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Un débat avec la gauche communiste conseilliste

25 février 2019, 09:53, par Robert Paris

Cher camarade,

La dialectique de la révolution russe, c’est fondamentalement celle d’un pays capitaliste arriéré où la bourgeoisie a été incapable de réaliser les avancées révolutionnaires bourgeoises et est d’autant plus incapable en 1917 que le prolétariat est là en force. La révolution bourgeoise devient ainsi une des armes de la révolution prolétarienne. Si on joue au moralisme, on enlève au prolétariat russe l’une de ses principales armes. Il ne reste plus au prolétariat russe que l’arriération du pays, soit sa principale faiblesse.

Peut-on accuser Lénine et Trotsky d’avoir diffusé la même idéologie qui devait servir à Staline, celle du statu quo, considérant comme vertu l’isolement, l’isolement politique (un seul parti au pouvoir) et l’isolement international (le socialisme dans un seul pays).

La seule réponse, en l’occurrence, ce sont effectivement les faits. Encore faut-il les comprendre comme une dynamique fondée sur des contradictions et pas comme une morale.

Si on pense de manière dichotomique, on s’allie ou on se combat, de manière exclusive. Or qu’en réalité, entre courants opposés, on s’allie ET on se combat, ce qui est le cas par exemple entre marxistes et anarchistes, entre léninistes-trotskistes et gauches communistes. Ce n’est pas que mon point de vue. Ce sont les faits historiques. Les courants léniniste-trotskiste et gauche communiste se sont unis dans la révolution russe, ils ont travaillé la main dans la main, ils ont participé du même pouvoir. En 1918-1920, il y a eu des moments où les gauches communistes étaient majoritaires au sein du parti bolchevik et au sein de l’Internationale communiste. Lénine et Trotsky se reconnaissaient en minorité. Le changement redonnant la majorité à Lénine et Trotsky n’a pas été obtenu par des méthodes bureaucratiques. Les gauches communistes n’ont pas été emprisonnés ni frappés du vivant de Lénine. Lorsque l’opposition trotskiste s’est formée, l’essentiel des gauches communistes de Russie y ont participé, preuve que les deux courants s’étaient opposés politiquement mais restaient capables de s’unir dans la lutte contre la bureaucratisation. Ils avaient le même programme d’action et les mêmes buts.

Je ne dis pas cela pour minimiser les divergences mais pour tenter de les placer où elles sont.

Ce qui dit Nicolas Werth est très différent : il accuse le parti bolchevik en bloc d’écraser la classe ouvrière sciemment, d’écraser toute forme de démocratie. Il défend un point de vue bourgeois et anticommuniste (certes choqué par le point de vue de Courtois plus radical que le sien mais, là aussi entre anticommunistes, il y a des nuances). Accuser globalement le parti communiste, tu ne devrais pas le faire car les gauches communistes en faisaient partie. Bien sûr, tu le dis aussi mais tu t’appuies sur « des faits » présentés par des anticommunistes, qui sont nos ennemis communs.

Prenons un soi-disant « fait » de Werth : le parti bolchevik a toujours voulu la dictature du parti unique. Cela signifie que Lénine et Trotsky aussi l’ont toujours voulue. Ils auraient voulu gouverner seuls au pouvoir !

Mais leurs actes disent exactement le contraire. Ils ont par exemple gouverné avec le parti socialiste-révolutionnaire et c’est ce dernier qui est parti enclenchant une guerre civile terroriste violente par laquelle il tentait d’assassiner tous les dirigeants bolcheviques. Ils les ont tous visé et en ont tué plusieurs. Juste avant, ils étaient ministres du même gouvernement ! Ils ne sont pas sortis parce qu’ils dénonçaient le manque de démocratie. Ils ne sont pas sortis parce qu’ils dénonçaient la misère ouvrière. Ils ne sont pas sortis parce qu’ils affirmaient qu’on vidait les soviets de leur contenu. Ils ne sont pas sortis parce qu’on favorisait les syndicats (question sur laquelle nous reviendrons). Non, ils sont sortis parce qu’ils prônaient la guerre révolutionnaire contre l’Allemagne, à un moment où la Russie révolutionnaire n’avait plus aucun moyen matériel de mener une guerre ! Ils sont sortis parce qu’ils refusaient la capitulation russe de Brest-Litovsk et ne voulaient pas accepter que l’Ukraine soit sous domination allemande !

Dans la question de Brest-Litovsk, le point de vue gauche communiste a rejoint celui des socialistes-révolutionnaires avec Boukharine : la guerre révolutionnaire.

Lénine et Trotsky ne refusaient pas la guerre révolutionnaire mais ils refusaient la révolution de la phrase, le romantisme moraliste du genre « nous mourront pour nos idées plutôt que reculer ». C’est beau mais peu efficace. L’armée rouge a démontré que les bolcheviks étaient capables de mener la guerre révolutionnaire et de gagner. mais, bien sûr, gagner ne peut vouloir dire réussir à la place du prolétariat européen, mais seulement réussir à tenir plus longtemps, en attendant le retour de la révolution européenne, en attendant par exemple 1923 en Allemagne.

A part le cas des socialistes-révolutionnaires, quelle était le point de vue bolchevik sur le parti unique ? Il y a eu bien d’autres forces politiques qui ont collaboré avec les bolcheviks plus ou moins durablement : plusieurs groupes ou personnalités anarchistes ou anarchistes-communistes, des groupes mencheviks, des groupes nationalistes révolutionnaires des nationalités opprimées, etc. Loin de chercher à gouverner seuls, les bolcheviks voulaient intégrer des partis divers du prolétariat et des partis divers de la petite bourgeoisie, reflétant ainsi la réalité de la révolution russe qui avait triomphé. C’est le stalinisme qui agira en sens complètement inverse et il ne s’appuiera pour cela ni sur Lénine, ni sur Trotsky, ni sur leur idéologie.

Il est à remarquer que le nouvel Etat révolutionnaire russe a traité tous les partis de la même manière : on ne vous interdit pas si vous ne nous faites pas la guerre les armes à la main, si vous ne vous attaquez pas physiquement et mortellement aux partis des soviets. Ils ont pu présenter des candidats aux élections soviétiques, y envoyer des représentants, éditer des journaux librement jusqu’au jour où ils sont entrés en guerre contre les soviets et les partis soviétiques.

Contrairement au courant gauche communiste, le courant léniniste-trotskiste est favorable à des alliances de combat avec des courants adverses. Il n’est pas pour la séparation entre deux camps au sein des forces combattantes. Ce n’est pas de l’opportunisme mais une politique qui suit la dynamique réelle du combat. Dans cette dynamique, le prolétariat révolutionnaire peut s’allier à des fractions prolétariennes moins conscientes, à des fractions petites-bourgeoises, et même à des fractions bourgeoises de nationalités opprimées à condition qu’elles participent au combat contre la bourgeoisie internationale. Ce n’est nullement le point de vue des gauches communistes qui défendent le plus souvent l’inverse. Pour les gauches communistes, pas question de s’allier avec des forces politiques et sociales bourgeoises dans le combat. C’est cela que j’appelle le point de vue dichotomique des gauches communistes. C’est là où on ne se comprend pas par exemple quand on parle de front unique.

Le front des révolutionnaires, c’est un front avec des camarades qui n’ont pas le même avis. Le front unique, c’est un front avec d’autres forces politiques et sociales qui sont carrément des ennemis. Par exemple, le mouvement des Gilets jaunes nous amène à nous battre aux côtés de forces ennemies. S’y refuser comme le font la plupart des gauches communistes s’est renoncer à jamais à gagner le prolétariat à nos idées et les laisser aux mains de leurs pires ennemis.

Ce n’est pas le moralisme (la dichotomie du mal et le bien, du prolétariat et de la bourgeoisie, du communisme et de sa trahison) qui peut nous aider dans les événements.

Revenons sur les faits. Ceux-ci montrent-ils un parti qui a sans cesse œuvré en direction du parti unique au pouvoir ? Ont-ils agi contre la démocratie politique et la liberté politique des partis ?

Au lendemain d’Octobre, le parti Cadet n’est pas immédiatement interdit. Ce n’est que fin novembre 1917, au moment où ce parti prépare ouvertement son passage à l’insurrection contre-révolutionnaire armée avec Kalédine, qu’il est interdit par un décret du Sovnarkom. Les bolcheviks n’ont cependant pas empêché les élus des Cadets de participer ensuite aux élections à l’Assemblée constituante et de siéger momentanément à celle-ci. Le journal du parti Cadet Svoboda Rossi continue à paraître sans être clandestin jusqu’à l’été 1918, en pleine guerre civile. Les Cadets continuent d’exister légalement au travers du « comité panrusse d’aide aux affamés » en juillet 1921. Dans la réalité, que ce soit avec ce parti comme avec les SR de gauche, les bolcheviks vont aussi loin que possible dans le refus de la répression aveugle, dans les tentatives de ne pas tout ensanglanter. C’est la grande bourgeoisie qui choisir le bain de sang, pas les révolutionnaires !!!

Ce choix du bain de sang contre la révolution prolétarienne, on le retrouve dans le texte dont je vous parlais : dans les réunions des quatre grandes puissances en 1919-1920 et dans son compte-rendu édité par le CNRS.

Si les bolcheviks ne refusent pas toutes sortes d’alliances face à l’offensive tsariste et impérialiste, ils ne veulent pas accepter de faiblesse face à l’ennemi. Si la guerre est déclarée, il faut la mener avec toutes les forces dont le prolétariat dispose, avec toute l’énergie que l’on peut mettre en œuvre, sans fausse retenue moraliste.

Oui, les faits, c’est un gouvernement de 1917 avec onze ministres bolcheviks et sept ministres SR de gauche. Les faits, ce sont des régions entières où les dirigeants révolutionnaires aux côtés des bolcheviks sont des anarchistes. Les faits, ce sont Lénine et Trotsky prêts à se plier à la démocratie des débats internes aux soviets, au parti, à l’Internationale. La vérité des faits, c’est que tout ce qui s’est passé avant l’affaiblissement et la mort de Lénine (1922) est tout à fait opposé à ce qui s’est passé après.

Les mencheviks, les SR (droite et gauche), certains anarchistes n’ont pas attendu que les soviets se vident de leur contenu pour les quitter, pour les combattre les armes à la main, pour les assassiner. Dès l’insurrection d’octobre, SR de droite et Mencheviks pactisent avec les armées tsaristes, mènent avec eux la guerre contre les soviets, participent à des gouvernements aux côtés des généraux cosaques et des gardes blancs tsaristes. Malgré cela, le parti SR n’est pas dissous par les bolcheviks, même pendant la guerre civile !!! Ses journaux continuent à paraître. La censure de la presse ne débute qu’en mars 1918 quand la lutte à mort est si intense qu’elle menace de mort le pouvoir des soviets.

Et ce n’est pas juste une manœuvre des bolcheviks : c’est un combat politique qui porte ses fruits. Mencheviks et SR honnêtes sont gagnés aux bolcheviks. Le parti SR recule parfois politiquement comme en février 1919 où ce parti est contraint de dénoncer l’intervention contre-révolutionnaire étrangère sur le sol de Russie.

Les ruptures avec les autres partis n’ont eu lieu que lorsque ceux-ci ont proclamé se battre contre le pouvoir des soviets les armes à la main comme l’a fait Maria Spiridovna au Ve Congrès des Soviets en juillet 1918, annonçant qu’elle était désormais face à face avec les bolcheviks « le pistolet et la bombe à la main ». Et ce n’était pas une simple menace. Cela devait commencer presque le lendemain !

A part Brest-Litovsk, ce qui opposait bolcheviks et SR de gauche, c’est la décision des bolcheviks d’appuyer la lutte des classes dans les campagnes en favorisant les comités de paysans pauvres contre les paysans riches !

En ce qui concerne les anarchistes, il y a eu toutes sortes de relations suivant le type de groupes. Jusqu’en avril 1918, tous les groupes anarchistes sont autorisés, jouent un rôle dans les soviets, dans la révolution, participent au combat, souvent aux côtés des bolcheviks. Ce n’est pas ces derniers qui rompent l’unité, c’est la violence de la guerre civile empêchant tout accord entre le prolétariat et les forces petites bourgeoises des villes. La rupture complète a lieu avec les anarchistes qui participent en juillet 1918 à l’insurrection SR, un groupe anarchiste attaquant notamment le siège bolchevik de Moscou, faisant douze morts et quantité de blessés dans la direction bolchevik.

Tout cela n’empêchera pas en Juillet 1920, dans les thèses sur les tâches du IIe Congrès de l’Internationale communiste, Lénine de prôner tous les accords possibles, tous les fronts communs possibles, avec les forces militantes anarchistes, et aussi toutes les tentatives de gagner au communisme les meilleurs militants anarchistes.

En ce qui concerne le parti menchevik, les bolcheviks, loin d’œuvrer pour le parti unique, tentent sans cesse de les ramener à une alliance. Ainsi, lorsqu’à la fin octobre 1918 le comité central menchevik, qui s’est réuni librement pendant cinq jours à Moscou, fait un geste en faveur du pouvoir des soviets, et bien que la résolution adoptée soit confuse et contradictoire, un décret annule immédiatement la décision antérieure excluant les mencheviks des organes soviétiques et sa mise en œuvre n’est pas conditionnelle et est immédiate. Les dirigeants mencheviks sont ainsi invités officiellement à participer en décembre 1919 au VIIe Congrès des Soviets.

Pendant l’année 1920, l’activité du parti menchevik se développe à nouveau à Moscou. Il y dispose officiellement de bureaux, imprime une presse, participe aux élections des soviets locaux, réunissent à Moscou leur comité central, organisent des conférences publiques. Les dirigeants mencheviks acceptent l’invitation au VIIIe Congrès des Soviets et y développent librement des points de vue polémiques.

Mais en 1920, les mencheviks utilisent à fond leur activité légale pour dresser des fractions de la classe ouvrière contre le pouvoir des soviets, accusant ce pouvoir d’être responsable de la misère affreuse, des destructions économiques, de la famine, ce qui est un mensonge contre-révolutionnaire qu’un révolutionnaire comme toi ne devrait jamais soutenir ! Et c’est alors qu’ont lieu des grandes grèves antibolcheviques avec le slogan « les soviets sans Lénine et Trotsky » dont le caractère politique et social ne devrait tromper aucun révolutionnaire communiste !

Oui, ce n’est qu’une calomnie contre-révolutionnaire de dire que toute la politique bolchevique menait au parti unique au pouvoir des soviets.

Bien sûr, dire tout cela ne résout pas la question clef : pourquoi la révolution russe a-t-elle été incapable d’empêcher la bureaucratisation ? A cause de la politique fausse de Lénine et Trotsky ou malgré leurs tentatives désespérées de sauver le pouvoir des soviets ? Voilà la question à débattre !

Encore faut-il en défendre une, qui soit claire, de position !

C’est très différent d’affirmer que les révolutionnaires communistes, notamment Lénine et Trotsky, ont échoué, que de dire que d’affirmer que la victoire stalinienne est l’aboutissement de la politique de Lénine et Trotsky. Or ta pensée semble sans cesse passer de l’un à l’autre, sans qu’on puisse saisir le lien entre les deux positions !

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