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Le deuxième procès de Socrate, celui de ses amis

27 février 2015, 18:08, par Robert Paris

- Aristodème :

Ce n’est nullement les croyances de Socrate en faveur ou en défaveur des dieux d’Athènes qui préoccupait l’assemblée qui l’a condamné. C’est sa position par rapport à la guerre entre Athènes et Sparte, position qui peut sembler trop équilibrée à quiconque prend fait et cause pour Athènes comme la plupart des Athéniens et qui ne voit aucun mal à l’impérialisme athénien sur la mer Egée, en train de conquérir des territoires, conquêtes grâce auxquelles ces citoyens athéniens peuvent vivre des subsides que la ville offre à tous ceux qui participent à ses assemblées. Il est significatif qu’un des points politiques sur lequel Socrate était le plus connu et qui a servi contre lui au procès est son refus de participer aux assemblées décidant de la gestion de la ville alors qu’il passait tout son temps, dans ses conversations avec tout un chacun, à remettre en question les décisions de ces assemblées, à mettre en cause les capacités de ceux qui dirigeaient et même à les ridiculiser publiquement en refusant sa participation à toutes ces réunions.

- Ménexène :

C’est vrai que le patriotisme pro-athénien de Socrate est mis en cause, que sa volonté de faire la guerre contre Sparte l’est aussi, que certains vont jusqu’à prétendre qu’il a pu conseiller ceux qui ont pensé interrompre cette guerre en mutilant les statues d’Hermès et qu’on pourrait penser que nombre de ses anciens adeptes, comme Critias, Phèdre, Charmide, Alcibiade et Axiochos, auraient participé à cette opération étonnante qui a scandalisé les Athéniens et n’a pas réussi à arrêter la guerre. Ce n’est pas la seule occasion où Socrate est apparu comme un obstacle se mettant en travers de l’opinion publique et des points de vue des classes dirigeantes mais aussi des points de vue du peuple athénien. Il a toujours estimé que l’homme politique qui fonde son activité sur la sagesse, à l’inverse du démagogue, doit être capable de s’opposer à l’opinion, vu qu’il ne défend pas le point de vue du plus grand nombre et n’a pas à s’aligner sur l’opinion publique mais sur des perspectives fondées sur la raison. La compétence de l’homme politique, pour Socrate, est du même type que la compétence du spécialiste de galères, du spécialiste de lyres ou du spécialiste de monuments. L’homme politique doit avoir étudié et doit avoir des capacités particulières et une conscience particulière tout comme le gymnaste, le sculpteur, le médecin, l’orateur, le stratège ou le peintre doivent avoir des capacités particulières et une conscience particulière. Assembler des gens sur la seule base du tirage au hasard en prétendant qu’ils vont avoir la compétence de juger, c’est comme assembler des incompétents pour décider de la manière de construire une galère ou de la diriger : c’est mensonger, démagogique et absurde. Et finalement, pour l’intérêt collectif, cela est nuisible même si le peuple aime croire qu’il dirige au travers des mouvements démagogiques.

- Alcibiade :

Ce sont surtout les défaites qui ont amené la démocratie à rechercher des boucs émissaires de la chute d’Athènes. Rappelons-nous combien Athènes a été frappée par les guerres où elle a été vaincue avec les quelques dix mille morts de l’expédition de Sicile, les 3000 rameurs athéniens tués lors de la dernière bataille à Aigos Potaimo, ce qui fait un nombre de morts considérables sur une population totale de 45.000 citoyens athéniens, surtout si on y ajoute les morts de la peste qui a fait disparaître un tiers de la population, sans parler des multiples destructions dues à l’armée spartiate, à la destruction des fermes de l’Attique, la fuite de nombreux esclaves athéniens. La démocratie avec un peuple en grande partie corrompu par les subsides de l’empire avec les subsides de la ligue de Délos, les emplois sur les trières et le misthos finançant la participation des citoyens pauvres à la vie politique, ne pouvait que mener à la démagogie et la défaite aux tendances à chercher des faux coupables dans des boucs émissaires comme Socrate. L’accuser de détruire les dieux athéniens revenait à l’accuser de la défaite et de la misère d’Athènes. C’était une manière de détourner l’attention des nouveaux riches d’Athènes, comme Cléon le grand propriétaire de tannerie, Hyperbolos le grand fabricant de lampes et Cléophon le grand producteur de lyres, ainsi que les deux mille autre riches qui détournent l’essentiel des richesses, laissant le bas peuple s’agiter dans une vie politique prétendument démocratique, aussi creuse qu’incapable de s’ingérer dans les affaires des précédents. On a pris des hommes de lettres, des stratèges ou des sophistes comme boucs émissaires pour mieux cacher les vrais profiteurs et les vrais responsables du naufrage d’Athènes.

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