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Quelques thèses sur la question syndicale en vue d’un large débat

20 février 2010, 12:42, par Robert Paris

Les révolutionnaires ne doivent pas se tenir à l’écart des revendications quotidiennes des travailleurs. Les luttes sociales, même limitées dans leur ampleur et leurs revendications, sont une éducation de classe élémentaire des travailleurs. Elles leur permettent partiellement de mesurer leurs forces et celles de leurs adversaires. Mais la conscience de classe, c’est déjà autre chose. Cela nécessite que ces luttes dépassent le cadre corporatiste ou d’une seule entreprise. Cela nécessite aussi que les travailleurs prennent conscience d’appartenir à une classe internationale. Enfin, il faut que cette conscience de classe mène à une conscience historique du rôle du prolétariat, ce qui n’a rien de spontané. En ce sens, les grèves qui mènent les travailleurs à s’organiser ont un rôle tout particulier. Les travailleurs qui ont participé aux décisions, pesé les tenants et les aboutissants de la lutte, en ont tiré des leçons sociales et politiques beaucoup plus que l’ensemble des grévistes.

Donc l’activité réformiste de la classe ouvrière, de type syndical, même si elle déborde sur le plan d’organisation des cadres des appareils, est bien le premier pas de la conscience de classe. Mais ce premier pas, loin de mener directement au second, est souvent une entrave pour faire le second. Tout d’abord, il n’y a rien de spontané dans la conscience révolutionnaire du prolétariat. Les circonstances révolutionnaires jouent. La théorie révolutionnaire aussi. Pas de parti sans théorie révolutionnaire. Précisons que le parti ce n’est pas d’abord des calculs tactiques, concentrant par exemple syndicats et revendications, mais d’abord une conception théorique permettant une appréciation des situations, des forces des classes et des perspectives. Et perspectives ne veut pas dire propagande générale pour le socialisme. Il ne suffit pas, en effet, de généralités mais il faut analyser des situations données, toujours nouvelles. L’histoire ne se répète pas. Le chirurgien étudie la physiologie, les techniques opératoires. Il a besoin d’un véritable art comme le musicien, mais rien ne peut remplacer sa capacité d’analyse d’une situation particulière. C’est loin d’être simplement de la tactique.

L’autre point est la prise en compte du fait que le syndicalisme a pris un tour particulier dans une longue période de relative stabilité dans les pays impérialistes. Il est intégré comme jamais dans l’histoire. Les travailleurs des grandes entreprises le sont aussi. Le réformisme a pris de l’ampleur. Et, malgré le revers de la crise, les travailleurs sont encore englués dans le réformisme. Ils ne sont pas indignés d’une façon générale de la collaboration de classe. Ils sont fâchés parfois de la stratégie syndicale mais ne l’attribuent pas à sa vraie cause. Ils incriminent la division syndicale, une trahison de tel ou tel leader alors qu’il s’agit d’un phénomène général, international et historique. Ils croient que les syndicats n’ont pas le rôle qui devrait être le leur à la manière dont ils pensent que l’Etat ou le gouvernement n’ont pas le rôle qui devrait être le leur. Sous-entendu, ces organismes devraient, d’après eux, servir un intérêt général. C’est-à-dire un raisonnement diamétralement opposé à celui de la lutte des classes. Les directions syndicales ont choisi une classe et ce n’est pas le prolétariat. Il ne suffit plus, dès lors, que des révolutionnaires postulent à leur direction. Exactement comme il ne suffirait pas que d’honnêtes révolutionnaires prennent la tête de l’Etat bourgeois pour en changer la nature !

Robert Paris

P.S

Je conclurai volontiers ces quelques remarques par des réflexions fondamentales de nos illustres prédécesseurs. Sans religion de la parole du passé, elles me semblent un élément important de la réflexion.

Léon Trotsky dans Les syndicats dans l’époque de transition :

“Les sections de la IV° Internationale doivent constamment s’efforcer, non seulement de renouveler l’appareil des syndicats, en proposant hardiment et résolument dans les moments critiques de nouveaux leaders prêts à la lutte à la place des fonctionnaires routiniers et des carriéristes, mais encore de créer, dans tous les cas où c’est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s’arrêter, si c’est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l’appareil conservateur des syndicats.(...) Les bureaucrates des syndicats s’opposeront, en règle générale, à la création de comités d’usine, de même qu’ils s’opposeront à tout pas hardi dans la voie de la mobilisation des masses. Il sera, cependant, d’autant plus facile de briser leur opposition que le mouvement aura plus d’ampleur. (...)Cependant, la principale signification des comités est de devenir des états-majors de combat pour les couches ouvrières que le syndicat n’est, en général, pas capable d’atteindre. C’est d’ailleurs précisément de ces couches les plus exploitées que sortiront les détachements les plus dévoués à la révolution. Dès que le comité fait son apparition, il s’établit en fait une DUALITÉ DE POUVOIR dans l’usine. Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. L’importance principale des comités d’usine consiste précisément en ce qu’ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période pré-révolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien. Que la propagande pour les comités d’usine ne soit ni prématurée ni artificielle, c’est ce que démontrent amplement les vagues d’occupations d’usines qui ont déferlé sur un certain nombre de pays. De nouvelles vagues de ce genre sont inévitables dans un prochain avenir. Il est nécessaire d’ouvrir à temps une campagne en faveur des comités d’usine pour ne pas se trouver pris à l’improviste.”

« Le mot d’ordre de comités ne peut être abordé que par une véritable organisation révolutionnaire, absolument dévouée aux masses, à leur cause, à leur lutte. Les ouvriers français viennent de montrer de nouveau qu’ils sont dignes de leur réputation historique. Il faut leur faire confiance. Les soviets sont toujours nés des grèves. La grève de masse est l’élément naturel de la révolution prolétarienne. D’atelier en atelier, d’usine en usine, de quartier en quartier, de ville en ville, les comités d’action doivent établir entre eux une liaison étroite, se réunir en conférences par villes, par branches de production, par arrondissements, afin de couronner le tout par un congrès de tous les comités d’action de France. »
Extraits de Léon Trotsky dans « L’étape décisive » (5 juin 1936)

"Une des erreurs les plus grandes et les plus dangereuses que commettent les communistes (comme, d’ailleurs, les révolutionnaires en général qui ont mené à bien le début d’une grande révolution), c’est de se figurer que la révolution peut être accomplie par les mains des seuls révolutionnaires. Or, pour assurer le succès de toute action révolutionnaire sérieuse, il faut comprendre et savoir appliquer pratiquement l’idée que les révolutionnaires ne peuvent jouer un rôle que comme avant garde de la classe réellement avancée et viable. L’avant garde ne remplit sa mission que lorsqu’elle sait ne pas se détacher de la masse qu’elle dirige, lorsqu’elle sait véritablement faire progresser toute la masse. Sans l’alliance avec les non communistes dans les domaines d’activité les plus divers, il ne saurait être question d’aucun succès en matière de construction de la société communiste."
Lénine dans "Le matérialisme militant"

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