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Yemen : une nouvelle guerre ?

dimanche 24 janvier 2010

Depuis l’attentat manqué de l’avion Amsterdam-Détroit, le Yémen fait la une des journaux : c’est là que le jeune terroriste nigérian aurait été entraîné. Comment ce pays, allié des Etats-Unis, serait-il devenu un refuge pour Al-Qaïda ?

Tout d’abord, nous devons observer ce phénomène qui se répète : chaque fois qu’un régime soutenu par Washington est menacé, des terroristes apparaissent. Dans le cas de pays musulmans, ça tombe sur Al-Qaïda. Ce groupe terroriste fantôme apparaît partout où des mouvements nationalistes ou anti-impérialistes ébranlent des gouvernements marionnettes soutenus par les Etats-Unis. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Yémen. Ce pays est dirigé par un régime corrompu allié de Washington. Mais il est menacé par des mouvements de résistance.

Et voilà qu’apparaît ce jeune Nigérian qui embarque avec des explosifs dans un avion à destination de Détroit. Ca n’a pas de sens. Ce présumé terroriste était placé sur des listes de surveillance depuis que son père avait prévenu les autorités américaines. De plus, les Etats-Unis disposent d’importants dispositifs de sécurité et de matériel de pointe : avec leurs satellites, ils pourraient dire si vous mangez un sandwich au thon ou au poulet ! Cette histoire de terrorisme ressemble à une popote interne qui montre que la situation du Yémen échappe aux Etats-Unis et que leurs intérêts sont en danger.

Pourquoi le Yémen est-il devenu si important aux yeux de Washington ?

Le président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, est au pouvoir depuis trente ans. Son régime est corrompu, mais aligné sur la politique des Etats-Unis. Un groupe de résistants dans le nord du pays et des séparatistes dans le sud menacent la stabilité du gouvernement. Si un mouvement révolutionnaire renverse Saleh, cela pourrait avoir un impact dans toute la région et encourager les résistants qui luttent dans les Etats pro-impérialistes de la région. Particulièrement contre le régime féodal d’Arabie Saoudite.

D’ailleurs, lorsque les combats avec les résistants du nord ont éclaté au Yémen, la Ligue Arabe, dirigée par l’Egypte, a immédiatement condamné les rebelles et apporté son soutien au gouvernement yéménite. J’attends encore que cette même Ligue condamne les agressions d’Israël contre le Liban et la bande de Gaza. Le conseil de coopération du Golfe, une organisation dévouée aux intérêts occidentaux, regroupant certains pays producteurs de pétrole, a également condamné les résistants du Yémen. Pour les Etats-Unis, qui sont en pleine récession, leur colonie saoudienne ne peut être menacée par des mouvements de résistance. L’Arabie Saoudite fournit en effet une part importante de pétrole à Washington et constitue un précieux allié dans le Golfe. Si la région devenait instable, cela aurait de graves conséquences économiques pour les Etats-Unis.

Qui sont ces résistants au nord du pays ? Quelles sont leurs revendications ?

Dans le nord du pays, le gouvernement affronte depuis plusieurs années la résistance armée des Houtis qui tirent leur nom du fondateur de ce mouvement, Hussein Al-Houti. Ce dernier est mort au combat il y a quatre ans et son frère a pris la relève. Tout comme la majorité des Yéménites au nord, les Houtis sont zaydites. L’islam est divisé en plusieurs courants tels que le sunnisme ou le chiisme. Ces courants se déploient à leur tour en différentes branches, le zaydisme étant une branche du chiisme.

Le président Saleh est lui-même zaydite, mais les Houtis ne reconnaissent pas son autorité. Le fait est que le Yémen est un pays très pauvre : son économie repose essentiellement sur une agriculture en déclin, quelques rentes pétrolières, un peu de pêche ainsi que l’aide international et l’argent envoyé par les travailleurs expatriés. Et avec tout cela, seule une poignée de personnes dans l’entourage du président profite des quelques richesses du pays alors que la population devient de plus en plus pauvre. La majorité des Yéménites ont moins de trente ans mais aucune perspective pour le futur : le chômage atteignait 40% en 2009. Les Houtis ont donc interpellé le gouvernement sur le sous-développement de la région, le manque d’eau et les problèmes d’infrastructures. Mais le président Saleh n’a pas répondu à leurs appels. Depuis, les Houtis ont entamé une lute armée. Leur bastion est la ville de Saada. Ce qui est très symbolique : c’est dans cette ville que s’installa il y a plus de dix siècles le fondateur du zaydisme yéménite.

Les combats près de Saada font rage. On dénombre plusieurs milliers de réfugiés et le gouvernement accuse l’Iran de soutenir les rebelles…

Cette accusation est fausse. L’Iran est à majorité chiite, mais les zaydites du Yémen, par leur manière de prier et bien d’autres choses encore, sont en réalité plus proches des sunnites. Si la résistance houtiste a suffisamment d’armes pour continuer le combat pendant les dix prochaines années, c’est parce qu’elle bénéficie de l’aide d’une partie de l’armée yéménite. En effet, beaucoup de soldats et d’officiers sont zaydites eux aussi. Les combats dans la région ont déjà fait plus de 150.000 réfugiés et les militaires zaydites voient que leurs frères souffrent. Certains rejoignent même la résistance.

Le président Saleh doit donc mobiliser des sunnites opportunistes au sein de l’armée pour combattre la résistance dans le Nord. Ce qui n’est pas sans conséquence : ce président zaydite, qui a déjà usé de ses convictions religieuses pour mobiliser la population et l’armée, fait aujourd’hui appel à des sunnites pour combattre d’autres zaydites. Saleh est en train de perdre tout le soutient qui lui restait au nord du pays.

Et le Sud demande la sécession ! Le président yéménite semble vraiment en mauvaise posture…

L’histoire du Yémen est essentielle pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Le pays dans sa configuration actuelle est né de la fusion en 1990 de la République démocratique populaire du Yémen au Sud et de la République arabe du Yémen au Nord. Ces deux Etats ont eu des parcours différents…

La création du Nord remonte à plus de dix siècles avec l’arrivée des zaydites à Saada. Mais, en 1962, une révolution éclate pour renverser le régime féodal et installer une république. Nasser, le président égyptien défenseur de l’indépendance arabe, soutient le mouvement révolutionnaire. De leur côté, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Arabie Saoudite et le chah d’Iran envoient des mercenaires pour secourir les éléments réactionnaires de l’ancien régime féodal et affaiblir Nasser. Le conflit débouche sur une guerre horrible où plus de dix mille soldats égyptiens perdent la vie. Finalement, le gouvernement républicain n’est pas renversé, mais sort très affaibli du conflit. Il n’a pas les moyens d’amorcer une révolution culturelle, de démocratiser complètement le pays, ni de l’industrialiser. Bien que l’imam-roi qui dirigeait le pays se soit enfui en Arabie Saoudite, une grande partie du Yémen du Nord reste à l’état féodal.

Et au Sud ?

Le Yémen du Sud a eu un parcours différent. Il a été colonisé par les Britanniques pour bloquer l’expansion des Français qui s’étaient emparés de Djibouti et des Russes qui s’étendaient jusqu’à l’Asie centrale. Mais il s’agissait aussi de maintenir la domination britannique dans le Golfe arabe et sur le passage stratégique du détroit d’Hormuz. C’est la Grande-Bretagne qui a construit la ville portuaire d’Aden au Yémen du Sud. Cette ville est devenue très importante pour l’empire britannique. On pourrait dire que c’était le Hong-Kong ou le Macao de l’époque. Beaucoup d’étrangers ont également été envoyés dans la région.

Voici quelle était la pyramide sociale dans cette société coloniale : au sommet, trônaient les colons britanniques ; venaient ensuite des communautés somaliennes et indiennes qui constituaient une sorte de tampon avec la dernière classe, les Yéménites. C’était une stratégie classique des colons britanniques : utiliser un groupe d’individus contre un autre pour se préserver eux-mêmes. Ce faisant, toutes les personnes que la Grande-Bretagne jugeait dangereuses dans sa colonie indienne - comme les nationalistes ou les communistes - étaient envoyées en exil à Aden.

Comme nous l’avons vu pour la Somalie, ces prisonniers politiques vont influencer le cours de l’Histoire dans la région ?

Tout à fait. Des mouvements indépendantistes font fuir les colons britanniques en 1967 et la République démocratique populaire du Yémen voit le jour deux ans plus tard. Elle est gouvernée par le Parti socialiste yéménite : une coalition des divers éléments progressistes hérités en partie des prisonniers d’Aden. On y trouve des communistes, des nationalistes, des libéraux, des baasistes venant de Syrie ou d’Irak… Tous ces acteurs se trouvent réunis sous la bannière du Parti socialiste.

Le Yémen du Sud devient alors l’Etat arabe le plus progressiste de la région et connaît ses plus belles années avec une réforme agraire, l’égalité des sexes, etc. Cependant, le Parti socialiste reste composé de nombreux éléments aux origines diverses. Les communistes encadrent le parti et maintiennent une certaine cohésion mais chaque fois qu’il faut faire face à un enjeu de taille, les contradictions éclatent au grand jour. A cause du manque de base industrielle et du caractère petit bourgeois de la coalition, ces contradictions débouchent sur des assassinats. Les membres s’entretuent littéralement ! Le parti connaîtra ainsi trois révolutions internes sanglantes. Et la dernière lui sera fatale. La plupart des cadres idéologiques qui dirigeaient le parti sont assassinés et l’aile libérale prend la tête du mouvement. C’est donc un Parti socialiste très faible qui gouverne le Yémen du Sud lorsque la réunification des deux Yémen prend effet en 1990. Bien qu’elles aient eu des parcours relativement différents, les parties Nord et Sud ont toujours inscrit l’unification du pays dans leurs agendas respectifs.

Alors, pourquoi a-t-il fallu attendre 1990 pour que le Nord et le Sud s’unissent ?

Au nord, l’Etat était très faible depuis la guerre. Il était dirigé par des libéraux dépourvus d’idées vraiment révolutionnaires et contrôlés par les pays du Golfe, surtout l’Arabie Saoudite. Le voisin saoudien fournissait en effet des armes et de l’argent à la classe féodale afin d’affaiblir le gouvernement central. Pour l’Arabie Saoudite, un Yémen du Nord tribalisé était plus facile à gérer. Le Sud était par contre devenu un bastion des idées progressistes. En pleine guerre froide, il était considéré comme un ennemi de la région et devait être placé en quarantaine.

Mais en 1990, les choses avaient changé. Tout d’abord, l’Union soviétique s’était effondrée et la guerre froide était finie. De plus, le Parti socialiste yéménite ne représentait plus une grande menace. En effet, ses leaders idéologiques avaient été supprimés lors de la troisième révolution interne du parti. Pour les pays de la région et pour les intérêts stratégiques des Occidentaux, l’unification du Yémen ne présentait donc plus de gros danger. Ali Abdullah Saleh, qui était déjà président de la République Arabe du Yémen depuis 1978, prit la tête du pays. Il est encore au pouvoir aujourd’hui.

En 1990, le Yémen est le seul pays avec Cuba à s’opposer à la guerre en Irak. Vingt ans plus tard, si Castro tient toujours tête aux « Yankees », Saleh s’est pour sa part rangé aux côtés des Etats-Unis dans leur guerre contre le terrorisme. Comment expliquez-vous ce changement ?

L’opposition à la guerre en Irak n’était pas le fruit de la politique de Saleh, mais des membres de l’ancien Parti socialiste yéménite qui occupaient quelques postes-clé dans le nouveau gouvernement. Cependant, bien que le Parti socialiste ait toujours souhaité l’unification des deux Yémen sur une base progressiste, il était trop affaibli par ses révolutions internes pour faire passer complètement sa politique. De plus, l’Arabie Saoudite, fidèle allié des Etats-Unis, fit payer très cher au Yémen cette prise de position contre la guerre en Irak. Le royaume saoudien expulsa en effet un million de travailleurs yéménites qui bénéficiaient d’un statut spécial pour travailler librement de l’autre côté de la frontière. Cela provoqua une grave crise économique au Yémen tout en envoyant un signal fort au président Saleh. Ce dernier revit sa politique pour devenir graduellement la marionnette de l’impérialisme US que nous connaissons aujourd’hui.

Et les éléments progressistes du Sud l’ont laissé faire ?

La réunification a été une grande déception pour les dirigeants du Sud. Ils se sont lancés dans ce processus sans véritable stratégie. Et comme nous l’avons vu, le Parti socialiste était très faible. Le centre du pouvoir gravitait donc au nord autour du président Saleh. Le régime était corrompu, le renvoi des Yéménites travaillant en Arabie Saoudite avait provoqué une crise majeure et la situation économique se détériorait.

Tous ces facteurs ont amené le Sud à demander la sécession en 1994. Les séparatistes étaient soutenus par l’Arabie Saoudite qui préférait avoir un voisin divisé et faible pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle entretenait des contradictions avec son voisin sur le tracé de la frontière : le Yémen réclamait en effet certains territoires situés en Arabie Saoudite. Ensuite, parce qu’un Yémen uni avec un bon leadership pouvait apporter des problèmes aux classes féodales des pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite.

Ces tensions entre Nord et Sud débouchèrent finalement sur un conflit. Le président de confession zaydite mobilisa la population du Nord et une grande frange de l’armée autour de ses convictions religieuses pour lutter contre le Sud à majorité sunnite. Les séparatistes furent vaincus, ce qui affaiblit encore plus les anciens membres du Parti socialiste au sein du gouvernement yéménite. Cette guerre a finalement offert au Nord et à Saleh l’occasion d’asseoir leur domination sur les plans militaire et politique.

Quinze ans plus tard, le Sud demande à nouveau la séparation. Pensez-vous que le président Saleh s’en sortira aussi bien cette fois ?

Non, évidemment. Saleh doit affronter des problèmes de toutes parts. Le Sud réclame à nouveau un partage équitable du pouvoir après que ce gouvernement corrompu ait pratiquement ramené le pays à l’état féodal. Pour les Yéménites du Sud qui ont un passé progressiste, la situation n’est pas acceptable. Mais elle ne l’est pas non plus pour les Houtis au Nord. Et dans ce cas-ci, le président Saleh ne peut plus mobiliser une grande partie de la population et de l’armée autour de ses convictions religieuses : les Houtis sont aussi des zaydites ! La résistance houtiste a en fait permis de mettre à nu la véritable politique de ce gouvernement comme aucun stratège n’aurait pu le faire en si peu de temps. La population découvre ce qui se passe vraiment et le mécontentement gronde de plus en plus fort.

Quelles sont les raisons de la colère du peuple yéménite ?

Tout d’abord, la situation sociale et économique. Alors que le régime profite des richesses, le peuple devient de plus en plus pauvre. Il y a aussi le fait que le Yémen soit devenu un bastion de l’impérialisme US et que Saleh se soit rangé aux côtés de Washington dans sa guerre contre le terrorisme. Les Yéménites voient ce qui se passe en Afghanistan, au Pakistan et en Irak. Pour eux, c’est une guerre contre les musulmans. Barack Hussein Obama a beau avoir un nom musulman et faire tous les discours qu’il veut, il n’y a pas d’autres mots pour définir cette guerre.

De plus, le gouvernement yéménite n’est même pas capable de protéger ses citoyens. Après les attentats du 11 septembre, certains ont été enlevés et séquestrés sans raisons. C’est arrivé à un chef religieux yéménite éminent. Alors qu’il se rendait aux Etats-Unis pour voir son fils, il a été arrêté et envoyé à Guantanamo sans motif valable. Après six années de détention, il a finalement été relâché. Mais il est décédé trois semaines plus tard, car sa détention l’avait rendu malade. Cette guerre contre le terrorisme ne fait vraiment pas l’unanimité au sein du peuple yéménite !

Enfin, Saleh a reconnu les frontières de l’Arabie Saoudite dans le différend qui opposait les deux pays. Il a aussi autorisé les bombardiers saoudiens à pilonner la région où sont établis les rebelles houtistes. Pour les Yéménites, cette situation est inacceptable. Saleh est sur un siège éjectable. C’est pourquoi il a besoin du soutien des Etats-Unis qui agitent l’épouvantail d’Al-Qaïda afin de pouvoir agir librement dans le pays.

Après l’Afghanistan et l’Irak, le Yémen va-t-il donc devenir le troisième front des Etats-Unis ?

Je pense que ça l’est déjà. L’armée américaine a déjà envoyé des missiles et des troupes spéciales sur place. Elle fournit également beaucoup de matériel au Yémen, mais une bonne partie de ce dernier passe aux mains des résistants à cause des liens qu’ils entretiennent avec les zaydites de l’armée yéménite ! Cela fait six mois que Saleh a lancé une offensive de taille contre les Houtis. Il a également fait appel aux renforts des armées saoudienne et US. Je ne serais pas étonné qu’Israël rejoigne prochainement la partie. Mais malgré tout, ils ne parviennent pas à bout de la résistance houtiste. Cette dernière est logée dans une région montagneuse, comme les talibans. On sait toute la difficulté qu’il y a à combattre des rebelles sur ce terrain. De plus, les Houtis disposent d’assez d’armes pour combattre encore longtemps.

Un nouvel échec en vue pour les Etats-Unis ?

L’histoire semble se répéter pour les Etats-Unis. Ce pays a beau être aujourd’hui dirigé par un ancien musulman, sa politique n’a pas changé. Le discours d’Obama peut d’ailleurs être très semblable à celui de Georges W. Bush : il promet de traquer les terroristes où qu’ils soient. Washington agite l’épouvantail d’Al-Qaïda pour combattre des rebelles tapis dans les montagnes du Yémen ? Bush a fait la même chose il y a plus de huit ans avec l’Afghanistan et cette guerre n’est toujours pas finie.

La question est de savoir combien de temps cela va-t-il encore durer. L’historien Paul Kennedy a relevé que le décalage entre la base économique et l’expansion militaire était l’un des principaux facteurs de déclin des grands empires. Si l’économie d’une grande puissance est en perte de vitesse, mais que ses dépenses militaires augmentent, cette grande puissance est condamnée à sombrer et à devenir très faible. C’est la situation des Etats-Unis aujourd’hui.

Mohamed Hassan est un spécialiste de la géopolitique et du monde arabe. Né à Addis Abeba (Ethiopie), il a participé aux mouvements d’étudiants dans la cadre de la révolution socialiste de 1974 dans son pays. Il a étudié les sciences politiques en Egypte avant de se spécialiser dans l’administration publique à Bruxelles. Diplomate pour son pays d’origine dans les années 90, il a travaillé à Washington, Pékin et Bruxelles. Co-auteur de L’Irak sous l’occupation (EPO, 2003), il a aussi participé à des ouvrages sur le nationalisme arabe et les mouvements islamiques, et sur le nationalisme flamand. C’est un des meilleurs connaisseurs contemporains du monde arabe et musulman.

Articles de Grégoire Lalieu publiés par Mondialisation.ca

12 janvier 2010

Chems Eddine Chitour Le tour du Yemen

Hillary Clinton a déclaré que l’insécurité au Yémen est une menace régionale et globale

Que se passe-t-il au Yémen dont on dit que c’est la nouvelle poudrière qui va faire exploser la marmite du Moyen-Orient ? Petit pays de 20,9 millions d’habitants avec une superficie de 527.970 km², un taux d’alphabétisation de 47,7%, il est composé de musulmans sunnites (55%), et de musulmans chiites (42%), les autres habitants chrétiens, hindouistes, juifs. C’est une République islamique. Sa principale ressource est le pétrole. Son PNB-PPA par habitant (à parité de pouvoir d’achat) (en dollars) est de 751. Sa consommation d’énergie est de 184 kilogramme-pétrole par habitant. On voit que c’est un pays sous-développé qui n’a rien d’exceptionnel. Ce qui fait son intérêt, c’est d’abord sa position géographique sur le flanc sud de l’Arabie Saoudite, il a une vue directe sur le détroit de Bab el Mandeb, il est placé sur les routes du commerce international, notamment pétrolier et sur la zone de « piraterie », dit-on, somalienne. C’est ensuite la découverte du pétrole qui ne peut laisser indifférents ceux qui en ont besoin. C’est enfin le régime, un régime despotique : Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis trente ans, et qui a pu éliminer tous ses adversaires et qui, comme tout homme, doit passer la main, d’où une lutte sourde pour la succession d’autant plus féroce que le Yémen est le seul pays musulman où la proportion sunnite, chiite est du même ordre. Ce qui explique en partie l’état de guerre civile depuis plus de 10 ans entre le gouvernement central (sunnite) aidé par l’Arabie Saoudite et les Houtistes (chiite) du Nord (zone frontière avec justement l’Arabie Saoudite), et, dit-on, aidé par l’Iran, le Satan actuel de l’Occident...

Une position stratégique

Une autre complication est venue avec, dit-on dans la presse mains-stream, l’irruption d’Al Qaîda qui, après l’Irak, le Pakistan, l’Afghanistan, et même dit-on l’Aqmi du Maghreb, ouvre un « succursale » au Yémen. Il faut donc, qu’au nom de la lutte contre le terrorisme international, le combattre. Le Yémen, troisième front de la lutte contre le terrorisme écrit le New York Times. Les questions se multiplient aux Etats-Unis après l’attentat manqué, le 25 décembre, du jeune Nigérian Umar Farouk Adulmutallab. Celui-ci a tenté de faire exploser un avion au-dessus de Detroit. Il a affirmé avoir été entraîné par Al Qaîda au Yémen, où le quotidien américain révèle que les Etats-Unis ont ouvert très discrètement depuis un an un troisième front contre le réseau terroriste. L’armée américaine y a notamment envoyé des forces spéciales pour assurer la formation de militaires yéménites.(1)

Dans le même ordre d’idées, concernant Al Qaîda au Yémen, Jeffrey Fleishman écrit : Profitant de la situation chaotique qui règne dans le pays, l’organisation terroriste recrute et tisse un réseau solide susceptible de frapper n’importe où. L’attentat manqué contre un appareil de la compagnie Northwest Airlines, le 25 décem-bre, en est l’illustration. La branche d’Al Qaîda au Yémen, qui a revendiqué la tentative d’attentat sur un vol de la Northwest Airlines qui assurait la liaison entre Amsterdam et Detroit, compterait près de 2000 militants et sympathisants, affirme un spécialiste du terrorisme yéménite. (...) Le pays ne fournit plus seulement des penseurs radicaux, il attire désormais les extrémistes qui rêvent de rejoindre un front en pleine évolution au Moyen-Orient.(2)

(....) Le groupe - qui, selon les analystes, a pour objectif l’établissement d’un califat islamique dans tout le golfe Persique, à partir duquel il pourrait attaquer ensuite les intérêts occidentaux et israéliens - opère depuis l’autre rive de la mer Rouge, en Somalie, où une autre branche du réseau s’est installée dans la région de non-droit qu’est devenue la Corne de l’Afrique. Ce scénario inquiète Washington. (...) « Au niveau mondial, Al Qaîda est peut-être militairement affaiblie, mais ce n’est pas le cas au Yémen. On y trouve beaucoup d’armes. Le Yémen est un Etat idéal pour le développement d’Al Qaîda. Les djihadistes peuvent tirer parti du chaos qui règne dans le pays. »(2)

Autre appréciation aux antipodes de la doxa occidentale : « Ce nouveau conflit est très grave : Pour plusieurs raisons. Au départ, il s’agit d’un foyer d’instabilité, mettant aux prises des courants de l’Islam différents(...). L’Occident divise pour régner, c’est machiavélique. Ensuite, le Yemen occupe une position stratégique, dans la mer Rouge, et donc convoitable, d’autant que les rivaux russes, chinois, ou d’autres peuvent être tentés de s’implanter là où il n’y a pas encore de bases anglo-saxonnes. De surcroît, chaque parcelle de sol peut recéler des ressources que l’Amérique, toujours à l’affût d’espace vital, veut utiliser elle-même pour maintenir son niveau de vie, assurer sa prééminence, continuer à dominer le monde. »(3)

« Les USA tentent par tous les moyens de perpétuer leur hégémonie, comme toujours, par la force puisqu’ils la préfèrent au Droit. Mais il y a plus : cette zone, en partie sous influence chiite, intéresse l’Iran, et donc les USA bien décidés à affaiblir l’ennemi qu’il s’est choisi. Dans ce cadre, on situe mieux la tentative avortée d’attentat, parfaitement grotesque d’ailleurs, du pseudo-terroriste d’Al Qaîda. (...) Bref, nous avons à nouveau un (projet d’) attentat sous fausse bannière, sans doute moins d’Al Qaîda que des services secrets occidentaux, ou au mieux, nous avons un simple prétexte pour justifier ce qui est programmé de longue date. » Donc, nouveau terrain d’opération pour les USA. Et c’est très grave. Non seulement parce que les populations, évidemment, commencent à souffrir (raids aériens, drones, meurtres ciblés...), mais parce que ces choix illustrent parfaitement les objectifs réels du prix Nobel de la paix, nouveau visage d’une politique qui ne varie pas, furieusement néocoloniale, impériale, hors-la-loi, comme du temps de Bush. Pour moi, nous assistons aux prémices d’une tactique planétaire : prendre prétexte d’un fait plus ou moins mis en scène, et complaisamment relayé par une presse servile, pour s’implanter sur toujours plus de territoires : mise en place de bases militaires et de marionnettes dévouées aux ordres de Washington, pillage des ressources, contrôle des populations et des zones, voire des routes pétrolières, signaux lancés aux rivaux, supplantation des Chinois ou des Russes, etc. A ce tragique jeu, qui commence par des opérations de basse intensité et se termine par la sanglante mise à sac de tout le territoire convoité, les Occidentaux sont passés maîtres. Ils avancent pas à pas, mais tout, au final, tombe dans leur escarcelle...(3)

« (...) Tout se fait discrètement, en petit comité, entre dirigeants du complexe militaro-industriel, entre amis, entre futurs bénéficiaires, ou comme dirait notre cher Sarkozy, tout, vraiment tout, est désormais possible. Et tant pis si un peu partout les peuples en font les frais, tant pis s’ils sont massacrés, bombardés, terrorisés, mutilés, blessés, meurtris, démunis, ruinés, dressés les uns contre les autres, anéantis, exterminés, c’est du grand art, disons-le : du grand terrorisme, du terrorisme absolu, celui d’Etat. Toutes les lois humaines, de guerre, internationales, sont violées, le champ est libre : on convoite, on s’empare...vols, mensonges, crimes, tout est permis...Le cynisme est total. »(3) La dernière phase paroxystique de la guerre, au Yémen, contre les rebelles Houthis, a fait plus de 2000 morts en moins d’un mois et plus de 150.000 sans-abri. Les troupes du gouvernement yéménite se battent contre environ 15.000 rebelles Houthis, armés et entraînés par l’Iran et retranchés dans les montagnes du Nord, autour de Saâda, sur la frontière de l’Arabie Saoudite. Les bombardiers de l’armée de l’air saoudienne tapissent les zones rebelles et civiles, et l’armée de l’air et la marine égyptienne transportent des munitions pour l’armée du Yémen avec les encouragements et le financement des Etats-Unis. Plusieurs sources confirment les traits saillants du conflit en cours au Yémen : la petite armée yéménite de 66.000 hommes, manquant de stocks de matériel militaire organisés, a bientôt commencé à se trouver à court de munitions et d’équipement militaire.

Une guerre par procuration

L’armée égyptienne s’est empressée de fournir cet approvisionnement nécessaire, en mettant en oeuvre un corridor naval et aérien. L’Administration Obama s’est lancée dans la mêlée, grâce à son assistance financière alimentant les efforts saoudiens et égyptiens pour venir en aide au Yémen. Autant que les Etats-Unis et Israël avaient été pris par surprise par les capacités militaires du Hezbollah, lors de la guerre du Liban en 2006, les Américains et leurs alliés ont été stupéfaits par la maîtrise du champ de bataille des rebelles Houthis. La 1ère Division d’infanterie mécanisée de l’armée yéménite, renforcée par chacune de ses 6 brigades de commandos- parachutistes et le soutien aérien saoudien, s’est avérée incapable, depuis septembre, de briser la résistance des rebelles.

La situation ressemble de plus en plus à une guerre par procuration entre Riyad et Téhéran, la presse saoudienne du 5 novembre n’hésitant pas à parler d’« assaut des agents de l’Iran contre la frontière ». Les Saoudiens accusent les Iraniens de vouloir étendre l’influence chiite dans la région en fournissant armes et argent aux rebelles, tandis que les Iraniens reprochent aux Saoudiens de soutenir le régime yéménite d’Ali Saleh et de vouloir exporter la doctrine wahhabite. Le Yémen est devenu la priorité des priorités pour le président Barack Obama depuis l’attentat avorté du Nigérian Omar Farouk Abdulmutallab contre un avion, le jour de Noël. Le général David Petraeus s’est rendu à Sanaa et y a rencontré le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, pour lui transmettre un message de son homologue américain. Le Premier ministre britannique Gordon Brown a appelé à la tenue d’une conférence internationale à la fin du mois, pour parler du terrorisme au Yémen et en Somalie, et à la création d’une unité spéciale pour intervenir dans la région. Le mot clé est « Al Qaîda », qui utilise le sol yéménite comme terrain d’entraînement, centre de recrutement et base de lancement pour des attaques contre des cibles américaines et européennes. Omar Abdulmutallab a reçu sa formation dans une université fondamentaliste de Sanaa et a rencontré les dirigeants d’Al Qaîda pour la péninsule Arabique à Aden et à Abyan [fief présumé d’Al Qaîda, dans le sud du Yémen].(4)

(....) Ce pays n’a jamais disparu des écrans radar d’Al Qaîda. Aujourd’hui, le président américain veut doubler les aides au Yémen et s’engager dans une guerre commune avec les forces yéménites contre l’organisation terroriste. Concrètement, cela signifie que le pays sera mis sous tutelle militaire américaine, puisque ce genre d’aides et de coopération ne se fait pas sans contrepartie. Les Américains n’interviendront pas au nom du bien-être des habitants, mais pour protéger leurs propres intérêts. Cet engagement n’empêchera pas le Yémen d’être un Etat en faillite. Il risque même d’aggraver les difficultés et risquera de transformer toute la péninsule en foyer d’instabilité. Rappelons-nous que l’intervention américaine a fait de l’Afghanistan et de l’Irak les pays les plus corrompus et les plus instables du monde. Le destin du président yéménite Ali Abdallah Saleh ne sera peut-être pas meilleur que celui de l’Afghan Hamid Karzai.(4)

Pour François Marginean, s’agissant de « l’attentat raté d’Amsterdam », nous sommes en face d’un complot du style Armes de destruction massive prélude à l’invasion de l’Irak.Il écrit : « (...) Les États-Unis ont accusé Abdulmutallab d’être lié à une cellule d’Al Qaîda située au Yémen et en Arabie Saoudite. Vous vous rappelez quand on nous disait qu’Al Qaîda était en Afghanistan ? Nous avons ensuite envahi. Et la fois où on nous disait que l’Irak était devenu la nouvelle base d’Al Qaïda ? Nous avons aussi envahi le pays. Que pensez-vous que nous risquons de voir se produire si Obama et les médias clament que le Yémen et l’Arabie Saoudite sont la nouvelle demeure du célèbre groupe terroriste créé à l’origine par la CIA ? Mais qu’en est-il réellement ? Nous pourrions commencer par demander comment Umar Farouk Abdulmutallab a pu être capable de monter à bord de l’avion qui partait d’Amsterdam vers Détroit sans passeport. Nous savons tous que le profilage ethnique existe, surtout envers les musulmans. Particulièrement depuis le 11 septembre 2001 et la subséquente guerre contre le terrorisme. Imaginez maintenant un jeune homme provenant d’un pays musulman voyageant seul et sans bagage, avec un billet aller simple en direction des États-Unis et sans passeport. (...) et qui a convaincu le personnel à la porte de sécurité de laisser passer Umar Farouk Abdulmutallab sans passeport ? (...) Et pour pallier tout cela, on nous dit qu’il va falloir augmenter la sécurité dans les aéroports, se soumettre à des fouilles à nu virtuelles, faire du profilage ethnique à fond, attendre en file des heures, le temps de nous créer de nouveau une illusion de sécurité et de nous faire frire aux rayons X potentiellement mutagènes et cancérigènes ».(5) Le 4 janvier 2010, la secrétaire d’Etat US, Hillary Clinton, a déclaré que l’insécurité au Yémen est une menace régionale et globale. Il faut donc armer les Arabes. On apprend que l’Administration américaine a signé une série de marchés d’armements à grande échelle avec les pays arabes, en vertu desquels les Etats-Unis ravitaillent l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats arabes unis, de moyens de combat ultramodernes, comme des missiles antinavires, des missiles antichars, des bombes intelligentes etc. Ces marchés visent à renforcer ce qui est appelé « l’axe modéré dans le monde arabe »...En définitive, à travers le Yémen, c’est, le croyons-nous, la configuration réelle du Grand Moyen-Orient qui est modelée. Le pays à abattre est l’Iran accusé d’aider les Houtistes. Pour cela, L’Occident est prêt à s’allier à Al Qaîda sunnite pour combattre le chiisme et créer une nouvelle Fitna. Il serait prêt à libérer les terroristes yéménites d’Al Qaîda retenus à Guantanamo pour les incorporer dans l’armée yéménite. Des jours sombres se profilent pour le monde musulman du fait de la duplicité des potentats arabes.

Voir en ligne : L’Expression P.-S.

(*) Ecole nationale polytechnique (*) Ecole d´ingénieurs Toulouse

1.The New York Times : Le Yémen, troisième front de la lutte contre le terrorisme 28.12.2009 2.Jeffrey Fleishman : Al Qaîda fait son trou au Yémen. Los Angeles Times 30.12.2009 3.Permalien : Yemen, une nouvelle guerre impériale qui ne dit pas son nom http//www. 20.six.fr/ basta./art/ 173504043/ 4.1.10 4.Abdelbari Atouan : Branle-bas de combat au Yémen. Al-Quds Al-Arabi04.01.2010 5.François Marginean : Le présumé terroriste prend le vol 253 de Northwest sans passeport ; fiché comme terrorisme. http://www.mondialisation.ca/index....

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  • Au moins 119 personnes, dont 22 enfants, ont péri dans des frappes de la coalition arabe sur un marché du nord du Yémen, l’un des bilans les plus lourds dans le conflit depuis près d’un an. Les raids aériens ont été menés mardi dans la province de Hajja par la coalition arabe qui soutient militairement le pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi face aux rebelles chiites houthis, et le bilan des victimes n’a cessé depuis de s’alourdir.

    Malgré le soutien militaire crucial de la coalition, les forces progouvernementales ne sont toujours pas parvenues à reprendre les villes conquises par les rebelles notamment la capitale Sanaa.

    Ces crimes contre les civils ne sont pas dénoncés par les puissances occidentales.

    L’Arabie saoudite qui dirige cette "coalition arabe" a été décorée de la légion d’honneur par Hollande...

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