Accueil > ... > Forum 3975

Ce que les singes nous apprennent sur la "nature humaine"....

8 avril 2010, 19:18, par Robert Paris

La clé des diverses discontinuités du vivant est à chercher dans l’inhibition. Elle permet non seulement des mécanismes de blocage libérant le système pour d’autres fonctionnements et ouvrant des possibilités nouvelles, mais aussi pour des activations du type inhibition de l’inhibition. On constate son importance au sein des mécanismes génétiques permettant l’inhibition des gènes et l’activation de la bibliothèque des gènes de manière sélective en fonction de la spécialisation des cellules, par exemple. On constate également l’importance des inhibitions en termes de gènes homéotiques et de rythmologie du développement.

L’inhibition est donc en pleine activité en ce qui concerne la spéciation et notamment le passage des ancêtres de l’homme à sapiens.

Lorsque nous nous comparons au singe, nous le constatons fortement. Nos instincts ne sont pas inexistants ni inactifs, mais ils sont inhibés. Et cela dès la prime enfance. Autant le jeune singe obéit de manière assez directe à ses instincts, autant le petit d’homme ne le fait pas. Le jeune singe veut manger quand il a faim, faire l’amour quand il en ressent la nécessité physique et ainsi de suite, il obéit aux effets de son fonctionnement physique et des sensations que produisent l’environnement. Le bébé d’homme fonctionne tout autrement. Il ne se contente pas de réagir par instinct, il y rajoute une volonté opposée. Il refuse souvent de manger, même s’il a faim. Il peut réclamer de continuer à manger même s’il a assouvi sa faim. Il peut refuser de dormir même s’il a sommeil et inversement… Et ces réactions peuvent se poursuivre avec l’être humain plus âgé.

L’homme n’accepte pas directement les consignes de ses sens. Il peut choisir de bloquer ses besoins et en ressentir même un plaisir interne. Il désobéit aux lois physiologiques. Pourquoi peut-il être amené à le faire ? Parce qu’il en ressent le plaisir d’un nouvel espace de liberté. Il peut remettre en question des décisions qui lui seraient imposées. Il discute d’égal à égal avec sa nature. Il a le choix de faire ou de ne pas faire et la privation elle-même peut être source d’une impression forte qui lui donne des satisfactions.

Cette faculté d’inhiber les besoins et sensations physiques, l’homme la possède dès la naissance. Il peut ensuite la cultiver à volonté mais elle est déjà présente dès la naissance. Ce n’est qu’ensuite que son caractère se développant, il peut consciemment se servir de ces capacités particulières qui lui permettent de ne pas dépendre directement et immédiatement de ses sensations.
L’homme peut utiliser cette capacité d’inhibition des instincts et des sensations pour modifier ses possibilités. Les diverses évolutions culturelles et historiques des civilisations proviennent de l’inhibition, que ce soit celle du besoin alimentaire (par exemple par le jeûne), du besoin sexuel (ne pas suivre de période de rut et être capable d’interdire la satisfaction de toutes ses envies qui se présentent), inhibition des besoins immédiats dans l’enfance (agitation, jeu, découverte…) pour accepter de s’occuper d’éducation scolaire par exemple. La réflexion est inhibition des sentiments et besoins immédiats de sens comme la méditation est inhibition de toutes les sensations du monde extérieur.

L’être humain, contrairement aux singes les plus proches de nous, n’a jamais de « simples » instincts. Il ne connaît pas de geste sans connotation particulière à l’homme. Tous ses actes sont marqués par une psychologie tout à fait particulière marquée par des interdits et blocages : alimentaires, sexuels, accompagnés de rites et d’incitations personnelles et sociales.

Comme le rapport Gérard Pommier dans « Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse » « Pour les animaux, la conscience se vectorialise simplement par la reconnaissance du passé et une intentionnalité future. En revanche, l’intentionnalité de l’homme est conditionnée par un refoulement préalable. (…) Contrairement à l’animal, dont l’activité innée ne laisse aucun doute sur son intentionnalité, l’homme méconnaît dès le début le sens de son action. Un acte aussi simple que se nourrir devrait correspondre à une intentionnalité sans détour. Eh bien non ! Certains nourrissons refusent de satisfaire ce besoin élémentaire (anorexie mentale du nourrisson) selon ce que la nourriture symbolise. En réalité, tous les enfants refusent de manger à un moment ou à un autre, et la discrimination du « bon » et du « mauvais » ne s’établit pas en fonction de l’utile, sur le fond d’une conscience primaire liée à la sensation. Ce que la nourriture représente pour la mère commande cette discrimination. Les conditions de l’alimentation ne sont pas innées chez l’être humain. Plus tard, et quel que soit son âge, il se conforme à un grand nombre de rituels, individuels et collectifs, pour se nourrir. Les goûts, la faim ou l’inappétence sont largement régis par l’inconscient. Ces conditions de la conscience de l’homme la différencient de celle de l’animal. Mais, préalablement à cette conscience, l’homme doit se dégager d’une contrainte préliminaire. Avant de refouler les associations liées aux perceptions, il faut qu’il existe quelqu’un qui, au poste de commande, soit capable de refouler. (…) En parlant, en pensant, nous refoulons notre passé de chose : nous oublions que nous sommes un corps. (…) Le sujet de la conscience est celui qui parle : il est extérieur à tout ce dont il est conscient. (…)

Les animaux se souviennent de signes passés pour interpréter les signes actuels : ceux de leurs perceptions, ceux qui sont émis par leurs congénères, et les leurs. Ils comprennent ainsi le monde qui les entoure et anticipent leurs actions. Ils catégorisent leurs percepts grâce aux concepts de ces percepts. Ils reconnaissent les objets grâce à ces concepts, à propos desquels ils ont des pensées, si l’on entend par là une mémorisation de signes dénotatifs (un signe désigne une chose). Dans la mesure où de simples représentations de choses engendrent déjà des pensées, on peut dire qu’il existe une pensée sans langage. Les animaux forment de telles « pensées », y compris au bas de l’échelle de la création.
Cependant, même en admettant qu’il les ait en commun avec les animaux, les représentations de choses de l’être humain diffèrent de sensations naturelles : elles sont déjà chargées d’un excès pulsionnel plus ou moins symbolisé. Les sensations sont endettées à l’égard de la pulsion, qui dépend elle-même de la demande de l’Autre, donc du langage. De sorte qu’il est difficile d’évoquer une pensée sans langage qui traduirait des sensations brutes. (…) L’humain n’existe pas hors de la culture. Parler d’une « nature » préalable, organique ou physiologique de l’homme contrevient à tous les critères scientifiques, car nul n’a jamais rencontré d’homme à l’extérieur de la civilisation. (…)
Si une perception ne devient consciente que grâce à l’appui pris sur le lexique et sur la syntaxe, la conscience humaine paraît surencombrée, comparée à celle des autres animaux ! On mesure le retard énorme de l’homme, qui doit sans fin lutter contre son inconscient, alors que les animaux sont immédiatement conscients ! Mais ces atermoiements pris par l’homme pour se dégager de ses brouillards psychiques ont finalement engendré son avance. Ces délais l’ont obligé à poser des hypothèses, à expérimenter, à perdre du temps pour vérifier la réalité du réel, afin de s’assurer que ses fantasmes ne lui ont pas fourré une fois de plus la tête dans le sac. Ces détours portent finalement le nom de science, produite par la race humaine victorieuse de ses rêves, mais qui, sans ses rêves, n’aurait jamais remporté pareille victoire. »

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.