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Révolte sociale en Afrique du sud

2 juin 2010, 17:53, par R.P.

L’African National Congress (ANC) de l’Afrique du Sud a dégénéré au point de ‘’devenir aujourd’hui un danger clair pour l’intégrité de la société’’ écrit Richard Pithouse. Il fût un temps où on imaginait ‘’qu’avoir le pouvoir permettrait un projet politique collectif qui transformerait la société depuis le bas’’, note-t-il pour constater : ’’Au lieu de quoi on voit maintenant que c’est une affaire d’incorporation personnelle dans la minorité capable de profiter d’une société aux inégalités croissantes’’

La dégénérescence de l’African National Congress a atteint le point où, aujourd’hui, il pose un clair danger pour l’intégrité de la société. Julius Malema est l’un des exemples les plus illustratifs de la manière dont un mouvement engagé dans la libération nationale est devenu, selon les termes de Franz Fanon, « un moyen pour l’avancement personnel ». Mais Mlema n’est guère seul. Le Communication Workers Union (syndicat de la communication) a entièrement raison lorsqu’il diagnostique ‘’un Keeble-isme profondément enraciné’’ à l’intérieur de l’ANC ( en référence à Brett Kebble, un homme d’affaire sud africain à la réputation sulfureuse - NDLT)

Récemment, il a été révélé que Nonkululeko Mhlongo, mère de deux des enfants de Jacob Zuma, dispose de contrats de plusieurs millions de rands pour l’approvisionnement du KwaZulu Natal. L’épouse et la fille de Zweli Mkhise ont remporté un appel d’offre de 3 millions de rands du Department of Correctional Services. Ce genre de chose se produit depuis des années et ne peut être attribué à quelques individus problématiques. Au contraire, dans des cas comme celui des transactions concernant des armes et le double jeu de Valli Moussa entre Eskom et le comité de recherche de fond de l’ANC, l’organisation dans son ensemble a été profondément compromise. L’ANC a aussi été collectivement compromise pour avoir omis systématiquement de prendre une position claire à l’encontre des individus impliqués dans ces pratiques douteuses.

Il est peut-être vrai que le poisson pourrit par la tête, mais il est essentiel que nous comprenions que la dégénérescence de l’ANC n’est pas juste le fait de l’accroissement de pouvoir d’une élite prédatrice à l’intérieur du parti. Il fût une époque où l’on imaginait le pouvoir comme le moyen pour un projet collectif et politique de transformer la société depuis le bas. Et c’est maintenant compris à tous les niveaux du parti, que c’est le moyen pour l’incorporation personnelle, dans une minorité déterminée, pour profiter des inégalités croissantes de la société. Ce processus effrite un peu la domination raciale, mais ne laisse guère de place à l’espoir pour une société meilleure, si c’est là que se situe la limite de nos aspirations.

L’ANC a abandonné le langage de la justice sociale au profit d’un langage fantaisiste post-politique : ‘’livrer’’. Ce langage suppose qu’il suffit à l’Etat de satisfaire aux besoins élémentaires de survie et que cela est simplement une question d’efficience technique. Le premier problème avec le langage de livreur est que la livraison elle-même est souvent une stratégie pour contenir les aspirations populaires plutôt qu’une stratégie pour favoriser un épanouissement humain universel. Larguer les gens dans ’’des opportunités d’habitations’’ dans des ghetto périphériques, où il y a peu d’espoir pour plus qu’une assistance pour les enfants et la possibilité ’’emploi’’ à court terme, peut aider à éviter que les gens descendent dans la rue. Mais ceci n’est du développement que dans le sens le plus pervers du terme. Le second problème c’est que la fantaisie de développement comme question post politique de gouvernement qui travaille plus vite, plus dur et plus intelligemment, ne parvient pas à prendre en compte les réalités profondément politiques qui forgent toute tentative de développement.

Des décisions politiques doivent être prises pour résoudre des questions comme de savoir si les valeurs sociales de la terre et des services doivent prévaloir sur leurs valeurs commerciales. Lorsque ces questions ne sont pas prises en compte ’’les services’’ ne peuvent être acheminés que vers les marges de la société et contribuent ainsi activement à la marginalisation.

Mais la nature politique inévitable du développement ne concerne pas seulement les intérêts des pauvres d’un côté et d’autre part le pouvoir des riches et des multinationales. Il y a aussi un jeu politique qui se joue entre les gens sur le terrain et les élites locales du parti. Souvent, des fonctionnaires, s’efforçant en toute bonne foi de suivre les directives des politiciens importants, voient leurs efforts pour implanter un développement technologique détournés par l’élite locale du parti à leur seul profit.

Ceci n’est pas toujours simplement du pillage. Souvent l’allocation de maison et de service ainsi que les contrats qui font partie du processus sont subordonnés à un système de clientélisme et de patronage par lequel l’ANC cimente le soutien politique au parti au niveau local. Dans nombre de cas, les projets de développement justifiés au nom de la satisfaction des besoins des gens deviennent des projets principalement orientés vers la consolidation d’alliances au niveau de la base des structures du parti. Les différents comités, y compris le comité exécutif de la branche locale, sont peuplés d’une multitude de mini Malemas.

Selon l’analyse de Fanon, il y a inévitablement un côté autoritaire sous-jacent qui accompagne la dégénérescence d’un parti en une entreprise pour l’avancement personnel. Il écrit que le parti ’’aide le gouvernement à maintenir les gens sous le joug. Il devient clairement de plus en plus antidémocratique, un instrument de coercition.’’. Un parti qui dit et qui doit continuer à dire que ce qu’il fait est pour le peuple, alors qu’en réalité il est devenu un moyen pour l’avancement personnel grâce à la domination, s’effondrera inévitablement dans la paranoïa et l’autoritarisme, en tentant la quadrature du cercle, en prétendant, pour lui-même aussi bien qu’à l’intention des autres, que l’enrichissement personnel est, d’une certaine façon, le vrai fruit de la libération nationale.

Dans l’Afrique du Sud contemporaine, il n’est pas du tout inhabituel de trouver que les gens vivent dans la peur des conseilleurs locaux et de leurs comités et des comités des branches exécutives. Ce n’est en fait pas une exagération de dire que nous avons développé un système politique des deux tiers, avec des droits politiques libéraux pour la classe moyenne cependant qu’on coupe court aux droits politiques fondamentaux des pauvres.

Les mouvements politiques des pauvres sont depuis longtemps l’objet d’une répression violente et illégale de la part des élites politiques locales qui agissent dans la plus complète impunité. Comme ces pratiques ont été normalisées, elles n’en prennent qu’une tournure plus effrontée. Le soutien enthousiaste de personnages clés de l’ANC local et provincial lors des attaques contre le Abahlali baseMjondolo à Durban, en septembre 2009, représente un des points les plus bas auquel l’ANC ait échu dans l’Afrique du Sud post-apartheid. Mais le sort de Chumani Maxwele, le jogueur du Cap, sur qui la masse de toute la paranoïa et parfois de la folie de l’ANC s’est abattue, a fait plus qu’aucun autre évènement pour révéler au grand public l’autoritarisme paranoïde profondément ancré dans l’ANC.

Il y a naturellement des personnes et des tendances dans le parti qui sont opposées à la façon dont il est devenu une autre excroissance prédatrice de la société. Mais l’ANC n’a plus de réelle vision politique et est profondément, et souvent violemment, méfiante à l’égard de toute politique qui émerge du bas, que celle-ci provienne de l’intérieur ou de l’extérieur du parti. Il peut faire des déclarations condamnant la corruption, mais le fait est que la machine politique par laquelle il est élu, est systématiquement fondée sur le patronage, le clientélisme et la corruption. Il ne peut donc pas s’opposer à cela sans fondamentalement s’opposer à ce qu’il est devenu. Il n’est pas du tout clair s’il y a une réelle perspective pour que l’organisation développe une véritable vision politique qui lui permette de se mobiliser contre elle-même, contre ce que les National Union of Metalworkers (syndicats de la métallurgie) ont appelé ’’les gangs de maraudeurs’’ qui ont compromis l’ANC à tous les niveaux. Si toutefois, il est toujours possible de proposer effectivement une vision politique alternative, il est fort possible que cette tâche incombe à ces syndicats, aux mouvements des pauvres et aux Eglises qui sont déjà devenues la conscience de la nation.

Richard Pithouse

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