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Evolution du syndicalisme ouvrier

dimanche 10 octobre 2010, par Robert Paris

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1- La Charte d’Amiens

2- Karl Kautsky

3- Léon Trotsky

La Charte d’Amiens
XVe Congrès national corporatif - IXe de la CGT - Amiens, 8-16 octobre 1906
Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT : " La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat ".
Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : dans l’oeuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’oeuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale. Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat. Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale ".


Politique et Syndicats
Karl Kautsky

1900


"IV
Nous avons vu que lorsque les syndicats font de la politique, ils font en réalité ou de la politique socialiste, ou de la politique anti-socialiste, qu’ ils ne peuvent pas à l’égard du parti socialiste garder une neutralité réelle, que leur neutralité ne peut être qu’apparente.

D’un autre côté, nous avons déjà montré au commencement de ce travail que la direction du mouvement syndical tend partout à les rapprocher de plus en plus du parti ouvrier. Cette tendance est fortement motivée par des circonstances qui n’agissent pas moins en Allemagne qu’ailleurs.

La neutralité politique, ou pour mieux dire, l’indifférence politique des syndicats remonte à la période de 1850 à 1875 environ, à cette époque où l’industrie anglaise avait pris le plus brillant essor sous l’influence du libre échange et de la libre concurrence. Le syndicat était alors un moyen, pour un certain nombre de métiers du moins, d’opposer une phalange serrée de salariés aux entrepreneurs, divisés par leur propre concurrence, et par la concurrence étrangère ; le syndicat balançait ainsi la prépondérance du capitaliste sur l’ouvrier isolé. Il allait, à ce qu’il semblait, faire des ouvriers les égaux des capitalistes ; il allait les introduire dans la bourgeoisie, en les réconciliant avec elle et en les éloignant des « utopies » socialistes.

Mais tous ces beaux résultats qu’on attendait de l’action syndicale, disparaissent de plus en plus, même en Angleterre. Car la longue crise qui dura de 1876 à 1887 amena la banqueroute sinon du capitalisme, du moins de la théorie de Manchester, de la foi dans les heureux résultats du libre échange et de la libre concurrence. Les capitalistes auront désormais un autre idéal : le monopole à l’intérieur et à l’extérieur, les droits protecteurs et la solide alliance des entrepreneurs. Par là se modifient aussi les vues et la position des syndicats. Aux rangs serrés des salariés d’un métier s’opposent maintenant les rang serrés de leurs exploiteurs, et la proportion des forces entre les ouvriers et les entrepreneurs qui existait autrefois entre l’ouvrier et l’entrepreneur isolés, se trouve reproduite sur une plus grande échelle.

Encore maintenant (1900), dans une période de prospérité, ce phénomène est très facile à constater. Grâce aux coalitions d’entrepreneurs, tous les fruits dus au grand développement de l’industrie sont échus presque exclusivement aux capitalistes. Les prix de toutes les marchandises ont plus haussé que celui du travail de l’ouvrier. Ce travail a été plus considérable, plus régulier, mais à part cela les prolétaires n’ont tiré aucun avantage matériel de ce grand épanouissement industriel, malgré les progrès de l’organisation syndicale.

Des théoriciens mêmes, peu suspects « d’orthodoxie » marxiste, voient les syndicats sérieusement menacés par les associations d’entrepreneurs.

Voici ce que disent M. et Mme Webb à ce sujet dans leur livre sur la Théorie et la pratique des syndicats anglais :

« Si toute l’industrie est dans la main d’un grand entrepreneur, ou est répartie entre un petit nombre d’entrepreneurs ne se faisant pas concurrence – et surtout si le monopole est protégé d’une façon quelconque de nouveaux rivaux – alors le syndicat reconnaît que ses méthodes sur l’assurance mutuelle et sur le contrat collectif ne lui sont d’aucune utilité. Cela s’applique, par exemple aux grandes compagnies de chemins de fer du Royaume Uni, et à quelques-uns des grands trusts capitalistes des Etats-Unis.

« En face des ressources infinies, de la clientèle assurée par le monopole, de l’unité absolue de direction de ces Leviathans modernes de l’industrie, le pauvre quart de million du plus riche syndicat et la révolte de un ou deux cent mille ouvriers opiniâtres et exaspérés ne produisent pas plus d’effet que les flèches qu’on lancerait contre un cuirassé. Dans de tels cas, ce n’est que de la législation qu’on peut attendre des lois générales, common rule, améliorant les conditions du travail ; les syndicats en lutte avec de si puissants intérêts n’obtiendront que très difficilement ces lois, mais une fois qu’elles seront acquises, elles seront d’une application et d’une exécution faciles, grâce à la belle organisation de l’industrie. Nous pouvons donc admettre que l’excessive concentration de l’industrie en trusts et en monopoles aura pour effet, soit de ruiner les syndicats en annihilant tous leurs efforts, soit de les amener à user de leur influence presque exclusivement en faveur de la législation » (II, p. 93).

Dans ce second cas, c’est encore la ruine des syndicats qui se prépare. Un syndicat qui ne fait que de la politique, devient tout à fait inutile. Un parti politique s’acquittera bien mieux de cette fonction qu’un syndicat. Si Webb était socialiste au lieu d’être Fabien, il aurait tiré cette conclusion de son exposé : Le développement de l’industrie conduit à la décadence des syndicats et à leur remplacement par un parti ouvrier.

Ce n’est cependant pas notre opinion ; le développement industriel ne ruine pas les syndicats, et ne les force pas à ne faire que de la politique ; mais il les oblige à renoncer à leur isolement, ou ce qui revient au même, à leur politique de neutralité.

Le nombre croît toujours de ces métiers dont le syndicat isolé, séparé de tout le reste du prolétariat, indifférent, « neutre » à son égard, est tout-à-fait incapable de soutenir sa corporation dans une grande lutte contre les entrepreneurs, et se voit forcé de faire appel à tous les moyens de lutte dont dispose le prolétariat en masse ; ce n’est pas renoncer à l’action isolée, exclusivement syndicale, afin de se vouer exclusivement à la politique ; c’est au contraire unir l’action syndicale à l’action politique, c’est unir les moyens de pression dont dispose le syndicat à ceux du parti politique. Mais parmi ces derniers moyens, il n’y a pas seulement les moyens parlementaires, bien que ceux-ci soient les plus importants, les plus longtemps efficaces. Outre les représentants du parti au Reichstag et dans les Landtag, il y a aussi à considérer ses représentants dans les administrations communales et dans la presse.

Les imprimeurs « neutres » eux-mêmes se virent forcés, en 1891-92, de faire appel, pendant leur longue grève, au parti socialiste pour en obtenir des secours. S’il y a une classe d’ouvriers qui n’a aucun espoir de lutter victorieusement contre l’organisation des entrepreneurs, au moyen de son organisation syndicale, c’est celle des mineurs aux tendances neutralistes. Pour ces ouvriers (et aussi pour les employés de chemin de fer en Prusse) il est bien plus important d’élire des députés socialistes au Landtag de Prusse que d’essayer, sans grand espoir de succès, de rallier des collègues ultramontains à la cause du syndicat, en déguisant les socialistes en inoffensifs amis des ouvriers. D’un autre côté les députés socialistes au Landtag prussien feraient pour nous une propagande bien plus efficace parmi les mineurs hostiles encore, que celle qu’on pourrait attendre de la plus stricte neutralité. Si nous attachons une telle importance aux élections au Landtag prussien c’est surtout à cause des mineurs et des employés de chemin de fer qui réclament avec tant d’instance une « politique de parti » de ce genre.

Ce n’est pas l’éloignement des syndicats du parti socialiste, mais une action commune de plus en plus intime de ces deux éléments, que le développement industriel rend de plus en plus nécessaire. Cette tactique n’est nullement en contradiction avec la nature du mouvement syndical ; pour le montrer nous n’avons qu’à jeter un coup d’œil sur l’Autriche dont les syndicats ont eu récemment leur dernier congrès. Nous empruntons au compte-rendu de la commission syndicale cette heureuse constatation que de 1892 à 1899 le nombre des membres des syndicats autrichiens s’est élevé de 66.080 à 157.773 ; il a donc plus que doublé. Le tirage annuel de la presse syndicale a augmenté dans une proportion encore plus forte. Il était en 1894 de 930.600 numéros, en 1899-1900 de 4 624.300 ; il a donc plus que quadruplé en l’espace de quelques années.

« Le rapport, dans son ensemble , conclut la commission syndicale, montre surabondamment que le mouvement syndical progresse constamment, ce qui est le résultat des efforts communs de forces exerçant une action syndicale et politique » . On lit encore dans ce même rapport : « C ’ est la force invincible de l ’idée socialiste qui fait échouer toutes les tentatives que fait la bourgeoisie pour traîner la classe ouvrière à sa suite, qui maintient pure la lutte prolétarienne de classe, et qui fait progresser l’organisation ouvrière » .

Dans l’article où l’Arbeiterzeitung de Vienne souhaite la bienvenue au congrès (10 juin), elle fait cette constatation :

« Dans leur pénible lutte de chaque jour contre les entrepreneurs, où les plus modestes résultats ne s’obtiennent souvent qu’au prix des plus grands efforts, les ouvriers organisés de l’Autriche n’oublient pas qu’un grand idéal les appelle à cette lutte sublime. Affranchir les prolétaires du salariat qui les asservit, fonder une société solidaire assurant à chacun le produit de son travail, tel est le but dont ils cherchent avec un effort inlassable à se rapprocher. Les syndicats autrichiens sont socialistes : Voilà le fait qui mettra fin à la duperie de la démagogie bourgeoise. Il n’est pas impossible de rassembler une réunion soigneusement gardée quelques centaines d’hommes hurlant de se trouver ensemble dans un parti ouvrier « nationaliste » ou « chrétien » . Mais ce sont les syndicats socialistes qui nous font connaître les sentiments et les idées des masses ouvrières en Autriche. Et cette calomnie est tombée du même coup, qui prétendait que le parti socialiste ne représentait pas la cause des ouvriers, et qu’il n’était professé que par leurs meneurs. Les représentants des ouvriers organisés, qui se réuniront lundi sont des socialistes comme ceux qui les ont délégués. Et c’est parce qu’ils croient au grand avenir du prolétariat, à la vérité de leur idéal, qu’ils se sentent le courage de lutter avec joie actuellement pour remporter de modestes avantages qui n’auront toute leur signification et toute leur valeur que dans les luttes prochaines » .

Voilà les idées auxquelles appartient l’avenir, et non les timides travestissements de candidats socialistes en « amis des ouvriers » , de la politique socialiste en « politique ouvrière ».

Mais que l’on ne s’imagine pas qu’une étroite alliance des syndicats et du parti socialiste se fasse tout au profit des premiers. Cela n’est pas : le parti socialiste a tout autant besoin du secours des syndicats, que ceux-ci ont besoin du parti, et si le développement économique invite les syndicats à s’appuyer de plus en plus sur la politique de parti, ce développement pousse également le parti politique à rechercher l’appui des syndicats.

Les avantages politiques que le prolétariat a acquis jusqu’à présent ne sont pas dus à sa seule force, mais aussi et surtout, d’une part, à l’opposition que se faisaient entre eux les partis dominants, cherchant tous à se concilier le prolétariat, et, d’autre part, à la force de la petite bourgeoisie démocratique. Le prolétariat anglais doit la journée de dix heures et le droit électoral, en grande partie, à l’antagonisme de la propriété foncière et du capital industriel ; le suffrage universel est né en Allemagne d’une opposition analogue ; en France, la république a été conquise et s’est maintenue par le prolétariat uni à la petite bourgeoisie radicale.

Mais au fur et à mesure que le prolétariat prend des forces, tous ces éléments qui ont favorisé jusqu’ici le progrès politique disparaissent. L’opposition entre la propriété foncière et le capital s’atténue à vue d’œil, en même temps que s’accuse plus nettement leur opposition commune au prolétariat, et la petite bourgeoisie ruinée se jette dans les bras de la réaction.

Il est vrai que pour le prolétariat politiquement autonome, la question des alliances passagères prend de plus en plus d’importance, mais précisément parce que la démocratie bourgeoise dépérit de plus en plus, devient de plus en plus incapable de résister par ses propres forces aux assauts des réactionnaires, parce qu’elle a un besoin de plus en plus urgent de l’aide du prolétariat. On se tromperait en considérant ces alliances comme un moyen de conquérir de grands avantages politiques. Nous pourrons nous tenir pour satisfaits, si, grâce à elles, nous parvenons à arrêter les progrès inquiétants de la réaction. On veut nous faire croire que nous sommes dans une ère de progrès démocratique ininterrompus, mais toutes les grandes victoires qu’on accueille avec tant de joie, se bornent en définitive à empêcher un recul (rejet du droit de coalition, la loi Heinze, etc.).

Certes, on ne peut pas encore dire absolument que nos adversaires forment une masse compacte réactionnaire, mais il est certain que les forces bourgeoises qui jusqu’à présent se sont mises au service du progrès, diminuent, et que le prolétariat aura de plus en plus à compter exclusivement sur lui-même.

Moins il a à attendre des divisions de ses adversaires, plus il doit réunir contre eux toutes ses forces pour une action commune et méthodique. Son mot d’ordre doit être concentration, et non neutralisation ou isolement de ses forces. Si l’action politique peut soutenir l’action syndicale, l’inverse est également possible ; les syndicats peuvent seconder l’action politique en faisant de la propagande, mais en fournissant des secours matériels, en hommes et en argent, et finalement en employant le moyen de pression le plus décisif, la grève . La grève générale comme l’entendent les anarchistes, cette grève de tous les salariés, décrétée à jour fixe afin de rendre superflue l’action politique et de détruire d’un coup la société capitaliste, nous semble une folie, mais nous estimons cependant que, dans certaines circonstances, une grève étendue peut être très propre à soutenir une grande action politique. Le refus de travail peut devenir pour le prolétariat ce que le refus de l’impôt était pour la bourgeoisie. Ce n’est naturellement qu’une ressource extrême, mais une politique qui voit loin doit tout prévoir.

Notre vie politique ne sera pas toujours aussi calme qu’aujourd’hui ; ce calme n’est pas justifié par un progrès continu ; toutes les graves questions de politique intérieure et extérieure sont ajournées, ce qui ne fait que les aggraver en les compliquant, jusqu’au jour où elles déchaîneront des luttes plus violentes.

Même dans les temps où la vie politique est pacifique, un puissant mouvement syndical, créant un prolétariat intelligent, capable de lutter, est de la plus grande importance pour le mouvement politique, car ce sont les syndicats qui fournissent à la lutte politique du prolétariat ses meilleurs éléments : l’esprit qui les anime passe dans le mouvement politique, et réciproquement.

Ce sont en effet bien souvent les mêmes hommes qui agissent ici et là-bas, et pour ce motif les deux mouvements des syndicats et du parti socialiste, partout où ils embrassent la masse des prolétaires capables de lutter, ne sont pas deux mouvements différents, parallèles, indépendants l’un de l’autre, mais deux aspects d’un même mouvement, la lutte d’émancipation du prolétariat. Comme troisième aspect de cette lutte, on peut encore indiquer le mouvement coopératif qui ne pourra non plus toujours rester neutre ; nous devrons naturellement tôt ou tard l’utiliser pour la lutte commune, comme les camarades belges l’ont si bien compris.

Mais la lutte pour l’émancipation prolétarienne sous ces différents aspects ne peut se concentrer que si partout elle se propose le même but : l’affranchissement des prolétaires du salariat, quand ce but disparaît de la conscience du prolétariat militant, les éléments de dissociation prennent le dessus, et chaque association ouvrière ne sent plus la nécessité de se solidariser avec toutes les autres, les syndicats et les coopératives se neutralisent, s’isolent, deviennent de simples entreprises d’affaires et la base s’effondre, sur laquelle pouvait s’organiser un mouvement de classe prolétarien politiquement autonome.

Le but final, ce n’est pas seulement un rêve d’avenir, c’est lui qui détermine l’orientation pratique du devenir prolétarien, qui lui donne de la force, de l’enthousiasme, de l’unité, de la discipline. D’autre part, le monde ouvrier est d’autant plus accessible au socialisme que l’activité syndicale (et à l’occasion l’activité coopérative) s’y trouve plus étroitement associée à l’activité politique indépendante.

Nous n’avons pas à craindre que sous ce rapport la situation s’aggrave dans le prolétariat allemand. Dans tous les pays, on tend, non à éloigner l’action politique de l’action syndicale, mais au contraire à fortifier leur cohésion. Les causes qui déterminent cette tendance, soit aussi agissantes en Allemagne qu’ailleurs, de plus, elles sont générales, constantes, tandis que le courant contraire n’a que des raisons d’être momentanées, locales ; aussi finiront-elles par l’emporter chez nous. Si nous n’avons pas à redouter que les tentatives de neutralisation aboutissent à détacher un grand nombre de syndicats du mouvement socialiste – on parlera çà et là en faveur de la séparation, mais on n’arrivera pas à l’effectuer – elles ne resteront pas cependant sans effet, elles auront tout au plus ce résultat, qu’on tiendra compte des sentiments et des besoins des ouvriers chrétiens, qu’on les traitera non en adversaires, mais en frères partout où ils marchent avec le prolétariat engagé dans la lutte de classe, au lieu de l’attaquer par derrière en séides du capital.

Qu’on n’oublie pas que telle est l’attitude prise non seulement par les syndicats, mais aussi par le parti socialiste. Ce n’est pas seulement dans son programme, mais dans l’application qu’il demande de faire de la religion une institution d’ordre privé : il a admis les pasteurs Blumhardt et Göhre, sans s’inquiéter de leur croyance, et pourvu que les ouvriers luttent contre le capital, il ne leur demande pas à quel parti ils appartiennent ; il soutient avec le même dévouement les employés royalistes de tramway en grève et les tisseurs ultramontains : si tout cela était inconciliable avec la « politique de parti » le mouvement du parti socialiste cesserait, tout aussi bien que le mouvement syndical, de faire de la politique de parti, ce que personne n’osera soutenir.

Voilà d’après nous, tout ce que le produiront les tendances de neutralisation des syndicats ; elles répondent cependant à un besoin trop profondément enraciné pour qu’on en puisse triompher complètement, tant que de grandes masses d’ouvriers catholiques se montrent hostiles au parti socialiste, tout en créant un mouvement syndical. En revanche tous les efforts de neutralisation dans le monde syndical allemand seront vains du jour où le parti socialiste aura définitivement pris pied dans les contrées industrielles actuellement ultramontaines. Car le temps n’est plus, qui a produit le type de l’ouvrier aristocrate neutre en Angleterre, et ce temps ne reviendra jamais.


Léon TrotskyLes syndicats à l’époque de la décadence impérialiste
Oeuvres : août 1940

L’intégration des organisations syndicales au pouvoir de l’Etat
Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c’est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’Etat.
Ce processus est également caractéristique pour les syndicats neutres, sociaux-démocrates, communistes et anarchistes. Ce fait seul indique que la tendance à s’intégrer à l’Etat n’est pas inhérente à telle ou telle doctrine, mais résulte des conditions sociales communes pour tous les syndicats.
Le capitalisme monopolisateur n’est pas basé sur la concurrence et sur l’initiative privée, mais sur un commandement central.
Les cliques capitalistes, à la tête de trusts puissants, des syndicats, des consortiums bancaires, etc., contrôlent la vie économique au même niveau que le pouvoir d’Etat et, à chaque instant, elles ont recours à la collaboration de ce dernier. A leur tour les syndicats, dans les branches les plus importantes de l’industrie, se trouvent privés de la possibilité de profiter de la concurrence entre les diverses entreprises. Ils doivent affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de l’Etat. De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes - c’est à dire sur des positions basées sur l’adaptation à la propriété privée - la nécessité de s’adapter à l’Etat capitaliste et de tenter de coopérer avec lui.
Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à " libérer " l’Etat de l’emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l’attirant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l’aristocratie et de la bureaucratie ouvrière qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des sur-profits du capitalisme impérialiste.
Dans leurs discours, les bureaucrates travaillistes font tout leur possible pour essayer de prouver à l’Etat - démocratique - combien ils sont dignes de confiance et indispensables en temps de paix, et plus spécialement en temps de guerre. Par la transformation des syndicats en organismes d’Etat, le fascisme n’invente rien de nouveau, il ne fait que pousser à leurs ultimes conséquences toutes les tendances inhérentes au capitalisme.
Les pays coloniaux et semi-coloniaux ne sont pas sous la domination d’un capitalisme indigène, mais sous celle de l’impérialisme étranger. Cependant, ceci n’écarte pas, mais renforce au contraire, le besoin des liens directs, journaliers et pratiques, entre les magnats du capitalisme et les gouvernements coloniaux et semi-coloniaux qui, en fait, dépendent d’eux.
Dans la mesure où le capitalisme impérialiste crée dans les pays coloniaux et semi-coloniaux une couche d’aristocratie et de bureaucratie ouvrière, celle-ci sollicite le soutien de ces gouvernements comme protecteurs et tuteurs et parfois comme arbitres.
Cela constitue la base sociale la plus importante du caractère bonapartiste et semi-bonapartiste des gouvernements dans les colonies, et en général dans les pays " arriérés ". Cela constitue également la base de la dépendance des syndicats réformistes vis-à-vis de l’Etat.
Au Mexique, les syndicats ont été transformés par la loi en institutions semi-étatiques et ont, par conséquent, acquis un caractère semi-totalitaire. L’étatisation des syndicats, suivant la conception des législateurs, fut introduite dans l’intérêt des travailleurs, dans le but de leur assurer une influence dans la vie gouvernementale ou économique. Mais dans la mesure où le capitalisme impérialiste étranger domine l’Etat national et où il lui est possible de renverser la démocratie instable et de la remplacer immédiatement par une dictature fasciste ouverte, dans cette mesure, la législation se rapportant aux syndicats peut facilement devenir une arme dans les mains de la dictature impérialiste.
Mots d’ordre pour l’indépendance des syndicats
De ce qui précède, il semblerait facile à première vue de conclure que les syndicats renoncent à être eux-mêmes à l’époque impérialiste, qu’ils ne laissent presque plus de place à la démocratie ouvrière qui, dans les bons vieux temps, quand le libre échange dominait sur l’arène économique, constituait le contenu même de la vie intérieure des organisations ouvrières. On pourrait également estimer qu’en l’absence de démocratie ouvrière, il ne peut y avoir de lutte ouverte pour exercer une influence sur les membres des syndicats et que, de ce fait, l’arène principale du travail révolutionnaire au sein des syndicats disparaît. Une telle position serait fondamentalement fausse. Nous ne pouvons pas choisir le champ et les conditions de notre activité selon nos seuls désirs ou aversions. Il est infiniment plus difficile de lutter pour influencer la masse ouvrière dans un Etat totalitaire et semi-totalitaire que dans une démocratie. Cette remarque s’applique également aux syndicats dont la destinée reflète l’évolution des Etats capitalistes. Mais nous ne pouvons pas renoncer à travailler avec les ouvriers en Allemagne simplement parce que le régime totalitaire y rend un tel travail extrêmement difficile. Pour la même raison, nous ne pouvons renoncer à la lutte dans les organisations du travail obligatoire créées par le fascisme. A plus forte raison, nous ne pouvons pas renoncer à un travail systématique au sein des syndicats d’un régime totalitaire ou semi-totalitaire simplement parce qu’ils dépendent directement ou indirectement de l’Etat ouvrier ou parce que la bureaucratie prive les révolutionnaires de la possibilité de travailler librement dans ces syndicats. Il est nécessaire de conduire la lutte sous toutes ces conditions concrètes qui ont été créées par le développement précédent, y compris les fautes de la classe ouvrière et les crimes de ses chefs.
Dans les pays fascistes et semi-fascistes, tout travail révolutionnaire ne peut être qu’illégal et clandestin. Il est nécessaire de nous adapter nous-mêmes aux conditions concrètes existant dans les syndicats de chaque pays afin de mobiliser les masses, non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre le régime totalitaire régnant dans les syndicats eux-mêmes et contre les leaders qui renforcent ce régime.
Le mot d’ordre essentiel dans cette lutte est : indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’Etat capitaliste. Cela signifie : lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d’une aristocratie ouvrière.
Le second mot d’ordre est : démocratie dans Ies syndicats.
Ce second mot d’ordre découle directement du premier et présuppose pour sa réalisation la complète liberté des syndicats vis-à-vis de l’Etat impérialiste ou colonial.
En d’autres termes, à l’époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être de simples organes de la démocratie comme à l’époque du capitalisme libre-échangiste, et ils ne peuvent pas rester plus longtemps politiquement neutres, c’est-à-dire se limiter à la défense des intérêts quotidiens de la classe ouvrière. Ils ne peuvent pas être plus longtemps anarchistes, c’est-à-dire ignorer l’influence décisive de l’Etat sur la vie des peuples et des classes.
Ils ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat.
La neutralité des syndicats est complètement et irrémédiablement chose passée et morte avec la libre démocratie bourgeoise.
Nécessité du travail dans les syndicats
De ce qui précède, il découle clairement qu’en dépit de la dégénérescence continuelle des syndicats et de leur intégration progressive à l’Etat impérialiste, le travail au sein des syndicats non seulement n’a rien perdu de son importance, mais reste comme auparavant, et devient dans un certain sens même, révolutionnaire. L’enjeu de ce travail reste essentiellement la lutte pour influencer la classe ouvrière. Chaque organisation, chaque parti, chaque fraction qui prend une position ultimatiste à l’égard des syndicats, c’est-à-dire qui en fait, tourne le dos à la classe ouvrière, simplement parce que ses organisations ne lui plaisent pas, est condamnée à périr. Et il faut dire qu’elle mérite son sort.
Dans les pays arriérés
Du fait que dans les pays arriérés le rôle principal n’est pas joué par le capitalisme national mais par le capitalisme étranger, la bourgeoisie nationale occupe une situation sociale inférieure à ce qu’elle devrait être par rapport au développement de l’industrie.
Dans la mesure où le capital étranger n’importe pas de travailleurs mais prolétarise la population indigène, le prolétariat national joue rapidement le rôle le plus important dans la vie du pays. Dans ces conditions, le gouvernement national, dans la mesure où il essaie de résister au capital étranger, est contraint de s’appuyer plus ou moins sur le prolétariat.
D’autre part, les gouvernements de ces pays qui considèrent comme inévitable et comme plus profitable pour eux-mêmes de marcher la main dans la main avec le capital étranger, détruisent les organisations ouvrières et instaurent un régime plus ou moins totalitaire.
Ainsi, la faiblesse de la bourgeoisie nationale, le manque de traditions du gouvernement démocratique, la pression del’impérialisme étranger et le développement relativement rapide du prolétariat ôtent toute base à un régime démocratique stable. Les gouvernements des pays arriérés, c’est-à-dire coloniaux et semi-coloniaux, prennent dans l’ensemble un caractère bonapartiste au semi-bonapartiste. Ils diffèrent les uns des autres en ce sens que les uns tentent de s’orienter dans une direction démocratique en cherchant un appui chez les ouvriers et les paysans, pendant que d’autres installent une forme de dictature militaire et policière. Cela détermine également le sort des syndicats : ou bien ils sont placés sous la tutelle de l’Etat, ou bien ils sont soumis à une cruelle persécution. Cette tutelle correspond aux deux tâches antagoniques auxquelles l’Etat doit faire face : soit se rapprocher de la classe ouvrière tout entière et gagner ainsi un appui pour résister aux prétentions excessives de l’impérialisme, soit discipliner les travailleurs en les plaçant sous le contrôle d’une bureaucratie.
Le capitalisme monopolisateur et les syndicats
Le capitalisme monopolisateur est de moins en moins prêt à admettre à nouveau l’indépendance des syndicats. Il exige de la bureaucratie réformiste et de l’aristocratie ouvrière, qui ramassent les miettes de sa table, qu’elles soient toutes les deux transformées en sa police politique aux yeux de la classe ouvrière. Si cela ne se réalise pas, la bureaucratie ouvrière est supprimée et remplacée par les fascistes. Alors tous les efforts de l’aristocratie ouvrière, au service de l’impérialisme, ne peuvent la sauver plus longtemps de la destruction.
A un certain degré de l’intensification des contradictions de classe dans chaque pays et des antagonismes entre les nations, le capitalisme impérialiste ne peut plus tolérer une bureaucratie réformiste (au moins jusqu’à un certain point) que si cette dernière agit directement comme actionnaire, petite mais active, dans les entreprises impérialistes, dans leurs plans et dans leurs programmes, au sein même du pays aussi bien que sur l’arène mondiale. Le social réformisme doit être transformé en social impérialisme dans le but de prolonger son existence et rien de plus car, dans cette voie, il n’y a en général aucune issue.
Cela signifie-t-il qu’à l’époque impérialiste, il ne peut exister, en général, de syndicats indépendants ? Poser la question de cette façon serait fondamentalement erroné. Impossible est en effet l’existence de syndicats réformistes indépendants ou semi-indépendants. Tout à fait possible est l’existence de syndicats révolutionnaires qui non seulement ne sont plus des soutiens de la police impérialiste, mais qui se fixent comme tâche de renverser directement le système capitaliste. A l’époque de l’impérialisme décadent, les syndicats ne peuvent être réellement indépendants que dans la mesure où ils sont consciemment dans l’action des organes de la révolution prolétarienne. Dans ce sens, le programme transitoire adopté par le dernier Congrès de la IVéme internationale est non seulement le programme d’activité du parti mais, dans ses lignes essentielles, également le programme de l’activité syndicale.
Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux
Le développement des pays arriérés présente un caractère combiné. En d’autres termes, le dernier cri de la technologie, de l’économie, et de la politique impérialiste se combine dans ces pays à l’état arriéré et primitif traditionnel. Cette loi peut être observée dans les sphères les plus diverses du développement des pays coloniaux ou semi-coloniaux, y compris celle du mouvement syndical. Le capitalisme opère ici dans sa forme la plus cynique et la plus ouverte. Il transporte sur un terrain vierge les méthodes les plus perfectionnées de sa domination tyrannique.
En Angleterre
Dans tout le mouvement syndical mondial on a pu observer, durant la dernière période, un glissement à droite et la suppression de la démocratie intérieure. En Angleterre, le mouvement minoritaire dans les syndicats a été écrasé (non sans l’intervention de Moscou) ; les leaders syndicaux sont aujourd’hui, spécialement sur le terrain de la politique étrangère, des agents fidèles du parti conservateur.
En France
En France, il n’y avait pas de place pour une existence indépendante des syndicats staliniens. Ils s’unirent aux soi-disant anarcho-syndicalistes sous la direction de Jouhaux et, comme résultat de cette unification, il y eut un déplacement général du mouvement syndical, non vers la gauche, mais vers la droite.
La direction de la CGT est l’agence la plus directe et la plus ouverte du capitalisme impérialiste français.
Aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, le mouvement syndical est passé au cours de ces dernières années par une période très mouvementée. La montée du CIO met en évidence les tendances révolutionnaires qui se manifestent dans les masses travailleuses. Cependant, remarquable et significatif au plus haut degré est le fait que la nouvelle organisation syndicale de gauche, à peine fondée, tombait sous la coupe de l’Etat impérialiste. La lutte entre les dirigeants de l’ancienne fédération et ceux de la nouvelle se réduit dans une large mesure à une lutte pour parvenir à la collaboration avec Roosevelt et son cabinet pour obtenir leur appui.
En Espagne
Non moins significatif, bien que dans un sens différent, est le développement ou la dégénérescence des syndicats espagnols.
Dans les syndicats socialistes, tous les éléments dirigeants qui dans une certaine mesure représentaient l’indépendance du mouvement syndical, furent mis à l’écart. Quant aux syndicats anarcho-syndicalistes, ils furent transformés en instruments de la bourgeoisie républicaine.
Leurs leaders devinrent des ministres conservateurs bourgeois. Le fait que cette transformation eut lieu pendant la guerre civile n’amoindrit pas sa signification. La guerre est une continuation de la politique. Elle en favorise les développements, met à nu leurs caractères fondamentaux, détruit tout ce qui est pourri, faux, équivoque, et maintient seulement ce qui est essentiel. Le glissement des syndicats vers la droite est dû à l’exacerbation des contradictions sociales et internationales. Les leaders du mouvement syndical sentaient, comprenaient, ou on leur avait fait comprendre, que ce n’était plus le moment de jouer à l’opposition. Chaque mouvement d’opposition au sein du mouvement syndical, et spécialement au sommet, menace de provoquer un formidable mouvement de masses et de créer ainsi des difficultés à l’impérialisme national. Cela motive le glissement des syndicats vers la droite et la suppression de la démocratie ouvrière dans les syndicats, l’évolution vers le régime totalitaire, caractéristique fondamentale de la période.
En Hollande
Nous devons également évoquer le cas de la Hollande où non seulement le mouvement syndical réformiste fut un appui pour l’impérialisme, mais où la soi-disant organisation anarcho-syndicaliste passa également sous le contrôle du gouvernement impérialiste. En dépit de ses sympathies platoniques pour la IVème Internationale, Sneevliet, le secrétaire de l’organisation, avait, comme député au parlement hollandais, pour premier objectif d’éviter que les foudres du gouvernement ne s’abattent sur son organisation syndicale.
Au Mexique
La nationalisation des chemins de fer et des champs de pétrole au Mexique n’a évidemment rien de commun avec le socialisme.
C’est une mesure de capitalisme d’Etat dans un pays arriéré qui cherche à se défendre de cette façon d’une part contre l’impérialisme étranger, et d’autre part contre son propre prolétariat. La gestion des chemins de fer et des champs de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières n’a rien de commun avec le contrôle ouvrier sur l’industrie, car, en fin de compte, la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière, qui est indépendante des travailleurs, mais en retour complètement sous la dépendance de l’Etat bourgeois. Cette mesure de la part de la classe dirigeante vise à discipliner la classe ouvrière, et à la faire travailler davantage au service des " intérêts communs " de l’Etat qui semblent se confondre avec les intérêts de la classe ouvrière elle-même. En réalité, toute la tâche de la bourgeoisie consiste à liquider les syndicats en tant qu’organes de la lutte des classes et à les remplacer par la bureaucratie syndicale comme organe de direction de l’Etat bourgeois sur les ouvriers. Dans ces conditions, la tâche de l’avant-garde révolutionnaire consiste à conduire la lutte pour la complète indépendance des syndicats et pour l’introduction du contrôle ouvrier véritable sur la bureaucratie syndicale qui a été transformée en administration des chemins de fer, des entreprises de pétrole, etc.
L’anarchisme
Les évènements de la dernière période qui a précédé la guerre ont révélé avec une clarté particulière que l’anarchisme qui, du point de vue théorique, n’est jamais qu’un libéralisme poussé à l’extrême, ne fut dans la pratique qu’un mouvement de propagande s’exerçant paisiblement dans le cadre de la république démocratique dont il cherchait la protection.
Si nous faisons abstraction des actes terroristes individuels, etc., l’anarchisme, comme mouvement de masse et d’action politique, n’a exercé qu’une activité propagandiste sous la protection pacifique de la légalité.
Dans les moments de crise, les anarchistes ont toujours fait le contraire de ce qu’ils avaient préconisé dans les périodes calmes.
Ce fait fut signalé par Marx en relation avec les événements de la Commune de Paris, et il se reproduisit à une beaucoup plus grande échelle dans l’expérience de la révolution espagnole.
Des syndicats démocratiques dans le vieux sens du terme, c’est-à-dire des organismes dans le cadre desquels différentes tendances s’affrontent plus ou moins librement au sein d’une même organisation de masse, ne peuvent plus exister longtemps.
Tout comme il est impossible de revenir à l’Etat démocratique bourgeois, il est impossible de revenir à la vieille démocratie ouvrière. Le sort de l’un reflète le sort de l’autre. Il est un fait certain que l’indépendance des syndicats, dans un sens de classe, dans leur rapport avec l’Etat bourgeois, ne peut être assurée, dans les conditions actuelles, que par une direction complètement révolutionnaire qui est la direction de la IVème Internationale. Cette direction, naturellement, peut et doit être rationnelle et assurer aux syndicats le maximum de démocratie concevable dans les conditions concrètes actuelles. Mais sans la direction politique de la IVème Internationale, l’indépendance des syndicats est impossible.
Août 1940

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  • "Le glissement des syndicats vers la droite est dû à l’exacerbation des contradictions sociales et internationales. Les leaders du mouvement syndical sentaient, comprenaient, ou on leur avait fait comprendre, que ce n’était plus le moment de jouer à l’opposition. Chaque mouvement d’opposition au sein du mouvement syndical, et spécialement au sommet, menace de provoquer un formidable mouvement de masses et de créer ainsi des difficultés à l’impérialisme national. Cela motive le glissement des syndicats vers la droite et la suppression de la démocratie ouvrière dans les syndicats, l’évolution vers le régime totalitaire, caractéristique fondamentale de la période."

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