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Une image réaliste de l’Etat : l’horreur de ses prisons...

24 mars 2016, 07:51

En 1837, Eugène-François Vidocq, bagnard évadé devenu chef de la sûreté en France, écrivait dans « Les voleurs » :

« Une plainte est rendue contre une personne, ou bien l’organe de la société l’accuse ; il est possible pourtant que cet individu ne soit pas coupable ; cependant, à moins que son innocence ne soit démontrée d’une manière qui ne permette pas le doute, il faut que la justice, à la fois sévère et prévoyante, s’assure préalablement de sa personne.

Or, comme cet individu n’est pas en état de punition, comme il n’est encore que soupçonné, et qu’il peut très-bien arriver qu’il se trouve innocent, il est sans doute permis de s’étonner qu’il y ait aussi peu de différence entre le régime des maisons de dépôt et celui des maisons d’exécution ; l’individu, quoique soupçonné, doit être cependant considéré comme innocent jusqu’à la preuve du contraire. Eh bien, l’on ne donne à cet homme, que l’on a arraché peut-être mal à propos à sa famille, à ses occupations, que de la paille pour coucher, un bouillon maigre, et une livre et demie de pain noir pour nourriture ; on ne lui permet, et c’est là une des plus grandes rigueurs dont on puisse user, on ne lui permet, dis-je, de communiquer avec ses parents et ses amis qu’à travers les barreaux d’une double grille.

Si du moins l’instruction des affaires était moins longue, ou pourrait jusqu’à un certain point concevoir les rigueurs que l’on déploie, mais il en est qui durent une année, et quelquefois même plus. ( L’instruction de l’affaire dite des quarante voleurs, jugée il n’y a pas long-temps par la Cour d’Assises de la Seine, avait duré deux ans, et cependant des individus qui avaient subi cette longue captivité préventive furent acquittés. Un ancien négociant, détenu à Sainte-Pélagie sous la prévention de banqueroute frauduleuse, fut, après une captivité préventive de dix-huit mois, condamné seulement à six jours de prison.) On comprend combien cette attente doit sembler dure à celui qui est innocent, sans que l’on vienne encore ajouter à ce qu’elle a de cruel en lui imposant des privations qu’il serait si facile de faire cesser en consacrant à l’amélioration du sort des détenus préventifs, le produit des diverses amendes imposées aux condamnés.

Un artisan qui a perdu son travail, l’employé qui a perdu son emploi, le commerçant dont les opérations se sont trouvées suspendues, et dont le crédit a été ruiné par suite d’une détention préventive, et qui sont à la fin reconnus innocents, ne devraient-ils pas recevoir une indemnité pécuniaire capable au moins de les indemniser du préjudice matériel qu’ils auraient éprouvé ? J’ai l’intime conviction que personne n’osera répondre non à cette question, qui est adressée à tous les hommes de bonne foi.

C’est parce que s’il est déclaré coupable il devra à la société une dette que, suivant la loi, personne ne peut se dispenser de payer, que tel individu a été arrêté et mis en lieu de sûreté comme prévenu d’un crime, ou seulement d’un délit plus ou moins grave ; mais, si contre toute attente, il est démontré que cet individu n’a point commis le crime dont on l’accuse, la société qui s’est montrée si prévoyante pour s’assurer le paiement d’une dette éventuelle, ne devra-t-elle rien à son tour ? Je ne crois pas que l’on puisse répondre à cette question autrement que par l’affirmative.

Un abus contre lequel on ne saurait trop s’élever, est celui qui résulte du mélange de tous les prévenus ; si, rigoureusement parlant, tous les prévenus doivent être regardés, jusqu’à la preuve du contraire, comme innocens du crime dont on les accuse, et traités comme tels, les antécédents de chacun d’eux et la nature des crimes ou des délits sous la prévention desquels ils seraient détenus, devraient, il me semble, établir une différence qui pût servir à la classification des hommes. N’est-il pas révoltant de voir jeter au milieu des forçats relaps et des voleurs incorrigibles, un jeune homme prévenu, par exemple, d’avoir dansé au bal Musard un cancan un peu trop leste ? (Un jeune homme appartenant à une famille honorable, prévenu d’avoir insulté un commissaire de police dans l’exercice de ses fonctions, était détenu à la Force il y a quelques mois, et pendant sa captivité préventive, qui fut très-longue, il eut successivement pour commensaux de la chambre qu’il occupait, Lacenaire, Lhuissier, Blard et Verninhac de Saint-Maur.)

Une prison spéciale devrait donc être destinée aux prévenus, et ils devraient y être aussi traités avec tous les égards compatibles avec l’intérêt et la sécurité de la société. »

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