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Léon Trotsky, le principal dirigeant de la révolution russe de 1917

30 janvier 2018, 06:07, par R.P.

« S’il est minuit dans le siècle » de Victor Serge :

On est les seuls hommes libres sur la terre socialiste, nous, sans passeports, sortant de prison, prêts à y retourner, astreints à l’enregistrement tous les cinq jours, nantis d’un papier administratif comme ceci :

U.R.S.S.

R.S.F.S.R.

Service Politique de l’Etat

Délégation de Tchernoë

Ne tient pas lieu de permis de séjour.

Certificat délivré au citoyen - - - - - - déporté par mesure administrative, en vertu d’une décision de la Conférence Spéciale du S.S.E.T. Tenu de se présenter tous les cinq jours au bureau du commandant. Défense lui est faite de s’écarter des limites de la ville à plus de cinq cents mètres.

Signé : Le Délégué du S.S.E.,

Le Secrétaire.

(Cachet, date, numéro d’ordre à l’encre rouge.)

Le plus difficile, c’est de se passer de caoutchoucs pendant la fonte des neiges ; et de se passer de manger quand on a faim le soir…

 La contre-révolution triomphe. Le temps est venu de former un nouveau parti ; pour une nouvelle lutte qui sera longue, étouffante, sanglante, - où nous périrons tous, - Rodion voit si clair que son visage en est crispé. Nous devrions nous évader, fabriquer de faux-passeports, créer des imprimeries clandestines, - recommencer… Un débat s’engage entre Elkine et Ryjik sur le front uni en Allemagne. Thaelman, annonçant la prise du pouvoir, repousse tout compromis avec les chefs social-démocrates, social-chauvins, social-patriotiques, social-traîtres, social-fascistes qui nous ont assassiné Rosa Luxemburg et Liebnecht : le front uni, nous le ferons avec les ouvriers social-démocrates révoltés par les turpitudes de leurs chefs. Nous vaincrons. Nous ferons du plébiscite nazi contre le gouvernement social-fasciste de Herr Otto Braun un plébiscite rouge ! Les voix des nazis seront submergées par celles du prolétariat. Ryjik dit :

 J’ai lu, ça pue la défaite. Les gens de l’appareil sont tellement aveulis qu’ils croient peut-être le tiers du quart de ce qu’ils disent. Tu verras qu’on leur fera dire demain exactement le contraire, quand il sera trop tard. Tu verras qu’ils préconiseront des gouvernements populaires, des fronts élargis, du faîte à la base, avec Scheidemann, avec Noske, s’il veut bien, avec les pires canailles qui ont naufragé la république allemande, tu verras : mais quand Hitler les enfermera les uns et les autres dans les mêmes camps de concentration…

Ryjig hésite à conclure. Tendre la main à Severing pourtant ! à Grzezinsli, le fusilleur de l’Alexanderplatz ! N’irions-nous pas à un jeu de dupes où nous perdrions tout ? Etre battus sans acoquinement, sans déshonneur, ne serait-ce pas préférable ?

 Dis donc, crois-tu que la Troisième Internationale d’aujourd’hui a les mains pures de sang ouvrier ? Entre nous, mon ami, je pense qu’un Neuman, rentré de Canton (1) où il a mené au massacre quelques milliers de coolies, un Manouilski, délégué du Comité Central qui a fusillé Iakov Blumkine et nous extermine en douce, un Kolarov ou Dimitrov, responsables des boucheries de Sofia (2), peuvent très bien serrer la main à Noske et à des Polizeipraesidents accoutumés à faire matraquer les chômeurs. Tu vas me dire que la classe ouvrière n’a pas grand-chose à gagner à leurs shakehands – mais tu te trompes peut-être. Puisqu’elle a malgré tout, foi en eux, la classe ouvrière ! Puisqu’elle ne peut pas, ne sait pas se passer d’eux !

Elkine dit encore :

 Les thèses du Vieux (3) sont justes, - pas d’autre chance de salut que l’unité de front, avec la social-démocratie, avec les Syndicats réformistes. Il est fou de prétendre arracher les masses aux chefs quand l’esprit prolétarien s’est stabilisé dans les vieux partis. Et quand, soi-même, on vaut à peine mieux que ceux que l’on dénonce !... Il y a encore des crétins qui disent qu’il faut laisser Hitler prendre le pouvoir, car il s’usera vite, fera banqueroute, mécontentera tout le monde, nous ouvrira les voies… Le Vieux a raison sur un autre point : c’est avant la prise du pouvoir qu’il faut se battre à mort. Après, il sera trop tard. Le pouvoir pris, Hitler le gardera, nous connaissons la manière. Et nous serons fichus pour longtemps ! Par contre-coup, la réaction bureaucratique se stabiliserait en U.R.S.S. pour dix ans peut-être…

 Il y a de singulières correspondances entre ces dictatures. Staline a fait la puissance d’Hitler en éloignant les classes moyennes du communisme par le cauchemar de la collectivisation forcée, de la famine, de la terreur contre les techniciens. Hitler, en faisant désespérer l’Europe du socialisme, ferait la puissance de Staline… Ces fossoyeurs sont faits pour s’entendre. Des frères ennemis. L’un enterre en Allemagne une démocratie avortée ; l’autre enterre en Russie une révolution victorieuse, née d’un prolétariat trop faible et livrée à elle-même par le reste du monde ; tous les deux mènent ceux qu’ils servent – bourgeoisie en Allemagne, bureaucratie chez nous, - au cataclysme…

Elkine eut un petit rire contenu.

 Attend voir, dit-il, Regarde ! Nom de Dieu ! je l’ai acheté sur le marché, à Tioumen, l’année passée, en cours de transfèrement, mon vieux. Je passais accompagné d’un brave bougre du bataillon spécial, je tombe en arrêt devant une vieille qui vendait ça avec du bric-à-brac. J’en ai eu pour un rouble, elle savait pas ce que c’est ; « - on peut presque pas fumer avec c’ papier-là » lui ai-je dit.

Ils tournèrent ensemble les premières pages, souriants. Le portrait de Léon Davidovitch les regarda bien en face, avec cette énergie intelligente qui lui barre le front, les lorgnons, les yeux d’une sorte d’éclair définitif.

 C’est ressemblant, fit Ryjik. Le principal, vois-tu, c’est qu’on ne le tue pas ! (…)

Mais peu importe maintenant le rythme de cette parole d’autrefois, l’ardeur précise de cette pensée liée aux événements pour les forcer, sans casse invoquant l’histoire pour l’accomplir. Le vieux texte vit parce qu’il exprime une fidélité, une nécessité. Il faut que quelqu’un ne trahisse pas. Beaucoup peuvent faiblir, se dédire, manquer à eux-mêmes, trahir, rien n’est perdu si quelqu’un reste debout. Tout est sauvé si c’est le plus grand. Celui-ci n’a jamais cédé, ne cèdera jamais ni à l’intrigue ni à la peur, ni à l’admiration, ni à l’insulte, ni même à la fatigue. Rien ne le séparera de la révolution triomphante ou vaincue, couvrant les foules de chants et de drapeaux rouges, entassant ses morts dans des fosses communes, au son des hymnes funèbres, ou réfugiée au cœur de quelques hommes dans des prisons couvertes de neige. Et qu’il se trompe ensuite, qu’il soit intraitable et impétueux, cela ne compte guère. L’essentiel est d’être sûr…

1- L’insurrection de Canton de 1927 a été provoquée par Staline pour cacher l’échec sanglant de sa politique criminelle. Lire ici

2- Ce sont les massacres inutiles de la révolution bulgare. voir ici

3- Le Vieux est Léon Trotsky

4- Koba est le surnom de Staline.

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