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Extraits de romans sur le prolétariat

25 janvier 2015, 13:20

La maison du peuple, de Louis Guilloux

Il se remit à taper sur son cuir. Il maniait le marteau avec violence. Les coups tombaient, nets sur la pierre noire, arrondie aux bords, et creusée au milieu par l’usage, une pierre rapportée de la grève il y avait des années. Ma mère écoutait le marteau sonner sur la pierre. Elle avait appris à reconnaître que le marteau avait un langage, et qu’il ne disait pas toujours les mêmes choses. Il y avait des jours où il était joyeux et d’autres où il était triste. Il y avait aussi des jours où il était violent comme l’orage et défiait le monde entier….

Un soir, Le Brix était venu le voir, comme d’habitude, la journée faite. Kernevel somnolait. Le Brix avait doucement posé sur la table de nuit quelques oranges et s’était retiré sans bruit. Kernevel n’avait pas bougé. Il avait bien entendu son camarade, mais, se croyant sur le point de s’endormir, il ne l’avait pas appelé. Or le sommeil ne vint pas. Quelques instants après le départ de Le Brix, Jean Kernevel se retourna dans son lit et ouvrit les yeux. La lampe était allumée. C’était la fin d’une journée d’octobre, silencieuse, brouillée de pluie. Il regretta d’avoir laissé partir Le Brix. Il eût souhaité une présence : « Qu’est-ce que j’ai ? se dit-il, qu’est-ce qui me prend ? » Une paix lui venait, un grand sentiment de tendresse. Il jeta un long regard sur la chambre, et soudain des larmes lui coulèrent de ses yeux. Ce n’était pas, comme les autres fois, des larmes de regret. Il ne pleurait pas sur lui-même et sur sa mort prochaine. C’était des larmes de bonheur. Il ne savait pas d’où elles venaient. Il les acceptait avec reconnaissance. Il regardait l’armoire, la commode, la table, et ses larmes coulaient avec abondance. Il ne les essuyait pas : « Qu’est-ce que j’ai, murmurait-il, qu’est-ce que j’ai ? » Il avait entendu dire qu’au moment de la mort les malades connaissaient une trêve. « Est-ce cela ? Est-ce que je vais mourir déjà, tout seul ? » Si c’était cela, la mort était un grand bonheur. Il pensait à sa vie, et il ne regrettait rien. Il lui semblait posséder l’amitié de tous ceux qu’il avait aimés comme ils possédaient la sienne. Le reste ne comptait pas. Il s’était soulevé dans son lit pour mieux voir ses vieux meubles, l’armoire surtout, qui avait appartenu à sa mère et avant elle à sa grand-mère. Ses cuivres étaient ternis depuis qu’il était couché. Il se reprocha de n’avoir pas prié Marie de leur donner un petit coup d’astique. D tendait le bras, allongeait les doigts comme pour toucher encore une fois ces choses. Dans le tiroir de la commode était le livret militaire de son père, son carnet de paye. Il se mit à penser à son père comme à un camarade... Il s’endormit et pour la première fois goûta un peu de vrai repos. Son sommeil fut calme, sans cauchemars, et quand il se réveilla, deux ou trois heures plus tard, il poussa un soupir de regret à l’idée que c’en était déjà fini de ce bonheur. La lampe brûlait toujours….

Un soir, il leur dit : « Nous ne ferons rien que par nous-mêmes. Il nous faut une maison... une Maison du Peuple, où faire nos conférences, abriter nos syndicats... »

Louis GUILLOUX, La Maison du peuple.

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