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Que se passe-t-il en Algérie ?

9 août 2010, 17:56, par dac dac

Le foot, gage de paix sociale ?

Zoubir Arrous. Sociologue et enseignant à l’université d’Alger

 : « Oui, le stade est utilisé par le pouvoir quand le mouvement social représente un danger »

 Peut-on dissocier la politique du sport et particulièrement du foot ?

Le foot n’est plus un jeu sportif, mais plutôt un enjeu politique et financier. Certains pays, à l’exemple de l’Algérie et de l’Egypte, l’utilisent pour arriver à des fins purement politiques, loin de tout objectif sportif. Pour les pays européens, c’est surtout les buts financiers qui sont visés. Le mouvement social est attiré par deux institutions, à savoir le stade et la mosquée. Ainsi nous pouvons dire qu’il y a, dans le cas de l’Algérie, un véritable conflit entre le stade et la mosquée. Le stade est utilisé par le pouvoir lorsque le mouvement social représente un danger pour la politique du pouvoir.

 Les pouvoirs publics profitent alors du football pour préserver la paix sociale...

Exactement. Ils utilisent de simples méthodes et idées pour pouvoir ramener la paix sociale. Un discours très simple, composé de nationalisme et de la place de l’Algérie à l’étranger, pour mobiliser aussi facilement la masse sociale. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au lendemain du match Algérie-Egypte. Ce sont tous les Algériens qui ont manifesté leurs sentiments de nationalisme et d’amour du pays en réponse à un discours du pouvoir tellement simple que personne n’a eu de difficulté à le saisir.

 Mais cette « instrumentalisation » ne peut être que conjoncturelle...

Je le pense. La paix sociale grâce au foot ne dure pas dans le temps. L’après-match ou l’après-foot est la période la plus dangereuse sur le plan social. Le citoyen revient à son état normal et parfois critique. Lorsque le rendez-vous sportif se termine, c’est à ce moment que la masse sociale se réveille et se retrouve ainsi dans les mêmes problèmes qu’auparavant. La contestation du mouvement social resurgit avec un degré de dangerosité plus important. En un mot, les pouvoirs publics ne peuvent pas soigner leur image définitivement grâce au foot, au contraire, elle sera en permanence menacée. Car la réalité socioéconomique demeure toujours la même, même si les citoyens s’évadent parfois dans le foot…

 Contrairement à l’idée que vous défendez selon laquelle le foot peut être récupéré politiquement, d’autre sociologues pensent qu’il peut faire l’objet d’un contrat social…

Le foot peut faire l’objet d’un contrat social dans les sociétés qui n’ont pas de crise et qui ne cherchent pas de changement. Et ce n’est donc pas notre cas. Nous sommes dans une société de crise où le pouvoir cherche en permanence, soit à calmer les esprits ou à les orienter dans une autre direction pour éviter toute contestation sociale lorsqu’il pressent le danger. Orienter la protestation sociale vers le foot ou le sport d’une manière générale permet au moins de préserver la paix pour quelque temps. Cela s’est d’ailleurs passé en 1989 avec la crise du FIS. C’était une pure crise sociale, loin de toute autre connotation religieuse. Le foot est aujourd’hui devenu la nouvelle religion.


Nourredine Hakiki. Directeur du laboratoire de changement social de l’université d’Alger : « Non, le foot risquerait une véritable crise en cas d’ingérence du politique »

 Que représente le foot pour les Algériens ?

Le foot semble concerner une catégorie sociale composée essentiellement de jeunes partageant un caractère, un idéal et un rêve communs. On pourrait définir le foot en Algérie comme un mécanisme par lequel ces « jeunes » Algériens se sentent intégrés dans la société. Il entraîne aussi un processus où ces individus se sentent comme solidaires les uns des autres. Bref, il représente un système où l’autonomie de l’individu apparaît compatible avec l’existence d’un ordre social. Donc le foot incarne des structures sociales de solidarité, de ressemblance et de différenciation, par lequel il se réapproprient leur mémoire collective, leur conscience sociale et leur espérance sociale.

 Qu’est-ce que le foot peut apporter aux Algériens ?

La question se pose pour presque toutes les sociétés du monde contemporain, notamment occidentales. Pour les Algériens, il apparaît comme une action collective, informelle, agissant sur les manières d’agir, de penser et de sentir. Il permet un véritable détournement du regard des difficultés sociales. L’exemple de la réappropriation de l’emblème national est significatif à cet égard. Il ne faut surtout pas l’interpréter comme un soutien au pouvoir politique. Mais, soudain, grâce au foot, la « réappropriation » de la mémoire collective devient une chose sacrée pour tous les Algériens. C’est un fait réel et sociétal. Bref, les normes et les valeurs sociales ne faiblissent pas chez les jeunes. Il ne faut pas oublier que ces Algériens soutiennent à travers le foot un modèle organisationnel, rationnel, et très professionnel. C’est en quelque sorte toute la question de la modernité, de la démocratie, de la rationalité, de la technologie, de l’organisation du travail, de la connaissance… profondément soulevée par le foot. C’est très complexe, mais c’est comme ça.

 Le foot peut-il participer à préserver la paix sociale ?

La paix sociale concerne la société civile, le système politique, le secteur économique, les syndicats, les partis politiques, etc. Le foot n’a, selon moi, aucune relation avec une quelconque récupération politique ou autre. D’où l’essai de compréhension pour bien faire la part des choses quant à certaines lectures rapides et subjectives sur le foot en Algérie. Parce que ce « sport » apparaît comme un phénomène social mondial. Et pour en revenir à notre propos, le foot peut créer les conditions d’intégration sociale des individus. Il suscite la mise en place des mécanismes de solidarité sociale. Il peut, à cet effet, contribuer à la création d’un « contrat social » provisoire sous certaines conditions. D’ailleurs, le foot risque une véritable crise en cas d’une ingérence des appareils et des réseaux dits politiques. D’où la nécessité de son autonomie d’une manière régulière et permanente pour éviter certaines incertitudes (risque de retournement contre le pouvoir).

Par Nassima Oulebsir

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