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Brochure - Pandémie et effondrement économique, lequel est la cause de l’autre

21 avril 2020, 08:42, par A.B.

L’effondrement capitaliste est d’ailleurs aussi politique !

Il est vrai que l’année 2019 s’ouvre sur le soulèvement français débuté dès le 17 novembre 2018. Mais dès janvier, des peuples criaient leur colère au Venezuela et au Soudan où commençait une mobilisation de longue haleine. En février les villes d’Haïti se faisaient entendre contre la vie chère, celles du Sénégal étaient le théâtre de violences électorales. En Mars la jeunesse algérienne entamait un cycle de vendredis de mobilisation contre le « système ». En avril commençait une mobilisation universitaire en Colombie qui allait se prolonger jusqu’à l’automne. En mai (et jusqu’en octobre), la privatisation de la Santé et de l’École mettait le Honduras à feu et à sang. En juin, les ombrelles envahissaient les rues de Hong Kong en raison d’un projet de loi d’extradition. En août, le gouvernement indonésien faisait face à des émeutes en Papouasie. En septembre, les Haïtiens commençaient à réclamer bruyamment la démission de leur président Moise Jovenel tandis que les indonésiens prenaient la rue contre une réforme du code pénal particulièrement rigoriste. Le mois d’octobre, dans ces conditions ressemble à un bouquet final : soulèvement Oromo en Éthiopie contre Abiy Ahmed, premier ministre récemment nobélisé, soulèvement en Bolivie contre Evo Morales, président réélu et soupçonné de fraude électorale, en Équateur contre le prix de l’essence décidé par le président Lenin Moreno, élu en 2017 sur des promesses socialistes, au Chili contre Sebastian Piñera et la hausse du prix du métro, à Panama contre une réforme constitutionnelle interdisant le mariage Gay, en Irak contre les pénuries et la corruption, au Liban contre une taxe sur WhatsApp, au Honduras contre un président, Juan Orlando Hernandez, dont le frère vient d’être condamné pour trafic de drogue, en Guinée Conakry contre le 3° mandat du président Alpha Condé, en Catalogne contre la condamnation des dirigeants indépendantistes et l’État espagnol. Le 16 novembre, l’augmentation du prix de l’essence déclenche une flambée d’émeutes en Iran, auxquelles le régime répond par une répression brutale et la coupure d’Internet. Une quarantaine de villes sont touchées dont la capitale, Téhéran. Au total, ces mobilisations d’une ampleur et d’une longueur variable, mais toutes aussi déterminées et prêtes à l’affrontement physique avec le pouvoir, touchent 20 pays sur quatre continents. C’est plus, en extension géographique et en durée, que les mobilisations de 2011 nommées alors « printemps arabe ». En janvier et février 2011, les soulèvements tunisien et égyptien avaient chacun duré à peine un mois.

Les similitudes sont nombreuses et ont été décrites à l’envie. Comme en 2011, ce sont des soulèvements qui, sauf exception (Éthiopie peut-être), se font sans crier gare, c’est-à-dire sans préparation, sans organisation, sans leader. Ce sont des soulèvements massifs et largement populaires, qui imposent leur présence physique par des cortèges ou, comme en 2011, par des occupations de places (place Tahrir à Bagdad, sit-in géant au Soudan). Leurs répertoires semblent en écho les uns des autres. Ce sont des soulèvements d’engagement corporel, résilients face à la violence d’État, marquant par la mise en danger de soi la gravité et l’urgence de leurs exigences.

Leur déclencheur est toujours très concret et lié à une décision ou à des pratiques gouvernementales ressenties comme une mise en danger de la survie matérielle des personnes et des familles ou une remise en cause des libertés : le tarif des transports ou du carburant en France, en Équateur, au Chili ou en Iran, une loi liberticide en Indonésie, à Panama ou Hong Kong, des élections peu démocratiques en Algérie, en Bolivie et en Guinée, une taxe sur les communications au Liban.

Ces soulèvements ne sont portés par aucune idéologie préexistante, aucun projet politique connu ou reconnu qui les réunirait, aucune stratégie de type révolutionnaire. Mais ils se prolongent souvent au-delà de leur première victoire et tentent de s’organiser dans la durée.

Ni simples révoltes sans lendemain, ni révolutions à l’ancienne, ces mouvements portent une forte exigence vis-à-vis des pouvoirs : exigence de démocratie, exigence de justice et d’égalité, exigence de moralité publique. Au fond une exigence d’humanité solidaire.

Les soulèvements que le monde vit ou regarde avec sidération en cette année 2019, comme les soulèvements précédents, sont d’abord des soulèvements des corps, ceux des places occupées, ceux des affrontements avec les forces de l’ordre. Faute d’arguments et de légitimité, la réponse des gouvernements est toujours la même : une répression de plus en plus féroce. Si, comme l’analysait Foucault, « la politique, c’est la guerre continuée par d’autres moyens », alors la disparition de la politique caractéristique de notre temps ouvre à la possibilité d’une guerre menée par des pouvoirs contre leur propres peuples. Le président chilien Sebastian Piñera le déclare lui-même le 21 octobre : « Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant, implacable, qui ne respecte rien ni personne et qui est prêt à faire usage de la violence et de la délinquance sans aucune limite ». Sur le fond, le ministre français de l’Intérieur ne disait pas autre chose au plus fort de la mobilisation des Gilets Jaunes. La violence de la réaction des gouvernements face aux soulèvements de 2019 est à la mesure de la peur panique qu’ils leur ont inspirée.

Cette peur fut palpable en France pendant l’hiver dernier. Elle le fut aussi en Algérie où on a vu l’armée prendre les choses en main et pousser Bouteflika vers la sortie pour calmer la rue. Elle est aussi réelle à Hong Kong où après des semaines d’affrontements, l’Empire du milieu hésite devant un second Tien An Men et Carrie Lam, cheffe de l’exécutif, annonce le retrait du projet de loi sur l’extradition dès le 4 septembre. Car la peur ne se manifeste pas seulement par la violence de la répression. Elle se mesure aux concessions rapides faites par des gouvernements qui ne nous avaient pas habitués à une telle capacité « d’écoute » ces dernières décennies. En Équateur, la hausse des prix du carburant est annulée le 15 octobre alors qu’elle s’intégrait à un plan d’ajustement demandé par le FMI moyennant une aide de 4.2 milliards de dollars. Il en est de même de la hausse du prix du métro au Chili, « suspendue » le 19 octobre. En Irak, le pouvoir propose élections et transformations institutionnelles. Au Liban, le premier ministre démissionne le 30 octobre. En France, les mesures annoncées par le président en réponse aux Gilets Jaunes dès le mois de décembre 2018 se chiffrent à 17 milliards d’euros, assez pour contribuer à donner un coup de fouet à l’économie du pays dans les semaines suivantes. Au Soudan, la mobilisation civile qui a eu raison du dictateur Omar el-Bechir le 11 avril 2019 obtient le 4 août un compromis avec l’armée sur la transition politique.

À l’instar du soulèvement des Gilets Jaunes, ce surgissement désoriente observateurs et analystes qui tentent de convoquer les vieux schémas d’interprétation : révolte mondialisée ? Prémisses d’une révolution internationale ? Le journaliste François Lenglet parle même de « giletjaunisation » du Monde…

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