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Il y a cent ans, la première guerre mondiale (1914-1918) démarrait. Oui, mais pour quelle raison ?

28 août 2014, 18:39, par Robert Paris

Henry Poulaille écrit dans « Les damnés de la terre » :

« Depuis quelques jours, chez Radigond, toute la famille est réunie pour la soupe à la même heure. Cela ne s’était pas vu depuis des années. La cause en était la grève (celle de 1909).
Nini n’en semblait pas plus ravie que cela…

Elle fulminait.
 Vous êtes là tous les trois sur le sable… et ça sera pire qu’en 1906, j’prévois ça ! Et si on vous foutait en l’air, tous autant que vous êtes, postiers, facteurs, « et caetera », où que vous iriez ? Pas foutus de faire au’chose, hein ! J’pousse les choses au noir, pasque c’est heureusement impossible qu’on vous balance tous…
 Tiens, la mère, regarde plutôt Le Journal, à la page 1, au lieu de ton feuilleton. C’est nous qui sommes à l’honneur. Tiens, c’est écrit : « Plus de trois millions de lettres, plus de cent mille télégrammes restent en souffrance. » C’est même écrit assez gros de manière à ce que les myopes comme toi puissent le voir sans lunettes…

Les jours passaient. Radigond et se sgars étaient toujours en alerte. On avait saboté le télégraphe. On le ferait payer cher ! et cher, disait-on. Ce n’était pas le moment de se lâcher les coudes.
Dans une séance de nuit, la Chambre par 458 voix contre 69 se disait décidée à ne pas tolérer de grève des fonctionnaires.

Et l’on tenait… et solidement.

On avait fait appel à la troupe ; les soldats étaient occupés au triage des lettres, à la manipulation des « morses »…

De fait, le gouvernement capitulait ; le tiercement qui eût retardé l’avancement régulier des agents des PTT dans une proportion de 30% était supprimé.
Un nouveau meeting au Tivoli-Vauxhall décidait la reprise du travail…

La grève était finie. L’après-midi même, place Vauban, les grévistes faisaient leur dernière manifestation, et c’était en cortège joyeux qu’ils partaient vers leur travail…

 Les fonctionnaires, disait Radigond, ont gagné leur première grande bataille…
D’ailleurs quelques faits nés au cours des grèves récentes étaient inquiétants. En ce mois de mars, en même temps que les postiers, une série de mouvements alertaient la police, la gendarmerie, la troupe.
A Mazamet, dans le Tarn, on avait des craintes. Après trois mois, la grève des délaineurs menaçait de dégénérer en combats de rues ; on venait d’envoyer les enfants dans des localités voisines. C’était mauvais signe. A Tunis, les zouaves remplaçaient les cheminots. Mais c’était surtout dans l’Oise que la situation était grave.

A Méru et environs, les boutonniers au nombre de 12 000, s’étaient mis en grève, l’emploi de la nacre artificielle, la transformation de l’outillage ayant abaissé leurs salaires dans d’effarantes proportions. Des manifestations avaient eu lieu dans plus de vingt localités à la fois. Une « horrible jaquerie » disait-on.
Il y avait eu du grabuge à Ablainville, où l’usine principale fut dévastée ainsi que la maison du patron ; à Méru, ç’avait été chez le maire de Saint-Crépin que les « jacques » avaient opéré. Tout ce qui était facilement déménageable avait été sorti et brûlé sur la route.

Pendant quelques jours, des bagarres avaient éclaté, puis on avait repris le travail partiellement.
 Alors, vous avez gagné votre grève ! ça m’a fait bougrement plaisir, leur avait dit Magneux qu’ils étaient allés voir à l’hôpital…. Oui, on est en époque révolutionnaire… mais c’est souvent la réaction qui profite des situations révolutionnaires par la faute de la somnolence des militants qui répugnent trop à l’action directe…

C’est qu’on était forts !
Quel magistral soufflet c’était pour le gouvernement et le Clemenceau, que ce grand meeting de l’Hippodrome, organisé par les syndicats des électriciens, des maçons d’art et des terrassiers, pour affirmer la solidarité du prolétariat industriel avec les travailleurs de l’Etat.

 On vit une époque révolutionnaire, répétait Radigond, reprenant le mot de Magneux, en revenant de ce meeting….

Dans l’Oise, la lutte reprenait de plus belle, sur ces entrefaites.

Le 9 avril, 600 militants chahutaient les jaunes et s’attaquaient à deux ou trois établissements à Lormaison, à Saint-Crépin, où travaillaient des « renards », chez le fils du maire, celui que l’on avait déménagé un mois auparavant. Chemin faisant, les manifestants abattaient les poteaux du télégraphe, coupaient les fils, cela sur une étendue de plus d’un kilomètre. C’était l’ « émeute caractérisée »… Des escadrons de hussards étaient dès le lendemain sur les lieux et la gendarmerie arrêtait des « émeutiers », ce qui occasionnait de violentes bagarres ; à plusieurs reprises les ouvriers tentaient d’arracher leur proie aux « cognes ».

On dut appeler du renfort. Des escadrons de chasseurs à cheval, des dragons, des cuirassiers arrivèrent.

Trois compagnies de chasseurs cantonnaient à Méru… Malgré ce déploiement de troupes et les multiples patrouilles et parades, de bruyantes manifestations se déroulèrent au cours de la grève générale de vingt-quatre heures décidée dans la région en protestation. »

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