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Inerte, la matière non vivante ?!!!

10 septembre 2018, 06:44

« Un état immobile de la matière s’avère ainsi être une des idées les plus creuses et les plus saugrenues, une pure “ imagination délirante ”. Pour en arriver là, il faut se représenter l’équilibre mécanique relatif dans lequel un corps peut se trouver sur la terre comme un repos absolu, et le reporter ensuite sur l’ensemble de l’univers. Il est vrai que cela devient plus facile si l’on réduit le mouvement universel à la seule énergie mécanique. Et puis, la limitation du mouvement à la seule énergie mécanique présente encore l’avantage que l’on peut se représenter une énergie comme au repos, enchaînée, donc momentanément inactive. Si, en effet, la transmission d’un mouvement, ce qui est très souvent le cas, est un processus un peu compliqué où interviennent divers intermédiaires, on peut différer la transmission réelle jusqu’à un moment quelconque en escamotant le dernier anneau de la chaîne. Ainsi, par exemple, si l’on charge un fusil et qu’on se réserve le moment où, en tirant sur la gâchette, on provoquera la décharge, c’est-à-dire la transmission du mouvement libéré par la combustion de la poudre. On peut donc se représenter que pendant l’état immobile identique à lui-même, la matière a été chargée d’énergie, et c’est ce que M. Dühring semble entendre, si toutefois il entend par là quelque chose, par l’unité de la matière et de l’énergie mécanique. Conception absurde, puisqu’elle reporte comme absolu sur l’univers un état qui, par nature, est relatif et qui ne peut donc jamais s’appliquer au même moment qu’à une partie de la matière seulement. Même si nous faisons abstraction de cela, la difficulté reste toujours de savoir, premièrement, comment le monde en est venu à être chargé, puisqu’aujourd’hui les fusils ne se chargent pas tout seuls, et deuxièmement, à qui appartient le doigt qui a alors pressé sur la gâchette. Nous avons beau dire et beau faire : sous la conduite de M. Dühring, nous en revenons toujours au ... doigt de Dieu… Dans la mécanique ordinaire, le pont du statique au dynamique est... l’impulsion de l’extérieur. Lorsqu’une pierre d’un quintal est élevée à dix mètres de hauteur et suspendue en position libre de telle sorte qu’elle reste là dans un état identique à lui-même, dans un état de repos, il faut faire appel à un public de nourrissons pour pouvoir prétendre que la position actuelle de ce corps ne représente pas de travail mécanique ou que la distance entre cette position et la position antérieure ne se mesure pas eh travail mécanique. Le premier passant venu fera comprendre sans peine à M. Dühring que la pierre n’est pas allée toute seule s’accrocher là-haut à la corde, et le premier manuel de mécanique venu pourra lui dire que, s’il laisse retomber la pierre, elle produira en tombant autant de travail mécanique qu’il en fallait pour l’élever de dix mètres. Même le fait, simple entre tous, que la pierre est suspendue là-haut représente du travail mécanique, car si elle reste suspendue un temps suffisamment long, la corde se rompt dès que, par suite de décomposition chimique, elle n’est plus assez forte pour porter la pierre. Or, tous les processus mécaniques peuvent se réduire, pour parler comme M. Dühring, à des formes fondamentales simples comme celle-ci, et l’ingénieur est encore à naître qui sera incapable de trouver le pont du statique au dynamique, tant qu’il dispose d’une impulsion suffisante. Certes, c’est une noix bien dure et une pilule bien amère pour notre métaphysicien, que le mouvement doive trouver sa mesure dans son contraire, le repos. C’est là une contradiction criante et, selon M. Dühring, toute contradiction est contre-raison. C’est pourtant un fait que la pierre suspendue représente une quantité de mouvement mécanique déterminée, mesurable exactement par le poids de la pierre et son éloignement du sol, et utilisable à volonté, - par exemple par chute libre, par glissement sur le plan incliné, par mouvement d’un treuil, - et il en va de même du fusil chargé. Pour la conception dialectique, la possibilité d’exprimer le mouvement en son contraire, le repos, ne présente absolument aucune difficulté. Pour elle, toute cette opposition, comme nous l’avons vu, n’est que relative ; point de repos absolu, d’équilibre inconditionnel. Le mouvement singulier tend vers l’équilibre, le mouvement d’ensemble supprime à nouveau l’équilibre. Aussi, le repos et l’équilibre, là où ils se rencontrent, sont-ils le résultat d’un mouvement limité et il va sans dire que ce mouvement peut se mesurer par son résultat, s’exprimer en lui et, en partant de lui se rétablir sous l’une ou l’autre forme. Mais M. Dühring ne saurait se contenter d’une représentation aussi simple de la chose. En bon métaphysicien, il commence par ouvrir entre le mouvement et l’équilibre un abîme béant, qui n’existe pas dans la réalité, et il s’étonne ensuite de ne pas trouver de pont pour franchir cet abîme qu’il a fabriqué de toutes pièces. Il pourrait tout aussi bien enfourcher son dada métaphysique et partir à la poursuite de la “ Chose en soi ” de Kant ; car c’est elle et rien d’autre qui, en fin de compte, se cache derrière cet introuvable pont. »

Friedrich Engels, « L’Anti-Dühring »

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