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2014, année de l’amiante en France : dix tués par jour sans condamnation, est-ce un crime d’Etat ?

13 octobre 2018, 06:40

L’Andeva organisait une manifestation nationale hier vendredi pour alerter l’opinion sur la présence d’amiante dans les écoles, et « qu’enfin, les responsables agissent ». Trop souvent, dit Alain Bobbio, les autorités sont dans le déni. A commencer par les collectivités territoriales qui ont la charge de la construction et l’entretien des établissements scolaires. A l’écouter, elles préfèrent parfois fermer les yeux comme si le problème n’existait pas car, vu son ampleur, elles ne savent comment s’y atteler. Le cas du lycée Brassens à Villeneuve-le-Roi en est, pour lui, la parfaite illustration.

Devant les grilles, les profs empilent les épisodes dans le désordre, alignent les termes techniques. On cause « flocages », « score », « fibres », « cancérogénicité sans seuil »… « Nous n’avons pas eu d’autres choix que de devenir des experts scientifiques en amiante, justifie Cyril, jeune professeur de lettres. C’est compliqué pour nous de remettre en cause notre hiérarchie, mais à partir du moment où le doute s’installe… » Cécile, prof de lettres, le coupe. « Il ne s’agit pas d’un combat politique ou syndical. Là, il est question de santé publique. Je ne ferais pas entrer mes filles dans ce bâtiment, donc je ne fais pas entrer les élèves. C’est aussi simple que ça. » Tous parlent de « responsabilité morale ». Et ce sentiment d’être abandonnés par leur institution, comme si elle ne prenait pas la mesure de ce qui est en train de se jouer.
Mousse blanche

Leur combat remonte au 23 novembre 2017. Ce jour-là, une collègue découvre dans sa classe une sorte de mousse blanche au sol, visiblement tombée du plafond. Elle a le réflexe d’avertir sa proviseure, et un professeur en lutte à l’époque contre la ventilation défectueuse. Lui comprend tout de suite. Il suspecte la présence d’amiante, cette fibre 400 fois plus fine qu’un cheveu et très cancérogène. Ce matériau isolant, interdit dans les constructions depuis 1997, était largement utilisé avant cette date. La proviseure enclenche la procédure de mise en sécurité, les autorités sont prévenues, la salle fermée par précaution. Le 1er décembre, un employé de la société Innax, envoyé par la région Ile-de-France, pénètre dans la salle pour effectuer des prélèvements de flocages et constate « un taux de 11,4 fibres d’amiante par litre d’air, très supérieur à la norme de 5 fibres par litre d’air ». Les jours passent. L’équipe continue de faire cours dans les salles d’à côté, les agents d’entretien lavent les sols. « Le 15 décembre, notre proviseure reçoit un coup de fil : une équipe spécialisée dans le désamiantage est dépêchée pour enlever les ordinateurs de la salle, car ils sont contaminés… voilà comment on a appris officiellement la présence d’amiante », raconte un enseignant.

Les professeurs entrent alors dans une lutte ouverte. Ils perdent confiance dans les autorités et entreprennent de farfouiller dans les caves du lycée, à la recherche des archives. Bingo ! La présence d’amiante apparaît dans des documents écrits dès 1987, dans une lettre d’une association de parents : « Le danger augmente à mesure que les plafonds se dégradent. Faudra-t-il alerter la presse et organiser une journée portes ouvertes ? » Cette lettre figure dans l’enquête du CHSCT académique transmise à la région et à l’éducation nationale, et que Libération a pu consulter. A l’époque, face à la mobilisation des parents, les plafonds avaient été recouverts d’une couche pour isoler l’amiante - « Les remplacer coûtait plus cher… le problème, c’est qu’avec le temps, cette deuxième couche s’est à son tour détériorée », précise l’association Andeva qui aide les enseignants dans leur lutte. Sylvette, professeure d’arts plastiques au lycée depuis 1991 : « Pendant des années, à chaque fois qu’on posait la question, les autorités nous répondaient dans les yeux : "Non, il n’y a pas d’amiante". Ils nous soutenaient que c’était une légende urbaine ! Mes élèves manipulaient les dalles du plafond pour y suspendre leurs travaux… je le porte sur la conscience, je ne leur pardonnerai jamais. »

Au groupe Georges-Brassens, en banlieue parisienne, les professeurs exercent leur droit de retrait depuis une semaine.

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