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Le sens de l’intervention impérialiste en Haïti

9 février 2010, 23:32, par Ayiti

Naître humain, Vivre en haïtien et mourir en animal

L’histoire s’achève à Villa Vasquez. Une petite commune de la République Dominicaine. Là ou s’achève des milliers d’histoires. Des histoires semblables ou seuls les acteurs changeant de visage ou de noms jouent toujours le même rôle.

Il s’appelait Jean Baptiste Antoine. Peu importe le nom. Il avait 44 ans. Peu importe son âge. Il avait cru comme beaucoup d’autres que naître de l’autre côté de la rivière aurait changé son karma.

Pour survivre il voulut forcer le destin et traversa le « massacre » à pied. A contre courant à contre sens et à contre jour.

Qui sait. Peut être avait il sillonné pendant plus de dix heures les sillons dénudés et arides de la chaîne du Bahoruco ?

Peu importe, il y est parvenu. La terre promise ! Là ou coulent, le travail, les discriminations et de quoi manger. Là il faut savoir fermer les yeux, veiller à ce que les oreilles restent bouchées, courber l’échine et marcher sur sa propre dignité. Juste pour avoir droit à quelques bouchées de manioc bouilli, saupoudré d’un soupçon de blanc d’œuf ou de hareng.

Il avait fini par s’adapter et s’intégrer harmonieusement dans sa condition d’immigrants-sans-papiers comme il s’était accommodé dans sa carapace d’haïtien depuis sa naissance.

Avant la dernière scène de Villa Vasquez, personne ne s’était inquiétée de savoir s’il avait de la famille, une ou des femmes. Cinq ou dix enfants.

Pourtant il n’était pas malheureux. Sous une tonnelle en bordure d’un champ en friche il avait l’habitude de se réunir avec des amis.

Doté d’une certaine inconscience bien venue et superbement calculée, il aimait s’asseoir de dos à l’ouest et tout ce qui s’y trouve. Ses pas dans l’eau. Ses trébuchements sur les sentiers abrupts. Les regards hagards de ses géniteurs. L’air perdu et vague du voyageur de l’inconnu de sa vieille mère attendant la mort. Ses racines…Haïti

Il prêtait peu d’attention à ceux qui ironisaient son accent et son mauvais espagnol. Mais dans une contrée ou l’espoir se dessine surtout en gris et en terre battue, tout était bon à prendre. Rire, remède infaillible.

Jean Baptiste n’avait pas trop réfléchi au futur. Ni proche. Ni lointain. Les jours se bousculaient à sa porte. Chacun avec son lot d’exigences.

Ce matin sous la tonnelle de Villa Vasquez, il racontait sa dernière blague. Il riait à tue tête et en cascade. Avec le plus beau rire de l’imbécile heureux. Tout à coup, il fut surpris par une déchirante douleur. Des céphalées, des coliques, des précordialgies, une angine. Peu importe. Il ne le dira à personne. Il avait appris aussi à maîtriser sa douleur.

Mais celle là était vraiment intense. Insupportable. Il voulut une dernière fois courber l’échine ; mais la douleur griffonna une ignoble grimace sur son visage qui se déforma et le terrassa.

L’assistance mis du temps à comprendre. Personne ne lui porta secours. Il ferma les yeux et cessa de vivre…

La nouvelle ameuta davantage les gens que l’expression hideuse de cette douleur extériorisée malgré lui. Les curieux se sont rassemblés pour écouter le récit de ceux-là qui avaient eu l’insigne privilège de voir mourir quelqu’un qui était bien vivant avant sa mort.

De l’autre côté de a la rivière il n’existe pas de mort naturelle. Il y a toujours une relation anticartésienne de cause à effet.

Trouver les causes de la mort n’était pas à l’ordre du jour. La réalité de la situation se dessina quand la multitude des curieux laissa place à un tableau plus que sombre. Il n’y eut que ce silence. Pas un cri, pas de larmes. Ni un pleureur ni de chorale de pleureuses professionnelles. Pas de famille. Pas de parents.

Les curieux s’en allèrent. Le corps de Jean Baptiste gisait à même le sol. Sa peau noire luisait encore couverte de fine couche de poussière blanche incorporée à l’épiderme.

Ceux qui l’écoutaient deux heures plus tôt se regardaient entre eux. Etonnés de ne pas ressentir de tristesse particulière. En fait cet individu n’était qu’un parfait inconnu. Ils ne savaient rien de lui. Si ce n’est qu’il était haïtien et qu’il s’exprimait en un mauvais dominicain qui faisait rire.

Le groupe diminua progressivement en nombre. Le silence devint de plus en plus lourd au fil des heures qui défilaient sans tenir compte qu’un cadavre non réclamé gisait au milieu de ces terres qui se perdaient à l’horizon. On n’entendait que zouzoument des cohortes de mouches qui arrivaient en battant de l’aile, attirées par l’odeur déjà pestilentielle d’un corps en décomposition.

Quelques chiens de rues, galeux et affamés commencèrent aussi à s’approcher d’une proie inhabituelle mais facile.

Plus le jour tombait, plus le corps inerte de Jean Baptiste prenait du volume et se déformait. Les rumeurs ont vite fait le tour de l’ensemble des quartiers de Villa Vasquez. Elles étaient de toute sorte. Revues, augmentées et corrigées jusqu’aux oreilles des autorités locales. La situation devenait inquiétante. Presque humainement insupportable. Le cadavre d’un haïtien sans papiers servait de nourriture à une bande de chiens affamés. C’est au moins ce qu’a appris le maire champêtre de Villa Vasquez.

La situation exigeait une action énergique et ferme pour le salut des habitants de la Ville. La municipalité ne dispose pas de fonds destinés à l’enterrement d’haïtiens sans papiers et indigents.

La peur d’être submergé sous le poids nauséabond d’une odeur pestilentielle de chair humaine en décomposition, réveilla de vocations de bienfaiteurs à un grand nombre d’habitants de Villa Vasquez qui généreusement cotisèrent et contribuèrent à l’achat d’un cercueil premier prix.

Le maire champêtre, une sorte de « chef section » de l’autre côté de la rivière se chargea d’accompagner Jean Baptiste libéré enfin de son fardeau vers une dernière demeure.

Il est né humain, il a vécu en haïtienn et il mourut en animal de l’autre côté, là ou il trouva du travail, des discriminations et de quoi manger.

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