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Le deuxième procès de Socrate, celui de ses amis

17 mai 2018, 07:34

  Dans l’homme, les sophistes ne voyaient que ce qui est de l’individu ; Socrate y chercha ce qui est de la nature humaine. Il avait lu au fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même ; » ce fut pour lui la science par excellence. Démosthène aussi dira : « Les autels les plus saints sont dans l’âme ; » et le politique comme le philosophe avait raison. Car cette science de nous-même nous révèle les dons que l’humanité a reçus, avec l’obligation de s’en servir : l’intelligence, pour comprendre le bien et le vrai ; la liberté, pour choisir et prendre la route qui y conduit.

  Séduit par la grandeur de cette tâche, Socrate se détourna des doctrines purement spéculatives, de la recherche des causes premières, de l’origine et des lois du monde, de la nature des élémens, etc., pour méditer sur nos devoirs. Il soutint que la nature avait mis à notre portée les connaissances de première nécessité, et qu’il n’y avait qu’à ouvrir notre âme pour y lire, en traits ineffaçables, les lois immuables du bon, du vrai, même du beau ; ces lois, qu’il appelait si bien, après Sophocle, lois non écrites, (grec), auxquelles est attachée une sanction inévitable par les maux que leur violation : entraine. En faisant ainsi de l’homme, au contraire de ses prédécesseurs, le centre de toutes les méditations, il créait la vraie philosophie, celle qui devait faire sortir au grand jour les trésors que-la conscience humaine renferme ; il trouvait enfin et élevait au-dessus des erreurs, des préjugés et des injustices de temps et de lieu, la loi naturelle, le seul flambeau humain qui puisse éclairer la route où les sociétés marchent. Montaigne dit très bien, après Cicéron : « Socrate avait ramené du ciel, où elle perdait son temps, la sagesse humaine pour la rendre à l’homme, ouest sa plus juste et plus laborieuse besogne. »

  En révélant une justice supérieure ans lois spéciales à chaque état, Socrate montrait qu’il est, pour les sociétés, un idéal dont elles doivent se rapprocher ; mais il demeurait respectueux de l’ordre établi ; il proclamait la sainteté de la famille, et il trouvait pour la mère, pour l’épouse, des mots qui rappellent la femme forte de l’Écriture. Ses plus illustres élèves condamneront le travail manuel ; lui, il aura le courage de dire aux possesseurs d’esclaves : « Parce qu’on est libre, n’y a-t-il donc autre chose à faire que manger et dormir ? »

  On a fait de Socrate un profond métaphysicien ; mais le créateur de la philosophie du bon sens ne pouvait l’emprisonner dans un système. On l’a aussi appelé un grand patriote, et l’on veut qu’il se soit proposé de changer les mœurs d’Athènes ; c’est un peu le rôle que Platon est prêt à lui donner. Nous croyons qu’il n’eut point de visées politiques si particulières et que son ambition était plus haute. Indiffèrent à toutes les choses du dehors, comme aucun Grec ne l’avait encore été, au point de n’être sorti volontairement d’Athènes qu’une fois ou deux, il s’occupa du dedans de l’homme et passa ses jours à regarder en lui-même et dans les autres. L’emploi de sa vie fut de gagner quelques âmes à la verte et à la vérité. Muni de deux armes puissantes : une claire et nette intelligence qui lui faisait découvrir l’erreur, une dialectique à la fois subtile et forte qui enlaçait l’adversaire de liens indissolubles, il se donna la mission de poursuivre partout le faux. Et cette mission, il la remplît, durant quarante années, avec la. foi d’un apôtre et le plaisir d’un artiste, se complaisant dans les victoires qu’il remportait sur la ; présomption ou l’ignorance.

« Lutte entre la religion et la philosophie au temps de Socrate » (1887)

Victor Duruy

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