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Renault et ses mensonges aux travailleurs

22 novembre 2016, 14:37

La Voix des Travailleurs de Renault en mars 1948 :

CHEZ RENAULT

A quand notre rappel ?

Après de nombreux et savants calculs, la direction a trouvé que le salaire de base d’un O.S.2 passait de 40 fr.30 à 43 fr.9O. Elle nous a donné, fin janvier, un acompte qui varie selon le nombre d’heures de 1.200 à 2.000 francs. Mais, à la mi-mars, l’augmentation elle-même n’est pas encore régularisée. Probablement que la direction n’a pas encore trouvé le temps de calculer ce qui revient à chaque ouvrier. Il est vrai que les feuilles de paye sont tellement compliquées...

Peut-être les ouvriers s’illusionnent-ils sur la somme qui leur est due ? Car, tout compte fait, après l’acompte de 5 francs de l’heure pour les O.S.2 il ne doit pas rester grand’ chose à toucher.

Mais la direction est astucieuse. Au mois de janvier, elle a arrangé son affaire pour réduire l’augmentation à presque rien. Mais, pour ne pas nous décevoir de trop (les déceptions nuisent à la production), elle nous a gratifiés d’un acompte. Le reste viendrait ensuite. Et maintenant, puisque avec notre paie nous ne sommes pas encore morts de faim, elle peut bien nous avouer ce qui nous reste à toucher : c’est rien ou presque rien.

Néanmoins, cette astuce n’est pas sans profit pour la direction. Les quelques billets de 100 francs qu’on nous doit, multipliés par 30.000, cela fait une somme appréciable qui travaille au bénéfice du patron. De plus, depuis des semaines que traîne cette affaire, de nombreux ouvriers, en quittant l’usine, perdront plusieurs centaines de francs.

Quant aux ouvriers qui étaient absents le jour où l’acompte a été distribué, ils attendent toujours que la direction s’y retrouve dans ses comptes.

"Il faut augmenter les cadences", dit M. Lefaucheux dans son bulletin de janvier-février.

Et la cadence de la paye ?

A la fonderie

Les chauffeurs de four réverbère du département 47, à la fonderie, travaillent en sabots, comme tant d’autres, toute la journée. Mais l’incessant va-et-vient qu’exige leur travail rend ces chaussures encore plus pesantes et incommodes pour leurs pieds. Aussi, ont-ils maintes et maintes fois réclamé l’attribution de chaussons et de guêtres de protection contre les étincelles auxquelles ils ont droit. Ils n’ont cependant jamais rien pu obtenir et leurs revendications se sont heurtées sans cesse au même refus, en partie grâce à la tiédeur du délégué cégétiste du département.

Un ouvrier de ce département, las d’attendre en vain, obligea, il y a quelques mois, le délégué Cheridy, aujourd’hui parti de l’usine, à l’accompagner à la Sécurité sociale, chargée de l’attribution de ces chaussons et guêtres. L’ouvrier ayant d’abord obtenu gain de cause, vit sa demande rejetée aussitôt d’une façon tout à fait inattendue. Le délégue fit, en effet, remarquer que : "s’il travaillait en chaussons, des étincelles pouvaient brûler ses pieds et cela obligerait à "se mettre aux assurances sociales".

Est-ce l’attitude que doit avoir un délégué ouvrier ? Et M. Cheridy fut-il chargé, alors, de défendre les revendications posées par les ouvriers ou bien les intérêts du patron ? Alors que la Sécurité sociale elle-même accordait ces chaussons, avait-il besoin de se faire son avocat malgré elle ? Mais ces messieurs les cégétistes ont professé, il y a peu de temps, un tel zèle pro-patronal qu’ils en sont devenus plus royalistes que le roi.

Les chauffeurs du département ont besoin dans leur travail de chaussons et de guêtres. Il faut que notre nouveau délégué pose cette revendication et que nous l’obligions à le faire, car nous l’avons élu pour nous servir et non pour servir le patron. Et s’il ne le fait pas, nous saurons obtenir satisfaction nous-mêmes.

Au Département 49

Au département 49, aux pompes, depuis le 2 mars, les ouvriers commencent à 6 h.30 du matin au lieu de 7 h.30. Par suite de la mauvaise qualité des matières premières, ils ont été obligés de travailler une heure de plus par jour pour que ceux du montage ne restent pas sans travail. Cependant, depuis huit jours, le retard est rattrapé ; mais la direction ne parle pas de rétablir l’ancien horaire. La grosse majorité des ouvriers (20 sur 22, à l’exception de deux cégétistes) ne voulant plus venir à 6 h.30, le chef d’équipe a essayé de les "convaincre" un à un, les prévenant qu’ils auraient des ennuis et seraient sûrement obligés de faire équipe. Mais les ouvriers sont décidés à rétablir, eux-mêmes, d’office, l’ancien horaire.

Tous les prétextes sont bons pour les obliger à travailler toujours davantage.

Comme nous l’expliquions dans l’article : "A quand notre rappel ?", nulle part chez Renault, les ouvriers ne savent à quoi s’en tenir quant à la dernière augmentation de salaires. Au 49, ils n’ont, paraît-il, plus rien à toucher, en raison des prêts qui leur ont été avancés à plusieurs reprises. Or, étant donné qu’on ne peut rien comprendre aux feuilles de paye, il est pratiquement impossible de se rendre compte s’ils ont, oui ou non, touché leur dû...

Mais ce sur quoi les ouvriers sont parfaitement fixés : c’est sur l’impôt sur le "revenu" dont les feuilles commencent à tomber chez plusieurs d’entr’eux. Sur un salaire annuel d’O.S. de 100.000 francs environ (c’est-à-dire à peu près 9.000 fr. par mois), 4.000 francs ont déjà été retenus. Et le gouvernement considère encore que ce n’est pas suffisant. Il classe le salaire d’un O.S. dans la catégorie des "revenus" imposables. En fait de "revenu", l’ouvrier n’arrive même pas à vivre avec son salaire. Où prendra-t-il l’argent pour payer les impôts ?
UNIFICATION DES SALAIRES !

Le principe "à travail égal, salaire égal" est théoriquement reconnu par le patronat et le gouvernement. Cette revendication, qui avait surtout pour but de réclamer pour les jeunes et les femmes, qui faisaient le même travail que les hommes, un salaire identique, doit, à plus forte raison, être appliquée à tous les ouvriers. Mais en même temps qu’il a reconnu le principe "à travail égal, salaire égal", le patronat a également appliqué le système des catégories. Ce qui, pratiquement, lui permet d’établir des différences de salaires en prétextant que le travail n’est pas le même.

C’est ainsi que chez Renault aucun ouvrier ne gagne la même chose. La seule catégorie de P1 a sept sous-catégories.

Aux fonderies, à l’atelier 19, les ouvriers qui font un roulement de jour et de nuit comme chauffeurs de fours-réverbères et comme fondeurs au cubilot ont touché, à la dernière paye, 94 fr.34 de l’heure. A l’atelier 82, par contre, où les ouvriers, comme au 19, sont des P1, mais ne font que le travail de fondeurs au cubilot, et travaillent toujours de jour, ils ont touché, la même quinzaine, 110 fr.90 de l’heure.

Au département 6, à l’atelier 31, les O.S.2 sont payés en moyenne 78 francs de l’heure. Certains descendent jusqu’à 72 francs, tandis qu’à l’atelier 317 les ouvriers arrivent à un salaire de 82 et 83 francs. La maîtrise explique ceci par le fait que certains ateliers sont plus "riches" que d’autres.

En effet, les départements, et même les ateliers, ont un budget séparé et jouissent d’une certaine autonomie. Les ouvriers qui n’arrivent pas à faire leur cadence, du fait du mauvais fonctionnement des machines, sont payés par bons jaunes.

Or, les bons jaunes sont imputables au budget de l’atelier. Si bien que dans un atelier où il y a de nombreuses vieilles machines, tombant toujours en panne, le contremaître qui aura de nombreux bons jaunes, ne pourra pas payer les ouvriers à un taux élevé puisqu’il ne doit pas dépasser son budget. Au contraire, dans un atelier où les machines sont neuves, le contremaître pourra payer davantage ses ouvriers, puisque son budget ne sera pas grevé par les bons jaunes. Ce système permet, en fait, à la direction de retenir sur la paye des ouvriers le déficit causé par le mauvais outillage.

Les catégories (et les sous-catégories) ainsi que le chronométrage, ne sont que des systèmes pour justifier la liberté que prend le patron de payer les ouvriers ce qui lui plaît et de leur faire payer les frais du mauvais outillage, et du manque d’organisation. A travail égal, salaire égal !

Mais aussi unification des salaires !

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