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Une pandémie mondialement mortelle, est-ce bien le moment de parler de révolution et de renversement du capitalisme ?

7 juin 2020, 07:29, par arthur

Quelle est la tâche révolutionnaire actuelle ? Comprendre d’abord, bien mesurer l’ampleur du problème et son type, et en même temps s’organiser, penser à plusieurs, fédérer les résistances. Nous avons peut-être déjà raté le moment de faiblesse où on pouvait dévaliser les magasins et prendre d’assaut les dépôts d’armes ou de carburant. C’était tout de suite, la première nuit, quand les gouvernements étaient encore divisés, hésitants. Ils ont déjà passé les lois, rassemblé et repositionné les forces armées, négocié autant que possible les nouvelles règles économiques.

Mais ça bouge. En ce moment même, il y a les grèves des ouvrièr-e-s qui ne veulent pas continuer à produire des turbines d’avion ou des bagnoles au péril immédiat de leur vie et de celle de leurs familles [11], les personnels de santé qui exigent des protections, des moyens et des salaires décents, les locataires qui demandent le gel des loyers et les mal logé-e-s qui exigent la réquisition des dizaines de milliers de logements vides. Celles et ceux qui veulent en profiter pour mettre un coup d’arrêt définitif à la « croissance », à la pollution, aux boulots de merde payés des clopinettes, déserter le travail même à distance – surtout à distance, sans collectif, uberisé et surveillé-e-s par des logiciels espions tapis dans leurs smartphones. Et puis toutes celles et tous ceux qui de toute façon, n’ont pas de logement ou des logements trop petits, pas de travail ou plus de travail ou un boulot qui exige d’être dehors tous les jours, les femmes et les hommes des marchés, les jeunes femmes et hommes des cités, toutes celles et tous ceux qui savent depuis le début qu’ielles s’en prendront plein la gueule et ne sont pas tellement plus effrayé-e-s qu’en temps normal [12]. Les violences policières systématiques, la prison, la mort précoce as usual…

Comprendre, donc, ce qui nous arrive globalement et individuellement, parvenir à discerner ce qui est nouveau, aussi. Ce qui nous arrive : que les logiques capitalistes, au bord de la crise, ont trouvé moyen en quelques jours à peine de reprendre le dessus, l’initiative. Plus uni-e-s contre nous que nous autres entre nous, mieux équipé-e-s, mieux informé-e-s puisque plus riches bien sûr, les capitalistes ont compris comment tirer le meilleur parti de la nouvelle situation. Où en était ce système capitaliste mondialisé dit néolibéral ? Je re-résume à tout hasard.

Le credo central des doctrines néolibérales était : les marchandises et les capitaux se déplacent sans entrave, le facteur travail (la main-d’œuvre, nous) est immobilisé. On sait l’importance, pour le prolétariat classique, de la mobilité – à la recherche des emplois et de meilleures conditions de travail. Mais depuis longtemps certains secteurs sont immobilisés, comme les esclaves interdit-e-s de s’éloigner sans lettre d’autorisation ou les populations serves, attachées à la terre. Les femmes dans leur majorité connaissent bien cette situation : Colette Guillaumin affirmait dès 1978 que le « confinement dans l’espace » constituait l’un des puissants moyens de l’appropriation des femmes [13]. Silvia Federici a montré plus récemment que cet enfermement dans l’espace domestique à partir de la fin du Moyen-Age en Europe, par le biais d’une extrême violence (plus d’un siècle de chasse aux sorcières), avait grandement contribué à l’accumulation primitive à partir de l’exploitation indirecte du travail des femmes dans la sphère de la reproduction sociale [14]. Bref, la main d’œuvre néolibérale est massivement immobilisée : rivée sur sa chaîne, dans son EHPAD, sa mine ou son dépôt d’ordure à recycler. Surveillé-e-s comme des terroristes en puissance : scanné-e-s des pieds à la tête, empreinte pour pointer, pour aller à la cantine, empreinte pour allumer ton téléphone, pour récupérer ton argent, smart cities et smart buildings, géolocalisation, cookies qui t’espionnent en permanence et pour ton bien (ne te suicide pas, consomme !), bracelet électronique à la moindre incartade, passeport biométrique et carnet de note « social » comme en Chine. Traçable et tracé-e, transporté-e dans le meilleur des cas comme un paquet qui met tout-e seul-e sa ceinture (de sécurité) pendant tout le vol, dans le pire des cas avec du scotch sur la bouche et des menottes aux mains et aux pieds. Certains mouvements, nécessaires, sont contrôlés savamment grâce aux papiers qu’on donne ou qu’on retire, aux barbelés qu’on déploie, aux murs qu’on dresse, aux flux qu’on organise (vous nous mettrez un peu plus de médecins cette fois-ci mais moins d’analphabètes, les récoltes sont finies, et puis plus de jeunes filles, bien sûr vous pouvez mettre des mineures, mais saines). C’était le credo : bouge pas, ferme-là, travaille, bouffe de la merde et consomme des trucs inutiles avec les micro-crédits qu’on te prête et estime-toi content-e, et puis souris quand tes dirigeant-e-s obtiennent des macro-crédits pour se payer des villas de luxe avec les rétro-commissions, souris parce que cet argent, il est un peu pour toi ou en tout cas c’est toi qui le rembourseras. Allez, fais pas la gueule, la grandeur du pays c’est un peu toi quand-même, et puis d’ailleurs ça ruissellera, promis !

Donc pour la plupart de la main-d’oeuvre : mobilité restreinte et encadrée. Pour les plus privilégié-e-s, au Nord, le collier n’est pas trop serré et laisse une impression de liberté, avec quelques congés pris en charter qui atterrissent à la porte de resorts d’occasion sans contact avec l’extérieur. Pour une frange assez importante des gens des Suds, séquestration en camps (de réfugié-e-s, de déplacé-e-s, de migrant-e-s, essentiellement des femmes et des enfants racisé-e-s), mais souvent ça n’empêche pas de travailler, au dedans ou au dehors, même si c’est bien plus difficile et peu lucratif. Une autre frange non-négligeable, qui se compte en millions de personnes, est immobilisée des Suds au Nord dans des prisons publiques et privées et des bagnes divers (essentiellement des jeunes hommes racisés, records mondiaux : Etats-Unis, Russie, Chine, Brésil). Bien souvent, avec l’obligation, en fait, de travailler. Au Pérou par exemple, dans les « prisons productives », les détenu-e-s fabriquent des tissages « ethniques » pour les touristes ou des crucifix pour la venue du Pape [15]. Ailleurs, ielles répondent prennent par téléphone des réservations de billets d’avion ou plient des cartons. Enfin, dans les territoires intermédiaires et les zones franches qui en constituent la quintessence (tout particulièrement en Chine et dans une bonne partie de l’Asie, souvent sur d’anciens camps de prisonniers de la deuxième guerre mondiale [16]), des dizaines de milliers de jeunes femmes et parfois de jeunes hommes « préparent leur mariage » en gagnant quelque argent, faisant bénéficier de leur dextérité et de leur patience les fabricants de composants électroniques, smartphones et autres ordinateurs civils et militaires dans de vastes usines dortoirs [17]. Dans plusieurs pays d’Asie du Sud Est, « protéger » les mineures et les jeunes femmes de la « traite » permet aussi de les enfermer et de les faire travailler jusqu’à leur rapatriement dans leur village d’origine (Miramond, 2020) [18].

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