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Après les élections présidentielles, où va la Côte d’Ivoire ?

6 décembre 2010, 14:15, par Robert Paris

Qui était Konan Bédié : le premier chef d’Etat à être renversé par la rue

Le 16 août, Achi Koman, président du Groupement pour le progrès et la solidarité (GPS), et candidat déclaré pour la présidentielle, dénonce dans des interviews accordées aux quotidiens Fraternité Matin (pro-gouvernemental) et Soir Info (privé), « l’invasion des étrangers ». Tout en mesure, il ajoute qu’il ne sait pas si ce problème (l’invasion des étrangers) pourrait amener les Ivoiriens à « chasser et tuer les étrangers ». Et pour être bien compris, il affirme que sur les 13 millions d’habitants en Côte d’Ivoire, 42 % sont des étrangers. Un recensement de 1988 faisait état d’une proportion de 28 % d’étrangers pour, à l’époque, 11 millions d’habitants.
Puis, tout en nuances cette fois, Achi Koman ajoute : « Ils se sont constitués en bandes de voleurs, violeurs, assassins », ajoutant que d’autres avaient « décidé de confisquer l’économie nationale ». Pour ramener le taux d’étrangers à moins de 10%, il propose que « tous les chômeurs, les délinquants, les hors-la-loi, les criminels » non-Ivoiriens soient « rendus à leur pays d’origine ».
Et pour endiguer l’immigration, il réclame que tous les emplois dans le secteur public et 90 % de ceux du privé soient « réservés en priorité aux Ivoiriens ».
Et enfin, très fin, Achi Koman explique aux journaux que son parti a choisi un balai comme logo de campagne électorale car la Côte d’Ivoire ne veut pas « constituer la poubelle du monde ».
Quant au cas Alassane Ouattara, Achi Koman a déjà tranché, affirmant que Ouattara est « beaucoup plus burkinabè qu’ivoirien » et que l’élire constituerait « une insulte à la Côte d’Ivoire » car « Il convient de mettre à la tête du pays un Ivoirien pur sang ». Des propos repris texto dans le très gouvernemental Fraternité Matin.
Dans une dépêche du 18 août, l’AFP souligne que « Béninois, Burkinabè, Maliens ou Ghanéens, les étrangers vivant en Côte d’Ivoire sont mal à l’aise à deux mois de l’élection présidentielle » et que « nombre d’entre eux rentrent au pays ou y renvoient leur famille par crainte de dérapages dont ils redoutent d’être les victimes. »
L’AFP en profite pour donner la parole à l’un de ces étrangers, Issiaka Kinda, débarqué en Côte d’Ivoire en 1949, chef coutumier à Yopougon, un quartier nord d’Abidjan, qui était aussi président de l’Association d’entraide et de solidarité burkinabè. Et que dit-il ? « Nous avons tous peur. Houphouët disait toujours : "La terre appartient à celui qui la met en valeur". Il nous a assuré qu’on était ici chez nous. Jamais, je n’aurais pensé qu’un jour on me traiterait d’étranger. »
L’AFP souligne aussi ce même jour que des Ivoiriens « pure souche » deviennent aussi victimes de la malédiction du faciès, relatant le cas d’une femme d’ethnie abron de l’est du pays qui s’était vu refuser le renouvellement de sa carte d’identité dans un commissariat d’Abidjan sous prétexte qu’elle « ressemblait à une Ghanéenne ».
A l’époque, Laurent Gbagbo, dans un intérêt électoral bien compris, soutient à tour de bras Ouattara contre Bédié et son parti, le FPI, est associé au RDR de Ouattara dans le cadre d’un Front républicain, un front créé en vue des élections à venir. Le 18 août, Gbagbo appelle ses sympathisants à « descendre dans la rue et y rester » pour contraindre le gouvernement à dialoguer en vue de réformer le code électoral. « Nous allons descendre dans la rue et y rester. Nous allons rester assis dans la rue jusqu’à ce que personne ne travaille. On sera obligé de parler », déclare-t-il lors d’un meeting à Soubré.
Gbagbo réclame aussi que tous les scrutins à venir soient organisés non plus par le ministère de l’Intérieur mais sous la responsabilité d’une commission nationale électorale autonome.
En réponse, Bédié annonce la création d’une commission électorale nationale "de supervision et d’arbitrage" placée "auprès du gouvernement" sans préciser sa composition ni ses compétences. Une proposition aussitôt rejetée par l’opposition.
Le 20 août, Laurent Dona Fologo, ministre d’Etat chargé de l’Intégration nationale et secrétaire général du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), rallié - soulignons-le - depuis la rébellion de 2002 à Laurent Gbagbo, monte au créneau pour rassurer. « Nous ne sommes pas de ceux qui, sous des prétextes divers, renvoient des Africains chez eux, nous ne l’avons jamais fait, nous ne sommes pas à la veille de le faire », déclare-t-il à la radio, ajoutant toutefois qu’il « peut se trouver qu’il y ait des Le Pen noirs ivoiriens. » Les condamne-t-il ? On ne saura, mais Fologo persiste sur la question du code électoral : « Nous avons simplement dit que parmi tous ceux qui vivent ici, chacun doit savoir sa place. Il y a des Ivoiriens qui sont électeurs, des Ivoiriens de naissance, des Ivoiriens par le mariage, des Ivoiriens par la naturalisation qui sont électeurs. »

Le 26 août, jour où le PDCI investit Bédié comme son candidat à la présidentielle, 20 000 personnes manifestent à Abidjan à l’appel de l’opposition pour exiger la révision du code électoral.
Mais Bédié peut être tranquille, il a des soutiens de taille. Lors de la Convention nationale du PDCI qui s’est tenue à Yamoussoukro pour le désigner comme candidat à la présidentielle, un Français, Jean-Pierre Bazin, délégué général du Rassemblement pour la République (RPR), le parti de jacques Chirac, prend la parole à la tribune et clame le « soutien total » de son parti à Konan Bédié et au PDCI.
« Chers compagnons, votre parti est la pierre angulaire du développement de la Côte d’Ivoire », déclare le représentant du parti de Chirac, avant de rendre hommage à « l’action courageuse et sage conduite par le président Henri Konan Bédié ».
Très prolixe ce jour-là, Jean-Pierre Bazin, qui poursuit sous les ovations des quelque 8 000 délégués de la Convention : le PDCI est « le premier parti de Côte d’Ivoire car vous êtes proches des gens, de leurs préoccupations quotidiennes et à long terme. Vous êtes un parti gouvernemental riche de son expérience. Votre efficacité repose dans votre capacité à accompagner les évolutions générales correspondant aux mutations internationales. C’est pourquoi le RPR dont est issu le nouveau président français Jacques Chirac est votre ami ». Au moins, ça a le mérite d’être clair. Mais quid de l’ivoirité, de ces étrangers "voleurs", et même "violeurs" ? Nada.
Lors de cette Convention du PDCI, Bédié a dû faire des envieux du côté de la Corée du Nord : les intervenants à la tribune n’ont pas lésiné sur les qualificatifs : "Timonier", "Sauveur", "Guide". On lui a également attribué le mérite du "miracle économique" ivoirien des années 1970, et la "décennie d’or" pendant laquelle il était ministre de l’Economie et des Finances.
Bédié, Dieu vivant ? Peut-être à entendre un des intervenants : « Que tous ceux qui ont des yeux regardent et voient, que tous ceux qui ont des oreilles écoutent et entendent : il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. » Et Laurent Dona Fologo, qui, quelques années plus tard, s’essuiera les pieds sur Bédié comme sur un vieux paillasson, d’en appeler ce jour-là aux mânes du défunt en affirmant que la candidature de Bédié à la succession correspondait « parfaitement à la vision du président Félix Houphouët-Boigny ».
Acceptant d’être candidat du PDCI à la présidentielle, cela lui fut demandé si gentiment, Bédié s’engage lors du discours de clôture de la Convention de son parti à être l’homme du « second miracle ivoirien », rien de moins, le premier étant la période dite de "l’âge d’or" qu’a connu la Côte d’Ivoire pendant les années 70 où les cours du cacao boustaient les recettes du pays.
« Je serai le président moderne d’une démocratie moderne, le président de tous les Ivoiriens », ajouta-t-il, réfutant d’être « le candidat d’un parti, d’une ethnie ou d’une croyance ».
Dans l’ébauche de son programme de futur président qu’il fit ce jour-là, il y avait quelques idées lumineuses, comme celle de créer un nouveau "contrat de travail partagé". En clair, un seul emploi pour deux personnes, qui permettrait pendant al période "sans travail" d’aller cultiver son champ. Quel dommage que ce projet n’ait pas eu plus d’écho dans le monde ! Et puis, en passant, Bédié évoqua aussi la nécessité de maîtriser l’immigration qui, dira-t-il, a atteint un « seuil critique ».

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