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Acte d’accusation du roi Louis XIV

5 février 2018, 07:27

Jules Michelet, dans « Histoire de France. Tome douzième : Louis XIV et la révocation
de l’Édit de Nantes. »

« La Révocation (de l’édit de Nantes) n’est nullement une affaire de parole. C’est une lourde réalité, matériellement immense (effroyable moralement)….
La Terreur de la Dragonnade frappa au cœur et dans l’honneur ; on craignit pour les siens. Les plus vaillants ne s’attendaient pas à cela, et défaillirent. C’est la plus grave atteinte aux religions de la Famille qui ait été osée jamais. Elle eut l’aspect, étrange et inouï, d’une jacquerie militaire ordonnée par l’autorité, d’une guerre en pleine paix contre les femmes et les enfants.
Les suites en furent choquantes. Le niveau général de la moralité publique sembla baisser. Le contrôle mutuel des deux partis n’existant plus, l’hypocrisie ne fut plus nécessaire ; le dessous des mœurs apparut. Cette succession immense d’hommes vivants, qui s’ouvrit, tout à coup, fut une proie. Le roi jeta par les fenêtres ; on se battit pour ramasser. Scène ignoble. Ce qui resta, dura pour tout un siècle ; c’est l’existence d’un peuple d’ilotes (guère moins d’un million d’hommes) vivant sous la Terreur, sous la Loi des suspects.
Le déplorable dénouement du règne de Louis XIV ne peut cependant nous faire oublier ce que la société, la civilisation d’alors, avaient eu de beau et de grand.
Il faut le reconnaître. Dans la fantasmagorie de ce règne, la plus imposante qui ait surpris l’Europe depuis la solide grandeur de l’empire romain, tout n’était pas illusion. Nul doute qu’il n’y ait eu là une harmonie qui ne s’est guère vue avant ou après. Elle fit l’ascendant singulier de cette puissance qui ne fut pas seulement redoutée, mais autorisée, imitée. Rare hommage que n’ont obtenu nullement les grandes tyrannies militaires….
Ce qui donne une idée bien forte de l’ascendant de terreur qu’exerçait ce dieu en Europe (Louis XIV), c’est la multitude de faits qu’on n’ose écrire pendant longtemps même hors de France, et qui ne se révèlent que fort tard, vers la fin du règne. Les souvenirs de la Fronde, qui l’avait fait fuir de Paris, lui rendaient la presse odieuse. Il la ménagea peu. Les faiseurs de brochures furent poursuivis à mort. En l694, l’imprimeur d’un pamphlet est pendu, sans procès, sur un simple ordre du lieutenant de police, et le relieur même est pendu. Nombre de personnes, pour la même affaire, sont mises à la question et meurent à la Bastille.
On savait que le roi avait les bras longs hors de France, et faisait enlever en pays neutres les gens qui parlaient mal ou qui agissaient contre lui. L’enlèvement de Marcilly en Suisse effraya tout le monde. Celui du patriarche arménien Avedyk n’eut pas un moindre effet. On se contait tout bas, portes fermées, le mystère du Masque de fer. La fameuse cage du Mont-Saint-Michel, où Louis XI enferma La Balue, fut occupée sous Louis XIV par l’auteur d’un pamphlet contre l’archevêque de Reims.
Non moins grande était la terreur à la cour et tout près du roi. J’ai dit l’anxiété où fut Madame (Henriette) pour certaines choses imprudentes qui lui étaient échappées, et comment on abusa de sa peur. Cette timidité générale rend l’histoire de la cour obscure. La grande Mademoiselle, et Madame, mère du Régent, ont seules leur franc parler. Saint-Simon vient très tard ; on a tort de le citer pour les commencements…

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