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Léon Trotsky et les bordiguistes italiens

30 juin 2019, 14:58

Léon Trotsky polémiquant avec les gauches communistes en mai 1938 :

Admettons que dans une colonie française, l’Algérie, surgisse demain un soulèvement sous le drapeau de l’indépendance nationale et que le gouvernement italien, poussé par ses intérêts impérialistes, se dispose à envoyer des armes aux rebelles. Quelle devrait être en ce cas l’attitude des ouvriers italiens ? Je prends intentionnellement l’exemple d’un soulèvement contre un impérialisme démocratique et d’une intervention en faveur des rebelles de la part d’un impérialisme fasciste. Les ouvriers italiens doivent-ils s’opposer à l’envoi de bateaux chargés d’armes pour les algériens ? Que quelque ultra-gauche ose répondre affirmativement à cette question ! Tout révolutionnaire, en commun avec les ouvriers italiens et les rebelles algériens, rejetterait avec indignation une telle réponse. Si même se déroulait alors dans l’Italie fasciste une grève générale des marins, en ce cas, les grévistes devraient faire une exception en faveur des navires qui vont apporter une aide aux esclaves coloniaux en rébellion ; sinon ils seraient de pitoyables trade-unionistes, et non des révolutionnaires prolétariens.

Parallèlement à cela, les marins français même s’ils n’avaient aucune grève à l’ordre du jour, auraient l’obligation de faire tous leurs efforts pour empêcher l’envoi d’armes contre les rebelles. Seule une telle politique des ouvriers italiens et français serait une politique d’internationalisme prolétarien.

Cependant, cela ne signifie-t-il pas que les ouvriers italiens adoucissent dans le cas présent leur lutte contre le régime fasciste ? Pas au moindre degré. Le fascisme ne peut apporter une « aide » aux algériens que pour affaiblir son ennemi, la France, et faire ensuite main basse sur sa colonie. Les ouvriers révolutionnaires italiens ne l’oublieront pas un seul instant. Ils appelleront les algériens à ne pas faire confiance à leur « allié » perfide et en même temps eux-mêmes poursuivront leur lutte intransigeante contre le fascisme, « principal ennemi à l’intérieur de leur propre pays ». C’est seulement ainsi qu’ils peuvent faire que les rebelles aient confiance en eux, aider la rébellion elle-même et renforcer leurs propres positions révolutionnaires.

Si ce qui vient d’être dit est vrai quant au temps de paix, pourquoi cela deviendrait-il faux en temps de guerre ? Tout le monde connait le principe du fameux théoricien militaire allemand, Clausewitz : la guerre est la continuation de la politique, mais par d’autres moyens. Cette pensée profonde entraîne tout naturellement la conclusion : la lutte contre la guerre est la continuation de la lutte générale du prolétariat en temps de paix. Est-ce que le prolétariat rejette et sabote en temps de paix toutes les actions et mesures d’un gouvernement bourgeois ? Même lors d’une grêve qui embrasse toute une ville, les ouvriers prennent des mesures pour que dans leurs quartiers il y ait suffisamment de vivres, pour qu’on ne manque pas d’eau, pour que les hôpitaux ne souffrent en rien, etc. De telles mesures ne sont pas dictées par quelque opportunisme envers la bourgeoisie, mais par le souci des intérêts de la grève elle-même, le souci d’avoir pour elle la sympathie des couches les moins favorisées de la ville, etc. Ces règles élémentaires de la stratégie prolétarienne en temps de paix conservent encore toute leur valeur en temps de guerre.

Une attitude intransigeante envers le militarisme bourgeois ne signifie nullement que le prolétariat entre en lutte dans tous les cas contre son armée « nationale ». Des ouvriers n’empêcheront jamais des soldats d’éteindre un incendie ou de sauver les victimes d’une inondation ; au contraire, ils collaboreront coude à coude avec les soldats et fraterniseront avec eux. Mais il ne s’agit pas seulement de catastrophes naturelles fortuites. Si demain les fascistes français tentaient de se lancer dans un coup d’Etat et que le gouvernement Daladier se trouvât contraint de faire agir l’armée contre les fascistes, les ouvriers révolutionnaires, tout en maintenant une indépendance politique complète, lutteraient contre les fascistes, à côté des troupes. Ainsi, dans toute une série de cas, les ouvriers se trouvent contraints non seulement d’admettre et de tolérer, mais encore de soutenir activement des mesures pratiques d’un gouvernement bourgeois.

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