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Les femmes pendant la Commune de Paris

lundi 8 mars 2010

Les femmes pendant la Commune (1)
By lucien
Chapitre de Hommes et choses de la Commune de Maurice Dommanget (Éditions de la Coopérative des Amis de l’ »École Émancipée », sans date, vers 1937), version revue et augmentée, mais expurgée des notes, d’un article publié dans L’École émancipée et L’Ouvrière, 26 mai 1923.

Pendant la Commune, les femmes de la classe ouvrière et les quelques bourgeoises pénétrées d’idées féministes et socialistes furent, en général, admirables d’ardeur et de dévouement.
C’est en parlant de la communarde que le correspondant du Times écrivait : « Si la nation française ne se composait que de femmes, quelle terrible nation ce serait ».
Le 18 mars, ce furent des femmes qui décidèrent de la journée en se portant vers les soldats, en les poussant à lever la crosse en l’air et à fraterniser.
Durant toute la Commune, elles se jetèrent en nombre impressionnant dans la fournaise. C’est bien pourquoi les calomnies, les mensonges, les libelles diffamateurs, les légendes absurdes ont été accumulés sur leur compte. Beaucoup plus que les communards, elles ont été salies, flétries, marquées au fer rouge et c’est le signe certain, éclatant, de leur participation active à la Révolution du 18 mars.
On les traitait de femelles, de louves, de mégères, de soiffardes, de pillardes, de buveuses de sang. On les montrait se distinguant de bonne heure par leurs « mauvais instincts », leur « conduite immorale », leur « détestable réputation ». On racontait qu’elles avaient cherché à faire boire aux soldats une liqueur empoisonnée. On les coiffait de chignons incendiaires imbibées de matières fulminantes, chiffons qui auraient été imaginés par Édouard Vaillant et qui, jetés dans les caves, pouvaient déterminer un incendie à la moindre étincelle. On leur donnait d’ailleurs pour « mission spéciale l’incendie de Paris » à l’aide du pétrole promu au rang de « liquide diabolique des membres de la Commune ».
Les plus en vue, les plus cultivées étaient traitées de « femelles littéraires », « institutrices déclassées », « laiderons furibondes ». Ces épithètes qui veulent être méchantes et qui ne sont que ridicules, je les relève dans un article ignoble de Francis Magnard du Figaro, article dans lequel Paule Minck est pourvue d’un « profil en lame de couteau » et accusée, avec ses compagnes, d’avoir « ôté au coeur des femmes la vieille foi et les vieilles vertus sans leur en donner des nouvelles ».

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Au club, dans les salles de rédaction des journaux, à l’hôpital, dans les ambulances et jusque sur les barricades on trouvait des femmes.
Le Club de la boule Noire comptait une citoyenne dans son bureau et le Club des Prolétaires avait une blanchisseuse comme secrétaire. Au Club de Saint-Eustache, où l’élément féminin était toujours dominant, les citoyennes Brossut, Joséphine Dulimbert et Anne Menans prenaient d’ordinaire la parole.
Plusieurs groupements se composaient uniquement de femmes. Tel fut le Comité central de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés ou plus simplement Comité central de l’Union des femmes, placé sous l’inspiration de Nathalie Le Mel et d’Elisabeth Dmitrieff. La première, amie de Varlin et l’une des fondatrices de la Marmite, était bien connue. Ouvrière d’âge mûr, elle apportait au groupement tout le fruit d’une expérience de lutte prolétarienne. L’autre, jeune et belle institutrice venant de Russie, de grande naissance et cependant « tout peuple de geste et de cœur » apportait, avec une idéologie plus nuancée, une activité et un dévouement exceptionnels.
La Commission exécutive du Comité comprenait, outre ces deux militantes, les citoyennes Aline Jacquier, Jarry, Blanche Lefèvre, Collin, Marceline Leloup, Adèle Gauvin.
Le Comité publiait des manifestes et organisait des réunions publiques dans tous les arrondissements. A la date du 6 mai, il tenait sa dix-huitième réunion publique. Il se proposait de faire fonctionner des fourneaux et des ambulances, de recevoir des dons soit en argent, soit en nature destinés aux blessés, aux veuves et aux orphelins. Il organisait, à cette fin, des permanences dans les mairies. Tout en poursuivant cette besogne d’entr’aide et de solidarité, il n’oubliait pas le travail de revendication, d’éducation et de combat. C’est ainsi qu’il réclama des armes et s’occupa, d’accord avec la Commission de Travail et d’Échange dont Léo Frankel était le délégué de « l’organisation du travail des femmes à Paris » et de la « constitution des chambres syndicales et fédérales de travailleuses unies » sur la base des « sections de métier ». L’initiative prise en ce sens fut cependant trop tardive pour donner des résultats et la « constitution défénitive des chambres syndicales et fédérales des travailleuses » à la date du 21 mai indique assez que cette constitution resta lettre morte.
Les principes qui animaient le Comité étaient ceux de la Révolution sociale et du socialisme le plus radical. Ces femmes acclamaient la « République universelle », la « rénovation sociale absolue », « l’anéantissement de tous les rapports juridiques et sociaux existants », « la suppression de tous les privilèges, de toutes les exploitations, la substitution du règne du travail à celui du capital, en un mot l’affranchissement du travailleurs par lui-même ». Elles considéraient Paris comme portant « le drapeau de l’avenir », voyaient dans la guerre contre Versailles « la lutte gigantesque contre les exploiteurs coalisés » et s’affirmaitent convaincues que la Commune représentait les « principes internationaux et révolutionnaires des peuples ».
Tel était aussi l’avis d’un « groupe de citoyennes » qui, à la date du 12 avril, lançait un énergique appel aux « citoyennes de Paris ». On y lit :

Nos ennemis, ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont toujours vécu de nos sueurs qui se sont engraissés de notre misère… L’heure décisive est arrivée. Il faut que c’en soit fait du vieux monde ! Nous voulons être libres !

Deux jours après, Elisabeth Dmitrieff, ainsi que sept ouvrières, toutes membres du Comité central et « déléguées des citoyennes de Paris » tenaient à peu près le même langage. Elles donnaient comme but à la lutte engagée « la suppression des abus et, dans un avenir prochain, la rénovation sociale tout entière assurant le règne du travail et de la justice ». Elles définissaient la Commune comme « la représentante du grand principe proclamant l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité… sans distinction de sexe, distinction créée et maintenue par le besoin de l’antagonisme sur lequel reposent les privilèges des classes gouvernantes ».

Le Comité de vigilance des citoyennes de Montmartre, avec Louise Michel, André Léo, Paule Minck, créa un corps d’ambulancières, demanda la disparition des prostituées sur la voie publique et l’élimination des religieuses dans les hôpitaux et prisons. Cette dernière décision est à retenir. En effet, on note en général une tendance anticléricale très vive dans toutes les organisations de femmes de la Commune. Un grand nombre de clubs féminins se tenaient du reste dans des églises dont le maître-autel était décoré d’un drapeau rouge et dont la chaire servait de tribune.

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Dans la presse rouge, les femmes jouèrent un rôle aussi. Les unes en qualité de correspondantes, comme la citoyenne Dauthier, signalaient les oublis, les abus et poussaient à la lutte la « vieille branche » de père Duchêne en un style direct, nettement faubourien. D’autres, qui avaient des lettres, mirent leur talent au service de la Commune. Telles furent la citoyenne Reidenhdreth, d’origine autrichienne, qui collabora au Populaire, et la citoyenne André Léo qui devint par la suite la femme de Benoît Malon.

Cette dernière, très liée par ailleurs avec l’ardente compagne du blanquiste Jaclard, écrivait dans La Sociale des articles remarqués. Elle luttait contre les tentatives de conciliation qui, comme on le sait, paralysèrent la Commune pendant plus d’un mois. Elle s’élevait courageusement contre le « romantisme » de Félix Pyat. Elle poussait à la résistance, aux représailles, à la chasse aux réfractaires. Elle rédigea aussi des appels passionnés aux diverses catégories sociales.

*

Au ministère des Travaux publics fonctionnait, avec des syndicats ouvriers, une commission pour le travail des femmes. Les citoyennes qui en faisaient partie portaient autour de la taille une écharpe rouge marquée à ses extrémités de l’estampille du ministère.

Le jour même de la malheureuse sortie dans la direction de Versailles (3 avril) eut lieu une manifestation de femmes qui se donnait également Versailles comme objectif. La veille, un appel énergique avait été lancé par « une véritable citoyenne » dans la presse fédérée :

Allons dire à Versailles ce que c’est que la Révolution de Paris ;

Allons dire à Versailles que Paris a fait la Commune parce que nous voulons rester libres ;

Allons dire à Versailles que Paris s’est mis en état de défense, parce qu’on l’a calomnié, parce qu’on l’a trompé et qu’on a voulu le désarmer par surprise ;

Allons dire à Versailles que l’Assemblée est sortie du droit et que Paris y est rentré ;

Allons dire à Versailles que le gouvernement est responsable du sang de nos frères, et que nous le chargerons de notre deuil, devant la France entière.

Rendez-vous était fixé à midi place de la Concorde pour prendre « l’importante détermination » d’aller à Versailles « afin que Paris ait tenté la dernière chance de réconciliation ». Le lendemain, à l’heure dite, plusieurs centaines de femmes – sept à huit cent d’après le récit de Béatrix Excoffons – répondirent à cet appel mais à ce moment, comme on ne savait rien de précis sur les opérations en cours, il eût été pour le moins imprudent d’aller à Versailles. Plusieurs manifestations de femmes se déroulèrent néanmoins sur plusieurs points de la capitale. Quatre à cinq cents se seraient rendues, dit-on, à l’Hôtel-de-Ville afin de réclamer des fusils pour combattre Versailles. C’est la même colonne qui défila rue de Rivoli précédée de tambours et clairons au cri de Vive la République ! On la retrouve, escortée de gardes nationaux, passant sur le quai de Passy, au chant de la Marseillaise et au cri de Vive la République, Vive la Commune ! D’après le Rappel, vers 4 h.30, à l’extrêmité du pont de Grenelle, on a vu aussi arriver « une longue file de jeunes femmes du peuple très proprement vêtues, quelques-unes même avec chapeau et robe de soie noire, précédées d’un drapeau que tenait d’une main ferme une grande et forte fille taillée sur le patron de la Liberté d’Auguste Barbier. Elles étaient au moins une centaine par quatre de front, avec un petit carré de drap rouge sur la poitrine ».

Quelques jours plus tard, une autre manifestation de femmes se déroula sur la rive gauche, dans le quartier de la rue du Bac. Des femmes de tout âge y participèrent mais particulièrement des jeunes filles revêtues d’une ceinture rouge. La veuve Leroy, compagne d’Urbain, délégué du VII° arrondissement, figurait en tête du cortège.

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En marge des organisations, nombreuses furent les femmes qui apportèrent spontanément leur aide dans le combat contre les Versaillais. On voyait de braves ouvrières porter aux tranchées la soupe et le linge de leurs pères ou de leurs époux. Celles qui n’étaient pas retenues à la maison par les soins du ménage restaient parfois à côté du compagnon. En outre, les bataillons fédérés étaient toujours accompagnés de cantinières et d’ambulancières.

Quand le 209° Bataillon défila sur les boulevards le 4 avril se dirigeant vers les ternes, on voyait dans les rangs trois cantinières, sabre au côté et chassepot en bandoulière. A la compagnie du 248°, que commandait le fils de Regère, membre de la Commune, une cantinière fit le coup de feu. Une autre, la citoyenne Marguerite Prévost, dite Lachaise, se battit à la tête de son bataillon.

C’est que les femmes de la Commune ne s’arrêtaient pas à mi-chemin. Elles entendaient servir la Révolution les armes à la main. La sainte fièvre qui brûlait leur coeur les poussait à faire le coup de feu. Le 12 avril, l’appel d’un « groupe de citoyennes » dont j’ai parlé plus haut se terminait en exhortant les femmes à « prendre une part active à la lutte engagée ». Il déclarait sans ambages :

Préparons-nous à défendre et à venger nos frères ! Aux portes de Paris, sur les barricades, dans les faubourgs, n’importe ! Soyons prêtes au moment donné à joindre nos efforts aux leurs… Et si les armes et les baïonnettes sont toutes utilisées par nos frères, il nous restera encore des pavés pour écraser les traîtres !…

Quittant le terrain vague des généralités, les huit femmes « déléguées des citoyennes de Paris » signalées déjà, se tenaient le 14 avril sur un terrain plus pratique. Elles s’adressaient directement à la Commission Exécutive de la Commune, vu l’imminence du péril. Elles réclamaient le droit et le devoir de combat. Elles affirmaient la volonté de lutte d’un grand nombre de femmes. « Considérant qu’une organisation sérieuse de cet élément révolutionnaire en une force capable de donner un soutien effectif et vigoureux à la Commune de Paris ne peut réussir qu’avec l’aide et le concours du gouvernement de la Commune », ces femmes demandaient à la Commission Exécutive la disposition d’une salle pour le rassemblement des citoyennes et enfin la prise en charge par la Commune des frais de circulaires, affiches et avis nécessaires à la propagation de leurs vues.

Le 6 mai, le manifeste du Comité central de l’Union des femmes protestait contre tout esprit de conciliation, réclamait la « guerre à outrance » et affirmait que les femmes sauraient à l’heure du suprême danger « donner leur sang et leur vie sur les barricades et sur les remparts si la réaction forçait les portes ». Il ne faut pas voir là des tirades ronflantes et des paroles en l’air. Ces femmes se battirent vaillamment. Du reste, un certain nombre n’avaient pas attendu ce manifeste pour payer de leur personne, telles ces fédérées qui se distinguèrent au plateau de Châtillon le 4 avril, sans compter toutes celles que les Versaillais avaient faites prisonnières dans les combats précédents.

Le 14 mai, le colonel commandant la 12° Légion, Jules Montels, signalait par voie d’affiche « le grand exemple » donné par des « femmes héroïques » qui ont demandé des armes au Comité de Salut public. Il espérait que ce « noble sentiment » ranimerait le courage de « certains hommes » et organisait une « compagnie de citoyennes volontaires » pour « marcher à l’ennemi » avec la 12° Légion. Afin de stimuler l’amour-propre de « quelques lâches », il arrêtait ce qui suit :

1° Tous les réfractaires seront désarmés publiquement, devant le front de leur bataillon, par les citoyennes volontaires ; 2° après avoir été désarmés, ces hommes, indignes de servir la République, seront conduits en prison par les citoyennes qui les auront désarmés.

Des dessins de Raffet fils, des descriptions pittoresques de divers écrivains permettent de se représenter aisément les combattantes de la Commune. Les unes ont des cheveux dénoués et ébouriffés ; leur visage « sue le vice (sic) et la colère » au dire d’un conservateur et elles sont restées vêtues comme des travailleuses. Mais le combat ne leur a pas permis de veiller à leur toilette.

D’autres, le chassepot sous le bras, un revolver à la ceinture, ont pris pour signe de ralliement une écharpe rouge. Louise Michel déclare dans ses souvenirs qu’elle revêtait tantôt un uniforme de lignard, tantôt un uniforme de garde national. Des citoyennes se firent particulièrement remarquer par leur tenue excentrique. Telles la citoyenne Reidenhreth qui essaya d’organiser un bataillon de carabinières et l’élégante et riche Dmitrieff, tour à tour vêtue d’une magnifique robe écarlate avec pistolets à la ceinture et d’une toilette en velours noir qui fut rougie du sang de Frankel à la barricade du faubourg Antoine.

Louise Michel affirme qu’alors « plus de dix mille femmes, éparses ou ensemble, combattirent pour la liberté ».

La Bataille socialiste

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