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Le marxisme a-t-il raison de se prétendre scientifique ?

2 mars 2015, 17:37

« Que toute science reflète plus ou moins les tendances de la classe dominante, c’est incontestable. Plus une science s’attache étroitement aux tâches pratiques de domination de la nature (la physique, la chimie, les sciences naturelles en général), plus grand est son apport humain, hors des considérations de classe. Plus une science est liée profondément au mécanisme social de l’exploitation (l’économie politique), ou plus elle généralise abstraitement l’expérience humaine (comme la psychologie, non dans son sens expérimental et physiologique, mais au sens dit " philosophique "), plus alors elle se subordonne à l’égoïsme de classe de la bourgeoisie, et moindre est l’importance de sa contribution à la somme générale de la connaissance humaine. Le domaine des sciences expérimentales connaît à son tour différents degrés d’intégrité et d’objectivité scientifique, en fonction de l’ampleur des généralisations qui sont faites. En règle générale, les tendances bourgeoises se développent le plus librement dans les hautes sphères de la philosophie méthodologique, de la " conception du monde ". C’est pourquoi il est nécessaire de nettoyer l’édifice de la science du bas jusqu’en haut, ou plus exactement, du haut jusqu’en bas, car il faut commencer par les étages supérieurs. Il serait toutefois naïf de penser que le prolétariat, avant d’appliquer à l’édification socialiste la science héritée de la bourgeoisie, doit la soumettre entièrement à une révision critique. Ce serait à peu près la même chose que de dire, avec les moralistes utopiques : avant de construire une société nouvelle, le prolétariat doit s’élever à la hauteur de la morale communiste. En fait, le prolétariat transformera radicalement la morale, aussi bien que la science, seulement après qu’il aura construit la société nouvelle, fût-ce à l’état d’ébauche. Ne tombons-nous pas là dans un cercle vicieux ? Comment construire une société nouvelle à l’aide de la vieille science et de la vieille morale ? Il faut ici un peu de dialectique, de cette même dialectique que nous répandons à profusion dans la poésie lyrique, l’administration, la soupe aux choux et la kacha. Pour commencer à travailler, l’avant-garde prolétarienne a absolument besoin de certains points d’appui, de certaines méthodes scientifiques susceptibles de libérer la conscience du joug idéologique de la bourgeoisie ; en partie elle les possède déjà, en partie elle doit encore les acquérir. Elle a déjà éprouvé sa méthode fondamentale dans de nombreuses batailles et dans les conditions les plus variées. Il y a encore très loin de là à une science prolétarienne. La classe révolutionnaire ne peut interrompre son combat parce que le parti n’a pas encore décidé s’il doit accepter ou non l’hypothèse des électrons et des ions, la théorie psychanalytique de Freud, la génétique, les nouvelles découvertes mathématiques de la relativité, etc. Certes, après avoir conquis le pouvoir, le prolétariat aura des possibilités beaucoup plus grandes pour assimiler la science et la réviser. Mais là aussi, les choses sont plus aisément dites que faites. Il n’est pas question que le prolétariat ajourne l’édification du socialisme jusqu’à ce que ses nouveaux savants, dont beaucoup en sont encore à courir en culottes courtes, aient vérifié et épuré tous les instruments et toutes les voies de la connaissance. Rejetant ce qui est manifestement inutile, faux, réactionnaire, le prolétariat utilise dans les divers domaines de son œuvre d’édification les méthodes et les résultats de la science actuelle, en les prenant nécessairement avec le pourcentage d’éléments de classe, réactionnaires, qu’ils contiennent. Le résultat pratique se justifiera dans l’ensemble, parce que la pratique, soumise au contrôle des buts socialistes, opérera graduellement une vérification et une sélection de la théorie, de ses méthodes et de ses conclusions. Entre-temps auront grandi des savants éduqués dans les conditions nouvelles. De toute manière, le prolétariat devra amener son œuvre d’édification socialiste jusqu’à un niveau assez élevé, c’est-à-dire jusqu’à une satisfaction réelle des besoins matériels et culturels de la société, avant de pouvoir entreprendre le nettoyage général de la science, du haut jusqu’en bas. Je n’entends rien dire par là contre le travail de critique marxiste que de nombreux petits cercles et des séminaires s’efforcent de réaliser dans divers domaines. Ce travail est nécessaire et fructueux. Il doit être étendu et approfondi de toutes les manières. Nous devons conserver toutefois le sens marxiste de la mesure pour apprécier le poids spécifique qu’ont aujourd’hui ces expériences et ces tentatives par rapport à la dimension générale de notre travail historique. »

Léon Trotsky, Littérature et révolution

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