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Révoltes et révolutions des esclaves des Antilles et d’Amérique

14 avril 2015, 13:04, par Robert Paris

Alejo Carpentier écrit dans « Le siècle des lumières » :

« Maintenant les nègres d’Haïti veulent leur indépendance… De même qu’ils la veulent ici, en Guyane, rappelant qu’on y avait déjà maté deux conspirations d’esclaves… Etait affiché sur les murs de Cayenne : « Il n’y a plus de maîtres ni d’esclaves… Les citoyens connus jusqu’ici sous le nom de nègres marrons peuvent retourner aux côtés de leurs frères où ils trouveront sécurité et protection, et la joie que procure la jouissance des droits de l’homme. Ceux qui étaient esclaves peuvent traiter d’égal à égal avec leurs anciens maîtres dans les travaux à terminer ou à entreprendre. » (…) Il se mit à faire le décompte des soulèvements de Noirs qui, avec une terrifiante continuité, s’étaient succédé sur le continent… Le cycle avait été inauguré dans un roulement de tambours, au Venezuela, lorsque le nègre Miguel, se soulevant avec les mineurs de Buria, avait fondé un royaume sur des terres d’une si éblouissante blancheur qu’elles semblaient de cristal pilé…. Et puis ce fut le tour des tambours du Vallon des Nègres, à Mexico, et tout au long de la côte de Veracruz où le Vice-roi Martin Enriquez, voulant donner une leçon aux nègres marrons, ordonna de châtrer les fuyards « sans enquêter davantage sur leurs délits et leurs excès »… Ces tentatives avaient été éphémères, mais la solide Estacade des Palmeraies, fondée en pleine forêt brésilienne par le grand chef Ganga-Zumba, devait durer soixante-cinq ans. Sur ce fragile retranchement de bois et fibres se brisèrent plus de vingt expéditions militaires, hollandaises et portugaises, munies d’une artillerie inopérante contre des stratégies qui remettaient en honneur de vielles ruses de guerre numides, utilisant parfois des animaux pour semer la panique parmi les blancs. Invulnérable aux balles était Zumbi, neveu du roi Zumba, maréchal d’armée dont les hommes pouvaient marcher sur les toits de la forêt, pour tomber sur les colonnes ennemies comme des fruits mûrs… Et la guerre des Palmeraies devait durer quarante ans de plus, tandis que les nègres marrons de la Jamaïque fuyaient dans la brousse, et créaient un Etat libre qui devait durer presque un siècle. Il fallut que la couronne britannique fit des avances aux sauvages, pour traiter avec eux de gouvernement à gouvernement, promettant à leur chef, un robuste bossu appelé Old Cudjoe, la libération de tous ses gens, et la cession de mille cinq cents acres de terre… Dix ans plus tard, le tonnerre des tambours retentissait à Haïti : dans la région du Cap, le mahométan Mackandal, manchot à qui l’on attribuait des pouvoirs lycanthropiques, entreprenait une révolution par le poison, introduisant dans les maisons et les élevages des virus inconnus qui foudroyaient les hommes et les animaux domestiques. Le mandingue venait à peine d’être brûlé sur la place publique, que la Hollande dut réunir une armée de mercenaires européens pour combattre, dans les forêts vierges du Surinam, les terribles bandes de nègres marrons commandées par trois chefs populaires, Zan-zan, Boston et Araby, qui menaçaient de ruiner la colonie. Quatre campagnes épuisantes n’avaient pu venir complètement à but d’un monde secret, qui comprenait le langage des arbres, des peaux et des fibres, et qui s’éclipsa dans ses villages dissimulés au milieu de forêts enchevêtrées où l’on retourna à l’adoration des dieux ancestraux… Il semblait que l’ordre des Blancs fût rétabli sur le continent ; et cependant sept ans à peine auparavant, un autre nègre mahométan, Bouckman, s’était révolté dans le bois Caïman de Saint-Domingue, brûlant les maisons et ravageant les campagnes. Et il n’y avait pas trois ans que les nègres de la Jamaïque s’étaient soulevés à nouveau pour venger la condamnation de deux voleurs suppliciés à Trelawney-Town. Il avait fallu mobiliser les troupes de Fort-Royal et amener des meutes dressées à chasser l’homme, de Cuba à Montejo-Bay, pour étouffer cette révolte récente. En ce moment même les gens de couleur de Bahia faisaient retentir de nouveaux tambours, ceux de la « Rébellion des Tailleurs » qui réclamaient sur un rythme de macumba l’égalité et la fraternité : ainsi les tambours-Djuka se joignaient-ils à la révolution française elle-même… »

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