner ses infamies auprès des travailleurs. Un responsable de la CGT déclarait : « On a fait un pas en avant et Nestlé fait trois pas en arrière ». Il aurait pu dire : « On a fait un pas en arrière et Nestlé a fait trois pas en avant » contre les travailleurs.

1047 suppressions de postes sur l’ensemble du groupe d’ici 2007, dont 356 sur les 1600 ouvriers qu’emploie Perrier sur le site de Vergèze dans le Gard, menaces sur les 540 emplois de la Verrerie du Languedoc, déplacements vers d’autres lieux de 250 emplois qui assurent la sécurité ou la restauration, remises en cause d’embauches d’emplois saisonniers : voici dans ses grandes lignes le plan que la direction du groupe industriel Nestlé Waters a réussi à faire passer.
Face à une concurrence de plus en plus acharnée, la logique de l’entreprise était de réduire les coûts de production, c’est-à-dire de licencier une partie du personnel et moderniser les sites industriels pour être plus compétitif. De licenciements en restructurations diverses, cela n’a pas empêché que la situation de l’entreprise soit devenue à nouveau critique à la fin de l’année 2003. Les parts de marché de la marque ont fondu comme neige au soleil.
Le partage des tâches entre syndicats, patronat et gouvernement…
Fin juillet, Nestlé Waters propose donc un plan drastique de suppressions de postes en échange de la modernisation du site. La direction du groupe obtient alors dans un premier temps la signature de la CFDT et de la CFE-CGC. Mais la CGT , syndicat largement majoritaire dans l’entreprise, s’y oppose, brandissant la loi Fillon sur le "dialogue social". Mi-septembre, la direction remet sur le tapis l’opposition déclarée de la CGT à son "plan de sauvetage" et menace de la rendre responsable de la vente de l’entreprise (appelée "filialisation"), avec à la clé le démantèlement des lieux de production et le licenciement de l’ensemble des ouvriers.
La bourgeoisie est parvenue à ses fins à travers un partage du travail exemplaire. Les médias ont présenté ces événements comme un bras de fer entre la CGT et la direction. En menant campagne contre "l’irresponsabilité" du syndicat et en le mettant en lien avec le risque de licenciements encore plus lourds, la direction comptait sur ce chantage pour faire pression sur des ouvriers déjà profondément déboussolés et démoralisés par près d’un mois de tergiversations pendant lequel les syndicats ont joué un rôle de sabotage déterminant de toute velléité de lutte.
Ainsi, la direction de Perrier, si elle a condamné publiquement l’attitude de la CGT comme "irresponsable", a fait apparaître en même temps aux yeux des ouvriers ce syndicat comme un véritable syndicat combatif, qui se battait contre le patronat et qui défendait les intérêts des prolétaires.
En fait, lorsqu’elle est "relancée" par la direction, mi-septembre, la CGT tergiverse et demande un "délai" de réponse pour consulter ses adhérents et convoquer une assemblée générale pour déterminer sa position. En réalité, il s’agit pour la CGT de laisser les ouvriers mijoter et se morfondre dans une attente angoissée car elle organise d’abord réunion sur réunion pendant une semaine entière, du 21 au 28 septembre, d’abord avec la direction, notamment à Lyon, puis à Nîmes, où les leaders du syndicat se déplacent pour soi-disant évaluer la possibilité d’une coordination (qui ne verra jamais le jour) de tous les sites industriels regroupés sous Nestlé Waters et menacés eux aussi de restructurations (Contrex, Vittel, Quézac, etc.).
Nicolas Sarkozy, ministre de l’Economie, et Bernard Thibault, leader national de la CGT, interviennent alors pour demander aux leaders syndicaux locaux et à la direction de rouvrir les négociations. C’est alors que la direction menace de mettre en vente la marque Perrier et de fermer l’usine si la CGT fait une quelconque obstruction à la mise en place du plan de licenciements.
Les syndicats vont ensuite mettre en place la confusion générale. L’ensemble des syndicats provoquent la division dans une assemblée générale particulièrement houleuse où ils mettent en scène une véritable foire d’empoigne : la CFDT critique vertement le jusqu’au-boutisme cégétiste qui aurait amené la direction à radicaliser ses objectifs, alors qu’il est clair que ceux-ci étaient dessinés bien avant. Cette zizanie orchestrée permet à la CGT, apparaissant comme totalement isolée et "victime" de la pression de la direction, de changer de position, d’infléchir son attitude radicale sans perdre la face et de lever "officiellement" son opposition. De fait, elle accepte, sans le signer, le plan de restructuration. Le leader syndical de Perrier pouvait déclarer avec cynisme sans aucune remise en cause ni aucune réaction de la part des salariés : " La CGT a accueilli avec satisfaction les engagements de principe de la direction, pris en échange de la levée de son opposition. Elle a décidé de faire cette importante concession, puisque la direction a accepté de mettre en oeuvre les investissements nécessaires à la modernisation de l’outil de travail et au développement des produits de la marque. " (cité dans Le Monde du 30 septembre) Ce discours est largement éclairant. Dès le départ, la direction et les syndicats, CGT comprise, étaient totalement d’accord sur le fond, le plan était nécessaire pour tenter de redresser l’entreprise. Le seul problème était de l’imposer aux salariés.
… pour faire passer les mesures anti-ouvrières
Le terrain a été entièrement balisé de façon à ce qu’aucune expression de riposte ouvrière réelle n’ait lieu et à ce que la situation renforce la confusion dans la conscience des prolétaires et la division dans leurs rangs. Et si les ouvriers ont accepté ces mesures dans la passivité, c’est fondamentalement parce qu’ils ont fait confiance aux syndicats. Ceux- ci les ont isolés. Tout a été focalisé sur Perrier et le site de Vergèze, le plus important du groupe agro-alimentaire. C’était déjà la méthode employée avec "les LU" ou "les Lustucru". A leur tour, "les Perrier" ont été soigneusement enfermés dans la logique de la défense de "leur" boîte et isolés de leurs frères de classe qui ont, partout, quels que soient les secteurs, les mêmes problèmes et qui sont confrontés aux mêmes attaques. Parallèlement, la division entre la CGT et les autres syndicats a en fait servi à la mise en place d’une véritable division entre les ouvriers à l’intérieur même de l’entreprise, faisant ainsi barrage à toute expression de solidarité ouvrière.
Aujourd’hui, le résultat de la manoeuvre est sous nos yeux. Tout ce joli petit monde peut se déclarer satisfait. Le gouvernement peut se vanter d’avoir contribué par son intervention à désamorcer ce conflit dans le contexte d’une montée de profond mécontentement et de mouvements sociaux qui secouent actuellement plusieurs pays européens (voir notre article de première page). La direction peut poursuivre tranquillement ses objectifs de restructurations concernant l’ensemble du groupe. Le 21 octobre, l’administrateur-délégué de Nestlé en Suisse pouvait d’ailleurs se targuer d’avoir reçu plusieurs offres sérieuses de rachat de la marque Perrier. Les syndicats auront rempli leur mission de faire passer les mesures de licenciement sans avoir perdu trop de plumes. En particulier, la CGT aura réussi à masquer son travail de sabotage, d’isolement et d’étouffement de toute réaction ouvrière, tout en se faisant passer elle-même comme " victime" du chantage du patronat.
Les seules victimes de ce partage du travail, ce sont les ouvriers qui se retrouvent sur le carreau, défaits, impuissants, divisés, atomisés, démoralisés.
Pour pouvoir se battre, entreprendre de résister efficacement aux plans de licenciements de plus en plus nombreux, comme à toutes les attaques grandissantes de la bourgeoisie, la classe ouvrière doit commencer à tirer les véritables leçons de ce type de défaite. Elle doit comprendre qu’accepter de s’en remettre aux syndicats pour lutter la mène inévitablement aux défaites les plus cuisantes. Elle doit comprendre que la seule direction dans laquelle les syndicats la poussent, c’est celle de l’isolement, de la division, de la démoralisation, Elle doit comprendre que le rôle de tous les syndicats, quels qu’ils soient ou se prétendent être, n’est nullement de la défendre mais de l’ encadrer pour faire passer les attaques de la bourgeoisie, qu’elles viennent du patronat comme du gouvernement.

Perrier : les renoncements de Thibault

En voulant « contourner l’influence de la CGT », la direction de Perrier « a échoué », explique Bernard Thibault dans les colonnes de L’Humanité du 4 octobre. « Notre attitude a contraint la direction de l’entreprise à s’engager sur des investissements et à revoir le niveau d’embauche pour compenser partiellement les départs ». Façon de faire de pauvreté vertu et d’un recul une subtile tactique.

Car la direction de Nestlé Waters France, qui possède Perrier, Vittel et Contrex, a malheureusement bel et bien réussi son chantage à la mise en vente des usines, voire à la fermeture totale de celle des eaux Perrier à Vergèze, dans le Gard. Elle a fini par obtenir ce qu’elle voulait : l’acceptation ou la résignation des syndicats à son plan de suppressions d’emplois : 1047 départs en préretraite, sur les 4100 salariés du groupe pour seulement 276 embauches promises. Les salariés restants n’ont aucune garantie sur la suite : une partie des activités sera sous-traitée, quant aux investissements promis par Nestlé, notamment pour moderniser le site de Vergèze, ils sont, explique la direction, conditionnés par « l’amélioration des performances et de la compétitivité industrielle » que devrait permettre la réduction d’effectifs prévue. De nouveaux chantages en perspective pour exiger des ouvriers restants l’accroissement du rendement.

Les syndicats CFDT et CGC s’étaient empressés de céder, en donnant dès juillet leur accord au plan de la direction. Mais la CGT avait refusé de jouer le jeu. Syndicat majoritaire, elle faisait usage de son « droit d’opposition » pour bloquer la mise en application de l’accord signé entre la direction et les autres syndicats. Nestlé a alors multiplié les pressions sur elle et continué à menacer de fermeture, tablant, avec l’appui des organisations syndicales signataires, sur les craintes d’une partie des salariés de tout perdre et l’espoir, pour ceux qui en avaient l’âge, de pouvoir partir en préretraite avant qu’il ne soit trop tard.

Lorsque Bernard Thibault a fait sa rentrée sociale à Arles, le 13 septembre dans l’entreprise Lustucru occupée, les syndicalistes CGT des autres entreprises de la région menacées de plans de licenciements, Nestlé à Marseille, Thé l’Éléphant en banlieue marseillaise et bien entendu Perrier, s’étaient déplacés. « Sur un ton plus ou moins dur », écrit Le Monde, « les délégations présentes demandaient toutes à Bernard Thibault la préparation de luttes interprofessionnelles ». En guise de réponse, le secrétaire de la CGT s’est contenté d’évoquer les inquiétudes des salariés, les difficultés de mobilisation, promettant de consulter les militants.

Mais ce n’est pas vers la lutte que la direction confédérale s’est orientée : elle n’a pas fait de la riposte contre le chantage à l’emploi brandi par Nestlé pour imposer ses licenciements, après Bosch et Doux pour imposer l’augmentation des horaires, un objectif de mobilisation pour l’ensemble de la CGT. Certes, les mobilisations sociales ne sont pas faciles. (La politique des directions syndicales, notamment face aux attaques contre les retraites et la Sécurité sociale, n’est pas pour rien dans une certaine démoralisation de la classe ouvrière et d’une partie de ses militants). Mais ce n’est pas une raison.

C’est du côté de Bercy, par-dessus la tête des militants de Perrier, et même contre les dirigeants de la Fédération CGT de l’Agroalimentaire, selon Le Monde, que Thibault a cherché une issue à la crise, en réalité la reddition de la CGT. Cela s’est négocié entre lui, la direction de Nestlé Waters France et le ministre des finances et de l’industrie Sarkozy, qui s’est fait le malin plaisir de jouer l’arbitre.

À peine la CGT avait-elle annoncé, le 27 septembre, qu’elle allait retirer son veto, que la direction de Nestlé montait les enchères. Ce n’était pas suffisant, il fallait que la CGT signe le plan. Les gros yeux de Sarkozy à la direction de Nestlé ont suffit à faire rentrer les choses dans l’ordre. Dans l’ordre patronal. Car Nestlé ne s’engage à rien.

Mais explique Thibault, le conflit Perrier « a eu le mérite de révéler au grand jour l’inefficacité des règles de la négociation sociale. Dès lors que le législateur a conçu le dialogue autour du droit de s’opposer et non autour du droit de négocier ».

Le droit d’opposition des organisations syndicales majoritaires, instauré par la loi Fillon du 4 mai 2004 (Loi sur la formation professionnelle et le dialogue social), n’existait pas sous le gouvernement Jospin. Ce qui avait bien arrangé patronat et gouvernement pour l’application de la loi Aubry, où la signature d’un seul syndicat suffisait à donner à un accord force de loi. Le nouveau droit devait au moins, affirmait la CGT dans une fiche destinée à ses militants, permettre « aux organisations ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés aux élections professionnelles d’anéantir un mauvais accord ». Ce droit, elle l’avait réclamé à cors et à cris, considérant comme inacceptable que la CGT puisse être contournée par des accords minoritaires. Et voilà qu’à sa première application, c’est elle-même qui y renonce !

À l’heure où le patronat multiplie les chantages aux fermetures et délocalisations pour imposer licenciements, augmentations d’horaires, blocages, voire baisses de salaires, ce qui se passait à Perrier, une entreprise où la CGT est très largement majoritaire et manifestait depuis le début de l’été une certaine fermeté, attirait l’attention de bien des militants syndicaux du pays et de salariés des autres entreprises (particulièrement celles de la région) en butte à des « restructurations ». Et de la part de la confédération CGT, le renoncement décidé après marchandage sous l’égide de Sarkozy est un exemple déplorable.

Cela n’empêchera pas les travailleurs en butte aux attaques et aux chantages patronaux de se battre. Mais avec un Thibault comme avec un Chérèque, ils savent sur qui ils ne pourront pas compter.

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