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L’Etat n’est sérieux que quand il défend, les armes à la main, les classes possédantes

8 juillet 2020, 08:52, par Florent

Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, est spécialiste du contrôle des forces de l’ordre :

« On peut appeler violence d’Etat la violence d’un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions. A partir du moment où la violence n’est pas proscrite, il est nécessaire d’en déduire qu’elle est jugée bonne. Mais qu’est-ce que la bonne violence policière ? On peut répondre à cette question par : "Dis-moi comment tu es contrôlé et je te dirai quelle est la bonne violence." La réalité du contrôle de la violence policière est systémique : elle résulte des ordres donnés par le gouvernement, de la hiérarchie qui la réprouve ou la couvre, des mécanismes enquêteurs, et de l’interprétation des règles par les juges. Enfin, une nouveauté est l’intolérance du public pour les déviances policières et la révolution des preuves introduite par les photos et vidéos.

« La mutilation de Jean François Martin par la police illustre les failles d’un système, qui n’a que partiellement commencé à se réformer sous le mandat de François Hollande et a cessé de le faire depuis, combiné au rôle de l’information libre. D’abord, la décision politique d’utilisation des armes qui mutilent et parfois tuent, comme les LBD et les différentes grenades en maintien de l’ordre, sont une singularité française. La possibilité de la violence armée est, faut-il le dire, la condition de sa réalisation. On se souvient que la mutilation de Jean-François Martin n’est pas isolée : des dizaines de milliers de tirs ont causé des dizaines de blessures irréversibles pendant le mouvement des gilets jaunes, faisant de la police française la championne d’Europe incontestée. A ce niveau de fréquence et du fait de l’absence de remise en cause de ces armes, on ne peut plus parler d’accident. Ensuite, le manque de sincérité des agents et le "mur bleu du silence" : tous se couvrent mutuellement y compris les chefs (le tir est "impossible"), cachent la vérité, oublient ce qu’ils ont fait ou que leur équipier a fait. Et se rétractent devant les preuves. Les dispositions légales actuelles sont, semble-t-il, insuffisantes pour dissuader de telles tactiques. On demandera utilement à la haute hiérarchie comment elle valorise ces performances. La tolérance de la hiérarchie pour le défaut d’enregistrement des tirs, car il ne s’agit pas de la seule affaire, est préoccupante : l’édifice du contrôle repose sur la codification de la violence, et la codification n’a de vertu que dans la possibilité de sa vérification.

« On touche ici la faiblesse du travail d’une IGPN dépendant du ministre de l’Intérieur : devant la répétition des violences et les problèmes d’identification des agents, elle ne s’est pas lancée dans ce chantier urgent. Où est son rapport sur l’amélioration de l’identification des agents en maintien de l’ordre, sans laquelle ils deviennent irresponsables ? Où sont ses recommandations sur la traçabilité totale des tirs ? Enfin, la France s’est dotée d’une autorité constitutionnelle, le Défenseur des droits, mais sans lui donner de pouvoir de sanction disciplinaire : le ministère de l’Intérieur peut ignorer ses recommandations, ce qu’il a fait dans 100 % des demandes. La régulation du système de police est en crise. Profonde.

« Pourquoi en est-on là ? Le système de contrôle de la police a son origine dans la manière dont les élites politiques considèrent le peuple. Ce sont leurs lois et mécanismes - très techniques - qui en déterminent l’efficacité ou les défaillances. Le degré auquel la violence est tolérée ou encouragée sépare les démocraties profondes de celles qui sont plus superficielles. Les premières protègent mieux que les secondes les droits des citoyens, au premier rang desquels le droit à la vie et à l’intégrité physique. Les secondes protègent mieux les droits des policiers à tuer ou à blesser. La mutilation de Jean-François Martin est aussi celle de la démocratie. »

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