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Les leçons de la grève des enseignants en 2018 aux USA

28 août 2018, 06:31, par Richard Greeman

Le mouvement états-unien est d’abord apparu en Virginie Occidentale, où des groupes d’enseignant•e•s auto-organisés ont commencé à quitter leur travail en février, école par école, comté par comté. Les enseignant•e•s de Virginie Occidentale étaient parmi les plus mal payés de l’ensemble des États-Unis et leurs élèves parmi les plus pauvres – au point que les enseignant•e•s, sous-payé•e•s achetaient régulièrement des fournitures scolaires et apportaient des vêtements usagés et de la nourriture à leurs élèves démunis. Pourtant, beaucoup de ces enseignants sont obligés de prendre un deuxième emploi (y compris de ménage) pour survivre. Dans la période qui a précédé la grève, ils avaient invité le public à se rendre dans les écoles afin que les gens puissent juger des conditions par eux-mêmes.

« Les enseignants de Virginie Occidentale ont inventé des moyens de s’organiser et d’agir en dehors des paramètres du syndicalisme traditionnel, » commente le NY. Times. « Enseignants et agents dispersés à travers l’Etat ont partagé leurs frustrations dans un énorme groupe Facebook, et leur grève a fini par englober des membres de trois syndicats différents et beaucoup de non-syndiqués. Quand ils ont défié les appels des syndicats de terminer la grève le 1er mars, les grévistes ont redoublé leur pression sur les législateurs de leur octroyer leurs augmentations.[2] » Ce qui démontre, conclut le N.Y. Times, « qu’il ne suffit pas de saper le financement des syndicats d’employés publics (mesure que la Cour Suprême vient de décider) pour assurer la paix sociale. »

Ces victoires ont été remportées grâce à une combinaison de tactiques : une organisation locale de la base ; une utilisation créative des médias sociaux ; des alliances avec les parents d’élèves et d’autres travailleurs (syndiqués et non organisés) ; et, finalement, des marches protestataires de masse vers les sièges du gouvernement pour une confrontation directe avec les responsables publics (gouverneurs et parlementaires des États) qui détiennent le vrai pouvoir d’ouvrir les coffres et de payer pour ces réformes si désespérément nécessaires.

Le 22 février, les directions des syndicats – la Fédération Américaine des Enseignants (American Federation of Teachers, AFT) et l’Association de l’Education Nationale (National Education Association, NEA) – ont finalement appelé à une grève officielle à l’échelle de l’État. Les autorités scolaires ont d’abord dénoncé la grève comme étant perturbatrice et « illégale » (ce qui était prévu par les lois antisyndicales de Virginie Occidentale) mais confrontées à une vaste participation et au soutien des parents d’élèves, elles ont fermé officiellement les écoles. En tout cas, les autorités ont peu d’influence sur les enseignants de Virginie, dont les salaires sont si bas que beaucoup ont déjà quitté l’État, conduisant à une grave pénurie d’enseignant•e•s !

Les enseignants de base défient le gouvernement
et les leaders syndicaux
Le 27 février, le gouverneur ainsi que les dirigeants de l’AFT et de l’AEN, ont annoncé un accord, censé mettre fin à la grève. Cependant, les enseignant•e•s n’avaient jamais entendu parler de cet accord, qui leur a été communiqué par les médias et par un tract le dénonçant (signé par IWW ou Wobblies), diffusé sur Facebook. La page privée Facebook des grévistes compte, selon une source, 20 000 membres. Après discussion, les membres ont voté et massivement rejeté l’accord annoncé, défiant ouvertement à la fois le gouvernement et les syndicats et obligeant les médias, embarrassés, à rétracter ces informations prématurées.

La grève a donc repris à plein régime. Grâce à Internet, les enseignants habitant dans les vallons isolés (« Hollers ») de l’ « Etat Montagneux » (nom officiel de la Virginie occidental) restaient constamment informés des manigances de leurs ennemis politiques au Capitole[3]. Les enseignant•e•s et leurs alliés ont ainsi pu mobiliser en temps réel une marche de tous les comtés sur Charleston, , où ils ont organisé un piquet de grève devant le parlement et obtenu une augmentation de 5 .000$, non seulement pour les enseignant•e•s, mais aussi pour les chauffeurs d’autobus, les concierges et autres agents qui participent au fonctionnement des écoles. Ils ont également obtenu de l’aide pour les élèves sous la forme d’un financement accru pour les écoles largement sous-financées de l’Etat. De plus, les grévistes ont pu empêcher le gouvernement de l’État de payer leur victoire en privant d’autres services publics ou en imposant une taxe de vente qui pénalise également les pauvres. Les grévistes ont insisté pour qu’une source stable de financement (une taxe sur le gaz naturel) soit trouvée avant qu’ils ne soient prêts à rentrer chez eux.[4]

La victoire en Virginie Occidentale a inspiré les enseignants de l’Oklahoma, riche en pétrole, où un débrayage organisé par les syndicats a tout de suite permis une augmentation annuelle de 6 000 $. Mais l’affaire n’était pas finie. Les enseignant•e•s de l’Oklahoma ont continué à manifester pendant plus de neuf jours devant le Capitole pour réclamer un financement supplémentaire pour les écoles et en insistant pour qu’il soit financé par des taxes sur le pétrole, le gaz et le tabac. Dans le Kentucky, les enseignant•e•s se sont rassemblés devant le Capitole de l’État pour protester contre les changements apportés à leurs régimes de retraite et exiger plus d’argent pour les écoles.

Le mouvement est ensuite passé au Far West à l’Etat ultra-conservateur d’Arizona. « Toutes ces grèves ont été construites par la base, de bas en haut, non pas à la suite d’appels de la direction de l’un ou de l’autre des syndicats nationaux d’enseignants » a remarqué le journaliste Juan Gonzalez, interrogeant un participant, Noah Karvelis, qui a répondu que : « oui, tout a commencé par une organisation de base spontanée. Nous avions suscité des énergies et construit une infrastructure, tout en coopérant avec le syndicat AEA pour avancer. Et cela commença quand des enseignants se sont levés pour dire qu’il faut changer les choses et que les enseignants sont ceux qui vont les faire changer. »[5]

Puis, la lutte s’est étendue à la Caroline du Nord. « environ 40 districts ont fermé leurs écoles pour la Grève d’un jour du 17 mai et près d’un million d’élèves ont été affectés. On a compté au moins 15 000 enseignants à la « Marche pour les Elèves et le Rassemblement pour le Respect, » qui coïncidaient avec l’ouverture de la nouvelle session législative. » Les élus ont dû y faire attention.

Tous ces gains étaient sans précédent, non seulement en raison de l’importance des augmentations, mais aussi de leur caractère politique, leur caractère de classe. Il ne s’agissait plus de « revendiquer » mais de participer directement dans le processus législatif, dans les décisions politiques concernant le budget et la préservation des services publics. Bien que compliqués, ces questions ont été négociées directement par des groupes de travailleurs auto-organisés avec l’aide technique des professionnels des syndicats.

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