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Qu’est-ce qui nous étonne, nous choque, nous bouleverse, renverse nos convictions habituelles quand on étudie la matière ? Qu’est-ce qui change notre philosophie ?

9 janvier 2018, 07:11, par Robert Paris

Francis Bacon dans « Nouvel Organum » :

« Mais le plus grand obstacle et la plus grande aberration de l’entendement humain a pour cause la stupeur, l’incompétence et les illusions des sens. Nous sommes constitués de manière que les choses qui frappent immédiatement nos sens l’emportent dans notre esprit sur celles qui ne les frappent que médiatement, quoique ces dernières méritent la préférence. Ainsi, dès que notre œil est en défaut, toutes nos réflexions cessent à l’instant ; on n’observe que peu ou point les choses invisibles. Aussi toutes les actions si diversifiées qu’exercent les esprits renfermes dans les corps tangibles ont-elles échappé aux hommes, et leur sont-elles entièrement inconnues, car lorsque quelque transformation imperceptible a lieu dans les parties de composés assez grossiers (genre de changement qu’on désigne communément par le mot d’altération, quoiqu’au fond ce ne soit qu’un mouvement de transport qui a lieu dans les plus petites parties), la manière dont s’opère ce changement est également inconnue. Cependant, si ces deux sujets là ne sont bien éclaircis et mis dans le plus grand jour, ne nous flattons pas qu’il soit possible de faire rien de grand dans la nature, quant a l’exécution. Et ce n’est pas toute la nature de l’air commun, et de toutes les substances dont la densité est encore moindre (et combien n’en est-il pas), cette nature, dis-je, n’est pas mieux connue, car le sens est par soi-même quelque chose de bien faible, de bien trompeur, et tous les instruments que nous employons, soit pour aiguiser nos sens, soit pour en étendre la portée, ne remplissent qu’imparfaitement ce double objet. Mais toute véritable interprétation de la nature ne peut s’effectuer qu’à l’aide d’observations et d’expériences convenables et appropriées à ce dessein, le sens ne doit être fait juge que de l’expérience, et l’expérience seule doit juger de la nature de la chose même.
LI. L’entendement humain, en vertu de sa nature propre, est porté aux abstractions, il est enclin à regarder comme constant et immuable ce qui n’est que passager. Mais, au lieu d’abstraire la nature, il vaut mieux la disséquer, à l’exemple de Démocrite et de ses disciples, école qui a su beaucoup mieux que toutes les autres y pénétrer et l’approfondir. Le sujet auquel il faut principalement s’attacher, c’est la matière même, ainsi que ses différentes textures, et ses transformations. C’est sur l’acte pur, et sur la loi de l’acte ou du mouvement, qu’il faut fixer toute son attention, car les formes ne sont que des productions de l’esprit humain, de vraies fictions, a moins qu’on ne veuille donner ce nom de formes aux lois mêmes de l’acte.
LII. Tels sont les préjugés que nous comprenons sous cette dénomination, fantômes de race, lesquels ont pour cause, ou l’égalité de la substance de l’esprit humain, ou sa préoccupation, ou ses étroites limites, ou sa turbulence, ou l’influence des passions, ou l’incompétence des sens, ou enfin la manière dont nous sommes affectés par les objets.
LIII. Les fantômes de l’antre ont leur source dans la nature propre de l’âme et du corps de chaque individu. Il faut compter aussi pour quelque chose l’éducation, l’habitude, et une infinité d’autres causes ou de circonstances fortuites. Ce genre de fantômes se divise en un grand nombre d’espèces. Cependant nous ne parlerons ici que de celles qui exigent le plus de précautions, et qui ont le plus de force pour altérer la pureté de l’entendement. »

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