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Quand la bourgeoisie voulait faire crever de faim autant qu’étouffer sous les calomnies le révolutionnaire Karl Marx…

3 avril 2018, 07:32

Karl Marx et Friedrich Engels au rédacteur en chef du « Times » (et envoyée aussi au « Daily News » - aucun des deux ne les publia…)

Londres, le 29 janvier 1852

Monsieur,

(…) Permettez-moi de soumettre à l’opinion publique, par l’intermédiaire de votre journal, un fait prouvant qu’en Prusse les juges ne se distinguent en rien des hommes de main de Louis-Napoléon.

Vous savez quel précieux moyen de gouvernement peut être un complot bien monté, si on le « sert » au moment opportun. Au début de l’an passé, le gouvernement prussien avait besoin d’un complot de ce genre pour s’assurer la docilité de son Parlement. En conséquence de quoi un nombre respectable de personnes furent arrêtées et la police mise en branle dans l’Allemagne entière. Mais on ne trouva rien du tout et en fin de compte on ne maintint en détention que quelques personnes de Cologne, sous prétexte qu’elles auraient été les chefs d’une organisation révolutionnaire aux vastes ramifications. Pour l’essentiel, il s’agit du Dr. Becker et du Dr. Bürgers, deux journalistes, du Dr. Daniels, Dr. Jacobi et Dr. Klein trois médecins praticiens, dont deux remplissent avec honneur les fonctions difficiles de médecins des pauvres et de M. Otto, directeur d’une entreprise chimique, bien connu dans son pays pour les résultats qu’il a obtenus dans le domaine de la chimie. Mais comme il n’existait pas de preuves contre eux on s’attendait chaque jour à leur mise en liberté. Or, tandis qu’ils étaient en prison, fut promulguée la « loi disciplinaire » qui donne au gouvernement la possibilité de se débarrasser par une procédure très expéditive de tout fonctionnaire de justice qui lui déplaît.

L’effet de cette loi sur l’instruction du procès des susnommés, qui jusqu’alors traînait, a été quasi instantané. On ne s’est pas borné à les mettre au secret, à leur interdire toute correspondance entre eux ou avec leurs familles et à leur refuser des livres et de quoi écrire (ce qui en Prusse est accordé au plus fieffé filou tant qu’il n’est pas condamné) : l’ensemble de la procédure a pris, de ce moment, un caractère tout différent.

La Chambre du Conseil (vous savez qu’à Cologne nous sommes jugés en application du Code Napoléon) se déclara aussitôt prête à les mettre en accusation et l’affaire vint devant le Sénat des mises en accusation, collège de juges qui remplit les fonctions du Grand Jury en Angleterre. Je vous prie de me permettre d’attirer votre attention sur l’arrêt de ce collège qui n’a pas de pareil. Dans ce jugement on lit l’extraordinaire passage que voici (je le traduis littéralement) :

« Attendu qu’il n’a pas été produit de preuves indiscutables et que dès lors, puisque la preuve d’un délit n’a pas été apportée il n’existe pas de motif de maintenir en accusation » (vous supposez que la conclusion nécessaire est : les accusés doivent être remis en liberté ? Pas question !) « tous les actes et les pièces du dossier doivent être remis au juge d’instruction pour qu’il procède à une nouvelle instruction. »

Cela signifie donc, qu’après dix mois de détention pendant lesquels ni le zèle de la police ni la perspicacité du procureur n’ont pu prouver l’ombre du moindre délit, toute la procédure doit recommencer depuis le début, pour être, qui sait, après une seconde année d’enquête, renvoyée une troisième fois au juge d’instruction.

Comment expliquer que l’on foule aux pieds la loi si ouvertement : le gouvernement est en train de préparer la constitution d’une Haute Cour composée des éléments les plus dociles. Comme devant les Assises il ferait sans aucun doute fiasco, le gouvernement est forcé de retarder l’ouverture de ce procès jusqu’au jour où l’affaire pourra venir devant cette nouvelle juridiction, qui naturellement donnera toutes garanties à la Couronne en n’en donnant aucune aux accusés.

Ne serait-il pas plus honorable pour le gouvernement prussien de prononcer sans plus tarder sa sentence contre les prévenus par décret royal, comme l’a fait Monsieur Louis Bonaparte ?

Je reste, Monsieur, votre très dévoué serviteur.

Un Prussien

Karl Marx

Lettre de Engels à Wedemeyer

Manchester, le 30 janvier 1852

Cher Weydemeyer,

(…)

Les prisonniers de Cologne sont dans une situation grave. Comme il n’y a absolument rien contre eux, la Chambre des mises en accusation ne les a ni libérés ni traduits devant la Cour d’Assises, mais a renvoyé l’affaire au premier juge d’instruction pour une nouvelle enquête ! C’est-à-dire qu’ils resteront provisoirement sous les verrous, sans livres, sans lettres, sans communication entre eux ni avec le monde extérieur, jusqu’à ce que le nouveau Tribunal d’Etat soit fin prêt. Nous essayons justement de dénoncer cette infamie dans la presse bourgeoise d’Angleterre.

Bien des amitiés,

Ton.

F. Engels

Lettre de Jenny Marx (à Londres) à Adolf Cluss (à Washington) :

Cher Monsieur Cluss,

Vous avez sans doute suivi le procès monstre des communistes dans la « Kölnische Zeitung ». Avec la séance du 23 octobre tout a pris une tournure si magnifique, si intéressante et si favorable aux accusés, que nous reprenons un peu confiance (1). Vous pouvez imaginer que le « parti de Marx » travaille jour et nuit et qu’il doit donner de la tête, des pieds et des mains. Cette surcharge de travail explique aussi pourquoi vous me retrouvez aujourd’hui faisant fonction de correspondant par intérim. Monsieur Dietz, intime de Monsieur Willich, et qui se trouve aussi désormais en Amérique, s’est fait voler tous les documents, lettres, procès verbaux, etc., etc. de la clique de Willich. Ils ont été produits par l’accusation comme preuve des activités dangereuses du parti. Pour établir une corrélation entre les accusés et tout cela on a inventé des liens qui n’existent pas entre mon mari et Cherval, cet espion notoire. Mon mari devenait ainsi le pont, le chaînon manquant entre les hommes de Cologne, les théoriciens, et ceux de Londres, les hommes de l’action, les pilleurs et incendiaires. Stieber et l’accusation se promettaient de cette machination qu’elle fasse l’effet d’une bombe. Ça a été un pétard mouillé. Il fallait d’autres coups de théâtre et on a donc fabriqué le tissu de mensonges de l’audience du 23 octobre. Tout ce que la police a allégué n’est que mensonge. Elle vole, fait des faux, force les secrétaires, prête de faux serments, fait de faux témoignages et pour couronner le tout prétend à tous les droits contre les communistes qui sont « hors la société » ! (…)

(1) Au cours de la séance du 23 octobre 1852, Stieber présenta au tribunal un « registre des procès-verbaux ». Mais contre toute attente, la production de cette « preuve », qui était, selon le tribunal, « une falsification manifeste », contribua à renforcer la position de la défense en lui donnant une nouvelle occasion de dénoncer tous les faux de l’acte d’accusation.

Déclaration de Marx et Engels sur le procès de Cologne (lettre au « Morning Adviser » publiée le 29 novembre 1852) :

Londres, le 20 novembre 1852

Au rédacteur en chef du Morning Adviser,

Monsieur,

Les soussignés ont le sentiment de remplir un devoir envers eux-mêmes et envers leurs amis récemment condamnés à Cologne, en soumettant au public anglais une série de faits en relation avec le procès monstrueux qui vient d’avoir lieu dans cette ville et sur lequel la presse londonienne n’a donné que des informations insuffisantes.

On a passé dix-huit mois à préparer des preuves pour le procès. Pendant tout ce temps nos amis ont été maintenus en cellule, privés de toute possibilité de s’occuper, même de livres ; s’ils tombaient malades, on leur refusait le secours d’un médecin normal ou, s’ils l’obtenaient, l’état dans lequel ils se trouvaient faisait qu’ils n’en tiraient nul profit. Même après leur avoir communiqué les « actes d’accusation » on leur a interdit – ce qui est contraire à la loi – de se concerter avec leurs avocats. Et quels prétextes avançait-on pour justifier cette détention cruelle et prolongée ? Au terme des neuf premiers mois, la « Chambre des mises en accusation » déclara qu’il n’existait pas de base objective justifiant l’accusation et que l’enquête devait donc être reprise. On recommença à zéro. Trois mois plus tard, à l’ouverture de la session des Assises, l’avocat général prétexta que le dossier s’était enflé à un point tel qu’il n’avait pu étudier la masse des documents à charge. Et après trois nouveaux mois, le procès fut encore remis, cette fois parce qu’un des principaux témoins du gouvernement était malade.

La véritable raison de tous ces retards était la peur du gouvernement prussien de devoir confronter la maigreur des faits aux « révélations sensationnelles » qu’on avait annoncées à son de trompe. Finalement le gouvernement réussit à mettre sur pied un jury tel que la province rhénane n’en avait jamais vu, composé de six nobles réactionnaires, de quatre membres de la haute finance et de deux membres de la bureaucratie prussienne ;

En quoi consistaient les preuves soumises à ce jury ? En tout et pour tout les proclamations absurdes et les lettres d’un groupe d’illuminés ignorants, de conspirateurs qui voulaient faire les importants, d’hommes de main, complices d’un certain Cherval, qui a avoué être au service de la police… Mais voilà que le procès de Cologne apporta la preuve que ces conspirateurs et leur agent parisien Cherval étaient précisément les adversaires politiques des accusés et de leurs amis de Londres qui s’adressent aujourd’hui à vous…

Et tandis que de la sorte on rendait les accusés de Cologne responsables des actes de leurs ennemis déclarés, le gouvernement fit venir les amis jurés de Cherval et de ses alliés, non pour les placer comme les prévenus dans le box des accusés, mais pour les citer à la barre des témoins et les faire déposer contre les accusés. Mais cela fit une impression par trop mauvaise. L’opinion publique contraignit le gouvernement à se mettre en quête de preuves moins équivoques.

Sous la direction d’un certain Stieber, témoin principal du gouvernement à Cologne, qui était conseiller de police royal et chef de la police criminelle de Berlin, tout l’appareil de la police fut alors mis en branle. A la séance du 23 octobre, Stieber annonça qu’un courrier spécial de Londres lui avait apporté des documents d’une extrême importance qui prouvaient irréfutablement que les accusés avaient participé avec les soussignés à une prétendue conjuration. « Entre autres documents, dit-il, ce courrier lui avait apporté le registre où étaient consignés les procès-verbaux des séances de la société secrète, présidée par le Dr. Marx, avec qui les accusés avaient correspondu. »

Cependant, Stieber s’enferra, donnant des indications contradictoires sur la date à laquelle le courrier serait arrivé…

En ce qui concerne le registre des procès-verbaux, Stieber déclara à deux reprises, sous la foi du serment, qu’il s’agissait du « registre authentique de la Ligue des Communistes de Londres », mais par la suite, poussé dans ses retranchements par la défense, il a reconnu qu’il pouvait s’agir d’un simple carnet, sur lequel un de ses mouchards avait mis la main. Finalement, il apparut que ce registre, de l’aveu même de Stieber, était un faux délibéré et on attribua sa fabrication à trois agents londoniens de Stieber : Greif, Fleury et Hirsch… Sur ce point, les preuves apportées à Cologne étaient si concluantes que le procureur lui-même qualifia cet important document de Stieber de « registre vraiment malheureux », de faux pur et simple…

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