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L’auto-organisation ou l’ordre spontanément issu du désordre

31 octobre 2018, 06:51

Il faut porter un regard critique sur ce qui est considéré ordinairement comme les caractéristiques de l’auto-organisation (dont l’essentiel reste la puissance du feed-back et de la récursivité) :

L’absence de contrôle centralisé (compétition)

C’est le plus absurde, au moins outrancier. Il serait plus raisonnable de parler d’une pluralité de centres de décision (ou de contrôle distribué) et de processus initiés par la base (bottom-up) mais on ne peut se passer complètement d’une régulation centralisée, au moins en dernier recours, indispensable conscience de soi politique. Il faut opposer la coopération, qui est le principe de l’autogestion, à cette compétition généralisée.

Processus dynamiques (évolution temporelle)

Il est effectivement important de raisonner dynamiquement et de se situer dans une évolution historique mais il ne peut y avoir de dynamique sans régulation qui l’équilibre afin de garder une indispensable stabilité et cohérence interne.

Fluctuations (exploration d’options multiples)

La nécessité de la souplesse ou de la flexibilité s’impose sans doute mais là encore, il y a une limite. Il faut pouvoir s’appuyer sur des fondations solides et une certaine coordination des actions. Surtout, il faut pouvoir se projeter dans l’avenir et tenir compte du long terme, pas seulement de la réalité immédiate.

Instabilité (renforcement positif)

L’instabilité aussi doit etre relative, et s’il est très utile de récompenser les performances, de favoriser les actions qui vont dans le bon sens par un feed-back positif, il ne faut pas trop s’emballer ni détruire toute solidarité interne au risque de tout désorganiser. La nécessité d’un feed-back négatif, d’une homéostasie qui amortit les fluctuations est absolument vital.

Brisure de symétrie (réduction des degrés de liberté)

Toute organisation implique des règles, des conventions, des mouvements collectifs, la canalisation des flux et la transmission de contraintes, leur intériorisation. L’autonomie d’un groupe est directement fonction du respect de ses contraintes internes. La perte de liberté doit bien sûr rester relative, limite de l’autonomie assurant la cohérence globale. On peut dire avec Michel Foucault que plus il y a de libertés, plus il y a de pouvoirs. C’est une nécessité dialectique. Cela ne veut pas dire qu’on ne devrait pas résister aux pouvoirs et les subir passivement sans rétroaction.

Equilibres multiples (variété des attracteurs)

On a vu que tout système complexe se caractérise effectivement par une multiplicité d’états stables et de stratégies possibles (équifinalité) mais le choix entre elles n’est pas obligatoirement aveugle et "auto-organisé".

Points critiques (transition de phase)

Il est sans aucun doute crucial de repérer les points de bifurcation entre différents régimes, de changements qualitatifs, de réorganisation globale, voire des points de non-retour. Cela justifie plutôt la prudence, la vigilance et la réactivité (principe de précaution), une certaine planification plutôt que le laisser-faire.

Ordre global (émergent des interactions locales)

L’existence de qualités globales distinctes des éléments le constituant fait partie intégrante de la définition d’un système. Ce n’est pas une raison, comme on l’a vu, pour prétendre que le comportement global émerge spontanément (inconsciemment) des interactions locales alors que, pour une grande part, ce comportement est le résultat d’interactions globales avec d’autres systèmes ou peut s’expliquer par une contrainte globale voire des finalités explicites.

Dissipation d’énergie

On sait effectivement que, la plupart du temps, organisation, structure, complexification peuvent résister à l’entropie grâce au flux d’énergie qui les traverse, équilibrant leur gain de stabilité par un coût entropique externe (le plus souvent d’origine solaire). C’est ce qu’on appelle les structures dissipatives. C’est un point important qu’il faut prendre en compte. Cependant des optimisations locales (niches écologiques) peuvent se traduire par une complexification correspondant à une optimisation de la dépense énergétique, sans coût énergétique supplémentaire. Les phénomènes biologiques ne sont pas assimilables à des structures dissipatives car ils s’opposent justement à la dissipation d’énergie.

Redondance (insensibilité aux dégâts subis)

La redondance de l’information est primordiale pour assurer l’autonomie, la plasticité et la solidité d’une organisation complexe adaptative, mais il y a là aussi une dialectique subtile entre redondance et variété pour assurer à la fois une diversité de réactions face aux atteintes extérieures et la stabilité de l’organisation.

Régénération (réparation et remplacement des pièces défectueuses)

C’est ce qui caractérise l’autopoièsis et ne se retrouve qu’assez rarement en dehors des organismes vivants dont c’est la spécificité. Les organisation peuvent changer leur matériel ou leur personnel mais leur régénération est le plus souvent catastrophique, suite à ce que Schumpeter appelait des "destructions créatives" qui ne relèvent donc pas du tout de l’auto-organisation. Ce qu’on appelle la résilience est une version atténuée de la capacité de se reconstruire après une épreuve désorganisatrice.

Adaptation (stabilité face aux variations externes)

On a vu que l’adaptation est toujours relative et qu’il ne faut pas être trop adapté à l’environnement immédiat pour durer à plus long terme. Il faut distinguer en effet l’adaptation aux petites variations ordinaires de la résistance à des catastrophes plus exceptionnelles ou des transformations importantes de l’environnement. L’adaptation ne relève pas toujours de l’auto-organisation mais peut être contrainte par l’environnement ou même planifiée d’avance.

Complexité (multiples paramètres)

La complexité d’un système implique effectivement l’existence de stratégies et paramètres multiples qui peuvent être coordonnés ou concurrents. Il faut donc éviter tout simplisme destructeur mais il n’y a là aucune nécessité d’auto-organisation puisque l’action simultanée en plusieurs points est beaucoup plus efficace lorsqu’elle est coordonnée et pilotée par un centre de décision.

Hiérarchies (multiples niveaux auto-organisés)

On a vu que la structure arborescente des systèmes complexes est indispensable pour en limiter la complexité. C’est une caractéristique des systèmes finalisés bien plus que de l’auto-organisation elle-même. L’autogestion de chaque niveau est souhaitable, il n’est pas sûr que l’auto-organisation soit pour autant le plus efficace aussi bien à chaque niveau que globalement. L’autonomie doit plutôt être organisée, mais il serait tout de même paradoxal d’identifier hiérarchies et auto-organisation. Les structures dissipatives par exemple ne sont pas hiérarchisées la plupart du temps et les fractales qui peuvent en tenir lieu ne sont pas auto-organisées non plus mais résultent d’une force extérieure à longue portée qui rencontre des résistances locales qui la fragmentent.

Jean Zin

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