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Lutte des classes au Cameroun

25 février 2017, 08:05

Alors que les fans de foot aux quatre coins du monde célébraient la victoire camerounaise à la finale de la Coupe d’Afrique des nations, le 5 février dernier, la minorité anglophone du Cameroun, qui représente approximativement 20% de la population, avait peu de raisons de se réjouir.

Elle subit, en effet, depuis un mois, un black-out total des réseaux internet que les habitants des deux régions à minorité anglophone affectées voient comme une tentative flagrante du gouvernement de museler la dissidence, après plusieurs mois de manifestations massives, de grèves et de troubles.

Bien que la plupart des Camerounais parlent aussi au moins une des 240 langues locales du pays, le français et l’anglais sont les langues officielles du pays et les francophones constituent la majorité de la population.

Nonobstant, les Anglophones des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du pays représentent approximativement 20% de la population totale du Cameroun, actuellement estimée à 23 millions d’habitants.

La situation s’est envenimée en novembre 2016, quand plus de 100 personnes furent arrêtées et au moins six personnes tuées dans la ville de Bamenda, Région du Nord-ouest, à l’issue de manifestations dénonçant la dominance de la langue française dans les écoles et tribunaux anglophones. S’ensuivirent des arrestations en masse et des allégations de brutalité policière aggravées, de détentions illégales et de torture.

Trois militants politiques anglophones ont été traduits en justice récemment pour leur participation à ces mouvements contestataires. L’avocat Nkongho Felix Agbor Balla et le professeur d’université Fontem Aforteka’a Neba – tous deux des leaders du Cameroon Anglophone Civil Society Consortium, qui soutient un retour au système fédéral à deux États et a récemment été déclaré illégal par le gouvernement, au même titre que le Southern Cameroons National Council, qui soutient la sécession -, et le leader du mouvement contestataire Mancho Bibixy, sont appelés à répondre de chefs multiples dont insurrection, incitation aux hostilités contre l’État, terrorisme, incitation à la sécession et propagation de fausses informations. S’ils sont déclarés coupables, ils risquent la peine de mort.

Pendant ce temps, des millions de Camerounais continuent d’être privés d’accès au réseau internet, une situation que David Kaye, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression décrit comme « une terrible violation de leur droit à la liberté d’expression » et une atteinte au droit international.

Face à cette situation, les habitants des régions affectées – en particulier, les entrepreneurs et les étudiants – ont dû recourir à toutes sortes de subterfuges pour contourner le blocus.
Notamment l’exode des internautes vers d’autres parties du pays où le réseau reste actif, comme la capitale Yaoundé, la capitale commerciale Douala ou la capitale de la Région de l’Ouest, Bafoussam. D’autres encore optent pour des villes plus proches situées de l’autre côté de la frontière avec le Nigeria.

Des experts de la technopole du Cameroun, à Buea, une ville de la Région du Sud-ouest parfois surnommée Silicon Mountain – décrivent ces personnes comme des « cyber-réfugiés » ou des « réfugiés du net ».

« Ce blackout sur internet est sans précédent et insupportable », affirme Rolence Achia, un étudiant en ingénierie des systèmes de télécommunications de l’Université de Buea, dans un entretien avec Equal Times. Beaucoup de banques sont fermées, les distributeurs de billets sont hors service, les commerces ont été contraints de fermer et la plupart des travailleurs se retrouvent au chômage technique, sans rémunération.

Une gestionnaire de communauté qui a demandé à garder l’anonymat raconte comment, pour pouvoir se connecter au réseau, elle est désormais obligée d’entreprendre un trajet dangereux. « Une fois par semaine, je risque ma vie en empruntant la route meurtrière entre Kumba et Douala [tristement célèbre pour ses accidents de la route] seulement pour pouvoir me connecter. Je suis une réfugiée dans mon propre pays », dit-elle, indignée.

L’air abattu, Neba Kitts, un étudiant anglophone qui approche la vingtaine, arrive à Ekok, une petite bourgade sur la frontière entre le Cameroun et le Nigéria. Il vient de Bamenda. Il nous dit qu’il veut rejoindre la ville d’Ikom, au Nigéria, à environ une heure de route de la frontière, où il pourra reprendre ses cours en ligne. « Je n’ai aucunement l’intention de retourner au Cameroun tant que l’internet n’aura pas été rétabli », confie Kitts à Equal Times avant de monter à bord de l’autocar en partance pour Ikom.

Selon les agents de l’immigration à Ekok, une cinquantaine de personnes, majoritairement des jeunes, traversent chaque jour la frontière nigériane en quête d’une connexion internet.
Mais malgré le succès de la campagne #BringBackOurInternet, le gouvernement camerounais soutient qu’il a bloqué l’accès à internet par souci de préserver la paix sociale et qu’il ne rétablira pas le réseau tant que les troubles sociaux en cours n’auront cessé.

L’origine du soi-disant « problème anglophone » camerounais remonte à l’ère coloniale. Après l’annexion par l’Allemagne de ce qui deviendrait, en 1884, le Kamerun, trois décennies plus tard, le territoire fut divisé entre la Grande-Bretagne et la France, à la sortie de la Première Guerre mondiale. En 1961, une République fédérale réunifiée du Cameroun vit le jour, qui au fil des onze années suivantes serait gouvernée sous forme d’un système fédéral à deux États. Depuis 1972, le Cameroun est dirigé par un État unitaire centralisé qui, selon les Anglophones, privilégie nettement la majorité francophone.

Parmi les principaux griefs figurent l’affectation d’enseignants francophones dans des écoles anglophones et l’empiètement du système judiciaire français sur les parties anglophones du pays. En octobre 2016, plus de 1000 avocats sont partis en grève pour dénoncer la nomination de magistrats formés sous le système francophone et qui, de ce fait, ne maitrisent pas le droit-commun anglo-saxon, outre la non-disponibilité de textes de loi en anglais.

Fin novembre, les magistrats ont été rejoints par les enseignants anglophones, qui ont lancé un mot d’ordre de grève indéfinie. Un grand nombre de syndicats des enseignants anglophones – dont la Teachers’ Association of Cameroon et le Cameroon Teachers’ Trade Union – se sont mobilisés contre l’harmonisation insidieuse des deux systèmes éducatifs autonomes du pays. Une manœuvre que les enseignants anglophones dénoncent comme une tentative tacite d’asphyxier l’enseignement en langue anglaise au Cameroun.

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