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Nazisme et grand capital

22 mars 2014, 11:11

A un moment donné, les magnats capitalistes ne se servent plus seulement des « chemises noires » ou des « chemises brunes » comme des milices antiouvrières ; ils lancent le fascisme à la tête de l’Etat. (…) Le fascisme, à partir du moment où il se lance à la conquête du pouvoir, a déjà l’assentiment de la fraction la plus puissante de la bourgeoisie capitaliste. Il est assuré, en outre, de la complicité des chefs de l’armée et de la police, dont les liens avec ses bailleurs de fonds sont étroits. (…) Le fascisme sait donc qu’en réalité la conquête du pouvoir n’est pas pour lui une question de force. (…) Il lui faut s’armer de patience (…) donner l’impression qu’il est porté au pouvoir par un vaste mouvement populaire et non pas simplement parce que ses bailleurs de fonds, parce que les chefs de l’armée et de la police sont prêts à lui livrer l’Etat. (…) Mais, d’un autre côté, le fascisme doit donner l’illusion à ses troupes de choc, à ses miliciens, qu’il est un mouvement « révolutionnaire », que, tout comme le socialisme, il se lance à l’assaut de l’Etat ; que seuls la vaillance, l’esprit de sacrifice de ses « chemises noires » ou de ses « chemises brunes », lui assureront la victoire. (…) Mais le jour où sa tactique légaliste lui a permis de rassembler autour de lui les larges masses indispensables, où toutes les conditions psychologiques sont remplies, alors, sans coup férir, le plus légalement du monde, il s’installe dans l’Etat : le tour est joué. (…)

Les socialistes et les communistes allemands se refusent à croire au triomphe du national-socialisme. Mieux : ils en annoncent périodiquement la déconfiture. Les socialistes poussent à tout propos des cris de triomphe : en août 1932, parce que le président Hindenburg a repoussé les exigences de Hitler ; au lendemain des élections du 6 novembre, parce que les suffrages remportés par les nazis marquent un recul ; à cette date, le Vorwärts écrit : « Voilà dix ans que nous avons prévu la faillite du national-socialisme ; noir sur blanc, nous l’avons écrit dans notre journal ! » Et, à la veille de l’accession de Hitler au pouvoir, un de ses leaders, Schiffrin, écrit : « Nous ne percevons plus que l’odeur de cadavre pourri : le fascisme est définitivement abattu ; il ne se relèvera plus. »

Les communistes ne sont guère plus perspicaces. Au lendemain de l’élection du 14 septembre, le Rote Fahne écrit : « Le 14 septembre fut le point culminant du mouvement national-socialiste en Allemagne. Ce qui viendra après ne peut être qu’affaiblissement et déclin. » En 1932, Thälmann s’élève contre « une surestimation opportuniste du fascisme hitlérien » (…) Au lendemain des élections du 6 novembre, on lit dans le Rote Fahne : « Partout, il y a des S.A. qui désertent les rangs de l’hitlérisme et se mettent sous le drapeau communiste. » (…)

Mais quelle tactique le prolétariat organisé pouvait-il opposer au fascisme en marche vers le pouvoir ? N’oublions pas que le fascisme conquiert le pouvoir légalement. Des milices ouvrières, indispensables pour battre les bandes fascistes lorsque celles-ci ne jouaient que le rôle de « milices antiouvrières » ne suffisent plus à empêcher le fascisme de gagner des sièges au Parlement, de conquérir l’opinion, de s’introduire dans l’Etat par voie légale. Une simple « grève générale de protestation », même déclenchée sur toute l’étendue du territoire, ne peut davantage barrer la route du pouvoir au fascisme – à moins qu’elle ne soit le point de départ d’une offensive révolutionnaire. (…) Alors, que pouvait le prolétariat organisé ? A partir du moment où le fascisme marche vers le pouvoir, le mouvement ouvrier ne dispose plus que d’une seule ressource : gagner le fascisme de vitesse, s’emparer avant lui du pouvoir. (…) Les partis prolétariens ne se montrent nullement révolutionnaires. (…) Quant à l’ADGB allemande (centrale syndicale), elle a empêché ses adhérents de combattre les décrets-lois de Brüning, sous le prétexte qu’en défendant leur pain quotidien ils mettraient en danger le gouvernement Brüning et que Brüning valait mieux que Hitler. Cette tactique du « moindre mal » a démoralisé profondément les travailleurs.

Daniel Guérin

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