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Qu’est-ce que le déterminisme pour la science actuelle ?

21 septembre 2010, 13:39, par Robert Paris

Heisenberg dans « La partie et le tout, le monde de la physique atomique » :

« La science est faite par des hommes. Ce fait, évident en soi, est facilement oublié ; il est peut-être utile de le rappeler, car cela pourrait contribuer à combler le fossé, dont on se plaint si souvent, entre deux types de cultures : la culture littéraire et artistique, d’une part, la culture technique et scientifique de l’autre. (…) L’activité scientifique repose sur les expériences ; ses résultats sont obtenus à la suite de discussions entre ceux qui l’exercent, et qui se concertent au sujet de l’interprétation des expériences. Ce sont de telles discussions qui forment la substance de ce livre. Son but est de faire comprendre au lecteur comment la science se crée au cours de la discussion. (...) L’auteur s’est attaché à décrire, de la façon la plus exacte et la plus vivante possible, l’atmosphère dans laquelle se sont tenues ces discussions. En effet, cela lui permettra de mettre en évidence le processus de création de la science, de faire comprendre comment l’action commune d’hommes très différents entre eux peut finalement conduire à des résultats scientifiques d’une très grande portée. (…) La physique atomique moderne a conduit à une reformulation d’un grand nombre de problèmes essentiels, de nature philosophique, éthique et politique. »

« Mécanique quantique et philosophie de Kant

Le cercle de collaborateurs que je m’étais créé à Leipzig s’élargit rapidement au cours des années. (…) Le suisse Félix Bloch apportait des résultats permettant de comprendre les propriétés électriques des métaux ; le Russe Landau et l’Allemand Peierls discutaient des problèmes mathématiques de l’électrodynamique quantique ; Friedrich Hund mettait au point la théorie de la liaison chimique ; Edward Teller calculait les propriétés optiques des molécules. Carl von Weizsäcker, alors âgé de dix-huit ans, vint également adhérer à ce groupe. Pour sa part, il apportait une note philosophique aux discussions ; bien qu’il étudiât la physique, on sentait que, à chaque fois que les problèmes physiques traités dans notre séminaire débouchaient sur des problèmes de philosophie ou de théorie de la connaissance, il écoutait avec une attention toute particulière, et participait alors à la discussion avec beaucoup de passion.

L’occasion d’avoir de nombreuses discussions philosophiques se présenta en particulier un ou deux jours plus tard, lorsqu’une jeune philosophe, Grete Hermann, vint nous rejoindre à Leipzig ; elle désirait en effet discuter avec les physiciens atomistes de leurs affirmations philosophiques – affirmations que, de prime abord, elle jugeait fausses. Grete Hermann avait étudié et travaillé sous la direction du philosophe Nelson à Göttingen ; là-bas, elle avait reçu une formation basée sur les schémas de pensée de la philosophie kantienne telle qu’elle avait été interprétée par le philosophe et naturaliste Fries au début du 19ème siècle. C’était l’une des exigences de l’école de Fries – et par conséquent aussi celle de Nelson – que les réflexions philosophiques devaient avoir le même degré de rigueur que celui exigé par les mathématiques modernes. Effectivement, Grete Hermann pensait être en mesure de prouver en toute rigueur que la loi de causalité – dans la forme que lui avait donnée Kant – devait rester entièrement valable. La nouvelle mécanique quantique, cependant, remettait tout de même en question, dans une certaine mesure, cette forme de la loi de la causalité ; et c’est sur ce point que la jeune philosophe était décidée à mener le combat jusqu’au bout.

La première discussion qu’elle eut à ce sujet, avec Carl von Weizsäcker et moi-même a pu commencer par la remarque suivante : « Dans la philosophie de Kant, la loi de causalité n’est pas une affirmation empirique qui pourrait être soit justifiée soit réfutée par l’expérience ; elle est au contraire la condition de toute expérience, elle fait partie de ces catégories de pensée que Kant appelle « a priori ». En effet, les impressions sensorielles qui nous sont communiquées par le monde extérieur ne constitueraient qu’un ensemble subjectif de sensations, auxquelles ne correspondrait aucun objet, s’il n’existait pas une règle en vertu de laquelle les impressions résultent d’un processus qui les a précédées. Cette règle, à savoir la connexion univoque entre la cause et l’effet, doit donc être admise a priori si l’on veut affirmer que l’on a éprouvé ou expérimenté quelque chose, que ce soit un objets ou un processus. D’un autre côté, la science traite d’expériences, et précisément d’expériences objectives ; seules les expériences qui peuvent également être contrôlées par d’autres, qui sont donc objectives dans ce sens précis, peuvent faire l’objet de la science. Il s’ensuit obligatoirement que toute science doit supposer la loi de causalité, et que la science ne peut exister que dans la mesure où la loi de causalité existe. Cette loi est donc en un certain sens l’outil de notre pensée, à l’aide duquel nous essayons de transformer le matériau brut de nos impressions sensorielles en expérience. Et ce n’est que dans la mesure où nous réussissons à effectuer cette transformation que nous possédons un objet pour notre science. Comment peut-il donc se faire que la mécanique quantique tende d’un côté à rendre moins stricte la loi de causalité, et d’un autre côté prétende encore rester une science ? »

J’intervins alors pour essayer de décrire les expériences qui avaient conduit à l’interprétation statistique de la théorie quantique : « Supposons, dis-je, que nous ayons affaire à un atome individuel de radium B. Il est certainement plus facile de faire de l’expérimentation sur un grand nombre de tels atomes à la fois, c’est-à-dire sur une petite quantité macroscopique de radium B, que sur un atome individuel ; cependant, fondamentalement, rien ne nous empêche d’étudier également le comportement d’un tel atome isolé. Dans ce cas, nous savons que, au bout d’un temps plus ou moins long, l’atome de radium B émettra un électron dans une direction quelconque et se transformera ainsi en un atome de radium C. En moyenne, ceci se fera à peu près en une demi-heure ; cependant, l’atome peut tout aussi bien se transformer déjà au bout de quelques secondes, ou seulement au bout de quelques jours. « En moyenne », cela veut dire ceci : si nous disposons de beaucoup d’atomes de radium B, à peu près la moitié sera transformée au bout d’une demi-heure. »

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