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Littérature et révolution

15 juillet 2009, 13:38, par MOSHE

Pages à pages
L’Espèce fabulatrice de Nancy Huston L’Espèce fabulatrice, Nancy Huston, roman

Catégorie Littérature étrangère -Essai-

Parution le 5 mai 2008

L’Espèce fabulatrice est une réflexion, un essai.

Nancy Huston est de ces auteurs qui saisissent par leur cran (il suffit de lire, pour le mesurer, son superbe Dolce Agonia ou le récent Lignes de failles, prix Femina 2006).

Elle s’attaque ici à un thème intime pour elle, crucial : l’Homme et le roman.

Sa réflexion s’appuie d’abord sur des constats simples, voire simplistes, et qui pourraient presque décevoir en début de lecture. Oui, l’être humain se différencie de l’animal par la narration. Il est l’Espèce fabulatrice. Oui, l’être humain se construit par et dans la transmission de contes, d’épopées, de visions du futur, du passé, de récits fondateurs et mythiques.

Au moment où l’on se demande où veut aller Nancy Huston, elle oriente son raisonnement vers le Sens, le sens ultime, celui que nous cherchons partout, désespérément, depuis l’aube de l’humanité. Que ce soit dans la foudre, colère de Zeus, dans les entrailles d’un poulet, dans la vénération de divinités, la construction des cathédrales, dans la connaissance scientifique, dans l’organisation d’une pensée philosophique et jusqu’aux prévisions des économistes et des politiques, trouver du sens est notre quête, toujours renouvelée, car notre seule parade à l’effrayante conscience que nous avons d’être mortels.

Nous développons ainsi un tel besoin d’histoires pour donner sens à nos vies, que les fictions nous nourrissent autant que nous les nourrissons. Et ces fictions, loin d’être fictives, sont on ne peut plus réelles.

« Aucun groupement humain n’a jamais été découvert circulant tranquillement dans le réel à la manière des autres animaux : sans religion, sans tabou, sans rituel, sans généalogie, sans contes, sans magie, sans histoires, sans recours à l’imaginaire, c’est-à-dire sans fictions. »

Nous sommes ces fictions :

« Accueillir un enfant c’est, à travers des histoires, lui ménager une place à l’intérieur de plusieurs cercles concentriques : famille/ethnie/Eglise/clan/tribu/pays…

Pour qu’advienne son je, on doit le faire exister au milieu de plusieurs nous. Avec, toujours, plus ou moins proches et menaçants, des ils.

Tu es des nôtres. Les autres, c’est l’ennemi. Voilà l’Arché-texte de l’espèce humaine, archaïque et archipuissant. Structure de base de tous les récits primitifs, depuis La guerre du feu jusqu’à La guerre des étoiles. »

Nancy Huston établit donc une échelle entre toutes les fictions qui composent notre colonne vertébrale. Elle affine sa pensée. Les Arché-textes sont la base, le ciment initial qui nous définit comme espèce humaine. Néfastes, c’est d’eux que naissent méfiances, clivages, désignation de boucs émissaires, volonté de puissance, de vengeance, affrontements, violences, guerres…

C’est l’ouverture et le contact entre les différentes fictions humaines qui les rendent moins dangereuses. Savoir d’où viennent et ce que sont nos fictions nous donne le choix, la liberté de nous en extraire. L’enrichissement des multiplicités de point de vue ne peut que nous élever au-dessus, et au-dessus encore du degré zéro de la survie de l’espèce, du primitif.

Et cela jusqu’à la fiction la plus civilisée qui soit, la plus fine – et c’est là toute la force du propos de Nancy Huston – la plus propre à ouvrir l’homme à la fois sur autrui et sur lui-même : le roman.

« Seul le roman combine ces deux éléments que sont la narration et la solitude. Il épouse la narrativité de chaque existence humaine, mais, tant chez l’auteur que chez le lecteur, exige silence et isolement, autorise interruption, réflexion et reprise. […]

Seule de tous les arts, la littérature nous permet d’explorer l’intériorité d’autrui. C’est là son apanage souverain, et sa valeur. Inestimable, irremplaçable. »

C’est en romancière que l’auteur parle. Dans L’Espèce fabulatrice, elle met au jour l’unicité de la littérature, son intelligence, l’ampleur cachée de son impact. Lire n’est pas anodin.

Elle invite à l’entendre et donne – et c’est bien d’un don qu’il s’agit – au fur et à mesure qu’elle égrène parallèles et anecdotes, sa réponse à la question, somme toute banale et mille fois posée : « Pourquoi écrivez-vous ? ».

L’acuité de sa réponse est incontestable. Effet miroir, sa méditation pousse à se formuler un « Pourquoi lisons-nous ? » aussi personnel qu’essentiel.

Qui sommes nous ? Une construction complexe et fabuleuse, un cheminement, une évolution. C’est pourquoi nous lisons ou nous écrivons. C’est aussi pourquoi certains auteurs, ceux de la trempe d’une Nancy Huston, ne manquent pas de devenir « inestimables, irremplaçables »… infiniment nécessaires.

L’Espèce fabulatrice chez acte sud

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