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Qu’est-ce que le « phénomène » en sciences et en philosophie ?

16 août 2014, 07:46

Planck dans « Initiations à la physique » :

« Il y a dans la nature des processus qui ne peuvent en aucune façon être réversibles. Si l’on pouvait, par exemple, rendre complètement réversible le phénomène de frottement par lequel le travail se transforme en chaleur, (…) la chaleur serait transformée en travail, et une fois cette transformation achevée aucun objet n’aurait subi, par ailleurs, de modification permanente. Si nous appelons irréversibles tous les phénomènes qui, comme les précédents, ne peuvent être inversés en aucune manière et réversibles tous les autres phénomènes, nous aurons exprimé tout l’essentiel du second principe de la thermodynamique en disant qu’il y a des phénomènes irréversibles dans la nature. Il s’ensuit que l’ensemble des changements qui ont lieu dans l’univers est tel qu’il en résulte une progression dans un sens déterminé. En d’autres termes, à chaque transformation irréversible, le monde fait un pas en avant dont il est impossible d’effacer la trace de quelque manière que l’on s’y prenne. »

Stuart Kauffman dans « La complexité, vertiges et promesses » :

« Ce qui qualifie un phénomène émergent, c’est une propriété collective qui n’est présente dans aucune des molécules individuelles. Les lois qui gouvernent les systèmes émergents sont en relation avec les lois mathématiques des transition de phase survenant dans de tels systèmes, et plus généralement dans tout ce qui se passe à un niveau supérieur à celui des molécules individuelles. »

Grégoire Nicolis dans « L’énigme de l’émergence » :

« On appelle « émergence » une combinaison préexistante d’éléments préexistants produisant quelque chose de totalement inattendu. Un exemple classique de ce type de phénomène est celui de l’eau, dont les caractéristiques les plus remarquables sont totalement imprévisibles au vu de celles de ses deux composants, l’hydrogène et l’oxygène ; pourtant la combinaison des deux ingrédients donne naissance à quelque chose d’entièrement neuf. » expose le paléoanthropologue Ian Tattersall qui réfléchit à l’émergence du langage, car la sélection adaptive ne lui semble pas une bonne explication de son apparition : « l’apparition de la pensée symbolique ne semble nullement être le résultat d’une tendance opérant sur la longue durée, comme la sélection darwinienne l’exige. L’autre hypothèse est donc elle-ci : (...) cette innovation relève probablement de ce que l’on appelle l’émergence. » « Des phénomènes d’émergence se produisent dans toute une gamme de systèmes à l’échelle du laboratoire, depuis la mécanique des fluides jusqu’à la cinétique chimique, l’optique, l’électronique ou la science des matériaux. »

Bernard Sapoval dans « Universalités et fractales » :

« La percolation est des phénomènes critiques les plus simples. Un phénomène est dit critique pour caractériser le fait que les propriétés d’un système peuvent changer brusquement en réponse à une variation même très faible des conditions extérieures. Dans les conditions critiques, le système hésite entre deux états différents, il est instable et présente de grandes fluctuations. (…) Percolation vient du latin « percolare » : couler à travers. Dans la pratique courante, on sait faire du café avec un percolateur qui injecte de l’eau dans une poudre de café comprimé. (…) Pour obtenir du café, il faut qu’il y ait suffisamment de passage entre les grains pour laisser l’eau filtrer. L’eau peut ne pas passer, soit parce que des pores sont bouchés, soit parce que les connexions entre les pores sont bloquées. Pour avoir du café, il faut que l’eau puisse « percoler ». Il n’est pas si facile de faire du bon café. Vous pourriez penser qu’il n’y a qu’à diluer les grains et avoir des pores grands ouverts. Mais si les pores sont trop grands et contiennent trop d’eau, on extraira bien les arômes, mais le café sera trop dilué. Au contraire, si la poudre est trop serrée, on bouchera aléatoirement trop de pores et… plus de café. (…) La réalité nous en offre des illustrations spectaculaires. Ainsi les incendies de forêt en l’absence de vent. (…) La percolation a de nombreuses applications dans l’étude et la maîtrise des propriétés des matériaux hétérogènes comme les matériaux composites. »

"Universalité et fractales" de Bernard Sapoval :

"C’est dans le cadre très général des systèmes dynamiques non linéaires que se situe le phénomène si familier mais si difficile à élucider de la turbulence (...) Rien n’est plus commun que d’observer les tourbillons dans l’écoulement d’un fluide. Ce fluide peut être aussi bien un liquide comme l’eau d’un torrent, un gaz telle la sortie de vapeur d’un tuyau de cheminée. ce phénomène est si courant qu’il est difficile d’en mesurer toute la complexité. On sait que ce phénomène ne peut avoir lieu (apparition de tourbillons ou "turbulence") que si la vitesse du fluide autour d’un objet est suffisante. La turbulence apparaît aussi quand un fluide est soumis à une différence de température suffisante. C’est ce que l’on observe lorsque l’eau d’une casserole sur le feu est mise en mouvement à partir du moment où une différence de température suffisante existe entre le fond de la casserole et la surface de l’eau. une des démonstrations les plus étonnantes de l’existence d’une universalité du troisième type est l’expérience de Libchaber et Maurer sur l’approche de la turbulence chaotique à travers un chemin de bifurcations très proche de celui de l’application logistique. (...) Les exemple de turbulence sont nombreux dans la nature, ne serait-ce que quelques gouttes de lait versées dans une tasse de thé. La turbulence peut se décrire schématiquement comme un processus dissipatif dans lequel l’énergie cinétique du fluide est progressivement transférée depuis des tourbillons de grande taille vers les processus microscopiques de dissipation liés à la viscosité. Ce transfert se produit au moyen d’une cascade de tourbillons de taille plus petites. C’est à cette cascade qu’on pourra appliquer le concept de géométrie fractale."

Marie Farge - Extraits de « Evolution des théories sur la turbulence développée », article de l’ouvrage collectif « Chaos et déterminisme » :

« La mécanique hamiltonienne ne traite que des états stables, ou au voisinage de l’équilibre, et ne décrit que des phénomènes conservatifs donc réversibles, alors que les écoulements turbulents sont hautement instables et dissipatifs, donc irréversibles ; de plus, la dynamique classique a toujours raisonné à partir de systèmes composés de peu d’éléments en interaction et non d’un très grand nombre de degrés de liberté comme c’est le cas en turbulence développée. Si on regarde du côté des mathématiques, alors que la résolution d’équations différentielles linéaires ne pose guère de problèmes, elles n’ont pas le moyen de résoudre analytiquement les équations aux dérivées partielles non linéaires décrivant l’évolution des écoulements turbulents, ni même en général celui de prouver l’existence et l’unicité de leurs solutions. Enfin, pour comprendre les phénomènes physiques, la méthode suivie jusqu’à présent est le plus souvent réductionnisme, tandis que l’étude de la turbulence développée demande probablement une vision plus globale, dans la mesure où l’on ne peut plus dans ce cas isoler le comportement d’une partie de celui de l’ensemble. (…) Si l’écoulement est laminaire, c’est-à-dire non turbulent, son évolution est prévisible et l’information décrivant l’état du système au temps t est en principe suffisante pour connaître l’état de celui-ci pour tout temps. Le seul problème reste alors le fait que pour connaître l’état de l’écoulement au temps t, c’est-à-dire la position et la vitesse de tous les éléments fluides qui le composent, la quantité d’information est énorme et hors d’atteinte de nos appareils de mesure. Cette limitation de nos facultés d’observation n’a cependant pas de conséquence sur la prédictibilité de l’écoulement si celui-ci est laminaire. En effet, dans ce cas, si au temps t, on fait une erreur quant à la description de l’état du système, cette erreur reste la même pour tout temps, ou n’évolue que très lentement, car la dynamique d’un écoulement laminaire est stable. Elle n’amplifie pas exponentiellement l’erreur initiale et n’est donc pas « sensible aux conditions initiales ». Si, par contre, l’écoulement est turbulent, il en va tout autrement : le système est devenu très instable et sensible aux conditions initiales. »

Edward Abramowski, Le Matérialisme historique et le principe du phénomène social :

« Le principe du phénomène, dans son application à la sociologie, peut être exprimé dans deux propositions, qui, quoique contradictoires en apparence, sont néanmoins intimement reliées entre elles par l’unité de la pensée. La première est que l’homme est la seule réalité de la vie sociale, ce qui signifie que tous les processus sociaux se passent dans la conscience individuelle et ne se passent que là, où est à la fois leur source et la raison suffisante de leur existence ; le monde social n’en dépasse pas les limites, car elle est l’unique conscience ; il ne peut pas exister hors de l’homme, puisque l’homme, — comme être pensant, — est sa substance même. — Mais en même temps se pose la proposition inverse : la seule réalité, c’est l’élément social, l’individu n’étant qu’une systématisation accidentelle des phénomènes, une illusion provenant du domaine prépensif ; car ce qui constitue notre « moi » propre, ce que nous ressentons comme étant nous-même, c’est de la substance sociale ; toute notre vie intellectuelle, les états psychiques qui sont soumis à l’action de notre aperception, présentent une nature purement sociale ; quant à l’individualité elle s’oppose à eux, comme étant seulement ce qui constitue la matière intuitive pour l’action de notre aperception, des données d’une nature émotionnelle servant aux opérations de la pensée, et qui ne possèdent pour nous la valeur d’un phénomène réel qu’en tant qu’ils sont aperceptivement déterminés comme objet de la pensée. »

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