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Quelle était la raison du génocide rwandais ? Pour les classes dirigeantes rwandaises ? Et pour l’impérialisme français ?

27 novembre 2009, 00:19, par Robert Paris

Soutien et complicité militaires

De 1991 à 1993, les troupes spéciales françaises ont formé dans des camps d’entraînement la garde présidentielle et les leaders des milices rwandaises, et en tout des milliers d’hommes, qui pour beaucoup allaient préparer, encadrer ou participer au génocide. Il est évident que les Français présents au Rwanda dans ces camps savaient parfaitement ce qui se passait autour d’eux, en raison de massacres de Tutsis perpétrés dès janvier 1993, tandis que des témoins ont assuré que dès 1991, il est arrivé à des soldats français de livrer des Tutsis aux miliciens après vérification de la carte ethnique. De plus il a été prouvé que, lorsque l’armée du régime était mal en point en 1993, c’est l’armée française qui a mené la guerre du côté du pouvoir dictatorial en plus de conseiller l’armée. Les militaires français ont donc côtoyé les idéologues et les acteurs militaires du génocide, et ont soutenu militairement le régime qui leur a permis d’accomplir ce crime contre l’humanité.

Bien-sûr, le gouvernement français a longtemps caché ce soutien, de 1990 à 1993, avant de le reconnaître en 1994 au moment de la signature des accords d’Arusha. Il refuse par contre de reconnaître l’implication d’éléments de l’armée française dans le déclenchement et le déroulement du génocide, et dément son soutien aux Forces armées rwandaises (FAR) pendant le génocide. Pourtant, un document découvert par la journaliste Colette Braeckman rendant compte de la visite d’un dirigeant des FAR auprès du général Jean-Pierre Huchon, commandant la mission militaire du ministère de la Coopération, fait clairement état de cette connivence, véritable collaboration dans les faits. Les FAR étaient clairement impliquées dans le génocide, puisqu’elles ont prêté main forte aux groupes et institutions engagées dans les massacres : garde présidentielle, milices et autorités locales.

En juin 1994, le gouvernement français met en place l’opération Turquoise, officiellement désignée comme opération humanitaire ; en réalité, comme nous le détaillerons plus loin, durant l’opération Turquoise, de la fin juin au 15 août, la France a permis à des responsables du génocide de s’enfuir. L’armée française a donc soutenu les génocidaires pendant le génocide, tout en faisant passer son intervention comme une nécessité humanitaire et salvatrice.

Selon des témoignages recueillis par l’Human Rights Watch, des entraînements militaires ont continué d’être délivrés à des militaires et miliciens hutus dans une base militaire française en Centrafrique, après la défaite des génocidaires du FAR, en juin, juillet et août 1994. Conjugué aux ventes d’armes, ce soutien direct ou via Mobutu (duquel le gouvernement français se rapprochait alors officiellement) a permis aux ex-FAR réfugiés au Zaïre de se constituer peu de temps après le génocide en guérilla dans le but de déstabiliser le nouveau régime de Kigali en lançant des attaques régulières au Rwanda. Les troupes zaïroises du président Mobutu ont joué aux côtés de la France un rôle moteur dans cette reconstruction militaire des forces responsables du génocide. De fait, les liens militaires franco-zaïrois ont pris une nouvelle ampleur avec l’opération Turquoise, avec notamment la constitution d’une ligue franco-zaïro-soudanaise pour lutter contre la résistance sud-soudanaise aux intégristes religieux du Nord Soudan. L’idée de revanche contre le FPR n’est alors pas absente des rangs de l’armée française humiliée par la victoire des combattants du FPR contre des soldats en partie formés par les Français. La volonté de se venger s’est largement développée dans les rangs hutus réfugiés au Zaïre, et les miliciens ont continué de fréquentes incursions au Rwanda dans les années qui ont suivi le génocide. En 2004, ces groupes Interahamwe semblent cependant devenus très faibles.

 Soutien financier et ventes d’armes

En 1990, la France transfère 135 millions de francs au Rwanda pour son armement. Mais les Français ont également fourni l’armée rwandaise en armes pendant le génocide. Un sénateur belge a mené une enquête au sein de la Banque centrale du Rwanda qui a attesté qu’entre mai et août, la Banque de France et la BNP ont accepté plusieurs prélèvements de sommes très importantes par le gouvernement rwandais. De plus, la France a fait cause commune avec l’ambassadeur du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), qui tentait de s’opposer au vote d’un embargo sur les armes à destination du Rwanda au Conseil de Sécurité de l’ONU, le 17 mai. Des ventes d’armes en mai et en juin, postérieures donc au vote par l’ONU de l’embargo sur les armes, ont été attestées par un rapport publié par l’Human Rights Watch en mai 1995. Même durant l’opération « humanitaire » Turquoise, à partir de la mi-juin, et même facilitées par cette opération qui permettait aux militaires français de contrôler l’aéroport de Goma au Zaïre, les livraisons d’armes ont continué, avec l’appui de l’armée et du régime zaïrois de Mobutu.

Le gouvernement français a sans cesse démenti ces ventes d’armes, ou leur a attribué des buts autres que leurs objectifs véritables. Pourtant, la France a bien financé le génocide des Tutsis. Et après la défaite des Forces armées rwandaises (FAR), donc après le génocide, les livraisons d’armes ont continué en direction des troupes vaincues réfugiées au Zaïre.

 Soutien diplomatique

Sur le plan diplomatique, la France a reconnu immédiatement comme nous l’avons noté plus haut le Gouvernement intérimaire rwandais, formé au sein de l’ambassade de France avec les éléments les plus radicaux de la classe politique rwandaise. La France, pourtant très influente sur le GIR, n’a pas exercé de pressions sur lui pour lui faire cesser les massacres ; de fait, des propos rapportés qu’auraient tenu Mitterrand et son « monsieur Afrique » Bruno Delaye vont dans le sens d’une complète indifférence à l’égard du génocide. Mais la France a également étouffé sur le plan international l’idée d’un génocide perpétré à l’encontre des Tutsis, en soutenant la thèse d’une simple guerre. Elle a d’ailleurs trouvé un formidable soutien en la personne de l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général des Nations Unies, qui n’a eu de cesse de relayer le point de vue de Paris et de Kigali pendant le génocide. Tout cela a concouru à retarder la reconnaissance du génocide sur le plan international et les éventuelles réactions qui auraient pu en découler.

La France a par ailleurs reçu, hébergé et protégé des responsables du génocide, et notamment des membres du GIR ; on peut noter le sauvetage par les Français de nombreux membres du clan Habyarimana, de responsables divers du génocide, ou encore l’accueil de la femme d’Habyarimana en France, avec l’aide financière du ministère de la Coopération.

Quand, à la mi-juillet 1994, pendant l’opération Turquoise, l’ONU demande à la France de désarmer les soldats rwandais réfugiés dans sa « zone humanitaire sûre », soi-disant « enclave humanitaire », les responsables français invoquent un manque de moyens. Les journalistes de la Radio des Mille Collines sont également réfugiés dans cette zone contrôlée par la France. Finalement, les militaires français décident d’obliger tous ces responsables du génocide à quitter la zone, les laissant s’enfuir alors qu’ils les avaient tous sous la main. Entre juillet et septembre 1994, les militaires français ont emmené par avion depuis l’aéroport de Goma des chefs militaires de premier plan dont Théoneste Bagosora, mais aussi des miliciens. Certains se sont réfugiés dans des pays africains « amis » de la France, comme le Cameroun ou le Gabon.

Jusqu’à la fin novembre 1994, la France a bloqué toute décision d’aide financière, au niveau national et européen, au nouveau gouvernement multiethnique de Kigali (qui n’est certes sans doute pas un modèle démocratique), formé le 17 juillet 1994, tandis qu’elle tentait d’esquiver les procédures d’arrestation, de jugement et de sanction des responsables du génocide. Pourtant, selon le Code pénal français et la Convention de Genève, la France a le devoir de poursuivre les auteurs et complices de génocide se trouvant sur son sol, et cela sans attendre la constitution d’un Tribunal international. Les plaintes déposées par des particuliers ou des organisations n’ont pu aboutir, à cause d’un nombre considérable de verrous mis en place par les gouvernants français, au niveau national et international.

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