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Acte d’accusation du roi Louis XIV

5 février 2018, 07:32

La suite de Michelet :

L’Édit de Nantes couvrait les hérétiques. On ne brûlait plus guère, sauf des sorciers… Le clergé de France, assemblé en mai à Versailles, et se sentant si fort, si près d’arriver à son but, tint un langage modéré, demanda peu contre les Protestants, mais remercia le roi d’avoir, sans violence, fait quitter l’hérésie à toute personne raisonnable.
Tout d’abord, dans chaque village, les soldats menèrent le peuple à l’église. Mille outrages dans les maisons. Les femmes fuient aux montagnes ; cinq ou six, serrées de trop près, aimèrent mieux périr, se précipitèrent, furent noyées, brisées par les gaves. La Révocation, si longtemps préparée, eut pourtant tous les effets d’une surprise. Les protestants s’efforçaient de douter. Ils avaient trouvé mille raisons pour se tromper eux-mêmes. L’émigration était très difficile ; mais son plus grand obstacle était dans l’âme même de ceux qui avaient à franchir ce pas. Il leur semblait trop fort de se déraciner d’ici, de rompre tant de fibres vivantes, de quitter amis et parents, toutes leurs vieilles habitudes, leur toit d’enfance, leur foyer de famille, les cimetières où reposaient les leurs. Cette France cruelle, qui si souvent s’arrache sa propre chair, on ne peut cependant s’en séparer sans grand effort et sans mortel regret. Nos protestants, le peuple laborieux de Colbert, étaient les meilleurs Français de France. C’étaient généralement des gens de travail, commerçants, fabricants à bon marché qui habillaient le peuple, agriculteurs surtout, et les premiers jardiniers de l’Europe. Ces braves gens tenaient excessivement à leurs maisons. Ils ne demandaient rien qu’à travailler là, tranquilles, y vivre et y mourir. La seule idée du départ, des voyages lointains, c’était un effroi, un supplice. On ne voyageait pas alors comme aujourd’hui. Plusieurs, après avoir duré contre toutes les persécutions, quand on les traîna dans les ports pour les jeter en Amérique, désespérèrent, moururent, ne pouvant quitter la patrie.
On ignorait cela, et on prit toute précaution pour les tromper, les retenir, les empêcher d’emporter leur argent. En 1684 avaient eu lieu les grandes exécutions militaires dans tout le Midi… On mit partout des troupes, on ferma la frontière (le dénonciateur de l’émigrant a moitié de ses biens). Mais, en même temps, pour leur donner espoir, on adoucit les gênes qui entravaient le mariage protestant. Cette faveur (du 15 septembre) les rassure quelque peu, de sorte que l’immense coup de la Révocation un mois après (18 octobre), les trouve au gîte immobiles, hésitants, ne sachant ce qu’ils ont à faire.
Et l’Édit même de la Révocation est encore équivoque. Il supprime le culte, chasse les ministres, veut que les enfants deviennent catholiques. Sur les parents, il ne s’explique pas ; il semble s’arrêter au seuil de la conscience, réserver l’intérieur et respecter la foi muette.
La police à Paris donna le commentaire. Le 10 octobre, on dit brutalement aux gens de métier, aux pauvres, qu’il fallait se convertir sur-le-champ. Ils furent terrifiés, n’objectèrent rien. Le roi crut tout fini. Le 20, il autorise les bourgeois protestants à s’assembler pour faire d’ensemble une déclaration de conversion.
Pour le Midi, Noailles demanda explication à Louvois, qui répondit dans ces termes obscurs : « Le roi veut que vous vous expliquiez durement avec les derniers qui s’obstineront à lui déplaire. » Noailles enfin comprit, et s’expliqua par ses dragons.
Ce mot dragon veut dire ici soldat. Il y en avait de tous les corps. C’était l’armée entière qui était rentrée à la paix. En guerre, nourrie chez l’habitant, Louis voulait encore l’entretenir ici de même, et il la jeta sur la France. Elle sentit cruellement les maux dont elle avait, accablé l’étranger.
On avait dragonné la Hollande, la Westphalie, le Rhin. On a vu les tolérances de Turenne pour son misérable soldat. Au défaut de vivres et de solde, on lui donnait les libertés de la guerre, une joyeuse royauté de gueux chez ceux qui le logeaient. Les Hollandais assurent que l’élève, l’ami de Condé, Luxembourg, disait bonnement : « Amusez vous, enfants ! pillez et violez. » Qu’il l’ait dit, c’est peu sûr ; mais l’horreur du pays d’Utrecht prouve assez qu’il agit ainsi.
En France, les gaietés du soldat avaient été devancées par le peuple. La canaille de La Rochelle avait fait une farce de la destruction du temple. Elle avait descendu la cloche, l’avait dragonnée et fouaillée pour avoir servi les huguenots. On l’enterra et on la fit renaître. Une dame servit de sage-femme, une autre de nourrice. Réconciliée et baptisée, la cloche jura qu’elle ne sonnerait plus le prêche, et fut honorablement remontée au clocher d’une paroisse.
Ces facéties, racontées à Versailles, durent aider à tromper le roi, à lui faire prendre légèrement les amusements de ses dragons, les tours d’écoliers qu’ils jouaient à ces orgueilleux endurcis. L’usage de berner se retrouvait partout dans notre vieille joyeuse France. Aux prisons, on bernait (parfois à mort), on sautait sur la couverture celui qui ne payait pas la bienvenue (Voy. Marteilhe). Aux collèges, on bernait, on bafouait le mauvais camarade, trop fier, triste, morose. Exemple, ce neveu de Mazarin qui, au collège de Clermont, retomba hors de la couverture sur le pavé, et se tua.
Tel l’écolier, tel le dragon. C’était le soldat le plus gai, le soldat à la mode, dont on contait les tours, comme ceux du zouave aujourd’hui. Mais le zouave est fantassin, est peuple. M. le dragon, au contraire, de quelque trou de paysan qu’il vînt, une fois suffisamment dressé, brossé à coups de canne, était un gentilhomme, un marquis, à l’instar de son colonel général, Lauzun, roi de l’impertinence. Il avait du seigneur, il avait du laquais. Rossé par l’officier, il le rendait au paysan. Vrai singe, il aimait à mal faire, et plus mal que les autres ; c’était son amour-propre. Il était ravi d’être craint, criait, cassait, battait, tenait à ce qu’on dît : Le dragon, c’est le diable à quatre.
Il s’apprivoisait cependant, s’il trouvait des gens de sa sorte, à rire boire avec lui. Quand il entrait en logement chez le bourgeois aisé, il ne pensait d’abord qu’à faire ripaille, à user largement de cette abondance inaccoutumée. Il aurait volontiers mangé avec ses hôtes. Mais ceux-ci, les huguenots, étaient son antipode. Il tombait là dans une famille triste et sobre, consternée d’ailleurs, qui obéissait, le servait, mais était à cent lieues de s’entendre avec lui. Les enfants avaient peur, fuyaient. Le mari restait sombre. La dame, les demoiselles, effarouchées du bruit et des chansons obscènes, étouffées du tabac dont l’odieuse fumée remplissait la maison, avaient grand’peine à cacher leur dégoût.
Cela seul eût gâté les choses. « Nous sommes les maîtres après tout. Tout est à nous ici. » Ils ne se gênaient pas, donnaient carrière à leur malice, gâtaient, brisaient, détruisaient pour détruire. Ne criant assez fort, ils se mettaient parfois à battre à la fois de quatre tambours. Pour crever le cœur à la dame, ils forçaient son armoire, gâtaient, pillaient son linge, orgueil de la femme économe, en prenaient le plus fin, des draps de toile de Hollande pour en faire litière aux chevaux.
La femme protestante, bien plus que son mari, plus nettement, plus obstinément, montrait son horreur du papisme. Noailles dit (1684) qu’en Languedoc les gentilshommes sont déjà convertis, qu’ils s’efforcent de convertir leurs femmes, et n’y réussissent pas. On voit, en 1685 et 1686, qu’à Paris les femmes obstinément s’assemblent pour prier (Corresp. adm., IV, 351). Le roi croit que la persévérance de certains maris ne tient qu’à celle de leurs femmes ; qu’elles cèdent, ils céderont (IV, 349). Donc, le procureur général les séparera, enfermera les femmes aux couvents des Nouvelles-Catholiques (368)… L’enlèvement des enfants commença vingt-cinq ans avant la Révocation : — donc, la terreur des mères. Leur vie était tremblante, leur cœur toujours serré. Le mari gentilhomme, s’il n’avait plus la cour, avait la chasse, allait, venait.Le mari commerçant, bien plus distrait encore, avait les intérêts, l’application de la fabrique, le mouvement du commerce. Elle, rien que ses enfants et Dieu. Sédentaire, solitaire, elle les tenait bien près sous elle. Il eût suffi que le dimanche l’enfant mené au temple passât devant l’église, vit les cierges et les fleurs, dit : « Que c’est beau ! » il était catholique, enlevé et perdu… En décembre 1685, parut l’édit terrible pour enlever les enfants de cinq ans. Qu’on juge de l’arrachement ! Un coup si violent supprima la peur même. Des cris terribles en jaillirent, des serments intrépides de ne changer jamais.
Chaque maison devint le théâtre d’une lutte acharnée entre la faiblesse héroïque et les furies de la force brutale. Les soldats, ces esclaves de la vie militaire, formés par le bâton, voyaient pour la première fois les résistances courageuses de la libre conscience. Ils n’y comprenaient rien, étaient étonnés, indignés. Tout ce que l’homme peut souffrir sans mourir, ils l’infligèrent au protestant. Pincé, piqué, lardé, chauffé, brûlé, suffoqué presque à la bouche d’un four, il souffrit tout. Tel eut les ongles arrachés. Le supplice qui agissait le plus à la longue, était la privation de sommeil. Ce moyen des dompteurs de lions est terrible aussi contre l’homme. La femme résista mieux aux veilles. Bien souvent, il était rendu qu’elle ne l’était pas et lui reprochait sa faiblesse, le ranimait. On chassait alors le bonhomme, on l’envoyait aux vivres, on le tenait loin de chez lui (Voy. le ms. de Metz).
Donc, le duel restait entre la dame et vingt soldats (on en mit jusqu’à cent dans une maison de Nîmes). Elle devait les servir seule, sans domestiques (défense d’en avoir de catholiques, et le petit peuple protestant abjurait). Ceux qui persévéraient étaient surtout les gens aisés. Cela donnait aux dragonnades l’aspect d’une jacquerie. On voit fort bien, à plusieurs traits que ce qui animait aussi les dragons au martyre de la dame, c’est que c’était une dame, une femme délicate, qui, même étant simple bourgeoise, était toujours noble d’éducation et de tenue, déplacée dans cette vie de corps de garde. Elle aurait été paysanne qu’on l’eût tourmentée moins. Contre elle il y avait, au fond, une aigreur niveleuse dont eux-mêmes ne se rendaient pas compte. La renchérie, la précieuse, la prude, la dégoûtée, on prétendait la mettre au pas, la faire devenir bonne enfant. Portes closes. Tenue en chambrée, en camaraderie militaire, ils lui faisaient faire la cuisine, tout leur ménage de soldats. Ils ne la laissaient plus sortir, riant de ses souffrances, de ses prières et de ses larmes. Mais nulle humiliation de nature ne peut dompter l’âme. Elle se relevait par la prière, par la fixité de sa foi. Outrés, ils en venaient aux coups, et, pour l’exécution, chose cruelle, souvent coupaient des gaules vertes, pliantes, qui s’ensanglantaient sans casser. Le sang les enivrait. Ils imaginaient cent supplices. Telle fut lentement, cruellement épilée, telle flambée à la paille, comme un poulet. Telle, l’hiver, reçut sur les reins des seaux d’eau glacée. Parfois ils enflaient la victime, (homme ou femme) avec un soufflet, comme on souffle un bœuf mort, jusqu’à la faire crever. Parfois, ils la tenaient suspendue, presque assise, à nu, sur des charbons ardents. (Claude, Plaintes, p. 74 ; Élie Benoît.)
« Mais le viol était défendu. » Quelle moquerie ! On ne punit personne, même quand il fut suivi de meurtre (É. Benoît, 850). On eut soin de loger les officiers ailleurs que les soldats, de peur qu’ils ne les gênassent. Du reste, les officiers, encore humains en 1683, en 1686 rouaient de coups les soldats trop humains. Les généraux riaient de voir les huguenotes houspillées que les soldats mettaient nues à la porte et faisaient courir dans la rue. Pourvu que le libertinage n’eût point de résultat, on ne se troublait guère. On savait bien pourtant que les soldats ne copiaient que trop les Villars, les Vendôme. Ce que Madame nous en dit, personne ne l’ignorait, ni le roi, ni la cour. Mais l’infamie sans trace n’était pas l’infamie. « Un petit mal pour un grand bien », ce mot du casuiste fit tout passer. Madame de Maintenon se résigne en disant : « Dieu se sert de tous les moyens. »

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