samedi 12 décembre 2009
Un exemple des politiques syndicales : le conflit à la SNCM en 2005
Le choix de la CGT de la SNCM de cesser la grève a été assez soudain pour surprendre de nombreux grévistes, qui étaient décidés à tenir malgré le chantage au dépôt de bilan et aux licenciements, fait par le gouvernement sous le couvert de lois présentées comme inexorables.
Le lundi 10 octobre, la CGT semblait décidée à ne pas céder à l’ultimatum posé par les ministres Perben et Breton. Ceux-ci avaient présenté leurs propositions de privatisation partielle avec 400 suppressions d’emplois. Ou bien les grévistes reprenaient le travail, ou bien, le vendredi suivant, la direction déposait le bilan auprès du tribunal de commerce.
D’autres événements inquiétaient les grévistes. Le week-end précédent en effet, on avait appris l’arrêt de la grève des agents du Port Autonome de Marseille, le PAM. Surtout, on apprenait que FO, la CGC, et les syndicats d’officiers trouvaient des « avancées » dans les propositions du gouvernement et envisageaient de quitter le mouvement. En dehors de l’encadrement, ces syndicats réunis ne représentaient qu’une poignée de grévistes, mais c’était quand même une défection.
Par contre, la grève des métros et bus de la ville de Marseille (RTM) se poursuivait sans faillir. Malgré le langage de plus en plus hostile de la presse, la sympathie des travailleurs à Marseille et en Corse était chaleureuse. Enfin, une manifestation commune de la SNCM, la RTM, Nestlé, STMicroélectronics était prévue pour le samedi 15 octobre par les syndicats CGT, CFDT, CFTC, UNSA et Solidaires 13 avec le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault.
C’est ce que relevaient les dirigeants de la CGT pour renforcer les grévistes. Ils ne croyaient pas à la menace de dépôt de bilan qui, d’ailleurs, n’est jamais qu’une procédure comptable. Et finalement l’assemblée générale du lundi 10 octobre avait pris la décision de continuer la grève dans l’enthousiasme et s’était terminée par l’Internationale. Cette décision était reconduite avec la même détermination par la quasi-totalité des employés sédentaires et des marins de l’assemblée du mardi 11 octobre.
Mais mercredi 12 octobre une succession d’assemblées préparait la reprise du travail.
L’une se déroulait mercredi matin où les dirigeants de la CGT changeaient visiblement de langage. À 14 h, le secrétaire CGT des sédentaires expliquait dans une réunion de ceux-ci : « On est arrivé au bout, mieux vaut accepter cela sinon ce sera la lettre de licenciement pour tous et non un plan social ». La CFDT disait qu’il ne s’agissait pas d’arrêter la grève mais de la « mettre en pointillé, de la suspendre ». Il y eut plusieurs interventions contre l’arrêt de la grève, certains étant même en colère et pensant qu’il fallait en appeler aux autres services publics menacés de privatisation.
Mais d’autres pensaient que depuis 23 jours qu’on était en grève, on n’avait rien vu venir ; ni EDF ni les cheminots n’avaient bougé : il valait mieux ne pas en arriver au dépôt de bilan et aux plus de 2000 licenciements que la presse envisageait dans ce cas.
Au soir de ce même mercredi 12 octobre, l’assemblée très nombreuse remplissait à craquer la salle de cinéma du ferry Méditerranée. Sur l’estrade, outre les élus et dirigeants CGT, l’avocat de la CGT ouvrit l’assemblée en expliquant qu’effectivement le dépôt de bilan était en cours, que dans ce cas il n’y aurait ni plan social ni même de congés. Tout le monde serait licencié. Le premier salaire ne pourrait être versé avant quatre mois. Ayant atterré l’assistance, il s’en fut. Les dirigeants syndicaux dirent qu’ils ne pouvaient pas mener les travailleurs au dépôt de bilan, que c’était à ceux-ci de se prononcer. On sera, disaient-ils, en meilleure position pour continuer la lutte si l’on a repris le travail. En cas de dépôt de bilan, le syndicat n’aura plus aucun droit de regard, on entrerait dans une lutte hors-la-loi.
Il y eut de nombreuses questions d’ordre juridique sur les conséquences et les modalités d’un dépôt de bilan. Un marin du STC (Syndicat des travailleurs corses) voulait continuer la lutte, renforcé par un appel à la grève dans toute la Corse pour le samedi. Des grévistes s’étonnèrent du changement de cap de la CGT, alors qu’il n’y avait rien de changé depuis le lundi. Trois ou quatre autres intervinrent pour dire qu’il fallait continuer. Une militante de Lutte Ouvrière dit qu’on pouvait être fiers de notre grève, qui avait fait reculer le gouvernement dans un premier temps, et qui avait été suivie par les travailleurs au niveau national ; il ne fallait pas céder au chantage mais continuer la grève.
Le vote de la fin de la grève
C’est jeudi matin que la décision fut prise par presque 600 marins et sédentaires. Un premier vote donna une nette majorité pour que le vote s’effectue à main levée. Mais finalement le vote à bulletins secrets fut choisi afin de vérifier qu’il n’y avait pas de votant non-gréviste.
Deux piles de bulletins furent posés sur l’estrade où se tenaient les dirigeants syndicaux. Ils avaient été préparés de façon très particulière puisque l’un des bulletins portait « Oui à la reprise de l’activité. Pour éviter le dépôt de bilan » et l’autre « Non à la reprise de l’activité = dépôt de bilan » !. Ainsi celui qui votait « non » avait le sentiment qu’il votait pour le dépôt de bilan.
Chacun venait prendre le bulletin de son choix pour le mettre dans l’urne. Malgré l’avis du syndicat et le chantage du gouvernement, 73 votants se prononcèrent pour continuer la lutte, conscients qu’il fallait mettre à profit la mobilisation en cours et l’intérêt des travailleurs de tout le pays. Il y eut cependant 519 votes « oui » à la reprise du travail, même si beaucoup la votèrent en se disant prêts à reprendre la lutte.
Le gouvernement menaçait d’un dépôt de bilan. Peut-être n’était-ce là qu’un coup de bluff, mais peut-être y était-il réellement décidé et était-ce une menace réelle.
Pour le faire reculer il restait possible de continuer la grève, mais il aurait aussi fallu y rallier des travailleurs d’autres entreprises, visées elles aussi par les projets de privatisation, aller vers une extension du conflit. Beaucoup de grévistes ressentaient, plus ou moins clairement, cette nécessité de l’extension. Ils l’attendaient d’ailleurs de la direction de la CGT, et étaient de plus en plus déçus de constater que celle-ci, visiblement, n’en voulait pas.
Alors, pour continuer cette grève de déjà 23 jours, il aurait fallu aller contre l’avis de la CGT qui l’avait conduite jusque-là et la grande majorité des grévistes ne s’y sont pas sentis prêts.
Le protocole de reprise fut établi le vendredi 14 et les marins refusèrent de prendre la mer tant qu’ils n’en connaissaient pas le contenu. Finalement, les jours de grève seront tous retenus, moitié sur les salaires, moitié sur les congés ou les RTT. Ces retraits sont répartis sur trois mois. Aucune sanction ne sera prise pour les actions durant la grève.
À la manifestation de samedi 15, il n’y eut que quelques dizaines de salariés de la SNCM. Cette manifestation, avec la présence de Bernard Thibault, venait après la bataille et pour justifier la reculade.
Les dirigeants syndicaux et le conflit de la SNCM : L’art et la manière de couler une grève Depuis plusieurs années, il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire. Cette tendance soumet des textes différents de ceux de la majorité au vote de nos camarades lors de nos conférences nationales. Mais elle s’est exprimée aussi, à chaque fois qu’elle l’a désiré, dans les bulletins intérieurs de notre organisation. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée ou, autrement dit, en fraction. C’est pourquoi ils s’expriment chaque semaine à cet endroit, dans les colonnes de notre hebdomadaire, parfois pour défendre des opinions identiques ou semblables à celles de la majorité, parfois pour défendre des points de vue différents.
Le conflit à la SNCM a marqué l’actualité sociale de la rentrée. On a vu, pendant 24 jours des travailleurs combatifs se mobiliser contre le coup de force que tentait de Villepin, malgré les tentatives répétées du gouvernement de mater le conflit.
Lorsque le gouvernement avait annoncé le désengagement total de l’État de la SNCM, avec un plan social où on parlait de 600 licenciements (sur 2400 salariés), la réaction du personnel ne s’était pas fait attendre : la grève démarrait le lendemain. La détermination pendant la première semaine de grève explique que le 27 septembre le gouvernement effectuait un léger recul en annonçant le maintien de l’État comme actionnaire minoritaire et 400 suppressions d’emplois sans licenciements secs. Mais déjà la CGT en rabattait sur les revendications : « Nous pourrons discuter d’une ouverture du capital au privé, très minoritaire » affirme alors Jean-Paul Israël, de la CGT-Marins. Un recul suivi par d’autres, la CGT insistant par la suite sur la demande de 51% de parts pour l’État.
Ces concessions sur les revendications s’effectuaient alors que le mouvement marquait des points. Ceux de la SNCM n’étaient plus seuls : fin septembre, le personnel du port autonome de Marseille s’était mis en grève. Certes, en même temps qu’il reculait quelque peu, de Villepin mania la trique en faisant donner le GIGN contre le Pascal Paoli, passé sous contrôle des grévistes. Mais ce mauvais coup ne les désarçonna pas, il contribua plutôt à mettre le conflit sous les feux de l’actualité et à susciter l’émotion et la solidarité parmi les travailleurs du pays.
L’affaire devenant nationale, on vit Thibault s’impliquer personnellement... en se rendant à Matignon, à sa demande, pour négocier par-dessus la tête des grévistes. Puis il adresse le dimanche 9 octobre, avant que les ministres Perben et Breton se rendent à nouveau à Marseille pour une rencontre avec les syndicats, une lettre à de Villepin soulignant que ceux-ci « ont accepté la perspective d’une présence de capitaux privés et l’hypothèse d’un plan social... ». La revendication que l’État reste présent à 51% dans le capital n’y figure pas. « L’avenir de la SNCM ne se résume pas fondamentalement à la question de la part de capital de l’État actionnaire », dira Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT.
Lors de la journée d’action du 4 octobre à Marseille, on put mesurer la réelle sympathie envers les grévistes de la SNCM. À Marseille les traminots, eux aussi menacés, ont poursuivi la grève à partir du 4. N’était-il pas possible à partir de cette journée d’action d’étendre le mouvement ? Pas possible de s’adresser aux cheminots, salariés d’EDF ou autres, sur la liste des prochaines victimes des privatisations et licenciements, qui préfèreraient faire front ensemble plutôt que se battre séparément ?
Savoir s’il y aurait eu du répondant à une telle tentative, nul ne peut certes l’affirmer. Ce qui est sûr, c’est qu’une extension aurait vraiment fait peur au gouvernement. Et ce qui l’est également, c’est que telle n’était pas la volonté des confédérations syndicales.
Les négociations chères à Thibault n’ont rien donné de très différent de ce qu’annonçait de Villepin fin septembre. La grève est demeurée forte, même si quelques fléchissements ont eu lieu les derniers jours, avec la fin de la grève du port autonome de Marseille. C’est dans cette situation que la CGT, se posant en syndicat « responsable » a décidé de consulter les grévistes.
Le jeudi 13 octobre, à l’assemblée générale, le choix proposé était entre un bulletin de vote « Non à la reprise du travail = dépôt de bilan », et « Oui à la reprise du travail pour éviter un dépôt de bilan ». Le message était sans ambiguïté : poursuivre la grève, c’est mettre l’entreprise en faillite et faire 2400 chômeurs. Ce chantage-là, on l’avait entendu depuis des semaines, de la bouche de Villepin, des autorités ou des médias alarmés par la soi-disant gravité de la santé financière de la SNCM. Il y avait urgence, nous disait-on, et une seule solution était possible : la privatisation et les licenciements. Ces arguments fallacieux, les grévistes de la SNCM les connaissaient bien, ils n’y avaient pas cédé pendant plus de trois semaines. Mais cette fois-ci, c’était la CGT elle-même qui tenait ce discours aux salariés. En affirmant que la continuation menait au dépôt de bilan, la CGT montrait qu’elle n’était plus disposée à poursuivre le combat, et elle portait ainsi un coup fatal à la grève. Même si, hypocritement, le secrétaire local du syndicat CGT des marins, refusait aux grévistes toute indication de vote.
On a certes entendu le Syndicat des travailleurs corses dénoncer l’attitude de la CGT. Mais sans offrir la moindre alternative aux travailleurs, ne voulant depuis le début se préoccuper que des intérêts prétendument spécifiques des travailleurs corses. Si sa revendication de régionalisation de la SNCM était mise en place, elle ne garantirait rien contre la privatisation ni contre des suppressions d’emplois. Dans les derniers jours de la grève, le STC n’a rien proposé. Il n’a poussé des hauts cris contre la CGT... qu’une fois la reprise votée.
Le conflit de la SNCM montre une fois de plus que les travailleurs ne peuvent pas compter sur les directions syndicales pour organiser une véritable riposte à l’offensive patronale et gouvernementale. C’est aux travailleurs eux-mêmes qu’il revient alors de pousser à l’extension la plus large possible de chacun de leurs combats. Ils ne doivent pas remettre la direction de leurs luttes aux appareils syndicaux s’ils ne veulent pas être menés en bateau, puis vaincus. La réelle démocratie dans la grève est indispensable, et elle consiste à élire et contrôler la direction de la lutte par les grévistes eux-mêmes et pendant toute la durée du conflit.
SNCM, RTM, SNCF... Quatre mois de grèves déterminées... mais défaites
Mis en ligne le 13 janvier 2006
Le dernier tiers de l’année 2006 aura été marqué par des grèves qui bien que localisées, ont focalisé l’attention de tout le pays. Ainsi, après les marins de la SNCM, puis les traminots de la RTM, à Marseille, celle en décembre des conducteurs du RER D en banlieue parisienne. Elle a duré 10 jours (23 à la SNCM et 46 à la RTM) mais, venant dans la foulée d’une grève générale (avortée) de la SNCF et semblant sur le point d’être imitée par d’autres secteurs cheminots (pendant quelques jours, ceux du RER B l’ont rejointe, puis d’autres en province s’y sont mis de leur côté), elle a provoqué un instant la même inquiétude des autorités et des médias. Une inquiétude qui démontre que, dans le climat social actuel, gouvernement et patrons craignent que la moindre grève un peu sérieuse serve de détonateur à un mouvement bien plus large, même quand ce n’est ni la volonté ni les préoccupations des grévistes eux-mêmes.
Là, la colère a éclaté à propos de nouveaux horaires : augmentation du nombre de week-ends travaillés, due à la décision de faire circuler plus de trains sans créer les effectifs suffisants. Apparemment un problème bien spécifique. En fait, la simple traduction chez les roulants de l’accroissement de l’exploitation dont sont victimes, sous une forme ou sous une autre (augmentation de la charge de travail, suppressions d’emplois, manipulation des horaires, abaissement du salaire réel) tous les cheminots, et en fait tous les travailleurs du privé comme du public. D’où la crainte des autorités que ce mouvement serve d’exemple et leur volonté d’y mettre fin à tout prix... sans céder autre chose que des miettes. Ce qui en fait du coup un contre-exemple... comme la SNCM ou la RTM l’ont été avant lui. L’échec inévitable ?
Qu’en conclure ? Que même dures, même menées par des travailleurs déterminés, les grèves seraient, face à la fermeté du gouvernement actuel, inefficaces, vouées à l’échec ?
La grève des conducteurs de la banlieue parisienne a échoué parce qu’elle est restée isolée, tout comme celles de la SNCM et de la RTM. Or cet isolement n’était en rien une fatalité. Les mêmes problèmes et le même mécontentement existent chez l’ensemble des cheminots qui subissent tous de plein fouet la politique de baisse des effectifs (7 000 suppressions de postes entre 2003 et 2004) et des salaires (augmentations très faibles après des années de quasi-blocage depuis 1998). Dans ce contexte, pourtant, les syndicats (la CGT et Sud, très implantés en banlieue) n’ont pas eu la moindre démarche pour s’adresser aux autres cheminots. Ils n’ont diffusé aucune information vers les autres secteurs, au point que, parfois, les conducteurs de dépôts voisins ne connaissaient même pas les raisons précises de la grève. Et ils ne se sont pas plus adressés aux voyageurs.
Paradoxe apparent même, c’est la direction SNCF et les médias mobilisés par elle qui l’ont fait. Le seul tract distribué dans les gares fut celui de la direction. Évidemment, ce brusque souci de l’usager (qui, d’habitude, sur ces lignes de banlieue est traité comme un chien : retards quotidiens, conditions difficiles aux heures de pointe) n’était pas anodin. En faisant des conducteurs d’affreux privilégiés, paraît-il très bien payés pour des journées de travail de moins de 6 heures, il s’agissait de susciter la colère des voyageurs... contre les grévistes, de contribuer à isoler la grève. Quoi de plus facile, du coup, pour la direction de jouer sur la gêne et la lassitude croissantes d’usagers tenus à l’écart d’un mouvement dont ils ne comprenaient pas les raisons... et d’attendre patiemment que la grève s’essouffle ? Ainsi, en ne faisant rien pour étendre ni même faire connaître la grève, les syndicats, qu’ils l’aient voulu ou non, l’ont condamnée à l’impasse et ont envoyé les grévistes, tout déterminés qu’ils étaient, dans le mur. De toute évidence, le même sort fut réservé aux grèves qui éclatèrent par la suite dans d’autres villes de province, à Rouen, dans le Sud-Ouest ou encore à Nice où les conducteurs de TER durent reprendre eux aussi après dix jours de grève sans résultat. La culture du catégoriel
Il est vrai que les grévistes eux-mêmes ne voyaient pas l’utilité d’élargir, pas même à l’ensemble de la catégorie des roulants. Mais comment n’en aurait-il pas été ainsi quand tout espoir de grève générale de la SNCF avait été torpillé 15 jours plus tôt !
Le 21 novembre au soir, en effet, les fédérations syndicales (CFDT exceptée) appelaient l’ensemble des cheminots à une grève reconductible... pour les inviter à reprendre le travail dès le lendemain. Le prétexte de la volte-face ? Les cheminots auraient remporté une victoire, petite certes, mais une victoire quand même, et la participation à la grève était un peu faiblarde.
Une victoire, les ridicules concessions de la direction ? 0,3 % d’augmentation, une prime de 120 euros (hiérarchisée, c’est-à-dire profitant d’abord aux plus hauts salaires), de vagues promesses de geler (et non annuler) quelques suppressions de postes : pas de quoi pourtant stopper la dégradation du niveau de vie ni la réduction continue des effectifs !
Les cheminots n’auraient pas répondu présents ? C’est ce qu’avait voulu faire croire bien sûr la direction en publiant le chiffre de 23 % de grévistes, repris en chœur par tous les médias. Un chiffre forcément bas puisqu’il englobait toutes les catégories de cheminots, cadres et maîtrises compris. Par contre elle se gardait bien d’ébruiter celui, bien plus significatif, de l’Exécution (33 %). Cette première journée, sans être un franc succès, montrait au contraire qu’une partie non négligeable des cheminots était partante pour ce qu’elle croyait vraiment une grève reconductible, c’est-à-dire peut-être longue et difficile... mais au moins générale à la SNCF.
Seulement voilà, c’était un trompe-l’œil. Trompe-l’œil qui n’avait sans doute pas échappé à la direction SNCF et au gouvernement.
Tout dans l’appel des syndicats sonnait faux en effet. Et d’abord les revendications : un catalogue fourre-tout où il était question des salaires, de l’emploi et de la privatisation, réelles préoccupations des cheminots, mais où rien n’était précisé ni chiffré. Peu motivant pour les hésitants ! Ensuite, la préparation de cette grève... ou plutôt son sabotage : l’annonce du préavis des semaines à l’avance aurait pu être l’occasion de mobiliser, prendre le temps de passer dans tous les secteurs, convaincre les indécis... bref déployer tous les efforts pour que cette première journée soit une réussite. Dans une certaine mesure, sur le terrain, les militants syndicaux l’ont fait, en organisant dans bien des endroits des tournées. Mais quelle efficacité ces initiatives pouvaient-elles avoir quand, dans le même temps, les fédérations se prêtaient au jeu de la négociation, adoptant au gré des tractations avec la direction un ton de plus en plus conciliant la semaine précédant la grève ! D’un côté, elles agitaient le mot d’ordre de grève reconductible (ce qui permettait de donner le change aux cheminots les plus combatifs), de l’autre elles multipliaient les signes rassurants en direction du gouvernement et de la direction : pas d’inquiétude, il n’est pas dans notre intention d’organiser un nouveau 95, tout au plus une grève que l’on fera cesser le plus tôt possible, au premier os que vous nous donnerez à ronger... Promesse tenue puisque, le 22 au soir, après un jour de grève, les syndicats arrêtaient tout. La peur du mouvement d’ensemble
L’appel des syndicats n’avait donc été qu’une comédie, dont les seuls dupes ont été les cheminots qui y ont vu enfin l’occasion d’engager un combat d’ampleur et de rompre avec la succession de « journées d’action » (six depuis janvier 2005 !) dont ils avaient pu amplement mesurer l’inefficacité. Et voilà que cette grève reconductible se révélait n’être qu’une « grè¬ve carrée » (grève de 24 heures dans le jargon cheminot) de plus !
L’opération avait réussi. Cette grève avortée ne pouvait manquer d’en refroidir beaucoup. Et, pour les plus déterminés, ceux qui avaient le plus la colère et n’acceptaient vraiment pas les nouveaux coups, les aiguiller vers des bagarres locales. La voie de la grève générale ne venait-elle pas de leur être fermée ? Tout les poussait donc à tenter d’obtenir localement ce qu’ils pouvaient, pour eux-mêmes, sans se préoccuper des autres, en ne comptant que sur leurs propres forces. Ce repliement sur soi n’était que la conséquence de la défaite du 21 novembre.
À la SNCF, les directions syndicales ont fait une fois de plus la démonstration que leur intention n’était pas d’aller vers le mouvement d’ensemble, seul moyen de mener à la victoire. Lorsque des mouvements locaux se déclenchent malgré tout, elles peuvent certes en prendre la tête et se montrer « radicales » (en laissant faire leurs représentants locaux qui ont moins de visées politiciennes ou sont davantage sous la pression de la base), elles peuvent même les déclencher elles-mêmes pour éviter d’être débordées, mais elles ne tenteront rien pour les étendre. Ou plutôt elles feront tout pour que ce ne soit pas.
La SNCF n’a été qu’un nouvel avatar de la politique qu’on avait vu à l’œuvre quelques semaines avant, lors des grèves de la SNCM et de la RTM. Alors qu’il aurait fallu tout faire pour tenter d’étendre (ce qui localement commençait un peu à se faire, puisqu’à Marseille les dockers s’y étaient mis aussi), les directions syndicales torpillèrent l’occasion de le faire. Là, ce fut par le biais de l’organisation d’une action de plus grande envergure, la journée interprofessionnelle du 4 octobre, mais... sans lendemain. Pourtant près d’un million de personnes étaient descendues dans la rue dire non aux privatisations et aux suppressions de postes, ce contre quoi justement les grévistes de la SNCM et de la RTM étaient en train de se battre. Le succès de cette journée ne fut pas extraordinaire (les salariés du privé, notamment, étaient encore trop peu nombreux). Il aurait pu pourtant offrir un point d’appui pour proposer une perspective aux salariés confrontés aux mêmes problèmes. Les syndicats se contentèrent de se féliciter de ce succès sans chercher à l’exploiter et à organiser l’étape suivante, avec comme objectif la généralisation des luttes. Et ils laissèrent les grévistes de la SNCM et de la RTM continuer tout seuls. Avec le résultat que l’on connaît... Mettre toutes les chances de notre côté
Le trimestre dernier, tant à la SNCF qu’à la SNCM ou à la RTM, c’est la politique des directions syndicales qui a montré son inefficacité. La grève, elle, est toujours à l’ordre du jour. Mais pas la grève isolée, parquée, atomisée.
Oui, plus que jamais, face à une politique qui nous mène de défaites en défaites, il est nécessaire d’affirmer la politique correspondant vraiment aux intérêts du monde du travail : mise en avant des revendications générales (l’interdiction des licenciements et des contrats précaires, l’augmentation de 300 € par mois pour tous, la création de centaines de milliers d’emplois dans les services publics...) qui, en fait, englobent les revendications particulières des différents secteurs ; et préoccupation, dans chaque combat, de l’étendre au maximum, en s’adressant à tous ceux qui peuvent être concernés au-delà de son secteur, atelier, chantier, bureau, usine ou catégorie.
Plus dur, dans un premier temps, que de se replier sur soi-même ? Peut-être. Mais plus de chance de vaincre aussi.