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Quelle était la raison du génocide rwandais ? Pour les classes dirigeantes rwandaises ? Et pour l’impérialisme français ?

27 novembre 2016, 07:51

La France au Rwanda de 1990 à 1994

L’armée française renforce sa présence au Rwanda à chaque offensive du FPR. L’armée du régime passe de 5 000 à 50 000 hommes. La France n’est cependant pas le seul pays à l’armer : y figurent aussi la Chine, l’Afrique du Sud, l’Egypte. Les militaires ne sont pas non plus les seuls à former les militaires rwandais : des officiers belges y contribuent aussi. Mais la place prépondérante de la France se manifeste au travers de l’enseignement de la « guerre révolutionnaire », tirée de l’expérience des échecs coloniaux de la France en Indochine et qui fut pratiquée avec succès lors de la bataille d’Alger. Cette technique de guerre sert, contrairement à ce que son nom pourrait faire croire, non pas à renverser un régime mais à empêcher son renversement par le contrôle total de la population, par le quadrillage militaire du territoire, par l’organisation de milices populaires (d’où la formation militaire dispensée aux milices hutus extrémistes Interahamwe par des militaires français, qui a fait l’objet de nombreux témoignages). Mais aussi par la préparation psychologique des combattants, réguliers ou non, pour traquer l’ennemi intérieur, ici le tutsi ou les hutus « peu sûrs ». Cette formation s’intensifie en 1993, juste avant que la France ne retire quasiment toutes ses troupes. Des gendarmes français contribuent également à établir un fichier informatisé des personnes à surveiller (PRAS). Le PRAS a pu être utilisé lors du génocide en 1994, mais ne contenait de toute façon pas les noms du million de futures victimes. Beaucoup de meurtres furent commis sur la base de la carte d’identité, indiquant l’appartenance ethnique. L’une des méthodes les plus courantes pour arrêter les « ennemis intérieurs » furent les barrières routières. De 1990 à 1994, à de nombreuses reprises, des militaires français furent vus en train de procéder à des contrôles d’identité à ces barrières, livrant les tutsis aux forces régimaires. Les victimes étaient soient torturées, violées, parfois disparurent. Un témoignage de 1990 rapporte que les miliciens rwandais tuaient les tutsis à la machette sous les yeux des soldats français.
Au tout début du génocide, le gouvernement intérimaire rwandais se forme dans les murs de l’ambassade de France. Cela ne prouve pas en soi que l’état français aurait constitué lui-même le régime génocidaire : celui-ci survient d’un putsch procédant de l’assassinat du premier ministre et de la mise en fuite des responsables des partis hutus modérés par les commandants de l’armée rwandaise, en premier lieu le colonel Théoneste Bagosora. La France n’a alors que 24 coopérants sur place. Le rapport Mucyo considérera qu’ils étaient plus nombreux en réalité, mais moins d’une centaine cependant. Ce qui est certain, c’est que l’état français a contribué à donner une légalité internationale au nouveau régime. Le représentant français au Conseil de Sécurité des Nations Unies, Mr. Mérimée, plaide en effet pour la reconnaissance du nouveau gouvernement. Il tentera ensuite de retarder la reconnaissance du génocide en tant que tel et de l’embargo sur les armes, que le Conseil de Sécurité (dont la France) votera dans la troisième semaine de Mai.

Pendant ce temps, le génocide s’effectue, avalant des milliers de vies par jour. En Mai, le gouvernement français reçoit les émissaires du gouvernement génocidaire. Les livraisons d’armes, venues de divers pays, transiteront par l’aéroport de la ville zaïroise de Goma, à la frontière du Rwanda. Six cargaisons seront identifiées comme françaises ou payées par la France, pour un montant de 5,5 millions de dollars (les transferts des banques françaises, la BNP surtout, vers la banque nationale rwandaise, concerneront 33 millions de francs, surtout pendant le mois de Juin). L’origine des armes n’est cependant pas forcément hexagonale : parmi les fournisseurs du régime figureront également une société basée au Royaume-Uni (Mil Tec), et l’aéroport belge d’Ostende servira également de relais. Des armes partiront d’Israël. Les rédacteurs de la Commission d’Enquête Citoyenne pensent que le stockage et le transport d’armes sont des opérations trop massives pour être effectuées sans l’approbation de fait du gouvernement du pays de transit. Le rapport Mucyo notera que ces armes auront probablement un rôle déterminant dans la durée de la résistance du régime rwandais aux assauts du FPR. Le rapport notera également la présence de quelques soldats français, équipés d’artillerie, participant à des combats contre le FPR dans l’Ouest du pays. Mais cette présence, contraire aux prétentions officielles du gouvernement français, aura peu d’importance dans la suite des combats.

Prenant effet dans la troisième semaine du mois de Juin, alors que le génocide est en très grande partie consommée, l’entrée des troupes françaises n’aura quasiment aucun rôle de protection des rescapés du génocide. Déjà, selon les deux rapports cités, nombre de soldats français s’étaient fait raconter qu’au Rwanda, les Tutsis massacraient les Hutus ! De surcroît, parmi le corps expéditionnaire se trouvaient nombre de soldats qui avaient déjà été présents au Rwanda entre 1990 et 1994, qui avaient toujours cette hostilité envers les Tutsis. Si quelques milliers de tutsis furent accueillis dans les camps de réfugiés, devant les caméras de télévision – mais pas séparés des hutus, même Interahamwe, selon la commission Mucyo – l’attitude générale par rapport aux survivants du génocide fut l’indifférence, et, selon de nombreux témoignages, la coopération active avec l’allié rwandais, donc la livraison de civils aux miliciens génocidaires. Ainsi des soldats français furent-ils à nouveau vus en train de faire des contrôles d’identité à des barrières routières, refusant l’entrée de tutsis dans les camps de réfugiés, ou leur proscrivant le retour dans les zones contrôlées par le FPR (le simple fait qu’un civil exprime le souhait de retourner dans ces zones étant une preuve de complicité avec l’ennemi). La commission Mucyo recense aussi quelques cas d’assassinats perpétrés directement par des militaires français, mais il ne s’agit pas là de meurtres ethniques (mais plutôt des cas où des français tirent sans sommation sur un civil qui s’est servi d’une grenade contre des pillards, ou qui est accusé de vol, etc…), ainsi que de nombreux cas de viols. La commission note ces faits pour donner un aperçu complet des méfaits des soldats français, mais ces derniers points ne sont pas des actes de génocide. Plus accablants sont les cas de largage de civils tutsis depuis des hélicoptères.

Le rapport Mucyo rassemble des témoignages qui porteraient le nombre de personnes larguées à au moins 25, dont 5 auraient survécu, et deux au moins auraient été tuées au sol par des paysans hutus. Les largages se faisaient souvent à basse altitude (quelques mètres) pour que la chute ne soit pas mortelle en soi, mais pour que la victime soit abandonnée à son sort. Plus troublant encore, des témoins, parmi d’anciens génocidaires, font état d’officiers français les incitant à continuer à tuer les inkotanyi (nom donné aux combattants tutsis, et qui pouvait désigner tous les tutsis de fait), un témoignage rapportant même des récompenses données par des militaires français.
Le cas le plus emblématiques de la vraie nature de Turquoise fut Bisesero. Sur cette colline, au début du génocide, près de 50 000 à 60 000 tutsis se réfugièrent pour opposer une résistance désespérée, avec pierres et sagaies, à leurs agresseurs Interahamwes. Le 26 Juin, lorsqu’un petit groupe de militaires français les découvrirent (alors que leurs supérieurs leur avaient interdit de venir), il n’en restait que 2000, qui sortirent de leurs cachettes en pensant que leur salut était venu. Les soldats français partirent en promettant de revenir dans trois jours (alors que d’autres soldats français étaient présents à 5 kilomètres seulement). Un hutu accompagnant les français alla prévenir les miliciens, qui relancèrent le massacre immédiatement. Sous la pression de journalistes, et alors qu’ils entendaient les coups de feu depuis trois jours, les officiers français se décidèrent à finalement honorer la promesse, et vinrent le 30 Juin à Bisesero. Il n’y avait plus que 800 survivants, que l’armée française sauva visiblement à contrecœur, puisque ces réfugiés rapportèrent plus tard avoir été fort mal traités dans les camps de réfugiés, les blessés étant abusivement amputés.
Conclusion de la commission d’enquête française !!!

« Le génocide perpétré au Rwanda entre avril et juillet 1994 fait partie des grandes tragédies du 20ème siècle. A nouveau, le monde a connu une tentative d’extermination d’un groupe d’hommes en raison de leur naissance. Depuis cette date, on a assisté à un flot de récits, de témoignages -dans lesquelles il est parfois difficile de discerner la vérité des faits-, d’analyses parfois contradictoires, de polémiques, souvent violentes, avec des retombées inévitables sur la scène internationale. Force est de constater que peu d’intervenants ont réussi à faire abstraction de leur subjectivité, ce qui est regrettable, mais certainement explicable en raison de l’émotion considérable suscitée par l’énormité de la tragédie. »

(Paul Quilès – 20 octobre 2007)

« Ce sont bien des Rwandais qui, pendant plusieurs semaines, ont tué d’autres Rwandais dans les conditions que l’on sait. Au moment où il se produit, la France, n’est nullement impliquée dans ce déchaînement de violence. Trois mois auparavant, la présence militaire française a été ramenée à 24 assistants militaires techniques. Une fois les accords de paix d’Arusha conclus, en août 1993, la France a passé le relais aux Nations Unies. C’est l’ONU et la force de surveillance des accords qui ont été incapables d’enrayer la montée des violences et de mettre fin aux massacres ». Avec cette remarque préliminaire, lors de la présentation du rapport final de la mission d’information sur le Rwanda, son président, Paul Quilès, en a donné le ton.

Conclusion du rapport Quilès :

« Les efforts que nous avons déployés pour rétablir la paix au Rwanda n’ont pas produit les résultats escomptés, en raison notamment du cadre bilatéral que nous avons sans doute trop privilégié. La crise du Rwanda, les événements ultérieurs l’ont montré, était une crise à dimension régionale. Or, nous n’avons pas assez tenu compte de cette dimension. » !!!!

Rapport Qilès signé de tous les partis de gauche et de droite, et des verts !!!

EXPLICATION DE VOTE DE M. JEAN-CLAUDE SANDRIER AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE :

« Le groupe communiste approuve le rapport de la Mission d’information, eu égard notamment aux propositions qu’il contient, même s’il estime que la question reste ouverte des pouvoirs plus importants d’une commission d’enquête pour procéder à des investigations plus profondes, et que la publication partielle des auditions à huis clos pourrait être cause d’un doute dommageable. »

Le 11 septembre 2008, Paul Quilès s’adressait au Secrétaire général de l’ONU dans une lettre :

« C’est en ayant conscience de la gravité exceptionnelle du génocide perpétré au Rwanda que j’ai créé en 1998 à l’Assemblée nationale française une mission parlementaire d’information sur les enchaînements qui y avaient conduit, sur les faits eux-mêmes et sur les moyens d’empêcher le renouvellement d’une telle tragédie. (….) D’autres enquêtes ont également cherché à comprendre ce qui avait rendu possible le génocide du Rwanda. (….) Aux enquêtes des institutions nationales et internationales se sont ajoutés des travaux conduits souvent avec beaucoup de rigueur par des organisations non gouvernementales et des chercheurs. La masse d’informations disponibles sur le génocide du Rwanda, ses causes et ses conséquences est donc considérable, à la mesure de l’émotion qu’il a suscitée dans l’opinion publique mondiale. Mais le foisonnement de ces enquêtes a une conséquence à mon sens très préoccupante. La multiplicité des travaux publiés risque de donner une image éclatée, peu cohérente des évènements et ce d’autant plus que leurs conclusions sont souvent dissemblables, voire contradictoires. »

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