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A un camarade …

11 septembre 2018, 06:57

Stephen Jay Gould dans « Il n’y a pas de science sans imagination » (publié dans l’ouvrage « Antilopes, dodos et coquillages ») :

« Personne n’a jamais accusé Francis Bacon d’excès de modestie, mais lorsque le Lord Chancellor anglais proclama sa « grande instauration » de la compréhension humaine et fit serment d’embrasser toutes les formes du savoir, l’objectif ne sembla pas d’une arrogance ridicule face à la compétence et la longévité d’un grand penseur de l’époque shakespearienne. Mais depuis l’explosion du savoir et sa fragmentation en disciplines aux frontières sans cesse plus rigides et jalousement gardées, le fébrile savant qui tente de toucher à plus d’un domaine est devenu un objet de suspicion – un prétentieux polymorphe (« touche-à-tout et bon à rien », pour reprendre le vieux cliché), ou un dilettante gênant qui cherche à imposer, dans un domaine qui lui est étranger, les méthodes de son réel savoir-faire à des sujets inadéquats dans un univers différent…

La plupart des intellectuels sont favorables à un dialogue entre les sciences et les arts. Mais ils admettent également que ces deux domaines du savoir sont aux antipodes l’un de l’autre, et qu’un tel dialogue ne peut s’établir que sur la base de contacts diplomatiques entre adversaires. Au mieux espèrent-ils dissiper les stéréotypes, devenir amis (ou du moins neutres), et faire ainsi abstraction de leurs différences réelles pour s’unir temporairement et résoudre quelques problèmes plus généraux exigeant une action commune de tous les gens cultivés.

Au sein de ces deux domaines, la perception de « l’autre » est encore régie par des stéréotypes – des images fondées sur quelque chose qui est à peine plus qu’une ignorance et un esprit de clocher, mais qui n’est pas pour autant sans pouvoir… Loin de moi l’idée de vouloir créer une union artificielle lors d’agapes de circonstance. Ces deux domaines diffèrent réellement par leurs préoccupations et leurs modes de validation… Mais nombre de ceux qui, comme moi, travaillent dans ces deux domaines (ne serait-ce qu’en amateur dans l’un des deux), ont le réel sentiment qu’une unité d’esprit primordiale crée entre l’art et la science une similitude plus profonde que la division associée à la disparité de leurs sujets d’étude… Si nous ne reconnaissons pas l’existence de caractéristiques et préoccupations communes à toute activité créatrice, nous passons à côté de plusieurs importants aspects de l’excellence – et parmi eux la nécessaire interaction entre l’imagination et l’observation (entre la théorie et l’empirisme) au niveau intellectuel, et la convergence de la beauté et du factuel au niveau psychologique – car chacun de ces deux domaines minimise traditionnellement un aspect de cette nécessaire dualité.

En outre, pour étudier et comprendre les universaux sous-jacents à la diversité de nos activités, nous devons utiliser la méthode de « réplication par-delà les différences ». Je ne vois pas de meilleur moyen pour identifier ces universaux que l’étude des similitudes profondes des procédures intellectuelles intervenant en art et en science…

Nabokov, à la fois grand romancier et grand taxinomiste des papillons, lors d’une interview donnée en 1966, brisa les frontières entre l’art et la science en déclarant : « Il n’y a pas de science sans imagination comme il n’y a pas d’art sans faits ».

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