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Un camarade nous quitte : Jacques Morand

14 mai 2015, 15:22, par Robert Paris

Voici ce qu’il déclarait au congrès en février 2006 au nom de la minorité de Lutte Ouvrière :

Chers camarades,

Il y a un temps, en 1968 par exemple, nous nous moquions de ces faux communistes, les staliniens en l’occurrence, qui n’avaient pas su, en fait pas voulu évidement, reconnaître la révolte d’une fraction de la jeunesse ouvrière sous prétexte que cette révolte n’avait pas pris les voies qu’ils attendaient ou qu’ils préconisaient. Et c’est un thème que LO a développé bien souvent par la suite et à d’autres occasions et pas seulement dans l’article de Voix Ouvrière dont nous citons un passage dans la tribune de la dernière LDC.

Je crois que nous étions loin d’imaginer, en tout cas j’étais loin d’imaginer que, des décennies plus tard, notre presse et nos différentes déclarations, en particulier certaines signées avec la gauche, montreraient une incompréhension plus ou moins similaire face à l’explosion des banlieues.

Parce que c’est quand même bien, pendant deux ou trois semaines, à une révolte d’une fraction de la jeunesse prolétarienne que nous avons assisté. Et ça, il fallait le dire et le dire clairement. Et ça n’a été dans aucun des textes de la majorité.

Ce sont les chiffres, publiés maintenant par la police ou la justice, qui nous le disent eux-mêmes, c’est la grande presse qui le corrobore, après coup. Ainsi Le Monde de la semaine dernière, mais il n’était pas le seul, toute la presse du Parisien au Figaro l’a repris, en décortiquant à la fin de cette semaine les données fournies sur les jeunes arrêtés, découvrait avec surprise, une surprise réelle ou feinte, que la plupart d’entre eux, je cite Le Monde « sont inscrits dans des formations professionnelles, souvent en apprentissage ». Il s’agissait de ceux qui étaient mineurs. Et que la majorité aussi n’étaient absolument pas connus des services de police. Et, quant aux majeurs, eux, ils appartiennent, nous dit la même presse, à cette jeunesse qui travaille ou essaie de travailler, qui va de petits boulots en chômage, d’intérim en intérim.

Eh bien, camarades, si ce n’est pas la jeunesse ouvrière d’aujourd’hui ou une fraction de cette jeunesse, qu’est-ce que c’est ?

Eh oui, c’est cette jeunesse-là, que cela nous plaise ou non, qui a brûlé les voitures, les écoles ou les bus, et qui s’est battue parfois avec la police. Et pour cela elle n’avait pas besoin d’être incitée par les voyous ou les petits trafiquants comme le laissait entendre un premier éditorial de LO. Les vrais voyous ou les vrais trafiquants, la jeunesse n’a même pas eu à les écarter de sa révolte, ils se sont écartés eux-mêmes. C’est la police elle-même qui le dit : les quartiers qui sont restés tranquilles sont les quartiers qui ont été contrôlés par les bandes de dealers ou de vrais trafiquants et ça n’a rien d’étonnant car il est bien évident que le business n’aime pas la révolte, qu’elle soit de la jeunesse ou d’autres, et préfère le calme.

De toute manière les chiffres sont là : 4700 interpellés, plus de 3100 gardes à vue et comme on peut soupçonner que la police n’a pas ramassé plus d’un jeune sur dix, et je suis largement au-dessous de la vérité, ça doit plutôt être un jeune sur 20 ou sur 50, ça veut dire que des dizaines de milliers de jeunes des quartiers pauvres sont descendus dans la rue ces nuits-là, actifs ou passifs mais en tout cas sympathisants de ceux qu’on a appelés les émeutiers.

Oui, eh bien cela constitue une bonne fraction de la jeunesse ouvrière actuelle. D’ailleurs ce sont nos ennemis eux-mêmes qui le reconnaissent. Qu’est-ce que ça veut dire quand de Villepin, dans une mesure phare paraît-il, annonce qu’on va les envoyer en apprentissage, est-ce que ce n’est pas une reconnaissance de sa part que ce sont bien des jeunes ouvriers ? Et une autre chose qui nous le montre, c’est la façon dont la justice a frappé. 422 condamnations à la prison ferme, 118 mineurs placés en mandat de dépôt, on n’en a pas vu souvent, des mouvements qui ont amené de telles condamnations en aussi grand nombre. En tout cas, camarades, c’est cette analyse de classe qui devrait servir de boussole politique à des communistes, dont le premier but devrait être d’essayer de comprendre le potentiel et aussi les dangers d’une telle révolte qui ne mène nulle part aujourd’hui, mais qu’elle peut contenir dans l’avenir.

Sinon, on en sera réduit, on en est réduit, à déplorer, à plaindre, à essayer d’avancer des solutions qui pourraient ramener le calme et faire rentrer cette jeunesse dans le rang, et c’est ce qu’a fait toute la gauche. Et c’est comme cela qu’on peut se laisser dériver et en venir à signer avec cette gauche, la gauche de la gauche plus exactement, des Verts à la LCR (non pardon, la LCR a fait quelques réserves cette fois-là, une fois n’est pas coutume), une déclaration comme celle que LO a signée avec la Ligue des Droits de l’Homme la semaine dernière. Une déclaration qui n’avait même pas l’excuse d’inviter à une action de protestation, qui n’était qu’un manifeste politique inspiré, comme le disait Trotsky, par les vieilles filles de la Ligue des Droits de l’Homme et qui reflète les sentiments d’une gauche qui est à la fois désemparée et extrêmement inquiète devant la révolte de la jeunesse. Une déclaration, je ne résiste pas à vous lire certains passages, qui d’abord reprend les âneries des républicains de gauche du style : « Nous souhaitons ouvrir une autre perspective que celle qui conduit à l’impasse actuelle, cela passe par la mise à l’ordre du jour de quatre exigences fondamentales : la vérité, la justice, l’égalité et le respect », une déclaration qui propose des solutions tellement ridicules qu’on hésite presque à les citer : « Restaurer la situation dans ces quartiers c’est d’abord restituer la parole à leurs habitants » (la parole, je vous signale que les jeunes l’avait prise là) « Des cahiers de doléance doivent être discutés, ville par ville, selon les principes de la démocratie participative entre représentants des habitants, associations, syndicats, élus locaux et représentants de l’État. » Voilà la solution qu’ils préconisaient. Et enfin une déclaration qui, de toute évidence, reflétait cette peur devant cette révolte et surtout la volonté à tout prix de ramener le calme, et je cite encore : « Faire cesser les violences qui pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme est évidemment nécessaire dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal, et ne pas conduire à des surenchères, ne saurait être la seule réponse. D’ores et déjà nous devons ouvrir un autre chemin, si nous ne voulons pas que se poursuivent ou se renouvellent les violences qui viennent de se produire. »

Eh bien camarades, LO n’aurait jamais dû, jamais dû signer une telle chose. C’est tout autre chose que les révolutionnaires avaient à dire, d’abord aux travailleurs en général et ensuite, sur les responsabilités du mouvement ouvrier et de la gauche, y compris de cette gauche qui produit de telles déclarations. D’ailleurs, ce n’était pas difficile de prendre cette position, parce que les réactions des travailleurs ont été loin de celles que nous pouvions craindre.

suite à venir...

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