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Que penser des intellectuels staliniens ?

28 août 2015, 07:52

Benjamin Péret, depuis son exil mexicain, répond dans ce texte, court mais percutant, au troisième volume publié en juillet 1943 par les clandestines éditions de Minuit, l’Honneur des poètes, qui rassemblait des poèmes de Résistance écrits par Aragon, Eluard, Pierre Seghers, Jean Tardieu, André Frénaud, Francis Ponge, Charles Vildrac, Loys Masson, Pierre Emmanuel et quelques autres. Pour Benjamin Péret, il s’agit de poésie de propagande et il n’y a pire utilisation de la poésie que celle que peut en faire la propagande. « Pas un des ces poèmes, écrit-il, ne dépasse le niveau lyrique de la publicité pharmaceutique et ce n’est pas un hasard si leurs auteurs ont cru devoir, en leur immense majorité, revenir à la rime et à l’alexandrin classiques. La forme et le contenu gardent nécessairement entre eux un rapport des plus étroits et, dans ces vers, réagissent l’un sur l’autre dans une course éperdue à la pire réaction. Il est en effet significatif que la plupart de ces textes associent étroitement le christianisme et le nationalisme comme s’ils voulaient montrer que dogme religieux et dogme nationaliste ont une commune origine et une fonction sociale identique. (...) En définitive l’honneur de ces poètes consiste à cesser d’être des poètes pour devenir des agents de publicité. »

Les fantômes de la religion et de la patrie Benjamin Péret s’en prend ensuite nommément à plusieurs auteurs du recueil : à Loys Masson, qui « se limite à broder sur le catéchisme », à Aragon qui, bien qu’« habitué aux amens et à l’encensoir stalinien », « ne réussit cependant pas aussi bien que les précédents à allier Dieu et la patrie », mais surtout à Paul Eluard, qu’il tient toutefois pour le « seul » poète de l’anthologie mais dont le poème Liberté lui paraît la forme « la plus achevée » de « litanie civique ». Benjamin Péret ne se contente pas d’un ton pamphlétaire, il argumente : « Apollinaire, explique-t-il, avait voulu considérer la guerre comme un sujet poétique. Mais si la guerre, en tant que combat et dégagée de tout esprit nationaliste, peut à la rigueur demeurer un sujet poétique, il n’en est pas de même d’un mot d’ordre nationaliste, la nation en question fût-elle, comme la France, sauvagement opprimée par les nazis. L’expulsion de l’oppresseur et la propagande en ce sens sont du ressort de l’action politique, sociale ou militaire, selon qu’on envisage cette expulsion d’une manière ou d’une autre. En tout cas, la poésie n’a pas à intervenir dans le débat autrement que par son action propre, par sa signification culturelle même, quitte aux poètes à participer en tant que révolutionnaires à la déroute de l’adversaire nazi par des méthodes révolutionnaires, sans jamais oublier que cette oppression correspondait au voeu, avoué ou non, de tous les ennemis nationaux d’abord, étrangers ensuite de la poésie comprise comme libération totale de l’esprit humain... » Conclusion : « La liberté est comme un appel d’air, disait André Breton, et pour remplir son rôle, cet appel d’air doit d’abord emporter tous les miasmes du passé qui infestent cette brochure. Tant que les fantômes malveillants de la religion et de la patrie heurteront l’aire sociale et intellectuelle sous quelque déguisement qu’ils empruntent, aucune liberté ne sera concevable : leur expulsion préalable est une des conditions capitales de l’avènement de la liberté. »

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